Ésope

 

 

 

FABLES – Tome II

 

 

 

Illustrées par Arthur Rackham

 

 

 

 

 

 

Publication du groupe « Ebooks libres et gratuits » – http://www.ebooksgratuits.com/

 

 

 

Table des matières

 

À propos d’Ésope

Du Porc-épic et du Loup.

Du Coq et du Coq d’Inde.

De la Poule et de ses Poussins.

Du Singe et du Perroquet.

Du Loup, du Renard et du Singe.

Du Milan et du Rossignol.

Des Rats tenant conseil.

De l’Aigle et de l’Escarbot.

Du Souriceau et de sa Mère.

Du Loup et du Chien maigre.

De l’Assassin qui se noie.

Des Boeufs et de l’Essieu.

Du Coq et du Renard.

De la Rose et des Fleurs.

Du Cygne et de la Grue.

De la Canne et du Barbet.

De l’Homme décoiffé.

Des Voyageurs et du Plane.

Du Vieillard et de la Mort.

Du Crocodile et du Renard.

Du voeu d’un Malade.

Des Pêcheurs.

Des Grenouilles.

Des deux Ennemis.

Du Lion, de l’Ours et du Renard.

De l’Astrologue.

Du Dauphin et du Thon.

Du Fossoyeur et du Médecin.

De l’Oiseleur et de la Vipère.

De l’Âne qui change de Maître.

Du Lion et de la Grenouille.

Du Maure.

Du Marchand et de la Mer.

Des deux Coqs et du Faucon.

Du Castor et des Chasseurs.

Du Berger et du Chien.

De l’Avare et du Passant.

Du Cerf et du Faon.

Du Renard et du Sanglier.

Du Savetier Médecin.

De la Chauve-Souris et de la Belette.

Du Trompette.

Du Laboureur et de ses Chiens.

De l’Âne et du Lion chassant.

De la Vieille et de sa Servante.

De l’Âne et du Cheval.

Du Paon et de la Pie.

Du Dauphin qui porte un Singe.

Du Berger et du Louveteau.

Du Serpent conduit par sa queue.

De Jupiter, d’Apollon et de Momus.

Du Boeuf et de la Vache.

Du Renard qui a perdu sa queue.

Du Vigneron et de ses Enfants.

De deux Chiens.

De la Mule.

Du jeune Homme et de la Fortune.

Du jeune Homme et de l’Hirondelle.

De l’Astrologue volé.

De Jupiter et des Besaces.

De la Poule trop grasse.

De Jupiter et de la Tortue.

De la Biche et de la Vigne.

Du Laboureur et du Renard.

Du Palefrenier et du Cheval.

De la Corneille et des Oiseaux.

Du Fermier et du Cygne.

De la Poule et du Chat.

D’un Chasseur et d’un Berger.

D’un Âne chargé d’éponges.

De l’Aigle percé d’une flèche.

Du Milan.

D’une Femme.

Du Lion, du Sanglier et des Vautours.

De l’Âne qui porte une Idole.

Des Loups et des Brebis.

Du Fleuve et de sa Source.

De la Femme qui tond sa Brebis.

Du Bouvier et de la Chèvre.

Du Pilote.

Du Corroyeur et du Financier.

D’un jeune Homme et de sa Maîtresse.

Du Chien du Maréchal.

Du Berger et de la Brebis.

D’une jeune Veuve.

De l’Aigle et de la Pie.

Du Mourant et de sa Femme.

Du Voleur et du pauvre Homme.

De l’Homme qui ne tient compte du trésor.

Du Lièvre et de la Perdrix.

Du Vieillard qui se marie à contretemps.

Du Lion amoureux.

Du Savant et d’un Sot.

Des Passagers et du Pilote.

De la mauvaise Voisine.

Du Pêcheur et des Poissons.

Du Loup et de la Brebis.

De deux Chiens qui crèvent à force de boire.

Du Lion et de la Mouche.

De la Taupe et de sa Fille.

Du Rossignol et de l’Hirondelle.

Du Singe et du Chat.

Du Hérisson et du Serpent.

De l’Âne et du Cheval.

Du Cerf.

Du Cuisinier et du Chien.

Du Renard et du Singe.

D’un Bouvier.

Du Bouvier et de Hercule.

Du Grammairien qui enseignait un Âne.

Du Mari et de sa Femme.

D’un Oiseleur et d’un Pinson.

Du Vieillard qui voulait remettre sa mort à plus tard.

Du Lion, du Loup et du Renard.

Du Cochon et du Renard.

Du Lion irrité contre le Cerf qui se réjouissait de la mort de la Lionne.

Du Chien qui ne vint pas en aide à l’Âne contre le Loup parce que l’Âne ne lui avait pas donné de pain.

De la cire qui voulait devenir dure.

De l’Homme qui avait caché son trésor en confidence de son compère.

Du Loup et des Bergers.

De l’Araignée et de l’Hirondelle.

Du Père de famille reprochant à son Chien d’avoir laissé prendre ses Poules.

Du Vieillard décrépit qui greffait des arbres.

Du Renard voulant tuer une Poule sur ses oeufs.

Du Chat et d’une Perdrix.

D’un Jardinier et d’un Ours.

D’un Faucon et d’une Poule.

D’un Chasseur et d’un Loup

D’un Homme et d’une Couleuvre

À propos de cette édition électronique

 

 

 

À propos d’Ésope

 

(VIIe VIe siècles avant J.-C.) On le considère comme le père de la fable. Mais a-t-il vraiment existé ? Rien n’est sûr, mais qu’importe ! (Il est convenu désormais de parler plutôt de textes ésopiques que de fables d’Ésope). Ses fables constituent une somme de la sagesse populaire des Grecs. Elles inspireront ensuite Phèdre à Rome, puis les conteurs arabes. Les fables d’Ésope ont été compilées et publiées au XIVe siècle, par Planude, un moine byzantin. Isaac Nicolas de Nivelet avait publié en 1610 une version d’Ésope en latin, et cette traduction avait été rééditée en 1660. La Fontaine l’a sûrement lue. La légende disait Ésope laid et boiteux.

 

Fables d’Ésope

 

Tome II

 

Du Porc-épic et du Loup.

 

Un Loup rencontra un Porc-épic, et s’avança dans le dessein d’en apaiser la faim qui le pressait. Celui-ci, qui s’en aperçut, se hérissa d’abord de ses piquants. – Si vous vouliez vous défaire de toutes ces pointes, lui dit l’autre, bien fâché de ne savoir par où le prendre, vous n’en seriez que mieux, car elles vous défigurent extrêmement ; croyez-moi, ne les portez plus. – Les dieux m’en gardent, repartit le Porc-épic, en les dressant encore davantage. Ami, si ces piquants me parent mal, ils me défendent bien. –

 

Du Coq et du Coq d’Inde.

 

Le Coq est jaloux de son naturel. Celui-ci remarqua qu’un Coq d’Inde, qui vivait avec lui dans la même basse-cour, faisait la roue en présence de ses Poules, et en prit ombrage. – Traître, lui disait-il, ce n’est pas sans dessein que tu fais montre de tes plumes. Tu cherches sans doute à plaire à mes femmes, et par conséquent à me les débaucher. – Moi, repartit l’autre, c’est à quoi je n’ai jamais pensé, et tu t’alarmes bien mal-à-propos. Eh quoi ! ne saurais-tu souffrir que je fasse la roue devant tes femmes, quand je souffre, moi, que tu viennes chanter tout autant qu’il te plaît devant les miennes. –

 

De la Poule et de ses Poussins.

 

Une Poule mena ses Poussins aux champs, et s’écarta fort loin de sa basse-cour. Pendant qu’elle ne pensait à rien moins qu’au Milan, celui-ci parut prêt à fondre sur sa couvée. Tout ce qu’elle put faire alors pour la sauver, ce fut de fuir et de se sauver dans une ferme, d’où elle se trouvait fort proche, et de s’enfermer avec ses Poussins dans une cage qu’elle y trouva. Le fermier, qui s’en aperçut, accourut, et prit ainsi d’un seul coup la mère et ses petits ; mais celle-ci s’en consola, parce que du moins elle avait, disait-elle, mis ses Poussins à couvert des serres de leur plus cruel ennemi.

 

Du Singe et du Perroquet.

 

Un jour le Singe et le Perroquet pensèrent se donner pour Animaux raisonnables, et se mirent en tête de se faire passer pour tels. Le premier crut qu’on le prendrait pour un homme, dès qu’il en aurait pris les habits. L’autre s’imagina qu’il le ferait aussi, s’il pouvait contrefaire la voix humaine. Le Singe donc s’habilla ; le Perroquet apprit quelques mots, après quoi l’un et l’autre sortirent de leurs bois et vinrent se produire à certaine foire. Lorsqu’ils parurent, chacun y fut trompé : mais comme le Singe ne disait rien, et que le Perroquet ne disait jamais que la même chose, on sortit bientôt d’erreur. Ainsi ceux qui les avaient pris d’abord pour de vrais hommes, ne les prirent, un quart d’heure après, que pour ce qu’ils étaient.

 

Du Loup, du Renard et du Singe.

 

Le Loup et le Renard plaidaient l’un contre l’autre par-devant le Singe. Le premier accusait l’autre de lui avoir dérobé quelques provisions, celui-ci niait le fait. Le Singe, qui connaissait de quoi l’un et l’autre étaient capables, ne savait lequel croire ; ainsi il se trouvait dans un grand embarras. Voici pourtant comme il s’en tira : après bien des contestations de part et d’autre, il imposa silence aux parties, et prononça ainsi : – Toi, Loup, je te condamne à payer l’amende, parce que tu demandes au Renard ce qu’il ne t’a point pris ; et toi, Renard, tu paieras aussi, parce que tu refuses de rendre au Loup ce que tu lui as dérobé. –

 

Du Milan et du Rossignol.

 

Un Milan fort affamé tenait un Rossignol sous ses serres. – Milan s’écriait celui-ci, donnez-moi la vie, et je vous ferai entendre des chansons capables de vous ravir. Ma voix, vous le savez, enchanterait les dieux mêmes. – J’en doute si peu, répliqua le Milan, que je t’écouterais de grand coeur, si je ne sentais qu’à présent j’ai beaucoup plus besoin de nourriture que de musique. – Cela dit, il le croque.

 

Des Rats tenant conseil.

 

Les Rats tenaient conseil, et ils délibéraient sur ce qu’ils avaient à faire pour se garantir de la griffe du Chat, qui avait déjà croqué plus des deux tiers de leur peuple. Comme chacun opinait à son tour, un des plus habiles se leva. – Je serais d’avis, dit-il d’un ton grave, qu’on attachât quelque grelot au cou de cette méchante bête. Elle ne pourra venir à nous sans que le grelot nous avertisse d’assez loin de son approche ; et comme en ce cas nous aurons tout le temps de fuir, vous concevez bien qu’il nous sera fort aisé de nous mettre, par ce moyen, à couvert de toute surprise de sa part. – Et toute l’assemblée applaudit aussitôt à la bonté de l’expédient. La difficulté fut de trouver un Rat qui voulût se hasarder à attacher le grelot : chacun s’en défendit ; l’un avait la patte blessée, l’autre la vue courte. – Je ne suis pas assez fort, – disait l’un. – Je ne sais pas bien comment m’y prendre –, disait l’autre. Tous alléguèrent diverses excuses, et si bonnes, qu’on se sépara sans rien conclure.

 

De l’Aigle et de l’Escarbot.

 

L’Aigle enlevait un Lapin, sans se mettre en peine des cris d’un Escarbot. Celui-ci intercédait pour son voisin, et suppliait l’oiseau de donner la vie au Lapin ; mais l’Aigle, sans avoir égard aux prières du bestion, mit l’autre en pièces. Elle ne tarda guère à s’en repentir ; car, quelques jours après, voici que l’Escarbot, qui avait pris le temps que l’Aigle s’était écartée de son nid, y vole, culbute tous les oeufs, fracasse les uns, fait faire le saut aux autres, et par la destruction entière du nid, venge la mort de son ami.

 

Du Souriceau et de sa Mère.

 

Un Souriceau racontait à sa mère tout ce qui lui était arrivé dans un voyage dont il était de retour. – Un jour, lui disait-il, la curiosité me prit d’entrer dans une basse-cour, et là j’y trouvai un animal qui m’était inconnu, mais dont le minois me plut infiniment. L’air doux, la contenance modeste, le regard gracieux ; au reste, la peau marquetée, longue queue, et faite à peu près comme la nôtre ; voilà ce qui le rendait tout à fait plaisant à voir. Pour moi j’en fus si charmé, que déjà je l’abordais pour faire connaissance avec lui, lorsque certain oiseau farouche, turbulent, et qui portait sur sa tête je ne sais quel morceau de chair tout déchiqueté, m’effraya tellement par ses cris perçants, que j’en pris la fuite d’épouvante. – Mon fils, lui dit la mère, remercie les Dieux qui t’ont sauvé dans cette rencontre du plus grand danger que tu puisses jamais courir. L’Animal qui t’a semblé si doux, c’est un Chat ; l’oiseau turbulent, c’est un Coq. Ce dernier ne nous veut aucun mal mais l’autre ne pense qu’à nous détruire. Reconnais donc maintenant quelle était ton imprudence, de courir te livrer toi-même à ton plus cruel ennemi. –

 

Du Loup et du Chien maigre.

 

Un jour, un Loup rencontra un Chien d’assez bonne taille, mais si maigre, qu’il n’avait que les os et la peau. Comme il allait le mettre en pièces : – Eh ! Seigneur, lui dit le Chien, qu’allez-vous faire ? ne voyez-vous pas bien que je suis présentement dans un tel état, que je ne vaux pas un coup de dent ? Mais, croyez-moi, souffrez que je retourne au logis ; j’aurai soin, je vous jure, de m’y bien nourrir, et s’il vous prend envie d’y venir dans quelque temps, vous m’y trouverez si gras, que vous ne vous repentirez point d’avoir perdu un méchant repas pour en faire un incomparablement meilleur. – Le Loup le crut et le lâcha. Quelques jours après, il court au logis du Chien, l’aperçoit au travers des barreaux de la porte, et le presse de sortir pour lui tenir parole. – Vous reviendrez demain, s’il vous plaît, lui dit le Chien ; car pour aujourd’hui, outre que je ne crois pas avoir encore atteint le degré d’embonpoint qui vous convient, je ne me sens pas fort d’humeur à vous contenter. – L’autre entendit à demi-mot. Il baissa l’oreille, et rebroussant chemin, jura qu’il ne laisserait jamais échapper ce qu’il tiendrait.

 

De l’Assassin qui se noie.

 

Le Prévôt poursuivait un Assassin. Celui-ci fuyait, et de telle vitesse, que l’autre ne put l’atteindre, et se retira. Alors le scélérat s’imagina qu’il n’avait plus rien à craindre, et crut que son crime demeurerait impuni ; mais le ciel se garda bien de le permettre. Pendant que ce malheureux croit traverser un ruisseau où il était entré sans en connaître la profondeur, il y perd pied, et s’y noie.

 

Des Boeufs et de l’Essieu.

 

Deux Boeufs attelés à un chariot fort chargé, ne le tiraient qu’avec peine. Cependant l’Essieu criait, et de telle sorte, que les Boeufs, étourdis du bruit qu’il faisait, s’arrêtèrent et se retournèrent vers lui. – Importun, lui dirent-ils, eh ! qu’as-tu donc tant à crier, toi qui ne fatigues presque point, tandis que nous ne nous plaignons seulement pas, nous qui suons à tirer tout le fardeau ? –

 

Du Coq et du Renard.

 

Un Coq se tenait sur un chêne fort élevé. Un Renard, qui ne pouvait l’y atteindre, courut au pied de l’arbre : – Ami, cria-t-il à l’autre, bonne nouvelle ! Hier, la paix fut signée entre les tiens et les nôtres. Sans rancune donc, je te prie ; et puisque dorénavant nous devons tous nous entr’aimer comme frères, commençons par nous réconcilier. Viens donc, mon cher, descends que je t’embrasse. – Ami, repartit le Coq, tu ne saurais croire combien cette nouvelle me réjouit. Je la crois certaine, car, si je ne me trompe, je vois là-bas deux courriers qui viennent nous en apporter la nouvelle. Demeure donc, je te prie ; et sitôt qu’ils seront arrivés, je descendrai pour nous en réjouir tous quatre ensemble. – Ces courriers étaient deux Lévriers. Le Renard ne jugea pas à propos de les attendre, et gagna pays ; et le Coq se mit à rire à gorge déployée.

 

De la Rose et des Fleurs.

 

Les Fleurs contemplaient la Rose, et trouvaient dans ses nuances un éclat si vif qu’elles lui cédaient, presque sans envie, le prix de la beauté. – Non, lui disaient-elles toutes d’une voix, notre coloris n’est ni si rare ni si beau. Nous n’exhalons point une odeur si douce. Triomphez, belle Rose : vous méritez seule les caresses des zéphyrs. – Fleurs, dit la Rose en soupirant, lorsqu’un seul jour me voit naître et mourir, que me sert d’être si belle ? Hélas ! je voudrais l’être moins et durer, comme vous, davantage. –

 

Du Cygne et de la Grue.

 

Le Cygne, à l’extrémité, chantait. – Je ne vois pas, lui disait la Grue, quel sujet vous avez de vous réjouir dans l’état où vous êtes. – Je sens que je vais mourir, répliqua le Cygne. Ai-je tort de marquer de la joie, quand je me vois sur le point d’être délivré de tous mes maux ? –

 

De la Canne et du Barbet.

 

Un Barbet poursuivait une Canne. Celle-ci, pour se sauver, se jette dans un étang. L’autre s’y lance, et nage après elle. Comme il la suit, et de si près, qu’il ouvre déjà la gueule pour la prendre, la Canne fait le plongeon, s’enfonce et disparaît. Ainsi le Chien perdit sa proie dans le moment même qu’il croyait la tenir.

 

De l’Homme décoiffé.

 

Un Homme chauve se vit obligé de couvrir sa tête de cheveux empruntés. Un jour, comme il dansait en bonne compagnie, il donna en sautant, un tel branle à son corps, que sa fausse chevelure en tomba par terre. Chacun se mit à rire. – Messieurs, dit le Danseur, dans le dessein de faire cesser la risée par quelque bon mot, vous ne devez pas être surpris que ces cheveux n’aient pu tenir sur la tête d’autrui, lorsqu’ils n’ont pu rester sur la leur propre. –

 

Des Voyageurs et du Plane.

 

Vers le milieu d’un des plus chauds jours de la canicule, deux Voyageurs prenaient le frais à l’ombre d’un Plane. Ils s’y étaient retirés pour se mettre à l’abri du soleil. Comme ils en considéraient les branches sans y apercevoir de fruit : – Voilà, se disaient-ils l’un à l’autre, un méchant Arbre ; s’il m’appartenait, puisqu’il n’est bon à rien, je le ferais abattre et jeter au feu tout présentement. – Ingrats, leur dit l’Arbre, n’est-ce donc rien que cet ombre que mon feuillage produit, et qui vous garantit si à propos des rayons que vous fuyez ? –

 

Du Vieillard et de la Mort.

 

Un jour un Vieillard, portant du bois qu’il avait coupé, faisait une longue route. Succombant à la fatigue, il déposa quelque part son fardeau, et il appela la Mort. La Mort arriva et lui demanda pourquoi il l’appelait. Alors le Vieillard épouvanté lui dit : – Pour que tu soulèves mon fardeau. – Cette fable montre que tout Homme aime la vie, même s’il est malheureux et pauvre.

 

Du Crocodile et du Renard.

 

Le Crocodile méprisait le Renard, et ne lui parlait que de sa noble extraction. – Faquin, lui disait-il d’un ton arrogant, je te trouve bien hardi d’oser te faufiler avec moi. Sais-tu bien qui je suis ? sais-tu que ma noblesse est presque aussi ancienne que le monde ? – Et comment pourrez-vous me prouver cela ? répliqua l’autre fort surpris. – Très-aisément, reprit le Crocodile. Apprends que dans la guerre des géants, quelques-uns d’entre les dieux prirent la fuite, et vinrent, transformés en Crocodiles, se cacher au fond du Nil. C’est de ceux-là dont je descends en droite ligne. Mais toi, misérable, d’où viens-tu ? En vérité, repartit le Renard, c’est ce que je ne sais point, et ce que je n’ai jamais su. Croyez, Seigneur Crocodile, que je suis beaucoup plus en peine de savoir où je vais, que d’apprendre d’où je viens. –

 

Du voeu d’un Malade.

 

Un Laboureur dangereusement malade, voua cent Boeufs à Esculape. Il les lui devait immoler, bien entendu, lorsqu’il serait guéri. – Cent Boeufs ! s’écria sa femme, vous n’y pensez pas mon fils ; eh ! grand dieu, où les prendre, quand je n’en vois pas un seul dans notre étable ? – Taisez-vous, lui répondit le malade ; si j’en reviens, il faudra bien que le bon Esculape se contente, s’il lui plaît, de notre Veau. –

 

Des Pêcheurs.

 

Des Pêcheurs tiraient leurs filets hors de l’eau : comme ils les sentaient plus pesants que de coutume, ils en concevaient bonne espérance. La pêche, se disaient-ils les uns aux autres, sera sans doute des meilleures ; et Dieu sait quels poissons nous allons voir dans nos rets. Leur joie fut courte, car lorsqu’après beaucoup de fatigue, ils eurent vu le fond de leurs filets, ils n’y trouvèrent qu’un gros caillou, que le courant de la rivière y avait amené.

 

Des Grenouilles.

 

Les Grenouilles virent dans le fort de l’été leurs marais à sec. – Où nous retirerons-nous ? s’écrièrent-elles alors. – Dans ce puits que vous voyez tout proche de vous, dit une des plus jeunes. – L’eau l’emplit jusqu’à deux doigts du bord ; ainsi, il nous sera très-aisé d’y entrer. – Fort bien, répliqua une des plus vieilles ; mais quand l’eau viendra à baisser, et que nous nous trouverons au fond de ce puits, à vingt pieds au moins de son ouverture, en sortirions-nous aussi aisément que nous y serons entrées ? –

 

Des deux Ennemis.

 

Deux Hommes, qui se haïssaient mortellement, s’étaient embarqués sur le même vaisseau. Comme il cinglait à pleines voiles, une tempête s’éleva, et si grande, que le navire, battu des vents et fracassé par les vagues, s’entrouvrit. Dans cette extrémité, les deux passagers que l’eau commençait à gagner, se consolaient, quoiqu’ils se vissent sur le point d’être submergés. – Si je péris, disaient-ils l’un et l’autre au fond du coeur, mon ennemi périt aussi. –

 

Du Lion, de l’Ours et du Renard.

 

Le Lion et l’Ours s’entre-déchiraient, et cela pour quelques rayons de miel qu’ils avaient trouvés dans le creux d’un chêne. Chacun d’eux prétendait en faire son profit, sans le partager avec son compagnon. Ils eussent beaucoup mieux fait d’en faire deux parts ; car tandis qu’ils s’acharnent l’un sur l’autre, un Renard se glisse sans bruit près du miel, le lape et se sauve.

 

De l’Astrologue.

 

Un Astrologue contemplait les astres en marchant : il eût beaucoup mieux fait de regarder à ses pieds ; car tandis qu’il lève les yeux et les tient toujours fixés vers le ciel, voici que sans voir un puits qu’on avait creusé sur son chemin, il en approche, et de si près, qu’il s’y précipite et s’y noie.

 

Du Dauphin et du Thon.

 

Un Dauphin poursuivait un Thon, dans le dessein de se venger de quelque offense qu’il en avait reçue. Ce dernier gagne le rivage, l’autre l’y suit. Et le Thon, pour échapper, sauta sur le sable, et le Dauphin s’y lança avec lui. Mais voici que froissés de leur chute, ils y demeurèrent tous deux étendus. Cependant l’air de la terre agit sur eux. Ils s’affaiblissent hors de leur élément, et meurent, non sans s’être repentis de n’avoir consulté que leur ressentiment.

 

Du Fossoyeur et du Médecin.

 

Un Fossoyeur enterrait son Voisin. Comme il achevait de combler la fosse, il aperçut le Médecin qui avait traité le défunt pendant sa maladie. – Je vous croyais si habile, lui dit-il, que je m’étais imaginé que vous tireriez votre malade d’affaire. – J’ai fait tout ce que j’ai pu pour cela, répliqua le docteur ; mais cet Homme était malsain. – Et s’il ne l’avait pas été, repartit le Fossoyeur en secouant la tête, aurait-il eu besoin de vous ? –

 

De l’Oiseleur et de la Vipère.

 

Un Oiseleur cherchait à prendre des Oiseaux. Comme il se baissait pour tendre ses réseaux, une Vipère le piqua au pied. – Ah ! s’écria l’Homme, je n’ai que ce que je mérite. Pourrais-je être surpris qu’on m’ôte la vie, tandis que je ne pense, moi, qu’à la ravir aux autres ? –

 

De l’Âne qui change de Maître.

 

L’Âne d’un Jardinier se lassa de se lever avant le point du jour pour porter des herbes au marché. Un jour il pria Jupiter de lui donner un Maître chez qui il pût, disait-il, au moins dormir. – Soit, dit le Maître des dieux – : et cela dit, voilà le Baudet chez un Charbonnier. Il n’y eut pas resté deux jours qu’il regretta le Jardinier. – Encore, disait-il, chez lui j’attrapais de temps en temps à la dérobée quelques feuilles de chou ; mais ici que peut-on gagner à porter du charbon ? des coups, et rien davantage. – Il fallut donc lui chercher une autre condition. Jupiter le fit entrer chez un Corroyeur, et le Baudet, qui n’y pouvait souffrir la puanteur des peaux dont on le chargeait, criait plus fort que jamais, et demanda pour la troisième fois un autre Maître. Alors le dieu lui dit : – Si tu avais été sage, tu serais resté chez le premier. Quand je t’en donnerais un nouveau, tu n’en serais pas plus content que des autres. Ainsi, reste où tu es, de peur que tu ne trouves encore ailleurs plus de sujet de te plaindre. –

 

Du Lion et de la Grenouille.

 

Un Lion se coucha sur les bords d’un marais, et s’y assoupit. Comme il y dormait d’un sommeil profond, une Grenouille se mit à croasser ; à ce bruit, l’autre s’éveille ; et comme il croit que quelque puissant Animal vient l’attaquer, il se lève, et regarde de tous côtés. Mais quel est son étonnement, lorsqu’il aperçoit celle qui l’avait si fort épouvanté ?

 

Du Maure.

 

Un Homme se mit en tête de blanchir un Maure ; il le baignait, lavait et frottait : mais ce fut temps perdu. Le Maure bien décrassé parut encore plus noir qu’il n’était auparavant.

 

Du Marchand et de la Mer.

 

Un Marchand chargea un vaisseau de marchandise, et partit pour les Indes. Lorsqu’il mit à la voile, le vent était favorable et la Mer tranquille : mais à peine eut-il perdu le port de vue, que le vent changea tout-à-coup ; la Mer éleva ses vagues, poussa le navire sur un banc de sable et l’y fit échouer. Le Marchand vit périr toutes ses marchandises, et ne se sauva qu’avec peine sur quelques débris du vaisseau. Quelques jours après, comme il se promenait sur le rivage où il avait abordé, il vit la Mer calme, et qui semblait lui dire de se rembarquer de nouveau. – Perfide Mer, s’écria-t-il, c’est en vain que par une feinte tranquillité tu cherches à m’attirer. S’y fie qui voudra ; quant à moi, je n’ai point encore oublié de quelle manière tu m’as traité ces jours passés, je ne suis pas d’humeur à me fier une seconde fois à qui vient de me donner des preuves de son infidélité. –

 

Des deux Coqs et du Faucon.

 

Deux Coqs se battirent à outrance, et cela pour l’amour d’une Poule qui les avait rendus rivaux. Le vaincu prit la fuite, et se retira dans un coin de la basse-cour, pendant que le vainqueur montait sur le haut du poulailler, pour y chanter sa victoire. Celui-ci ne s’en réjouit pas longtemps ; car tandis qu’en battant des ailes, il ne pensait qu’à y faire éclater sa joie, le Faucon, qui l’avait aisément découvert sur le haut de ce toit, vint fondre sur lui et le mit en pièces.

 

Du Castor et des Chasseurs.

 

Des Chasseurs poursuivaient un Castor ; dans le dessein de tirer profit de certaine partie de son corps. Ils avaient coutume d’en employer la chair comme un remède souverain contre plusieurs maux. Le Castor, qui savait leur intention, n’eut pas plutôt reconnu qu’il ne pouvait leur échapper, qu’il la prit à belles dents, et se la retrancha. Alors les Chasseurs, satisfaits d’avoir ce qu’ils cherchaient, cessèrent de le poursuivre, et se retirèrent. Ainsi le Castor, qui fort sagement jugea à propos de se défaire d’une partie qu’il ne pouvait conserver sans perdre le tout, se sauva par son jugement.

 

Du Berger et du Chien.

 

Un Berger avait donné plusieurs fois à son Chien les Brebis qui mouraient chez lui de maladie. Un jour, une des plus grasses de son troupeau tomba malade ; alors le Chien parut plus triste que de coutume. Le Berger lui en demanda la cause ; sur quoi l’autre lui répondit qu’il ne pouvait, sans s’affliger, voir la meilleure Brebis du troupeau en danger de périr. – Tu me portes bien la mine, lui repart l’Homme, de penser beaucoup plus à ton intérêt qu’au mien. Tu as beau dissimuler, va, je suis bien persuadé que tu ne t’attristes de la maladie de ma Brebis, que parce que tu crains qu’en réchappant, elle ne t’échappe. –

 

De l’Avare et du Passant.

 

Un Avare enfouit son trésor dans un champ ; mais il ne put le faire si secrètement qu’un Voisin ne s’en aperçût. Le premier retiré, l’autre accourt, déterre l’or et l’emporte. Le lendemain l’Avare revient rendre visite à son trésor. Quelle fut sa douleur lorsqu’il n’en trouva que le gîte ! Un dieu même ne l’exprimerait pas. Le voilà qui crie, pleure, s’arrache les cheveux, en un mot se désespère. À ses cris, un Passant accourt. – Qu’avez-vous perdu, lui dit celui-ci, pour vous désoler de la sorte ? – Ce qui m’était mille fois plus cher que la vie, s’écria l’Avare : mon trésor que j’avais enterré près de cette pierre. – Sans vous donner la peine de le porter si loin, reprit l’autre, que ne le gardiez-vous chez vous : vous auriez pu en tirer à toute heure, et plus commodément l’or dont vous auriez eu besoin. – En tirer mon or ! s’écria l’Avare : ô ciel ! je n’étais pas si fou. Hélas ! je n’y touchais jamais. – Si vous n’y touchiez point, répliqua le Passant, pourquoi vous tant affliger ? Eh, mon ami, mettez une pierre à la place du trésor, elle vous y servira tout autant. –

 

Du Cerf et du Faon.

 

Le Faon soutenait à son Père que la nature lui avait donné de si grands avantages sur le Chien, qu’il n’avait aucun lieu de le craindre. – Si jamais, disait-il au Cerf, nous en venons aux prises le Chien et moi, comptez que je n’aurai pas de peine à le battre, car, outre que je suis plus haut, et par conséquent plus fort que lui, je vois ma tête armée d’un bois que la sienne n’a point. – Mon fils, repartit l’autre, donnez-vous bien de garde de l’attaquer, la partie ne serait pas égale. Si les dieux lui ont refusé le bois qu’ils vous ont donné, ils lui ont fait présent d’un coeur que vous n’avez point. –

 

Du Renard et du Sanglier.

 

Un Sanglier aiguisait ses défenses contre le tronc d’un arbre. – À quoi bon, lui dit un Renard, te préparer au combat, quand tu ne vois ni Chien ni Chasseur ? – Hé, dois-je attendre, répliqua l’autre, que je les aie en queue, pour songer à tenir mes armes en état, quand ils ne me donneront pas le temps d’y penser ? –

 

Du Savetier Médecin.

 

Un Savetier des plus ignorants dans son métier, trouva si peu son compte au profit qui lui en revenait, qu’il lui prit fantaisie d’en changer. Un jour il se mit en tête d’être Médecin, et le fut, au moins ou le crut tel. Quelques termes de l’art qu’il apprit, son effronterie et son babil, joints à l’ignorance de ses Voisins, eurent bientôt fait d’un artisan très-maladroit un fort habile Charlatan. Il publia partout que la vertu de ses remèdes était infaillible, et chacun le crut sur sa parole. Un de ses Voisins, pourtant moins dupe que les autres, s’en moqua ; voici comment. Il se dit attaqué d’un mal de tête, et mande le docteur. Celui-ci vient, et raisonne fort au long sur le prétendu mal ; ensuite il assure le malade qu’il l’en délivrera, et en peu de temps, pourvu qu’il veuille s’abandonner à ses soins. – Pauvre ignorant, repartit le Voisin, en éclatant de rire, et comment pourrai-je me résoudre à te livrer ma tête, quand je ne voudrais pas seulement te confier mes pieds ? –

 

De la Chauve-Souris et de la Belette.

 

Une Chauve-Souris étant tombée à terre fut prise par une Belette, et, sur le point d’être mise à mort, elle la suppliait de l’épargner. La Belette répondit qu’elle ne pouvait la relâcher, étant de sa nature ennemie de tous les volatiles. L’autre affirma qu’elle était non pas un Oiseau, mais une Souris et fut ainsi remise en liberté. Plus tard elle tomba une seconde fois et fut prise par une autre Belette. Elle lui demanda de ne pas la dévorer, et comme la Belette lui répondait qu’elle était l’ennemie de tous les Rats, elle affirma qu’elle n’était pas un Rat, mais une Chauve-Souris et elle fut une deuxième fois relâchée. Voilà comment en changeant deux fois de nom elle assura son salut. Cette fable montre que nous non plus nous ne devons pas nous tenir aux mêmes moyens, attendu que ceux qui se transforment selon les circonstances échappent souvent au danger.

 

Du Trompette.

 

Un Trompette, après avoir sonné la charge, fut pris par les Ennemis. Comme un d’entre eux levait le bras pour le percer de son épée : – Quartier, s’écria le prisonnier. Considérez que je ne me suis servi que de ma trompette, et qu’ainsi je n’ai pu ni tuer ni blesser aucun des vôtres. – Tu n’en mérites pas moins la mort, répliqua l’autre en lui plongeant l’épée dans le ventre, méchant qui ne tue jamais, il est vrai, mais qui excite les autres à s’entre-tuer. –

 

Du Laboureur et de ses Chiens.

 

Un Laboureur détela les Boeufs de sa charrue dans un temps de famine, les tua, dans la vue de s’en nourrir, lui et sa famille. Ses Chiens qui s’en aperçurent, sortirent aussitôt du logis, et gagnèrent pays. – Sauvons-nous, se disaient-ils les uns aux autres. Si cet Homme tue des Animaux, dont il a si grand besoin pour son labourage, que ne nous fera-t-il point à nous, qui ne lui sommes pas à beaucoup près si nécessaires ! –

 

De l’Âne et du Lion chassant.

 

L’Homme sans mérite qui vante sa gloire en paroles trompe ceux qui ne le connaissent pas, est la risée de ceux qui le connaissent. Le Lion, voulant chasser en compagnie de l’Âne, le couvrit de ramée et lui recommanda d’épouvanter les Animaux du son inaccoutumé de sa voix afin de les arrêter au passage. Celui-ci dresse de toutes ses forces ses oreilles avec une clameur soudaine et terrifie les bêtes de ce prodige d’un nouveau genre. Tandis qu’épouvantées elles gagnent leurs issues habituelles, le Lion les terrasse d’un élan terrible. Quand il fut las de carnage, il appela l’Âne, lui dit d’étouffer ses cris. Alors l’autre, insolemment : – Comment trouves-tu cet effet de ma voix ? – Merveilleux, dit le Lion, au point que, si je n’avais connu ton caractère et ta race, j’aurais été pris de la même erreur. –

 

De la Vieille et de sa Servante.

 

Une Vieille n’avait pas plutôt entendu le chant de son Coq, que tous les matins, elle allait une heure avant le point du jour éveiller sa Servante. Alors il fallait se lever pour prendre ensuite une quenouille, qu’on ne quittait que longtemps après le coucher du soleil. Celle-ci, qui séchait de fatigue et d’insomnie, prit un jour le Coq et le tua, dans la pensée qu’elle dormirait tout à son aise, sitôt que sa maîtresse aurait perdu son réveille-matin. Mais tout le contraire arriva. Le Coq mort, la Vieille, qui n’entendait plus ce chant qui la réglât, était toute la nuit sur pied et courait éveiller sa Servante, lorsqu’à peine celle-ci avait eu le temps de se coucher.

 

De l’Âne et du Cheval.

 

Un Cheval couvert d’une riche housse, allait trouver son Maître à la guerre. Un Âne le vit passer ; alors il ne peut s’empêcher de soupirer, et d’envier le bonheur de l’autre. Suis-moi, lui dit le Cheval qui s’en était aperçu, et tu partageras la gloire dont je vais me couvrir. Le Baudet ne se le fit pas dire deux fois et le suivit. Il arrive au camp ; et d’abord soldats, armes, pavillons, le bruit des tambours, le font tressaillir d’aise. Mais quelques jours après, lorsqu’il vit le Cheval obligé de porter son Maître dans la mêlée, au risque de mille coups, il sentit diminuer sa joie, et pensa à ce qu’il avait quitté. Un moment après il baissa les oreilles, et tourna le dos. Puis, malgré tout ce que l’autre put lui dire pour l’engager à rester, il courut au grand trot reprendre le chemin du moulin.

 

Du Paon et de la Pie.

 

Un jour les Oiseaux s’assemblèrent à dessein de nommer entr’eux un roi, qui fût capable de les gouverner. Chaque Oiseau, pour se concilier les suffrages de l’assemblée, fit valoir tout autant qu’il le put les avantages qu’il avait reçus de la nature. L’Aigle parla de sa force, le Coq de son courage, le Perroquet de sa mémoire, et la Pie de son esprit. Mais ce fut en vain que les uns et les autres vantèrent à la diète leurs bonnes qualités. On n’y fit pas la moindre attention ; au contraire, le récit qu’ils en firent ennuya. Là-dessus le Paon vint à son tour étaler sa belle queue. Dès qu’il parut, les Oiseaux, charmés de la bigarrure de son plumage, lui donnèrent leurs voix ; de sorte que sans vouloir écouter les remontrances de la Pie, qui soutenait que ce Paon n’avait point d’autre mérite que celui de sa queue, ils lui rendirent hommage, et sur le champ le proclamèrent roi.

 

Du Dauphin qui porte un Singe.

 

Un Dauphin côtoyait de fort près en nageant le rivage de la mer. – Bon, dit un Singe qui l’aperçut, voici un moyen pour voir la pleine mer tout à mon aise. Je ne l’ai jamais vue, et ainsi il faut que je me contente. – Cela dit, il s’approche du rivage, ensuite il s’élance, et retombe sur le dos du poisson. Celui-ci qui aime l’Homme, crut qu’il en portait un, et mena le Singe assez loin. Là-dessus, ce dernier, charmé de voguer sur l’Océan, jette un cri de joie. À ce cri, l’autre lève la tête, envisage le Singe, et le reconnaît. Le Dauphin fit sauter sa charge en l’air d’un coup de sa queue, et se replonge aussitôt au fond de la mer.

 

Du Berger et du Louveteau.

 

Un Berger trouva un Louveteau que la Louve avait abandonné ; il le prit et l’emporta dans sa cabane ; là, il le nourrit, et l’éleva parmi les Chiens qui gardaient son troupeau. Il aurait beaucoup mieux fait de l’assommer, car le Louveteau, qui d’abord n’avait fait aucun mal tant qu’il s’était senti faible, ne fut pas plutôt Loup, qu’après avoir étranglé les Chiens, pendant que le Berger dormait, il courut se jeter sur les Brebis, et les mit toutes en pièces.

 

Du Serpent conduit par sa queue.

 

Un jour le Serpent vit sa queue s’élever contre sa tête. – Quel orgueil ! disait la première à l’autre, de s’imaginer, comme vous faites, que je ne pourrais pas vous mener aussi bien que vous me menez ; comme si mon jugement était fort inférieur au vôtre ? Il y a assez de temps, ce me semble, que je vous suis, suivez-moi maintenant à votre tour, et vous verrez si tout n’en ira pas beaucoup mieux. – Cela dit, elle tire la tête et rebrousse chemin, heurte tout ce qui se trouve sur son passage ; ici se froisse contre une pierre ; là trouve des ronces qui la déchirent ; puis un peu plus loin va se jeter dans un trou. Elle n’eut pas fait vingt pas, que tout le Serpent fut en très-mauvais état. Alors elle se laissa gouverner, et convint, en suivant la tête comme à l’ordinaire, que tout était bien mieux conduit par elle que par la queue.

 

De Jupiter, d’Apollon et de Momus.

 

Prêtez-moi pour un moment votre arc, dit un jour Jupiter à Apollon, je veux vous montrer que j’en sais tirer, et même plus juste que vous. Voyez-vous ce chêne planté sur la cime de l’Olympe ? je veux que la flèche que je vais décocher aille droit au milieu du tronc de l’arbre. Cela fait, vous tâcherez d’en faire autant, et qu’après cela Momus nomme le plus adroit de nous deux. Disant cela, il prend l’arc d’Apollon, et le bande. Le trait part. Mais au lieu d’aller droit, il s’écarte, rase le visage du juge, et va se briser contre des rochers, à cent pas à côté du but. Maître des dieux, dit Momus en se levant tout effrayé du danger qu’il venait de courir, j’ignore si les coups d’Apollon sont plus justes, mais ce que je sais de certain, c’est qu’ils ne m’ont jamais donné la peur que le vôtre vient de me causer. Ainsi, croyez-moi, reprenez votre foudre, et vous, seigneur Apollon, votre arc, et tout n’en sera que mieux. Cela dit, sans vouloir ni s’expliquer davantage, ni prendre garde au coup de l’autre, il se retira, et de cette manière laissa, par ménagement pour Jupiter, la gageure indécise.

 

Du Boeuf et de la Vache.

 

Un Boeuf suait à tirer la charrue sur un terrain fort pierreux. Une Vache en riait. – Pauvre malheureux, lui criait-elle, je ne doute point que tu n’envies cent fois le jour mon sort. Avoue que tu voudrais te voir nourri et chéri comme je le suis sans essuyer la moindre fatigue. – Comme elle parlait, un sacrificateur arrive, et lui fait prendre le chemin du temple pour la conduire à l’autel, et là l’immoler à son dieu. – Orgueilleuse, lui dit alors le Boeuf, ton sort te semble-t-il maintenant si digne d’envie ? il est vrai que je viens de souhaiter d’être à ta place ; mais confesse à ton tour, que tu voudrais bien te voir à présent à la mienne. –

 

Du Renard qui a perdu sa queue.

 

Un Renard tomba dans un piège, et s’en retira, mais ce ne fut qu’après y avoir laissé sa queue pour gage. Il en était au désespoir ; car le moyen de se montrer aux autres ainsi écourté, sans exciter leurs risées ? Pour s’en garantir, que fait-il ? Il se met en tête d’avoir des compagnons ; ensuite il assemble les Renards, leur conseille en ami, disait-il, de se défaire de leurs queues ; elles embarrassaient beaucoup plus qu’elles n’ornaient ; ce n’était qu’un poids fort superflu. En un mot, une queue ne servait, à l’entendre, qu’à balayer les chemins. Il eut beau le remontrer, on le hua dans toute l’assemblée. – Ami, lui dit un vieux Renard, j’ignore ce qu’on pourrait gagner à se passer d’une queue ; mais ce que je sais certainement, c’est que tu ne m’en aurais jamais fait observer l’inutilité, si tu avais encore la tienne. –

 

Du Vigneron et de ses Enfants.

 

Un Vigneron se sentit proche de sa fin. Alors il appela ses Enfants : – Mes Enfants, leur dit-il, je ne veux point mourir sans vous révéler un secret que je vous ai tenu caché jusqu’à présent, pour certaines raisons. Apprenez que j’ai enfoui un trésor dans ma vigne : lorsque je ne serai plus, et que vous m’aurez rendu les derniers devoirs, ne manquez pas d’y fouiller, et vous le trouverez. – Le bon Homme mort, les Enfants coururent à la vigne, et retournèrent le champ de l’un à l’autre bout ; mais ils eurent beau fouiller et refouiller, ils n’y trouvèrent rien de ce que le Père leur avait fait espérer. Alors ils crurent qu’il les avait trompés ; mais ils reconnurent bientôt qu’il ne leur avait rien dit que de véritable. Le champ ainsi retourné devint si fécond, que la vigne leur rapporta, pendant plusieurs années, le triple de ce qu’elle avait accoutumé de produire.

 

De deux Chiens.

 

Deux Chiens gardaient au logis. L’un, tout joyeux, dit à l’autre : – Frère, je viens d’apprendre que notre Maître se marie dans sa maison des champs. Or, tu sais qu’il n’est point de noces sans festin ; c’est pourquoi, si tu veux m’en croire, nous irons tous deux en prendre notre part, et la chère que nous y ferons, Dieu le sait ! – Cela dit, ils partent, et prennent si mal leur chemin, qu’ils s’engagent dans certains marécages, et ne s’en retirent que tout couverts de fange Dans cet état, ils arrivent au lieu de la noce. Ils comptaient sur un grand accueil de la part des conviés, mais fort mal à propos, dès qu’ils parurent, chacun s’écria contre leur malpropreté. À peine étaient-ils entrés dans la salle du festin, qu’on les en chassa, l’un à coups de pied, et l’autre à coups de bâton. Tout se passa de sorte que nos deux Chiens crottés s’en retournèrent fatigués, affamés et battus.

 

De la Mule.

 

Une Mule grasse et rebondie, ne faisait que parler, dans sa jeunesse, de sa Mère la Jument ; mais elle changea de langage, lorsqu’elle se vit, dans sa vieillesse, réduite à porter la farine au moulin. Alors, elle se ressouvint de l’Âne, et confessa de bonne foi qu’il était son Père.

 

Du jeune Homme et de la Fortune.

 

Un jeune Homme s’était couché sur le bord d’un puits : pendant qu’il y dormait, la Fortune passa. Celle-ci n’eut pas plutôt reconnu le danger où l’autre était, qu’elle courut à lui, et le tira par le bras. – Mon fils, lui dit-elle en l’éveillant, si vous étiez tombé dans ce puits, on n’aurait pas manqué de m’en imputer la faute. Cependant, je vous laisse à penser si c’eut été la mienne ou la vôtre. –

 

Du jeune Homme et de l’Hirondelle.

 

Une Hirondelle se hâta un peu trop de repasser les mers, et vint quelques jours avant l’arrivée du printemps revoir le pays d’où elle s’était retirée aux approches de l’hiver. Un jeune Homme la vit arriver dans un jour assez beau. – Bon, dit-il en lui-même, voici l’avant-courrière de la belle saison ; plus de froid, ainsi je puis me passer de cette robe, qui commence à me peser sur les épaules. – Cela dit, il courut la vendre, et dissipa par de folles dépenses l’argent qu’il en eut. Il ne tarda guère à s’en repentir ; car quelques jours après, le froid revint, et si rude, que le jeune Homme en fut saisi, faute de robe, et mourut, aussi bien que l’Hirondelle, dont l’augure lui avait été si funeste.

 

De l’Astrologue volé.

 

Un Voleur entra dans la maison d’un Astrologue. Cependant celui-ci se donnait en pleine place pour un prophète des plus clairvoyants dans l’avenir. Comme il s’y vantait d’avoir acquis, par l’inspection des astres, la connaissance de tout ce qui devait arriver dans les siècles les plus reculés, un des assistants qui avait aperçu le Voleur, l’interrompit. – Et le moyen, lui dit-il, de croire que tu sais l’avenir, quand je vois, à n’en pas douter, que tu ne sais pas même le présent ? Car enfin, mon ami, si tu le savais, tu courrais au plus vite chez toi en chasser le Voleur que je viens d’y voir entrer. –

 

De Jupiter et des Besaces.

 

Après que les Hommes eurent été formés, Jupiter s’aperçut qu’ils avaient des défauts si grands qu’ils ne pourraient eux-mêmes les souffrir, s’il ne leur en ôtait la connaissance. Il jugea donc à propos de les éloigner de leur vue ; et pour cet effet, il prit tous ces défauts, et en remplit plusieurs Besaces ; puis il les distribua, donna à chacun la sienne, et la lui mit sur le dos ; de telle manière que les défauts d’autrui pendaient dans la poche de devant, et ceux du porteur dans celle du derrière.

 

De la Poule trop grasse.

 

Une Poule pondait tous les jours un oeuf à son Maître. – Elle m’en pondra deux, disait celui-ci en lui-même, si je lui donne double nourriture. – Là-dessus le voilà qui lui jette et rejette du grain d’heure en heure, et en abondance. Mais qu’arriva-t-il ? La Poule, à force d’être bien nourrie, devint si grasse, que bientôt elle pondit moins, et enfin ne pondit plus.

 

De Jupiter et de la Tortue.

 

Un jour Jupiter manda les Animaux. Il voulait pour se récréer, les voir tous ensemble, et en considérer la diversité. Ceux-ci obéirent, et accoururent à grande hâte. La Tortue seule se fit attendre, et si longtemps, qu’on crut qu’elle ne viendrait pas. Elle arriva pourtant, mais la dernière ; et sur ce qu’on s’en plaignait, elle voulut représenter qu’avant que de partir, il lui avait fallu transporter sa maison en lieu de sûreté ; ce qui lui avait fait, disait-elle, perdre beaucoup de temps. Mais l’excuse fut si peu goûtée, qu’on ne lui donna pas le temps de la faire valoir. À peine eut-elle commencé à parler de sa maison, que Jupiter, qui voulait être obéi, et sans délai, la lui mit sur le dos. De là vient qu’en punition de sa faute, elle la porte encore aujourd’hui.

 

De la Biche et de la Vigne.

 

Deux Chasseurs poursuivaient une Biche : celle-ci se sauva dans une Vigne, et s’y cacha si bien sous le pampre, que les Chasseurs, qui l’avaient perdue de vue, rebroussèrent chemin. Cependant la Biche, qui se croyait hors de danger, rongeait les ceps qui la couvraient. Ce fut pour son malheur ; car dès qu’elle les eut dépouillés de leurs feuilles, elle parut tellement à découvert, que les Chasseurs l’aperçurent en se retirant. Alors ils retournèrent sur leurs pas, atteignirent la Biche, et la tuèrent.

 

Du Laboureur et du Renard.

 

Un Laboureur ensemença ses terres, et tout y crût à merveille. Comme il était à la veille de couper ses grains : – Je t’empêcherai bien de serrer ta récolte, dit en lui-même un de ses voisins qui le haïssait. – Cela dit, il allume un flambeau, et l’attache à la queue d’un Renard qu’il avait pris dans un terrier aux environs de ses champs ; ensuite il le traîne près de celui de l’autre, le pousse vers un guéret tout couvert de bleds, et le lâche. Il pensait par ce moyen réduire ces bleds en cendre ; mais voici ce qui arriva. Le Renard au lieu d’aller en avant, rebroussa chemin pour retourner à son terrier ; et comme il ne pouvait le gagner sans passer sur le champ de celui qui cherchait à se venger, il se lança tout au travers des bleds de ce dernier, et y mit le feu. Ainsi tout le mal tomba sur le méchant Laboureur qui vit tous ses grains consumés par son propre artifice.

 

Du Palefrenier et du Cheval.

 

Un Seigneur eut besoin aux champs d’un Cheval qu’il avait laissé à la ville, et manda à son Palefrenier qu’il eût à le lui amener au lieu où il était. Celui-ci, l’ordre reçu, partit avec le Cheval. Comme ils passaient tous deux au travers du pré de leur Maître, l’Homme s’aperçut que l’autre baissait la tête et y broutait à la dérobée quelque peu d’herbe. – Larron, lui dit-il en le frappant rudement, ne sais-tu pas bien que cette herbe appartient à notre Maître, et que d’en prendre comme tu fais, c’est lui faire du tort. – Mais toi-même, repartit le Cheval, qui ne me donnes jamais que la moitié de l’avoine qu’il m’achète, ignores-tu que cette avoine lui appartient, et que d’en dérober l’autre moitié, comme c’est ta coutume, pendant que je maigris à vue d’oeil, faute de nourriture, c’est lui faire un tort bien plus considérable que celui que tu me reproches ? Cesse donc de me maltraiter. Si tu veux que je lui sois fidèle, commence par m’en donner le premier l’exemple. –

 

De la Corneille et des Oiseaux.

 

La Corneille fournit un jour ses ailes de plumes qu’elle avait ramassées dans divers nids d’Oiseaux, et vint en faire parade devant ces derniers. Ceux-ci furent d’abord charmés de la bigarrure de son plumage ; mais dès qu’ils l’eurent considérée de plus près, chacun s’aperçut de la ruse. Et les Oiseaux tout indignés tombèrent aussitôt sur elle, et lui arrachèrent à grands coups de bec, non seulement les plumes qui leur appartenaient, mais encore les siennes propres. La Corneille ainsi déplumée se trouva si hideuse, qu’elle courut se cacher, et n’osa plus se montrer, même devant les Corneilles.

 

Du Fermier et du Cygne.

 

Un Fermier tenait un Cygne, et croyait tenir une Oie. Comme il allait lui couper la gorge, le Cygne chanta ; et l’Homme qui le reconnut à la voix, retira aussitôt le couteau. – Cygne, lui dit-il en le caressant, aux dieux ne plaise que j’ôte la vie à qui chante si bien. –

 

De la Poule et du Chat.

 

Une Poule avala par mégarde quelque insecte venimeux, et en tomba malade. Comme elle n’allait qu’en traînant l’aile, un Chat l’aborda : – Ma fille, lui dit-il d’un ton officieux, n’y aurait-il pas moyen de vous soulager ? – Oui, repartit la Poule, il en est un des plus sûrs, et il ne tiendra qu’à toi de l’employer. – Et ce moyen, quel est-il, ma chère ? reprit le Chat. C’est, répondit l’autre, de vouloir bien te tirer à quartier, et le plus loin qu’il te sera possible. –

 

D’un Chasseur et d’un Berger.

 

Un chasseur allait et revenait d’un air empressé de çà, de là, tantôt dans la forêt, puis dans la plaine. – Que cherchez-vous ? lui dit un Berger qui le voyait s’agiter. – Un Lion, répondit l’autre, qui m’a dévoré, ces jours passés, un de mes meilleurs Chiens. Que je le trouve, et je lui apprendrai à qui il se joue. – Suivez-moi, reprit le Berger, et je vous montrerai la caverne où il se retire. – Ami, lui repartit l’autre en changeant de couleur, outre qu’il est un peu tard, je me sens à présent trop fatigué pour pouvoir m’y rendre aujourd’hui ; mais compte que je reviendrai demain avant le point du jour te prier de m’y conduire. – Ce jour venu le Berger l’attendit et l’attend encore.

 

D’un Âne chargé d’éponges.

 

Un Âne chargé de sel se plongea dans une rivière, et si avant que tout son sel se fondit. Quelques jours après, comme il repassait chargé d’éponges près du même gué, il courut s’y jeter, dans la pensée que le poids de sa charge y diminuerait comme il avait diminué la première fois ; mais le contraire arriva. L’eau emplit les éponges, et de telle sorte qu’elles s’enflèrent. Alors la charge devint si pesante, que le Baudet qui ne pouvait plus la soutenir, culbuta dans le fleuve, et s’y noya.

 

De l’Aigle percé d’une flèche.

 

Un Aigle s’arracha quelques plumes et les laissa tomber à terre. Un chasseur les ramassa, ensuite il les ajusta au bout d’une flèche, et de cette même flèche perça l’Aigle. – Hélas ! disait l’Oiseau comme il était sur le point d’expirer, je mourrais avec moins de regret, si je n’avais été moi-même, par mon imprudence, la première cause de ma mort. –

 

Du Milan.

 

Le Milan eut autrefois la voix fort différente de celle qu’il a maintenant. Voici par quelle aventure ; d’agréable qu’elle était, elle devint par l’imprudence de cet Oiseau, très-déplaisante. Un jour il entendit un Cheval qui hennissait : alors il se mit en tête de hennir comme lui ; mais quelque peine qu’il se donnât pour y parvenir, il n’en put jamais venir à bout. Le mal fut qu’à force de vouloir contrefaire la voix du Cheval, il gâta la sienne, et s’enroua si fort, qu’il ne fit plus entendre qu’un cri rauque et effrayant.

 

D’une Femme.

 

Une Femme avait un ivrogne pour Mari. Voulant le délivrer de ce vice, elle imagina la ruse que voici. Quand elle le vit alourdi par l’excès de la boisson et insensible comme un mort, elle le prit sur ses épaules, l’emporta et le déposa au cimetière, puis elle partit. Quand elle pensa qu’il avait repris ses sens, elle revint au cimetière et heurta à la porte. L’ivrogne dit : – Qui frappe ? – La Femme répondit : – C’est moi, celui qui porte à manger aux morts. – Et l’autre : – Ce n’est pas à manger, l’ami, mais à boire qu’il faut m’apporter. Tu me fais de la peine en me parlant de nourriture au lieu de boisson. – Et la Femme se frappant la poitrine : – Hélas, malheureuse, dit-elle, ma ruse n’a servi de rien. Car toi, mon Mari, non seulement tu n’en es pas amendé, mais tu es devenu pire encore, puisque ta maladie est tournée en habitude. – Cette fable montre qu’il ne faut pas s’attarder aux mauvaises actions, car même sans le vouloir, l’Homme est la proie de l’habitude.

 

Du Lion, du Sanglier et des Vautours.

 

Le Lion et le Sanglier acharnés l’un sur l’autre s’entre-déchiraient. Cependant des Vautours regardaient attentivement le combat, et se disaient les uns aux autres : – Camarades, à bien juger des choses, il n’y a ici qu’à gagner pour nous. Ces Animaux-ci ne quitteront point prise, que l’un des deux ne soit par terre. Ainsi, ou Lion, ou Sanglier, voici la proie qui ne peut nous manquer. – Ils n’y comptaient pas à tort ; car ils l’eurent en effet et même plus grosse qu’ils ne pensaient. Le Sanglier fut étranglé sur l’heure par le Lion, et celui-ci que l’autre avait percé d’un coup de ses défenses, mourut quelques jours après de sa blessure, de sorte que les Vautours profitèrent de l’un et de l’autre.

 

De l’Âne qui porte une Idole.

 

Un Âne chargé d’une Idole passait au travers d’une foule d’Hommes ; et ceux-ci se prosternèrent à grande hâte devant l’effigie du dieu qu’ils adoraient. Cependant l’Âne, qui s’attribuait ces honneurs, marchait en se carrant, d’un pas grave, levait la tête et dressait ses oreilles tant qu’il pouvait. Quelqu’un s’en aperçut, et lui cria : – Maître Baudet, qui croyez ici mériter nos hommages, attendez qu’on vous ait déchargé de l’Idole que vous portez, et le bâton vous fera connaître si c’est vous ou lui que nous honorons. –

 

Des Loups et des Brebis.

 

Un jour les Loups dirent aux Brebis : – Amies, en vérité nous ne saurions concevoir comment vous pouvez supporter les mauvais traitements que vos Chiens vous font à chaque moment. De bonne foi, à quoi vous servent ces brutaux à la queue de votre troupeau ? À vous gêner continuellement, le plus souvent à vous mordre, et à vous faire mille violences. Croyez-nous, débarrassez-vous en, et sur l’heure, car enfin, que craignez-vous ? n’êtes-vous pas assez fortes pour vous défendre seules contre quiconque voudrait vous nuire ! – Sur ses discours les Brebis se crurent en effet fort redoutables, et dans cette pensée, l’on courut aussitôt congédier les Chiens ; mais on ne tarda guère à s’en repentir. Les Loups n’eurent pas plutôt vu les Chiens éloignés qu’ils se jetèrent sur les Brebis, et les étranglèrent toutes.

 

Du Fleuve et de sa Source.

 

Un Fleuve s’élevait contre sa Source. – Considère, lui disait-il, ce lit large et profond, vois de combien de ruisseaux, de combien de rivières, mes eaux sont grossies. Grâce au ciel, me voilà Fleuve. Mais toi, chétive Source, qu’es-tu ? un maigre filet d’eau qu’un rayon de soleil tarirait, si la roche dont tu sors ne t’en mettait à l’abri. – Insolent, repartit la source, il te sied bien vraiment de me mépriser, toi qui, sans moi, serais encore dans le néant. –

 

De la Femme qui tond sa Brebis.

 

Une Femme tondait sa Brebis, ou pour mieux dire l’écorchait, tant elle s’y prenait mal. Cependant la Brebis lui criait : – Et de grâce, si vous voulez avoir ma peau, mandez le boucher ; mais si vous n’en voulez qu’à ma laine, faites venir le tondeur. –

 

Du Bouvier et de la Chèvre.

 

Un Bouvier frappa une Chèvre à la tête, et si rudement, qu’il lui rompit une de ses cornes. Il ne l’eut pas plutôt fait, qu’il s’en repentit, et pria la Chèvre de n’en point parler au Maître du troupeau. – Hé, pauvre sot, répliqua l’autre, quand je serais assez bonne pour ne lui rien dire, n’a-t-il pas des yeux pour voir qu’il me manque une corne ? –

 

Du Pilote.

 

Le vent était favorable et la mer tranquille, et cependant un Pilote y visitait son vaisseau, plaçait son ancre, préparait ses cordages, allait deçà, delà autour de ses voiles, et prenait garde à tout. Un de ses passagers s’en étonna. – Patron, lui dit-il, à quoi bon vous empresser si fort ? À voir cette agitation, qui ne croirait que nous serions à la veille de péril ? et cependant la mer et le vent, tout nous rit. Que craignez-vous ? – Rien pour le présent, répondit le sage pilote ; mais pour l’avenir, je crains toujours. Lorsque nous y penserons le moins, une tempête peut s’élever. Où en serions-nous, je vous prie, si elle venait nous surprendre au dépourvu ? –

 

Du Corroyeur et du Financier.

 

Un Corroyeur vint se loger proche d’un Financier. Celui-ci, qui ne pouvait supporter la mauvaise odeur des peaux de son Voisin, lui intenta procès et voulut l’obliger à s’éloigner de son voisinage. L’autre se défendit, appela de vingt sentences, chicana ; en un mot il fit si bien que l’affaire traîna en longueur. Cependant le Financier s’accoutuma à l’odeur, et si bien, qu’après avoir regretté l’argent qu’il avait consumé mal à propos à plaider, il souffrit son Voisin, et ne s’en plaignit plus.

 

D’un jeune Homme et de sa Maîtresse.

 

Un jeune Cavalier accourut au logis d’une Femme qu’il aimait éperdument. Sitôt qu’il y fut entré, il quitta son manteau, puis il se mit à parler de son amour, et passa ainsi la journée avec sa Belle. Le soir, comme il se retirait, l’autre lui fit entendre qu’elle avait besoin de quelque argent pour faire certaines emplettes : le Galant lui ouvrit sa bourse et aussitôt on la lui prit toute entière. Un moment après, la Dame eut si grande envie de la bague qu’il portait au doigt, qu’elle la lui demanda et l’eut. Alors le Cavalier, qui n’avait plus rien à donner, remit son manteau sur ses épaules, prit congé d’elle et sortit. Cependant, la Belle fondait en larmes et se désespérait. À ses cris, une de ses voisines, qui avait remarqué le départ du jeune Homme, accourut, et crut la consoler, en lui disant que son Amant ne tarderait guère à revenir. – Hé, ma chère ! s’écria l’autre toute désolée, ce n’est pas la personne que je regrette, c’est ce manteau que je lui vois remporter. –

 

Du Chien du Maréchal.

 

Le Chien d’un Maréchal avait coutume de s’endormir au pied de l’enclume de son Maître. Celui-ci avait beau y battre et rebattre son fer à grands coups de marteau, jamais le Chien ne s’en éveillait. Tout au contraire, le Maréchal avait-il quitté son ouvrage, et commencé à prendre son repas, le Chien, au seul bruit qu’on faisait en mangeant, était d’abord sur pied, et courait vite à la table.

 

Du Berger et de la Brebis.

 

Un Berger, sa houlette à la main, en frappait rudement une de ses Brebis. – Je vous donne de la laine et du lait, s’écriait celle-ci. Quand je ne vous fais que du bien, ingrat, avez-vous bien le coeur de ne me faire que du mal ? – Ingrate vous-même, repartit le Berger d’un ton hautain, vous qui ne me tenez point compte de la vie que ma bonté vous laisse, quand il ne tient qu’à moi de vous l’ôter chaque instant. –

 

D’une jeune Veuve.

 

Une jeune Femme vit mourir son Époux, et en parut inconsolable. Comme elle se désolait, son Père, Homme de sens, l’aborda, et feignit qu’un de ses voisins la demandait en mariage. Il le lui représenta jeune, bien fait, spirituel ; en un mot, si propre à lui faire oublier celui qu’elle venait de perdre qu’elle ouvrit l’oreille, écouta, et pleura moins. Bientôt elle ne pleura plus. Enfin, comme elle vit que son Père, content de la voir moins affligée, se retirait en gardant le silence sur l’article qui l’avait consolée : – Et ce jeune Homme si accompli que vous me destiniez pour Époux, dit-elle avec dépit, vous ne m’en parlez plus, mon Père ? –

 

De l’Aigle et de la Pie.

 

Les Oiseaux n’eurent pas plutôt chargé l’Aigle du soin de les gouverner, que celle-ci leur fit entendre qu’elle avait besoin de quelqu’un d’entr’eux sur qui elle pût se décharger d’une partie du fardeau qu’elle avait à porter. Sur quoi la Pie sortit des rangs de l’assemblée, et vint lui faire offre de ses services. Elle représenta, qu’outre qu’elle avait le corps léger et dispos pour exécuter promptement les ordres dont on la chargerait, elle avait, avec une mémoire très-heureuse, un esprit subtil et pénétrant ; d’ailleurs, qu’elle était adroite, vigilante, laborieuse, et cela sans compter mille autres bonnes qualités ; elle allait en faire le détail, lorsque l’Aigle l’interrompit. – Avec tant de perfections, lui dit-elle, vous seriez assez mon fait, mais le mal est que vous me semblez un peu trop babillarde. – Cela dit, comme elle craignait que la Pie n’allât divulguer, lorsqu’elle serait à la cour, tout ce qui s’y passerait de secret, elle la remercia, et sur le champ la renvoya.

 

Du Mourant et de sa Femme.

 

Un Malade tirait à sa fin ; cependant sa Femme s’en désespérait. – Ô mort ! s’écriait-elle toute en larmes, viens finir ma douleur ; hâte-toi, viens terminer mes jours. Trop heureuse si, contente de m’ôter la vie, tu voulais épargner celle de mon Époux. Ô mort, redisait-elle, que tu tardes à venir : parais, je t’attends, je te souhaite, je te veux. – Me voilà, dit la mort en se montrant : que souhaites-tu de moi ? – Hélas ! répondit la Femme, tout effrayée de la voir si proche d’elle, que sans prolonger les douleurs de ce Malade, tu daignes au plus tôt mettre fin à sa langueur. –

 

Du Voleur et du pauvre Homme.

 

Un Voleur entrait pendant la nuit dans la chambre d’un pauvre Homme ; au bruit qu’il fit en ouvrant la porte, l’autre, qui dormait, s’éveilla, et jeta d’épouvante un tel cri, que toute la maison en retentit. Le Voleur, qui ne s’y attendait pas, en fut lui même si effrayé, que sans penser au manteau qu’il cherchait, il jeta celui qui était sur ses épaules pour fuir plus vite, et sortit du logis. Ainsi la perte tomba sur celui qui croyait gagner, et le gain sur celui qui comptait perdre.

 

De l’Homme qui ne tient compte du trésor.

 

Un Homme fort opulent trouva dans son chemin un trésor. Comme tout lui riait alors, et qu’il ne pouvait s’imaginer qu’il dût jamais avoir besoin de ce qu’il voyait sous sa main, il ne daigna pas se baisser pour le prendre, et passa. Quelque temps après, un vaisseau qu’il avait chargé de ses meilleurs effets, périt avec tout ce qu’il portait, tandis qu’un Marchand faisait banqueroute et lui emportait une somme considérable. Ensuite le feu prit à son logis, et le consuma entièrement, avec tous ses meubles ; puis il perdit un procès qui acheva de le ruiner. Alors il se ressouvint de ce qu’il avait rejeté, et courut à l’endroit où il l’avait laissé ; mais il n’en était plus temps. Comme il n’était qu’à vingt pas du gîte, un passant moins dégoûté, qui avait découvert le trésor, l’emportait et courait de toute sa force.

 

Du Lièvre et de la Perdrix.

 

Un Lièvre se trouva pris dans les lacets d’un Chasseur ; pendant qu’il s’y débattait, mais en vain, pour s’en débarrasser, une Perdrix l’aperçut. – L’ami, lui cria-t-elle d’un ton moqueur, eh que sont donc devenus ces pieds dont tu me vantais tant la vitesse ? L’occasion de s’en servir est si belle ! garde-toi bien de la manquer. Allons, évertue-toi ; tâche de m’affranchir cette plaine en quatre sauts. – C’est ainsi qu’elle le raillait ; mais on eut bientôt sujet de lui rendre la pareille ; car pendant qu’elle ne songe qu’à rire du malheur du Lièvre, un Épervier la découvre, fond sur elle et l’enlève.

 

Du Vieillard qui se marie à contretemps.

 

Un Homme ne songea point à se marier tant qu’il fut dans l’âge d’y penser. Pendant qu’il pouvait plaire, personne ne lui plut ; mais lorsque, devenu vieux, il se vit, par le nombre de ses ans, à charge à toutes les femmes, il voulut en prendre une. Enfin, comme il était presque décrépit, il fit choix d’une jeune beauté. Le Barbon fit si bien valoir ses grands biens, et fit à la belle des avantages si considérables, qu’il la fit consentir à lui donner la main, et l’épousa, mais il ne tarda guère à s’en repentir. À peine eut-il prononcé le oui qu’il reconnut la faute qu’il venait de faire. – Hélas, s’écriait-il tout glacé, devais-je m’embarrasser d’une chose qui m’est à présent si inutile, moi qui n’ai jamais voulu m’en charger dans un temps où elle me convenait ? –

 

Du Lion amoureux.

 

Un Lion devint amoureux de la Fille d’un Chasseur, et ce fut si éperdument, qu’il courut chez le Père, et la lui demanda en mariage. Celui-ci, qui ne pouvait s’accommoder d’un gendre si terrible, la lui eût refusée net, s’il eût osé ; mais comme il le craignait, il eut recours à la ruse. – Comptez sur ma Fille, dit-il au Lion, je vous l’accorde ; mais avant que d’en approcher, songez que vous ne sauriez lui marquer votre tendresse, qu’elle ne soit en danger d’être blessée, ou par vos dents, ou par vos ongles. Ainsi, Seigneur Lion, trouvez bon, s’il vous plaît, qu’après vous avoir limé les unes, on vous rogne encore les autres. Vos caresses en seront moins dangereuses, et par conséquent plus agréables. – Le Lion, que l’amour aveuglait, consentit à tout, et sans penser qu’il allait se mettre à la merci de son ennemi, se laissa désarmer. Dès qu’il le fut, les Chiens, le Chasseur et la Fille même se jetèrent sur lui, et le mirent en pièces.

 

Du Savant et d’un Sot.

 

Un Philosophe méditait dans son cabinet. Un Sot l’y trouva seul, et en fut tout surpris. – La raison, lui dit-il, qui peut vous porter à tant aimer la retraite, je ne la concevrais pas, je vous jure, en mille ans. – Tu la concevrais en moins d’un instant, repartit l’autre en lui tournant le dos, si tu savais que ta présence et celle de tous tes pareils me fait souffrir. –

 

Des Passagers et du Pilote.

 

Un vaisseau poussé par la tempête vint échouer sur la côte, et là s’entrouvrit. Comme il était sur le point d’être submergé par les vagues, les Passagers qui s’y étaient embarqués, jetaient de grands cris et se désespéraient. Ils auraient pu songer à chercher les moyens de se sauver, mais la peur les troublait à tel point, qu’ils ne pensaient, les mains levées vers le ciel, qu’à implorer le secours des dieux. Cependant le Pilote leur criait, en quittant ses habits : – Amis, s’il est bon de montrer ses bras à Jupiter, il ne l’est pas moins, dans le péril où nous sommes, de les tendre à la mer. – Cela dit, il s’y jette, et si bien, qu’à force de nager, il gagne la côte ; il ne s’y fut pas plutôt sauvé, qu’il vit la mer engloutir, avec le vaisseau, ceux qui n’avaient eu d’autre ressource que celle de leurs voeux.

 

De la mauvaise Voisine.

 

Une Femme acariâtre cherchait à tout moment querelle à ses Voisins, et toujours mal à propos. Ceux-ci s’en plaignaient à son Mari. – Oh ! la méchante Femme, lui disaient-ils, elle ne fait que gronder, crier, tempêter, et cela tant que le jour dure. Eh, le moyen qu’on puisse vivre avec cette Mégère ? – Eh le moyen, répliqua le Mari, que j’y puisse vivre, moi qui me vois obligé de passer avec elle, non seulement les jours, mais encore les nuits ? –

 

Du Pêcheur et des Poissons.

 

Un Pêcheur n’eut pas plutôt jeté ses filets dans la mer, que les Poissons, gros et petits, y entrèrent en foule. Dès qu’ils s’y virent pris, ils cherchèrent à s’en retirer, mais tous n’eurent pas le bonheur d’échapper. Les petits passèrent fort aisément au travers des mailles, dont les ouvertures se trouvaient encore trop larges pour eux ; mais les gros n’en purent faire autant. Comme ils ne trouvaient partout que des issues trop étroites, ils restèrent au fond des rets, à la merci du Pêcheur, qui les y prit tous.

 

Du Loup et de la Brebis.

 

Un Loup que les Chiens avaient longtemps poursuivi, se trouva si recru de lassitude, qu’il fut obligé de s’arrêter à quelque distance d’un ruisseau où une Brebis se désaltérait. Comme il mourait de soif et de faim, et que les forces lui manquaient à tel point qu’il ne pouvait passer outre pour chercher ce qui lui était nécessaire, il appela la Brebis, et la pria de lui apporter à boire. Son dessein était de la croquer dès qu’il aurait bu, et par ce moyen de mettre remède à tout. Mais celle-ci, qui s’en doutait, se garda bien de sortir de l’endroit où elle était. – Ami, lui cria-t-elle, je te secourrais, tout Loup que tu es, très volontiers ; mais comme tu me parais avoir autant besoin de chair que d’eau, je pense que je ferais beaucoup mieux de m’éloigner de toi que de m’en approcher. – Cela dit, elle se retira à grande hâte, et laissa le Loup crier tout autant qu’il lui plut.

 

De deux Chiens qui crèvent à force de boire.

 

Deux Chiens passaient le long d’un fleuve ; comme ils le regardaient, ils y aperçurent une pièce de chair qui flottait assez loin d’eux. Alors l’un dit à l’autre : – Camarade, il nous faut bien garder de manquer cette proie, et pour l’atteindre, j’imagine un expédient qui me semble sûr. Toute cette eau qui coule entre ce que tu vois et la rive où nous sommes, nous pouvons la boire. Or, sitôt que nous l’aurons bue, tu conçois bien qu’il faut que l’endroit où ce friand morceau flotte, reste à sec, et ainsi il nous sera fort aisé d’arriver jusqu’à lui. Compte, mon cher, qu’il ne peut nous échapper. – Et cela dit, ils en burent tous deux de telle sorte, qu’à force de se gonfler d’eau, ils perdirent bientôt haleine, et crevèrent sur la place.

 

Du Lion et de la Mouche.

 

Une Mouche défia un Lion au combat, et le vainquit : elle le piqua à l’échine, puis aux flancs, puis en cent endroits ; entra dans ses oreilles, ensuite au fond de ses naseaux ; en un mot, le harcela tant, que de rage de ne pouvoir se mettre à couvert des insultes d’un insecte, il se déchira lui-même. Voilà donc la Mouche qui triomphe, bourdonne, et s’élève en l’air. Mais comme elle vole de côté et d’autre pour annoncer sa victoire, l’étourdie va se jeter dans une toile d’Araignée et y reste. – Hélas ! disait-elle, en voyant accourir son ennemie, faut-il que je périsse sous les pattes d’une Araignée, moi qui viens de me tirer des griffes d’un Lion ? –

 

De la Taupe et de sa Fille.

 

Un Laboureur poursuivait une Taupe, dans le dessein de la tuer : celle-ci qui, faute d’yeux, avait peine à se conduire, fuyait vers son trou du mieux qu’elle pouvait. – Ma mère, lui cria sa Fille, il est impossible que vous vous sauviez, si quelqu’un ne vous conduit. Suivez-moi donc, et je vous mènerai droit où vous voulez aller. – Eh, ma Fille, répliqua l’autre, comment pourrai-je te prendre pour guide, quand je sais que tu ne vois pas toi-même plus clair que moi ! –

 

Du Rossignol et de l’Hirondelle.

 

L’Hirondelle volant loin des champs trouva dans une forêt déserte le Rossignol au chant clair. Philomèle pleurait Itys prématurément arraché à la vie. Et l’Hirondelle lui dit : – Salut, très chère. C’est la première fois que je te vois depuis la Thrace, mais viens dans la campagne et dans la demeure des Hommes ; tu vivras sous notre toit et tendrement aimée. Tu chanteras pour les laboureurs, non pour les bêtes. – Le Rossignol à la voix sonore lui répondit : – Laisse-moi habiter dans les rochers déserts, car les maisons et la fréquentation des Hommes rallumeraient en moi le souvenir de mes anciennes misères. – Cette fable signifie qu’il vaut mieux vivre sans souffrances dans la solitude que d’habiter avec le malheur dans les cités.

 

Du Singe et du Chat.

 

Le Singe et le Chat méditaient au coin du feu comment ils s’y prendraient pour en tirer des marrons qui y rôtissaient. – Frère, dit le premier à l’autre, ces marrons que tu vois, il nous les faut avoir à tel prix que ce puisse être ; et pour cela, comme je te crois la patte plus adroite que la mienne, tu n’as qu’à t’en servir, écarter tant soit peu cette cendre, et nous les amener ici. – L’autre approuve l’expédient, range d’abord les charbons, puis la cendre, porte et reporte la patte au milieu du feu, en tire un, deux, trois ; et pendant qu’il se grille, le Singe les croque. Un Valet vient sur ces entrefaites troubler la fête, et les galants prennent aussitôt la fuite. Ainsi le Chat eut toute la peine, et l’autre tout le profit.

 

Du Hérisson et du Serpent.

 

Un Hérisson que des Chasseurs poursuivaient, se coula sous une roche, où le Serpent se retirait, et pria celui-ci de souffrir qu’il s’y cachât : ce qu’on lui accorda très-volontiers. Les Chasseurs retirés, le Serpent qui se trouvait fort incommodé des piquants du Hérisson, lui remontra qu’il pouvait se retirer, sans péril, où bon lui semblerait : ensuite il le pria de sortir de son trou. – Moi, sortir, repartit l’autre ? Les dieux m’en gardent ! Apprenez, insolent, que j’ai ici autant et plus de droit que vous. – Comme celui-ci était le plus fort, il ne lui fut pas difficile de prouver net ce qu’il avançait.

 

De l’Âne et du Cheval.

 

Un Homme avait un Cheval et un Âne, et comme ils voyageaient ensemble, l’Âne, qui était beaucoup chargé, pria le Cheval de le soulager, et de prendre une partie de son fardeau, s’il voulait lui sauver la vie ; mais le Cheval lui refusant ce service, l’Âne tomba, et mourut sous sa charge : ce que voyant le Maître, il écorcha l’Âne, et mit sur le Cheval toute sa charge avec sa peau ; alors le Cheval s’écria : – Ô que je suis malheureux ! je n’ai pas voulu prendre une partie de sa charge, et maintenant il faut que je la porte toute entière, et même sa peau. –

 

Du Cerf.

 

Le Cerf étant vivement pressé par les Chasseurs, se sauva dans l’étable des Boeufs ; mais l’un d’eux lui dit : – Que fais-tu, malheureux ? c’est t’exposer à une mort certaine, que de te mettre ici à la merci des Hommes. – Pardonnez-moi, dit le Cerf, si vous ne dites mot, je pourrai peut-être me sauver – ; cependant, la nuit vint, et le Bouvier apporta des herbes pour repaître les Boeufs, et ne vit point le Cerf. Les Valets de la maison, et le Métayer même entrèrent et sortirent de l’étable sans l’apercevoir. Alors le Cerf se croyant hors de danger, se mit à complimenter les Boeufs, et à les remercier de ce qu’ils l’avaient voulu cacher parmi eux : ils lui répondirent qu’ils désiraient bien tous qu’il se pût sauver, mais qu’il prît garde de tomber entre les mains du Maître ; car sa vie serait en grand danger. En même temps le Maître, qui avait soupé chez un de ses amis, revint au logis : comme il avait remarqué, depuis peu de jours, que ses Boeufs devenaient maigres, il voulut voir comme on les traitait. Entrant donc dans l’étable, et s’approchant de la crèche : – D’où vient, dit-il à ses gens, que ces pauvres Boeufs ont si peu à manger, et que leur litière est si mal faite, avec si peu de paille ? – Enfin, comme il regardait exactement de tous côtés, il aperçut le Cerf avec ses grandes cornes, et appelant toute sa famille, ordonna qu’on le tuât.

 

Du Cuisinier et du Chien.

 

Un Chien étant entré dans la cuisine, et épiant le temps que le Cuisinier l’observait le moins, emporta un coeur de Boeuf, et se sauva. Le Cuisinier le voyant fuir après le tour qu’il lui avait joué, lui dit ces paroles : – Tu me trompes aujourd’hui impunément ; mais sois bien persuadé que je t’observerai avec plus de soin, et que je t’empêcherai bien de me voler à l’avenir ; car tu ne m’as pas emporté le coeur ; au contraire tu m’en as donné. – Les pertes et la mauvaise fortune ouvrent l’esprit, et font que l’Homme prend mieux ses précautions pour se garantir des disgrâces qui le menacent.

 

Du Renard et du Singe.

 

Le Lion ayant établi son empire sur les Animaux avait enjoint de sortir des frontières de son royaume à ceux qui étaient privés de l’honneur de porter une queue. Épouvanté, le Renard se préparait à partir pour l’exil. Déjà il pliait bagage. Comme le Singe, ne considérant que l’ordre du roi, disait que cet édit ne concernait pas le Renard, qui avait de la queue, et à revendre : – Tu dis vrai, dit celui-ci, et ton conseil est bon, mais comment savoir si entre les Animaux dépourvus de queue le Lion ne voudra pas me compter au premier rang. Celui qui doit passer sa vie sous un tyran, même s’il est innocent, est souvent frappé comme coupable. –

 

D’un Bouvier.

 

Un Bouvier, paissant un troupeau de Boeufs, perdit un Veau. Il passa son temps à parcourir tous les endroits déserts et à faire des recherches, mais il ne découvrit rien. Alors il promit à Jupiter, au cas où il trouverait le Voleur qui avait pris son Veau, de lui offrir un Chevreau en sacrifice. Il arriva dans un bois de chênes et là il découvrit que le Veau avait été dévoré par un Lion. Éperdu et terrifié, levant les mains au ciel, il s’écria : – Seigneur Jupiter, je t’avais promis de te donner un Chevreau si je découvrais mon Voleur. Maintenant je te promets un taureau si j’échappe à ses coups. – Cette fable convient aux malheureux qui, en cas de perte demandent aux dieux de trouver la chose perdue et qui, l’ayant trouvée, cherchent à ne pas tenir leur promesse.

 

Du Bouvier et de Hercule.

 

Un Charretier emmenait d’un village un chariot qui glissa dans une fondrière. Il lui fallait du secours et il se tenait là sans rien faire, implorant Hercule. Car c’était ce dieu qu’il aimait et honorait entre tous. Alors le dieu lui apparut et lui dit : – Mets la main aux roues, pique tes Boeufs et ensuite implore le dieu quand à ton tour tu agiras. En attendant, ne fais pas de prières en vain. –

 

Du Grammairien qui enseignait un Âne.

 

Un Grammairien se glorifiait d’exceller dans son art au point que, moyennant un salaire convenable, il s’engageait à instruire non seulement des Enfants, mais même un Âne. Le Prince, apprenant la folle témérité du personnage, lui dit : – Si je te donnais 50 ducats, répondrais-tu de pouvoir en dix ans faire l’instruction d’un Âne ? – Dans son imprudence, il répondit qu’il acceptait la mort si, dans cet espace de temps son Âne n’arrivait pas à lire et à écrire. Ses amis étaient étonnés de ses paroles : ils lui reprochaient de s’engager à faire une chose non seulement malaisée et difficile, mais même impossible, et ils craignaient qu’à l’expiration du délai il ne fut mis à mort par le Prince. Il leur répondit : – Avant le terme, ou l’Âne mourra, ou le Roi, ou moi. – Cette fable montre aux gens qui sont exposés à un danger que le délai souvent leur vient en aide.

 

Du Mari et de sa Femme.

 

Un Homme, dont la Femme était détestée de tous les gens de la maison, voulut savoir si elle inspirait les mêmes sentiments aux Serviteurs de son Père. Sous un prétexte spécieux il l’envoie chez celui-ci. Peu de jours après, quand elle revint, il lui demanda comment elle était avec les gens de là-bas. Elle répondit que les Bouviers et les Pâtres la regardaient de travers. – Eh bien, Femme, si tu es détestée de ceux qui font sortir leurs troupeaux à l’aurore et qui ne rentrent que le soir, à quoi faudra-t-il s’attendre de la part de ceux avec qui tu passes toute la journée. – Cette fable montre que souvent on connaît les grandes choses par les petites et les choses incertaines par celles qui sont manifestes.

 

D’un Oiseleur et d’un Pinson.

 

Un Oiseleur avait tendu ses filets aux Oiseaux et répandu pour eux sur l’aire une pâture abondante. Cependant il ne prenait pas les Oiseaux en train de picorer parce qu’ils lui semblaient trop peu nombreux. Ceux-ci une fois rassasiés s’envolèrent. D’autres vinrent en quête de nourriture. Cette fois encore il dédaigna de les prendre, à cause de leur petit nombre. Le même manège dura toute la journée : des Oiseaux survenaient, d’autres s’éloignaient et l’Homme attendait toujours une proie plus considérable. Enfin le soir commença à tomber. Alors l’Oiseleur perdant l’espoir de faire une grande prise et songeant qu’il était l’heure de se reposer, ramassa ses filets. Il prit seulement un Pinson qui, le malheureux s’était attardé sur l’aire. Cette fable montre que ceux qui veulent tout embrasser, bien souvent ne prennent, et à grand-peine, que peu de choses.

 

Du Vieillard qui voulait remettre sa mort à plus tard.

 

Un Vieillard demandait à la Mort, qui était venue pour l’arracher à cette terre, de différer un peu jusqu’à ce qu’il eut dressé son testament et qu’il eut fait tous ses préparatifs pour un si long voyage. Alors la Mort : – Pourquoi ne les as-tu pas faits, toi que j’ai tant de fois averti ? – Et comme le Vieillard disait qu’il ne l’avait jamais vue, elle ajouta : ·– Quand j’emportais jour par jour non seulement tes contemporains, dont pas un presque ne survit, mais encore des Hommes dans la force de l’âge, des Enfants, des Nourrissons, ne t’avertissais-je pas que tu étais Mortel ? Quand tu sentais ta vue s’émousser, ton ouïe s’affaiblir, tes autres sens baisser, ton corps s’alourdir, ne te disais-je pas que j’approchais ? Et tu prétends que je ne t’ai pas averti ? Allons, il ne faut pas tarder davantage. – Cette fable apprend qu’il convient de vivre comme si nous voyions la Mort devant nous.

 

Du Lion, du Loup et du Renard.

 

Un Lion devenu vieux était malade et restait couché dans son antre. Pour visiter le Roi, tous les Animaux étaient venus, sauf le Renard. Le Loup, saisissant l’occasion, accusait le Renard auprès du Lion, disant qu’il ne faisait aucun cas de leur Maître à tous et ne venait même pas le visiter. Au même moment le Renard arriva et il entendit les derniers mots du Loup. Le Lion rugit contre lui, mais l’autre ayant demandé à se justifier : – Et qui donc, dit-il, de tous ceux qui sont ici t’a été utile autant que moi ? Je suis allé partout, j’ai demandé à un Médecin un remède pour toi et je l’ai obtenu. – Le Lion aussitôt lui ordonna de révéler ce remède. Alors le Renard dit : – C’est d’écorcher vif un Loup et de revêtir sa peau chaude encore. – Et le Loup aussitôt fut étendu mort. Alors le Renard dit en riant : – Voilà comme il faut exciter le Maître à des sentiments non de malveillance, mais de bonté. – Cette fable montre que quiconque trouve contre un autre de perfides desseins prépare un piège contre lui-même.

 

Du Cochon et du Renard.

 

L’Âne ayant la charge de la Chèvre, de la Brebis et du Porc se rendait à la ville. Comme le Renard avait entendu le Porc crier pendant tout le chemin, il lui demanda pourquoi, tandis que les autres se laissaient mener sans mot dire, il était le seul à crier. Il répondit : – Oui, mais moi, ce n’est pas sans raison que je me plains. Je sais en effet que le Maître épargne la Brebis qui lui donne du lait et de la laine, la Chèvre à cause de ses fromages et de ses Chevreaux, mais moi j’ignore à quoi d’autre je puis être bon. De toute façon il me tuera. – Il ne faut pas blâmer ceux qui déplorent leur propre sort, quand ils pressentent les malheurs qui leur sont réservés.

 

Du Lion irrité contre le Cerf qui se réjouissait de la mort de la Lionne.

 

Un Lion avait invité tous les quadrupèdes à honorer les obsèques de sa Femme qui venait de mourir. Pendant que tous les Animaux ressentaient à la mort de la Reine une douleur inexprimable, seul, le Cerf, à qui elle avait enlevé ses fils, étranger au chagrin, ne versait pas une larme. Le Roi s’en aperçut. Il fait venir le Cerf pour le mettre à mort. Il lui demande pourquoi il ne pleure pas avec les autres la mort de la Reine. – C’est ce que j’aurais fait, dit celui-ci, si elle ne me l’avait pas défendu. Quand j’approchai, son âme bienheureuse m’apparut. Elle se rendait aux demeures Élyséennes, ajoutant qu’il ne fallait pas pleurer son départ, puisqu’elle se rendait vers les parcs riants et les bois, séjour enchanté du bonheur. – À ces mots, le Lion plein de joie accorda au Cerf sa grâce. Cette fable signifie que c’est parfois le devoir d’un Homme prudent de feindre et de s’abriter de la fureur des puissants derrière une honorable excuse.

 

Du Chien qui ne vint pas en aide à l’Âne contre le Loup parce que l’Âne ne lui avait pas donné de pain.

 

Un Dogue assez fort pour vaincre non seulement des Loups mais encore des Ours avait fait une longue route avec un Âne qui portait un sac plein de pain. Chemin faisant, l’appétit vint. L’Âne, trouvant un pré, remplit abondamment son ventre d’herbes verdoyantes. Le Chien de son côté priait l’Âne de lui donner un peu de pain pour ne pas mourir de faim. Mais l’autre, bien loin de lui donner du pain, le tournait en dérision et lui conseillait de brouter l’herbe avec lui. Là-dessus, l’Âne voyant un Loup approcher, demanda au Chien de venir à son aide. Il répondit : – Tu m’as conseillé de paître pour apaiser ma faim, moi à mon tour je te conseille de te défendre contre le Loup avec les fers de tes sabots. – En disant ces mots, il partit, abandonnant en plein combat son ingrat compagnon condamné à servir bientôt de pâture à son ravisseur. Cette fable montre que celui qui ne fournit pas son aide à ceux qui la réclament est d’habitude abandonné à son tour en cas de nécessité.

 

De la cire qui voulait devenir dure.

 

La Cire gémissait d’être molle et de céder facilement au coup le plus léger. Voyant au contraire que les briques faites d’une argile beaucoup plus molle encore parvenaient, grâce à la chaleur du feu, à une dureté telle qu’elles duraient des siècles entiers, elle se jeta dans la flamme pour arriver à la même résistance, mais aussitôt elle fondit au feu et se consuma. Cette fable nous avertit de ne pas rechercher ce que la nature nous refuse.

 

De l’Homme qui avait caché son trésor en confidence de son compère.

 

Un Homme fort riche avait enfoui un trésor dans une forêt et personne n’était dans la confidence, sauf son compère en qui il avait grande confiance. Mais étant venu, au bout de quelques jours, visiter son trésor, il le trouva déterré et enlevé. Il soupçonna, ce qui était vrai, que son compère l’avait soustrait. Il vint le trouver. – Compère, dit-il, je veux à l’endroit où j’ai caché mon trésor enfouir en plus mille ducats. – Le compère, voulant gagner davantage encore, rapporta le trésor, le remit en place. Le véritable Maître peu après arrive et le retrouve, mais il l’emporte chez lui et s’adressant à son compère : – Homme sans foi, dit-il, ne prends pas une peine inutile pour aller voir le trésor, car tu ne le trouverais pas. – Cette fable montre combien il est facile de tromper un Avare par l’appât de l’argent.

 

Du Loup et des Bergers.

 

Un Loup voyant des Bergers qui mangeaient un mouton sous une tente s’approcha : – Quels cris vous pousseriez, dit-il, si j’en faisais autant. –

 

De l’Araignée et de l’Hirondelle.

 

L’Araignée exaspérée contre l’Hirondelle qui lui prenait les Mouches dont elle fait sa nourriture, avait pour la prendre accroché ses filets dans l’ouverture d’une porte par où l’Oiseau avait l’habitude de voler. Mais l’Hirondelle survenant emporta dans les airs la toile avec la fileuse. Alors l’Araignée pendue en l’air et voyant qu’elle allait périr : – Que mon châtiment est mérité, dit-elle. Moi qui à grand effort ai peine à prendre de tout petits insectes, j’ai cru que je pourrais me saisir de si grands Oiseaux ! – Cette fable nous avertit de ne rien entreprendre qui soit au-dessus de nos forces.

 

Du Père de famille reprochant à son Chien d’avoir laissé prendre ses Poules.

 

Un Père de famille ayant oublié de fermer l’abri dans lequel ses Poules passaient la nuit, au lever du jour trouva que le Renard les avait toutes tuées et emportées. Indigné contre son Chien comme s’il avait mal gardé son bien, il l’accablait de coups. Le Chien lui dit : – Si toi, à qui tes Poules donnaient des oeufs et des poussins, tu as été négligent à fermer ta porte, quoi d’étonnant à ce que moi, qui n’en tire aucun profit, enseveli dans un profond sommeil, je n’aie pas entendu venir le Renard. – Cette fable veut dire qu’il ne faut attendre des Serviteurs de la maison aucune diligence, si le Maître lui même est négligent.

 

Du Vieillard décrépit qui greffait des arbres.

 

Un jeune Homme se moquait d’un Vieillard décrépit, disant qu’il était fou de planter des arbres dont il ne verrait pas les fruits. Le Vieillard lui dit : – Toi non plus, de ceux que tu te prépares en ce moment à greffer tu ne cueilleras peut-être pas les fruits. – La chose ne tarda pas. Le jeune Homme, tombant d’un arbre sur lequel il était monté pour prendre des greffes, se rompit le cou. Cette fable enseigne que la Mort est commune à tous les âges.

 

Du Renard voulant tuer une Poule sur ses oeufs.

 

Un Renard entré dans la maison d’un paysan trouva au nid une Poule qui couvait. Elle le pria en ces termes : – Ne me tue pas pour le moment, je t’en supplie. Je suis maigre. Attends un peu que mes petits soient éclos. Tu pourras les manger tendres et sans dommage pour tes dents. – Alors le Renard : – Je ne serais pas digne, dit-il, d’être un Renard si, maintenant que j’ai faim, dans l’attente de petits qui sont encore à naître, je renonçais à un manger tout prêt. J’ai des dents solides capables de mâcher n’importe quelle viande, même la plus dure. – Là-dessus il dévora la Poule. Cette fable montre que c’est être fou que de lâcher, dans l’espoir incertain d’un grand bien, un bien présent.

 

Du Chat et d’une Perdrix.

 

J’avais fait mon nid (dit le Corbeau), sur un arbre auprès duquel il y avait une Perdrix de belle taille et de bonne humeur. Nous fîmes un commerce d’amitié et nous nous entretenions souvent ensemble. Elle s’absenta, je ne sais pour quel sujet, et demeura si longtemps sans paraître que je la croyais morte. Néanmoins elle revint, mais elle trouva sa maison occupée par un autre Oiseau. Elle le voulut mettre dehors, mais il refusa d’en sortir disant que sa possession était juste. La Perdrix de son côté prétendait rentrer dans son bien et tenait cette possession de nulle valeur. Je m’employai inutilement à les accorder. À la fin la Perdrix dit : – Il y a ici près un Chat très dévot : il jeûne tous les jours, ne fait de mal à personne et passe les nuits en prière ; nous ne saurions trouver juge plus équitable. – L’autre Oiseau y ayant consenti, ils allèrent tous deux trouver ce Chat de bien. La curiosité de le voir m’obligea de les suivre. En entrant, je vis un Chat debout très attentif à une longue prière, sans se tourner de côté ni d’autre, ce qui me fit souvenir de ce vieux proverbe : que la longue oraison devant le monde est la clef de l’enfer. J’admirai cette hypocrisie et j’eus la patience d’attendre que ce vénérable personnage eût fini sa prière. Après cela, la Perdrix et sa partie s’approchèrent de lui fort respectueusement et le supplièrent d’écouter leur différend et de les juger suivant sa justice ordinaire. Le Chat, faisant le discret, écouta le plaidoyer de l’Oiseau, puis s’adressant à la Perdrix : – Belle Fille, ma mie, lui dit-il, je suis vieux et n’entends pas de loin ; approchez-vous et haussez votre voix afin que je ne perde pas un mot de tout ce que vous me direz. – La Perdrix et l’autre Oiseau s’approchèrent aussitôt avec confiance, le voyant si dévot, mais il se jeta sur eux et les mangea l’un après l’autre.

 

D’un Jardinier et d’un Ours.

 

Il y avait autrefois un Jardinier qui aimait tant les jardinages qu’il s’éloigna de la compagnie des Hommes pour se donner tout entier au soin de cultiver les plantes. Il n’avait ni Femme ni Enfants, et depuis le matin jusqu’au soir il ne faisait que travailler dans son jardin, qu’il rendit aussi beau que le paradis terrestre. À la fin, le bonhomme s’ennuya d’être seul dans sa solitude. Il prit la résolution de sortir de son jardin pour chercher compagnie. En se promenant au pied d’une montagne, il aperçut un Ours dont les regards causaient de l’effroi. Cet animal s’était aussi ennuyé d’être seul et n’était descendu de la montagne que pour voir s’il ne rencontrerait point quelqu’un avec qui il pût faire société. Aussitôt qu’ils se virent, ils sentirent de l’amitié l’un pour l’autre. Le Jardinier aborda l’Ours qui lui fit une profonde révérence. Après quelques civilités, le Jardinier fit signe à l’Ours de le suivre et l’ayant mené dans son jardin, lui donna de fort beaux fruits qu’il avait conservés soigneusement et enfin il se lia entre eux une étroite amitié. Quand le Jardinier était las de travailler, et qu’il voulait se reposer, l’Ours par affection demeurait auprès de lui et chassait les Mouches de peur qu’elles ne l’éveillassent. Un jour que le Jardinier dormait au pied d’un arbre et que l’Ours selon sa coutume écartait les Mouches, il en vint une se poser sur la bouche du Jardinier, et quand l’Ours la chassait d’un côté, elle se remettait de l’autre, ce qui le mit dans une si grande colère qu’il prit une grosse pierre pour la tuer. Il la tua à la vérité, mais en même temps il écrasa la tête du Jardinier. C’est à cause de cela que les gens d’esprit disent qu’il vaut mieux avoir un sage ennemi qu’un ami ignorant.

 

D’un Faucon et d’une Poule.

 

Un Faucon disait à une Poule : – Vous êtes une ingrate. – Quelle ingratitude avez-vous remarquée en moi ? répondit la Poule. – En est-il une plus grande, reprit le Faucon, que celle que vous faites voir à l’égard des Hommes ? Ils ont un extrême soin de vous. Le jour, ils cherchent de tous côtés de quoi vous nourrir et vous engraisser, et la nuit, ils vous préparent un lieu pour dormir. Ils ont bien soin de tout fermer, de peur que votre repos ne soit interrompu par quelque autre animal, et cependant, lorsqu’ils veulent vous prendre, vous fuyez, ce que je ne fais pas, moi qui suis un Oiseau sauvage. À la moindre caresse qu’ils me font, je m’apprivoise, je me laisse prendre et je ne mange que dans leurs mains. – Cela est vrai, répliqua la Poule, mais vous ne savez pas la cause de ma fuite : c’est que vous n’avez jamais vu de Faucon à la broche et j’ai vu des poules à toutes sortes de sauces. – J’ai rapporté cette fable pour montrer que ceux qui veulent s’attacher à la cour n’en connaissent pas les désagréments.

 

D’un Chasseur et d’un Loup

 

Un grand Chasseur revenant un jour de la chasse avec un Daim qu’il avait pris, aperçut un Sanglier qui venait droit à lui. – Bon, dit le Chasseur, cette bête augmentera ma provision. – Il banda son arc aussitôt et décocha sa flèche si adroitement qu’il blessa le Sanglier à mort. Cet animal, se sentant blessé, vint avec tant de furie sur le Chasseur qu’il lui fendit le ventre avec ses défenses, de manière qu’ils tombèrent tous deux sur la place. Dans ce temps-là il passa par cet endroit un Loup affamé qui, voyant tant de viande par terre, en eut une grande joie. – Il ne faut pas, dit-il en lui-même, prodiguer tant de biens, mais je dois, ménageant cette bonne fortune, conserver toutes ces provisions. – Néanmoins, comme il avait faim, il en voulut manger quelque chose. Il commença par la corde de l’arc, qui était de boyau, mais il n’eut pas plus tôt coupé la corde que l’arc, qui était bien bandé, lui donna un si grand coup contre l’estomac qu’il le jeta tout raide mort sur les autres corps. Cette fable fait voir qu’il ne faut point être avare.

 

D’un Homme et d’une Couleuvre

 

Un feu allumé par une caravane gagne de proche en proche, et se répand autour d’une Couleuvre. Un Homme veut la sauver en lui jetant un sac. Celle-ci, en remerciement, cherche à tuer son sauveur. L’Homme crie à l’ingratitude. Le Serpent proteste. On choisit pour arbitre la Vache. La Couleuvre lui demanda comment il fallait reconnaître un bienfait. – Par son contraire, répondit la Vache, selon la loi des Hommes, et je sais cela par expérience. J’appartiens, ajouta-t-elle, à un Homme qui tire de moi mille profits. Je lui donne tous les ans un Veau, je fournis sa maison de lait, de beurre et de fromage, et à présent que je suis vieille et que je ne suis plus en état de lui faire du bien, il m’a mise dans ce pré pour m’engraisser, dans le dessein de me faire couper la gorge par un boucher à qui il m’a déjà vendue. – L’Homme répond qu’un témoin ne suffit pas. On en choisit un second, l’Arbre. L’Arbre ayant appris le sujet de leur dispute, leur dit : – Parmi tous les Hommes les bienfaits ne sont récompensés que par des maux, et je suis un triste exemple de leur ingratitude. Je garantis les passants de l’ardeur du soleil. Oubliant toutefois bientôt le plaisir que leur a fait mon ombrage, ils coupent mes branches, en font des bâtons et des manches de cognée et, par une horrible barbarie, ils scient mon tronc pour en faire des ais. N’est-ce pas là reconnaître un bienfait reçu ? – L’Homme demande un troisième arbitre. Passe un Renard. Il ne veut pas croire qu’une si grosse Couleuvre ait pu entrer dans un si petit sac. Il demande la preuve. La Couleuvre se prête à l’expérience. Sur le conseil du Renard, l’Homme lie le sac et le frappe tant de fois contre une pierre qu’il assomme la Couleuvre et finit par ce moyen la crainte de l’un et les disputes de l’autre.

 

 

 

 

 

À propos de cette édition électronique

Texte libre de droits.

 

Corrections, édition, conversion informatique et publication par le groupe :

Ebooks libres et gratuits

http://fr.groups.yahoo.com/group/ebooksgratuits

Adresse du site web du groupe :
http://www.ebooksgratuits.com/

 

Janvier 2006

 

– Source :

Biblio.tic

http://www.amiens.iufm.fr/amiens/cahier/biblio/default.htm

 

– Élaboration de ce livre électronique :

Les membres de Ebooks libres et gratuits qui ont participé à l’élaboration de ce livre, sont : Jpeg, Coolmicro et Fred

 

– Dispositions :

Les livres que nous mettons à votre disposition, sont des textes libres de droits, que vous pouvez utiliser librement, à une fin non commerciale et non professionnelle. Tout lien vers notre site est bienvenu…

 

– Qualité :

Les textes sont livrés tels quels sans garantie de leur intégrité parfaite par rapport à l’original. Nous rappelons que c’est un travail d’amateurs non rétribués et que nous essayons de promouvoir la culture littéraire avec de maigres moyens.

 

Votre aide est la bienvenue !

 

VOUS POUVEZ NOUS AIDER À FAIRE CONNAÎTRE CES CLASSIQUES LITTÉRAIRES.