Éditions Soleils en Chantier, 1994
Table des matières
À propos de cette édition électronique
Parmi les manèges les portillons les tourniquets
à crécelle les corridors
tous lieux où s'arrêter paraît mesquin
tu parcours un sol bariolé
un carrelage de tessons multicolores
des vies en mosaïque au hasard
tu vas de l'une à l'autre épave
Il faudrait recoudre ces destins émiettés
recomposer les puzzles
renouer l'enchaînement des gestes par la filasse de l'écriture
les mots suspendus hauts sur les pages
fière allure voilure d'oiseau survol des larmes
Déjà les parcours reconstitués à rebours
recousus en enfilade incohérente
reliés à ton insu
t'inquiètent
et rien n'efface cette impression
tu ne peux plus te croire seule
des corps difformes s'allongent sur les pavés
tu imagines des visages pétrifiés sur les murs
Aucun repère
rien n'est en ordre en vain tu cherches
l'extrémité d'un fil pour te guider
ou la toute première feuille de l'artichaut
pour aller pas à pas
comme à la poursuite d'une douleur de plus en plus profonde et diffuse
Tu rassembles tes rêves
au départ d'un long voyage
comme si rien ne s'imposait au hasard porté à son ultime lâcheté
tu arpentes sans savoir les pavés de l'histoire
et les toiles du futur où les araignées brodent
ton cœur se love au creux des autoroutes
les battements du sang le gravier d'un souvenir
martèlent
ton crâne sonore
alors les orages de la contrée s'enfuient
sans t'effleurer.
Clown porteur d'eau
perdu d'être mais grave
tu craches aux étoiles une révolte improbable
ton violon s'accorde à dire l'espoir
d'une corde usée longtemps à se taire
acrobate éperdu
tu lances l'eau loin du lac
et tu te noies sous les regards
tu joues pour des loges muettes
les spectateurs dans l'ombre ne redoutent rien
que d'être acteurs du drame
ils ont payé pour voir sans risque
au meilleur prix couler le sang
la colère se noue
solitaire en toi
lente à se taire
les passions décantent
mais l'assurance ultime d'avoir malgré tout raison
est pour toi vitale
et d'autant plus que tu vas davantage
à contretemps de tous
avocat dérisoire des projets égarés
tu t'obstines aux images
et tu rêves
éveillé.
Ciel droit
usure des arbres
souffle intérieur
les montagnes s'ouvrent
en automne
pétales noirs
cendres fortes
l'air s'évapore
brouillards nouveaux
la pluie colore
la terre j'effleure
mystère encore
un bruit meilleur
hasard des mots la poésie
mes rêves à vendre
et mes oublis
Peut-être est juste
et peut-être a tort
le mur de pierre
sépare ombre et lumière
la sentinelle
chemin faisant cortège au soleil
mêle sa ronde aux brumes
son chant s'étoffe écharpe mauve
et chacun retourne il a fait froid
la prairie sous mes pas chancelle
et la chanson fredonne
a gardé goût de miel
la lumière ouvre un sentier
à nul autre pareil
ni chaud ni froid ont les cœurs amoureux.
Je rêve une eau que rien ne trouble
un vent ne lève aucun frisson
De l'air à l'eau une ouate infime
éteint nos voix
Voulez-vous sans rien briser du charme des forêts
vous perdre ?
asseyez-vous près d'une source
attendez
l'habitude qu'elle a d'être en terre
n'empêche pas la racine d'y pourrir.
La plaine a gardé silence
plaine aux mains d'argile ouvertes
et blotti sur l'odeur des feuilles j'habite un cri
dans l'herbe rase
le jus sucré des pommes fermente au pressoir
sous l'arbre effeuillé la pulpe amère surit
quand il a fait bien froid dans la nuit
on met à dégeler la bouteille d'huile
sur le grand fourneau d'émail qui vient d'être allumé
du pain s'émiette sur des planches mal jointes
l'horizon vaste heurtait la porte
un vide inerte en moi sous le verrou des longues plaines
vivre avait une odeur de terre
et les bougies vacillaient
dorées sur l'ombre.
Brins de seigle sec
la neige des années s'enterre
lente au milieu des blés
le soleil en déclin fusille les moissons
les amis décousus perdent leur sang
un tas de pierre occupe un côté de ma nuit
l'autre moitié me reste pour vivre
le granite où je dors
se creuse au long des veines durcies dans l'aurore
mon sommeil se brise sur des roches noires
humides au soleil
au bout d'un sentier sombre
l'eau du silence a noyé ses yeux clairs
soleil semblable nous attend
peut-être un oiseau roseaux fanés sous les brumes
et depuis longtemps.
Nous embrassons des enfants
blonds comme l'ivoire au salon bleu
que nous vaut leur sourire ?
l'air frais après la pluie sur nos visages
les abeilles bourdonnent
des vieillards endimanchés au soleil ferment les yeux
à quel avenir nous mène inconnu le vent bleuté ?
les enfants blonds et bruns
jouent dans les rues interminables
jusqu'aux corniches des siècles enfuis
ils dansent autour d'un feu
sans fumée
sans flamme
imaginaire
dans la savane incertaine
le sable des mots s'envole
les hommes oublient leurs songes
sur les tables rondes au café
s'égrènent les oiseaux du soir dans l'automne opaline
des oiseaux blêmes aux ailes rousses
demain se lèvera la brume et bruniront les arbres
la nuit sera souvent trop proche quand la journée mûrit
on s'endort plus vieux plus lourd
surpris d'avoir fané la fleur déjà
mûri la graine
mordu le fruit
on a chanté les plaines
en travaillant dans les pavés
comme on voudrait qu'elles reviennent
on les avait si bien chantées.
Viêt-Nam Algérie des ombres anciennes
sur nos murs courent
des lézards bleus
nous héritons une langue aux mots vides
des curieux explorent parfois des ruines de paroles froides
un dialogue semble renoué par delà les années
mais qui pourra comprendre ?
un comédien s'avance et déclame
ce qui méritait d'être hurlé
peu à peu la peinture s'écaille dans l'inertie
neutre et vieille
le naufrage incessant du langage
emporte plus que nous-mêmes
sur les glaces d'un fleuve en débâcle.
Quand la mort s'est tue
il ne reste aux parquets cirés
longtemps
qu'une obscure attente
un vide aux miroirs
la brume n'a laissé des plaines
que les enjambées molles des pendules
la mémoire danse autour
vieille absente aux sommeils sans pierres
sans terre
sans sel
mon sable enserre un pays blême
d'où les chaleurs fuient clandestines
où l'oubli coagule
des corbeaux moirent le ciel
leur marée d'ailes déferle
les vagues noires s'enchevêtrent
entre des plis d'azur
des frissons parcourent l'eau de la
buée ruisselle sur des écailles de tous calibres
de neige l'hiver se prolonge
l'argenterie des héritages
emplit ce tiroir lustré fidèle
ton regard n'y décèle
aucune promesse aucun serment
sous les reflets du métal froid
il en reste
une mince fumée sur la vitre
une tragique nudité
j'archive les ancêtres
et les amis perdus
leurs lettres et leurs portraits jaunis
il faut ranger l'espace pour clarifier le temps
effacer le passé pour ouvrir un futur
je verse un espoir démesuré
dans des cartons trop petits
des bibelots nous restent en gage
une quincaillerie disparate
dans une vie dont les engrenages patinent.
En équilibre sous la dent le bois de l'histoire fait justice :
la disette ou l'échafaud
et la sciure de l'usure à quel usage
autre qu'étancher le sang du billot
ou le sol des boucheries ?
les ventres bleus des cortèges dévorent
l'allée du cimetière
et le déclin du jour charrie des glaçons d'espoir
ma jeunesse est un rempart insuffisant
pour afficher toute ma confiance.
Auteur
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Décembre 2009
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Édition papier :
Éditions Soleils en Chantier 30 Perspective 91210 Draveil
ISBN 2-9508556-0-1
De l'édition originale de cet ouvrage il a été tiré 100 exemplaires sur papier pur chiffon Vélin d'Arches numérotés de 1 à 100 avec des illustrations originales de Michel Batifoille sur papier Japon.
Les exemplaires numérotés de 1 à 10 sont reliés pleine peau.
L’édition électronique est dotée d’une nouvelle série d’illustrations de l’auteur.
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