Michel Batifoille

PASSÉS PASSAGERS

Éditions Soleils en Chantier, 1994

 

 

 

Table des matières

 

Mosaïques. 4

Grotesques. 6

Chansons. 8

Près d'une source. 11

Hivernale. 13

La neige des années. 14

Enfants l'avenir. 16

Graffiti 17

Héritages. 19

Toussaint. 21

À propos de cette édition électronique. 23

 

Mosaïques

 

Parmi les manèges les portillons les tourniquets

à crécelle les corridors

tous lieux où s'arrêter paraît mesquin

tu parcours un sol bariolé

un carrelage de tessons multicolores

des vies en mosaïque au hasard

tu vas de l'une à l'autre épave

Il faudrait recoudre ces destins émiettés

recomposer les puzzles

renouer l'enchaînement des gestes par la filasse de l'écriture

les mots suspendus hauts sur les pages

fière allure voilure d'oiseau survol des larmes

Déjà les parcours reconstitués à rebours

recousus en enfilade incohérente

reliés à ton insu

t'inquiètent

et rien n'efface cette impression

tu ne peux plus te croire seule

des corps difformes s'allongent sur les pavés

tu imagines des visages pétrifiés sur les murs

Aucun repère

rien n'est en ordre en vain tu cherches

l'extrémité d'un fil pour te guider

ou la toute première feuille de l'artichaut

pour aller pas à pas

comme à la poursuite d'une douleur de plus en plus profonde et diffuse

Tu rassembles tes rêves

au départ d'un long voyage

comme si rien ne s'imposait au hasard porté à son ultime lâcheté

tu arpentes sans savoir les pavés de l'histoire

et les toiles du futur où les araignées brodent

ton cœur se love au creux des autoroutes

les battements du sang le gravier d'un souvenir

martèlent

ton crâne sonore

alors les orages de la contrée s'enfuient

sans t'effleurer.

Grotesques

 

Clown porteur d'eau

perdu d'être mais grave

tu craches aux étoiles une révolte improbable

ton violon s'accorde à dire l'espoir

d'une corde usée longtemps à se taire

acrobate éperdu

tu lances l'eau loin du lac

et tu te noies sous les regards

tu joues pour des loges muettes

les spectateurs dans l'ombre ne redoutent rien

que d'être acteurs du drame

ils ont payé pour voir sans risque

au meilleur prix couler le sang

la colère se noue

solitaire en toi

lente à se taire

les passions décantent

mais l'assurance ultime d'avoir malgré tout raison

est pour toi vitale

et d'autant plus que tu vas davantage

à contretemps de tous

avocat dérisoire des projets égarés

tu t'obstines aux images

et tu rêves

éveillé.

Chansons

 

Ciel droit

usure des arbres

souffle intérieur

les montagnes s'ouvrent

en automne

pétales noirs

cendres fortes

l'air s'évapore

brouillards nouveaux

la pluie colore

la terre j'effleure

mystère encore

un bruit meilleur

hasard des mots la poésie

mes rêves à vendre

et mes oublis

Peut-être est juste

et peut-être a tort

le mur de pierre

sépare ombre et lumière

la sentinelle

chemin faisant cortège au soleil

mêle sa ronde aux brumes

son chant s'étoffe écharpe mauve

et chacun retourne il a fait froid

la prairie sous mes pas chancelle

et la chanson fredonne

a gardé goût de miel

la lumière ouvre un sentier

à nul autre pareil

ni chaud ni froid ont les cœurs amoureux.

Près d'une source

 

Je rêve une eau que rien ne trouble

un vent ne lève aucun frisson

De l'air à l'eau une ouate infime

éteint nos voix

Voulez-vous sans rien briser du charme des forêts

vous perdre ?

asseyez-vous près d'une source

attendez

l'habitude qu'elle a d'être en terre

n'empêche pas la racine d'y pourrir.

Hivernale

 

La plaine a gardé silence

plaine aux mains d'argile ouvertes

et blotti sur l'odeur des feuilles j'habite un cri

dans l'herbe rase

le jus sucré des pommes fermente au pressoir

sous l'arbre effeuillé la pulpe amère surit

quand il a fait bien froid dans la nuit

on met à dégeler la bouteille d'huile

sur le grand fourneau d'émail qui vient d'être allumé

du pain s'émiette sur des planches mal jointes

l'horizon vaste heurtait la porte

un vide inerte en moi sous le verrou des longues plaines

vivre avait une odeur de terre

et les bougies vacillaient

dorées sur l'ombre.

La neige des années

 

Brins de seigle sec

la neige des années s'enterre

lente au milieu des blés

le soleil en déclin fusille les moissons

les amis décousus perdent leur sang

un tas de pierre occupe un côté de ma nuit

l'autre moitié me reste pour vivre

le granite où je dors

se creuse au long des veines durcies dans l'aurore

mon sommeil se brise sur des roches noires

humides au soleil

au bout d'un sentier sombre

l'eau du silence a noyé ses yeux clairs

soleil semblable nous attend

peut-être un oiseau roseaux fanés sous les brumes

et depuis longtemps.

Enfants l'avenir

 

Nous embrassons des enfants

blonds comme l'ivoire au salon bleu

que nous vaut leur sourire ?

l'air frais après la pluie sur nos visages

les abeilles bourdonnent

des vieillards endimanchés au soleil ferment les yeux

à quel avenir nous mène inconnu le vent bleuté ?

les enfants blonds et bruns

jouent dans les rues interminables

jusqu'aux corniches des siècles enfuis

ils dansent autour d'un feu

sans fumée

sans flamme

imaginaire

dans la savane incertaine

le sable des mots s'envole

les hommes oublient leurs songes

sur les tables rondes au café

s'égrènent les oiseaux du soir dans l'automne opaline

des oiseaux blêmes aux ailes rousses

demain se lèvera la brume et bruniront les arbres

la nuit sera souvent trop proche quand la journée mûrit

on s'endort plus vieux plus lourd

surpris d'avoir fané la fleur déjà

mûri la graine

mordu le fruit

on a chanté les plaines

en travaillant dans les pavés

comme on voudrait qu'elles reviennent

on les avait si bien chantées.

Graffiti

 

Viêt-Nam Algérie des ombres anciennes

sur nos murs courent

des lézards bleus

nous héritons une langue aux mots vides

des curieux explorent parfois des ruines de paroles froides

un dialogue semble renoué par delà les années

mais qui pourra comprendre ?

un comédien s'avance et déclame

ce qui méritait d'être hurlé

peu à peu la peinture s'écaille dans l'inertie

neutre et vieille

le naufrage incessant du langage

emporte plus que nous-mêmes

sur les glaces d'un fleuve en débâcle.

Héritages

 

Quand la mort s'est tue

il ne reste aux parquets cirés

longtemps

qu'une obscure attente

un vide aux miroirs

la brume n'a laissé des plaines

que les enjambées molles des pendules

la mémoire danse autour

vieille absente aux sommeils sans pierres

sans terre

sans sel

mon sable enserre un pays blême

d'où les chaleurs fuient clandestines

où l'oubli coagule

des corbeaux moirent le ciel

leur marée d'ailes déferle

les vagues noires s'enchevêtrent

entre des plis d'azur

des frissons parcourent l'eau de la

buée ruisselle sur des écailles de tous calibres

de neige l'hiver se prolonge

l'argenterie des héritages

emplit ce tiroir lustré fidèle

ton regard n'y décèle

aucune promesse aucun serment

sous les reflets du métal froid

il en reste

une mince fumée sur la vitre

une tragique nudité

j'archive les ancêtres

et les amis perdus

leurs lettres et leurs portraits jaunis

il faut ranger l'espace pour clarifier le temps

effacer le passé pour ouvrir un futur

je verse un espoir démesuré

dans des cartons trop petits

des bibelots nous restent en gage

une quincaillerie disparate

dans une vie dont les engrenages patinent.

Toussaint

 

En équilibre sous la dent le bois de l'histoire fait justice :

la disette ou l'échafaud

et la sciure de l'usure à quel usage

autre qu'étancher le sang du billot

ou le sol des boucheries ?

les ventres bleus des cortèges dévorent

l'allée du cimetière

et le déclin du jour charrie des glaçons d'espoir

ma jeunesse est un rempart insuffisant

pour afficher toute ma confiance.

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Décembre 2009

Édition papier :

Éditions Soleils en Chantier 30 Perspective 91210 Draveil

ISBN 2-9508556-0-1

De l'édition originale de cet ouvrage il a été tiré 100 exemplaires sur papier pur chiffon Vélin d'Arches numérotés de 1 à 100 avec des illustrations originales de Michel Batifoille sur papier Japon.

Les exemplaires numérotés de 1 à 10 sont reliés pleine peau.

 

L’édition électronique est dotée d’une nouvelle série d’illustrations de l’auteur.

 

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