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Paul Clerget

 

 

 

PAUL VERLAINE ET SES CONTEMPORAINS
PAR UN TÉMOIN IMPARTIAL

 

 

 

Paris Bibliothèque de l’Association, 1897

 

 

 

 

 

 

Publication du groupe « Ebooks libres et gratuits » – http://www.ebooksgratuits.com/

 

 

 

Table des matières

 

Portrait de Paul Verlaine par Gustave Bonnet. 3

PAUL VERLAINE ET SES CONTEMPORAINS. 5

Qu’est-ce que Verlaine ?. 5

Le Bohème, le Poète. 8

Verlaine et son critique. 13

Le Poète, le Bohème. 21

Opinions. 25

Verlaine à l’Étranger. 31

Une page classique. 34

L’HOMME.. 39

NOTES. 58

BIOGRAPHIE.. 64

I. 64

II. 67

III. 70

IV.. 74

V.. 78

VI. 83

VII. 87

À propos de cette édition électronique. 94

 

Portrait de Paul Verlaine par Gustave Bonnet

La personnalité de Paul Verlaine n’a guère franchi, jusqu’à ce jour, les limites du monde littéraire. Des amis trop passionnés, des adversaires trop intransigeants, se sont heurtés dans le champ-clos où de tout temps se renouvellent les grandes discussions d’art. La foule ignore ce nom, qu’elle va lire sans doute bientôt sur un Monument public ; et les écrivains les plus versés dans la littérature verlainienne, sont-ils bien sûrs eux-mêmes de tout connaître de Verlaine ? n’est-il pas quelque détail ignoré, quelque aperçu spécial qui, sans peser sur leur opinion, la fortifierait d’un argument nouveau, l’aiderait à convaincre un public plus nombreux ? ce qui n’est pas sans intérêt.

 

Par ce livre, la foule connaîtra celui dont on veut qu’elle salue prochainement l’image en bronze ou en marbre, dressée sur un terrain public ; les critiques et les intellectuels achèveront de s’informer de l’homme à l’ordre du jour.

 

Mars 1897.

 

PAUL VERLAINE ET SES CONTEMPORAINS

Qu’est-ce que Verlaine ?

Ce n’est pas sans de sérieux motifs que j’inscris d’abord cette question, dont la tournure naïve semble être empruntée au premier chapitre du Catéchisme. Je l’ai plus d’une fois entendue, ces temps derniers surtout, et accompagnée des plus diverses nuances de sympathie, d’indifférence ou de mépris. À cette demande, j’ai noté quelques réponses : « C’est un écrivain symboliste – un poète décadent – un bohème – un grand enfant – un vagabond – un homme de génie – un écrivain de troisième ordre – un mystique – un païen – un malheureux – un cynique – un sincère. » Tant de qualificatifs pour un seul donnent à réfléchir : Comment pouvait-il être tant de choses, et si différentes ? Quelqu’un ajoutait : « Verlaine ? ce n’est personne. » J’ai retenu particulièrement cette réponse, qui m’a paru la plus importante.

 

Chacun de nous peut se ranger, par quelque ressemblance d’esprit ou de visage, près d’autres personnes, et former groupe, ou seulement couple. Nous pouvons être comparés. Qui d’entre nous n’a salué des inconnus, dont les traits rappelaient ceux d’amis absents ? ou n’a subi cette confusion, rapide incident très commun dans une ville populeuse ? Même n’ayant pas de ces souvenirs, nous supposons volontiers que d’autres êtres sont comme nous, ou pensent comme nous : et, cela, c’est une ressemblance. Or, parmi nous, en est-il qui peuvent ou veuillent se croire pareils à Verlaine, ou seulement pensant comme lui ? Les uns s’y refuseraient, par mode ; d’autres, par crainte, et certains, par modestie. L’héritage serait lourd, et la voie, hérissée d’épines, à qui prétendrait l’imiter ; et encore, il existe des héros qu’une vie douloureuse et opprimée n’effrayerait pas ; mais existe-t-il des présomptueux pour se croire capables de mériter (ou de subir) la liste pourtant abrégée des qualificatifs énoncés plus haut ?… Le dernier de ces brefs jugements, porté d’ailleurs par un esprit de réflexion, est donc le plus logique : Verlaine, Ce n’est personne, parce que personne n’est Verlaine, et puisque nul n’a l’aptitude d’une réelle affinité avec lui, que nul ne peut ou ne veut lui ressembler.

 

VERLAINE N’A PAS SON SEMBLABLE.

 

 

Je reconnais que mon étude n’a pas d’autre origine que cette surprenante vérité. Si j’avais rencontré un homme de génie, je me serais incliné avec respect ; j’aurais admiré son œuvre, et, disciplinairement ou d’enthousiasme, mon aide secondaire serait venue à l’occasion fortifier ses hautes entreprises : mais rien ne m’aurait persuadé d’écrire à son sujet. Si je fais une exception pour Verlaine, c’est que le cas est véritablement extraordinaire : les siècles sont rares, où se montre un homme n’ayant pas son semblable ; où le classificateur le plus habile ne trouverait pas, sauf en grec peut-être, à désigner le groupe où doit se placer un tel esprit.

 

Toute rancune oubliée, toute admiration mise à part, il m’a semblé que Verlaine, n’ayant que cette spécialité de ne ressembler à aucun de nous, possédait par cela même le don le plus précieux qui fût accordé à l’homme. Seul, il a été une exception parmi nous. Être de chair et d’âme comme nous, il avait ce que nous n’avons pas : car tous nous pouvons être comparés les uns aux autres, tandis qu’aucun de nous ne peut ou ne veut lui être comparé. C’est là que réside l’influence exercée par Verlaine sur ses contemporains, et que mort il exerce de plus en plus.

 

L’influence se prouve par ceci, qu’on fait parler de soi, pour ou contre, peu importe ; elle se démontre par ce fait que nul ne peut s’y soustraire ; elle s’affirme par les voies les plus imprévues qu’elle suit pour parvenir jusqu’à nous. Or, reste-t-il une famille, un cercle, une société qui n’accepte ou ne subisse de parler de Verlaine ? Tous les mondes, s’ils ne se préoccupent de lui, arrivent du moins et de jour en jour à demander : Qu’est-ce que Verlaine ? – Nous connaissons la réponse : Ce n’est personne. C’est-à-dire, personne d’entre nous ne peut ou ne veut lui être comparé ; il n’a pas son semblable : c’est là sa raison d’être, et, je le répète, la seule raison aussi qui m’ait persuadé de rechercher les causes et les premiers résultats du passage de cet homme parmi ses contemporains.

 

Le Bohème, le Poète.

Plusieurs ont voulu rapprocher Verlaine d’autres poètes de notre race ; ils ont cité Villon, Musset. Le sentiment épars dans quelques poésies de Verlaine, se trouve en effet dans Musset ; mais ce sentiment, œuvre entière de Musset, n’est qu’une partie de celle de Verlaine, et encore, il leur est commun avec bien d’autres dont le cœur eut à souffrir. Une vie de heurts et de cahots fit songer à celle de Villon ; mais l’histoire de Paris peut montrer bien d’autres existences et plus tourmentées que ces deux-là. Ce que Villon et Musset n’eurent pas, en dehors de leurs actes de poète ou de bohème, c’est cette attraction à laquelle bien peu résistent, et qui chaque jour ajoute, autour du nom de Verlaine, les noms les plus célèbres, et aussi les plus humbles. Le temps semble déjà loin de nous, où tous s’efforçaient de reconnaître en lui, ou Musset, ou Villon : Le bohème, le poète, se partageaient alors l’attention de ses contemporains. Aujourd’hui même, ils sont peu nombreux encore, ceux qui cherchent sous ces mots ce que fut réellement Verlaine. Avant donc d’étudier l’influence véritable qu’il eut sur son époque, je dois classer, pour n’y plus revenir, ces deux termes jusqu’ici trop apparents, et dont le retentissement nous cachait la nature réelle de l’homme.

 

Les premiers livres de Verlaine furent publiés en sa grande jeunesse. Il avait vingt-deux ans quand parurent les Poèmes saturniens (1866) ; huit ans plus tard, Fêtes galantes, la Bonne Chanson, Romances sans paroles, étaient édités. Ces ouvrages furent peu remarqués. Alors que la plupart des Parnassiens : François Coppée, Sully-Prud’homme, José-Maria de Hérédia, Anatole France, Léon Dierx, Léon Valade, Edmond Lepelletier, Catulle Mendès, Armand Silvestre, Ernest d’Hervilly, Albert Mérat : tous ceux que Gabriel Marc a célébrés dans ses triolets : L’Entresol du Parnasse, avaient déjà conquis leur part de fortune ou de gloire, Paul Verlaine (comme aussi Villiers de l’Isle-Adam et Stéphane Mallarmé) s’en allait encore, à la recherche du mieux, par la grand’route où tant de fleurs cachent les ronces ensanglantées. Il était si peu connu, malgré ces quatre premiers livres, que Catulle Mendès, en ses conférences sur le mouvement parnassien[1], n’en put dire que ces quelques mots :

 

« Les premiers vers de Paul Verlaine portèrent le nom de Poèmes Saturniens : ils étaient bien nommés. Une humeur noire, inquiète, bizarrement amoureuse de la peur et de la mort, ricanait dans ces courtes pièces d’un art très volontaire et très subtil. Et si visible qu’y fût l’influence de Charles Baudelaire, on était bien forcé d’y reconnaître aussi une saveur perverse, très personnelle. Depuis, d’autres ouvrages du même poète témoignèrent d’une meilleure santé intellectuelle ; et dans les Fêtes galantes par exemple, il a montré une grâce tout à fait exquise et des sourires presque sincères. Mais, malgré ces sourires d’un instant, d’ailleurs mélancoliques, les mornes rancœurs de naguère et les rêveries funèbres n’ont pas tout à fait abandonné le poète. Sous son regard persistant, les beaux jeunes hommes et les faciles jeunes femmes des parcs enchantés dépouillent bientôt le satin de leur peau et l’or de leur chevelure. Ce sont des spectres qui s’enlacent dans le mystère des ramures. Les danses deviennent macabres. Un reste d’élégance complique étrangement la hideur, et l’on voit dans le tournoiement des rondes des pans de linceul s’envoler avec une coquetterie de jupe repoussée du talon. »

 

En même temps que ces livres de poète, Verlaine avait commencé les aventures d’une vie dont le récit figure dans sa Biographie ; cette vie causait l’étonnement de ceux même[2] que rien n’étonne plus : elle devait, je le rappelle, ne ressembler à nulle autre, apparaissant dès le début légendaire à ceux-là même qui l’approchaient. La rude existence qui lui était destinée, et qu’il avait prédite dès les Poèmes saturniens, écrivant au frontispice que, chez les êtres de son sang, « le plan de vie est dessiné ligne à ligne par la logique d’une influence maligne » ; cette existence maudite le séparait alors des siens, l’entraînant de ci de là, vers les enfants inconnus que son regard devait mûrir, vers les hommes que ses cris d’angoisse et ses fines satires devaient surprendre et modifier. Comme autrefois aux porteurs d’idées nouvelles, initiatrices des réformes, les portes brusquement se fermèrent devant lui ; la crainte, l’indifférence ou l’incrédulité l’isolèrent ; on le laissa vivre cependant, mais il ne trouva plus d’asile que sur la rive gauche de la Seine, au quartier des Écoles.

 

Alors, tout un essaim de jeunes étudiants, butinant les fleurs d’art écloses dans les souvenirs familiers du Luxembourg, du boulevard Saint-Michel et de la rue Saint-Jacques, recueillaient la science que durant des siècles l’Université avait préparée, sur les flancs de cette Montagne-Sainte-Geneviève riche de trésors philosophiques. Cette jeunesse semblait armée d’une foi nouvelle, et volontiers quittait le chemin aisé de la richesse pour les sentiers abrupts où se cueille, au prix de veilles fatigantes et de sanglants efforts, la fleur rare qui pour les uns fructifie en force et en pouvoir, pour les autres en idéal et en justice. Choisissant donc la même voie qu’avait jadis choisie Verlaine, elle le rencontra, le comprit et ne le quitta plus. C’est pourquoi je n’ai presque jamais vu Verlaine seul ; plusieurs l’accompagnaient dans ses courtes promenades autour du Panthéon, ou, se réunissant en plus grand nombre chez lui, s’apprenaient à deviner et à retenir le profond enseignement humain qu’il ne disait pas en termes précis, qu’il fallait au contraire découvrir sous les infinies nuances de son verbe tourmenté comme sa vie, et parfois scruter sous une parole en apparence insignifiante : Certaines sciences ne sont-elles pas terribles, au point que même une parole insignifiante ne les doit point révéler ? il se taisait alors, mais son regard avait la brève lueur de l’éclair qui en brillant révèle la foudre. Il fallait la robuste foi de ces jeunes gens pour résister à la réprobation qui, frappant le Maître, les frappait eux-mêmes ; plusieurs sont morts, dont les débuts promettaient de belles moissons : mais les groupes recevaient des adhésions nouvelles, et quand à son tour le Maître mourut, qui ne fut surpris de lui reconnaître tant d’amis et d’admirateurs ?

 

Il en est un, qui avait partagé les enthousiasmes adolescents de Verlaine. Ils n’avaient pas vingt ans, que déjà leur amitié s’était scellée pour toujours. S’ils ne vécurent pas depuis côte à côte, c’est pour l’unique raison que Verlaine, trop dissemblable même de celui-là, ne pouvait s’associer que pour un temps ; il avait marché plus loin, mais Edmond Lepelletier ne devait jamais l’oublier. À chaque appel de Verlaine, il était prêt ; c’est lui qui soutint seul la renommée du Maître, pendant quelques années, et c’est lui qui, le lendemain de la mort, rappela ces souvenirs particuliers, en y précisant que Verlaine avait trouvé son véritable asile au Quartier-Latin. Je dois ici transcrire son récit[3] :

 

« La jeunesse a sans doute raison de réclamer Verlaine comme son élu. Il est indiscutable que sa gloire a eu pour berceau tardif le quartier des écoles et les revues juvéniles. J’en sais quelque chose. Il y a une quinzaine d’années, Verlaine, qui avait déjà publié les Poèmes saturniens, les Fêtes galantes, la Bonne Chanson, était complètement ignoré, non seulement du grand public, mais de l’auditoire restreint auquel peut prétendre un véritable artiste. C’était pis qu’un poète incompris, c’était un poète oublié. La grande trombe de 1870 avait passé sur ses œuvres, sur sa vie, et avait tout balayé : l’humble hysope et le chêne altier confondus dans une même destruction. Verlaine était absent, à l’étranger, à Mons, détenu. Il m’envoya par fragments, dans des lettres curieuses, poignantes ici, ironiques là, les poèmes destinés à être immortels sous le titre de Romances sans paroles. Je les publiai dans des conditions véritablement originales. Je me trouvais, de par l’état de siège, relégué à Sens, dirigeant le vaillant journal républicain de Valentin Simond, le Suffrage universel, suite du Peuple souverain de Paris, décapité par le grand sabre du général de Ladmirault, pour un article, qui paraîtrait bien anodin actuellement, signé d’Édouard Lockroy. À ma disposition, je n’avais que l’imprimerie de notre quotidien. Grâce à la complaisance des typos, je pus cependant, en employant uniquement l’elzévir, qui ne servait qu’exceptionnellement à la composition du journal, éditer un petit volume suffisamment artistique d’aspect, et qui, donné, distribué à tous ceux que je supposais s’intéresser aux vers, exhuma le nom de Verlaine. Depuis, après avoir, pendant plusieurs années, multiplié la citation du nom de l’auteur en affirmant la maîtrise du poète, je parvins à réapprendre son nom à ceux qui ne l’avaient plus dans l’oreille. Mes camarades du Parnasse, dont quelques-uns commençaient à devenir illustres, surpris et enchantés de savoir qu’un des leurs vivait encore et se révélait puissant, m’aidèrent, ainsi que des admirateurs de la première heure, comme Henry Bauër, tandis que la jeunesse, avec enthousiasme, acclamait le poète de la nuance, rajeunissant la sensation poétique, et, tout en gardant une forme classique, révolutionnant l’art des rythmes, rendant à la lyre son caractère musical. Le pauvre Verlaine, de la geôle de Mons, passant à des séminaires de Rethel, cependant se convertissait et instrumentait son magnifique livre d’heures poétiques : Sagesse. Il était en route pour la gloire… »

 

De tels hommes, à chaque phase importante de leur existence, ont toujours près d’eux celui qui les doit traduire au public. Or, Sagesse, comme l’indique Lepelletier, est le livre par excellence de Verlaine, et c’est à ce moment même que le poète rencontra son critique : Charles Morice.

 

Verlaine et son critique.

L’époque de Sagesse fut plusieurs années de Verlaine, les années sans doute les plus fécondes pour l’avenir, et c’est dans la lumière rayonnante de cette œuvre qu’apparut Morice. Non qu’ils se connussent pour la première fois. Mais ce temps de la moisson du poète fut celui de la floraison du critique, et leurs deux manifestations, simultanées, les révélèrent mieux l’un à l’autre. Morice, avant cette date, était de ceux qui entouraient Verlaine ; mais sa pensée personnelle l’entraînait ailleurs. En ce jour, s’ils se parlaient encore, le ton était changé, la phrase n’avait plus son abandon de jadis : Verlaine dominait, de toute Sagesse ; Morice résistait, de tout le monde synthétique qu’il propageait alors, – et de ce jour, data leur séparation, la véritable, celle qui est, bien qu’on se revoie parfois. Cependant, une amitié constante et active dicta au critique la plus fervente admiration. Dès ses premières lignes sur le Maître, dans son livre d’études[4], on voit que Morice va fermer les yeux sur certaines ombres de son héros, et ne former qu’une gerbe de louanges :

 

« Verlaine a brisé les liens par trop étroits où le Parnasse avait enchaîné le vers. Le principe de cette grande révolution était dans Sainte-Beuve, mais avec quelle timidité, avec quels stérilisants scrupules procédait Sainte-Beuve, et comme il oubliait d’effacer les traces de son procédé ! Chez Verlaine, aucune de ces macules du travail : la Poésie bat des ailes et s’enchante. »

 

Dans cet ouvrage dont la première partie, recueil de haute critique, de logique et de déduction normales, d’écriture nerveuse et brillante, explique longuement l’œuvre de certains poètes, Morice n’accorde cependant que peu de paragraphes à Verlaine ; c’est que, six mois auparavant, il lui avait consacré un livre spécial, où nous avons lu[5], dès la préface, ce conseil, presqu’un ordre, donné au lecteur, et qui semble commenter les derniers mots du passage ci-dessus :

 

« … Mais cette beauté ne se communique point aux inattentifs… Il faut l’interruption des soucis bruyants, le silence, les paupières baissées, – une initiation, pour peu à peu se faire à l’atmosphère du poème, apprendre à ne rien perdre des détails, afin de saisir l’ensemble et bientôt se complaire avec l’extraordinaire artiste aux surprises successives de suggestives méprises. »

 

Le critique ne trompe personne. Il ne saurait mieux nous dire que cette communion avec la pensée du poète, à laquelle il nous convie, il l’a reçue d’abord et que par conséquent il n’a plus qu’un devoir, plus qu’un but : nous faire admirer Verlaine. Acceptons sa main tendue, et laissons-nous dire ce qu’il veut du poète ; nous lirons ensuite ce qu’un autre littérateur pense du bohème.

 

Les premières pages forment une lente introduction : comme des draperies aux plis lourds s’écartent et s’élèvent doucement, pour annoncer déjà la gravité du sujet. Puis, ne voulant pas que l’on s’attarde aux décors, pour lui détails secondaires, Morice épingle d’abord vivement cette brève étiquette à l’œuvre du poète[6] :

 

« Verlaine – et c’est la qualité maîtresse de son génie – est subtilement simple comme fut notre Moyen-Âge, – sa patrie naturelle dans le temps. C’est parmi les artistes des XVe et XVIe siècles qu’il faudrait chercher des émules aux plus chantourneurs des Parnassiens, et c’est à Villon qu’on a très justement comparé Verlaine. »

 

Morice reprend, durant trois pages encore, les habiles phrases de son introduction, puis, avant que l’attention se lasse, il ajoute à sa démonstration du poète le récit imagé des premières œuvres :

 

Poèmes saturniens[7] : « Par l’esprit, il se réclama surtout de Baudelaire dont il devait être l’unique héritier. Mais pour la forme, c’est de Leconte de Lisle que Verlaine fut d’abord l’élève. Il lui prit toute la livrée d’exotisme védique : le Kchatrya, la Ganga, l’excellent Rama, Raghû et Bhagavat lui-même, et toute la livrée d’archaïsme hellénique : l’Hellas, Sparte, Orpheus, Alkaïos, Hector, Odysseus, Akhilleus et Homeros lui-même. Surtout il se soumit à cette impassibilité, laquelle était alors de commandement dans l’entresol de Lemerre :

 

À nous qui ciselons les mots comme des coupes,

Et qui faisons des vers émus, très froidement…

Est-elle en marbre ou non, la Vénus de Milo ?

 

Tout cela sent, il est vrai, quelque peu l’appris, le voulu, trahit le discipulat. »

 

Fêtes galantes[8] : « Verlaine, nerveux et inquiet, saisit et trouble… Dès les Fêtes galantes, il est profondément atteint de l’influence baudelairienne. »

 

La Bonne Chanson[9] : « Un bouquet de fiançailles à parfumer une corbeille de noces… on dirait que le vers lui-même prend des précautions pour ne pas effaroucher une jeune fille. »

 

Romances sans paroles[10] : « Avec la déchéance des bonnes résolutions, avec le retour de la destinée Saturnienne, les goûts naturels du poète vont reprendre le dessus… il y a tous les horizons changeants où le poète voyage… il y a des violences vers des sites brutaux… on sent que l’orage s’amasse dans cette âme embrumée. »

 

C’est pour Verlaine le temps des révolutions ; son cœur, son esprit, son âme tremblent et se soulèvent ; il tombe et se relève ; les tourmentes parfois le déchirent, et les blessures se fermeront peut-être, mais la trace en restera : cette époque d’angoisse et de souffrance préparait Sagesse, et c’est à l’apparition de Sagesse que Morice réserve son accueil le plus fervent[11] :

 

« C’est là qu’apparaît, byzantine un peu et très orthodoxe, la Madone,

 

Siège de la Sagesse et source de pardons.

 

Privée comme à souhait de tous les nimbes usés par les peintres d’assomption, Madone grise et maigre, aux longues mains rapprochées sans entre-croiser leurs doigts, aux yeux très baissés, le front ceint d’une rigide couronne, nul soin de grâce : ni la Vierge classique de Raphaël, ni la Vierge convenue de Murillo, ni la douce Madone allemande des missels, ni la Femme surnaturelle de Vinci, mais plutôt la Vierge jaune de Saint-Luc et des Grecs. Pourtant elle est toute douceur, quoique son geste soit un peu sec ; c’est elle qui joint les mains, les mains lâches du pénitent, et qui lui baisse les yeux, ses yeux éblouis des choses !… On sent que le poète, refréné par les commandements, s’interdit l’essor des fantaisies : mais il y perd bien peu, sa puissance n’étant pas dans la fantaisie, et il gagne en profondeur concentrée ce qu’il délaisse d’indépendance… Écoutez ce bruit profond d’orage venu de loin pour se résoudre en musicale foudre que soutiendraient et prolongeraient tous les jeux de l’orgue :

 

Les faux beaux jours ont lui tout le jour, ma pauvre âme,

Et les voici vibrer aux cuivres du couchant.

Ferme les yeux, pauvre âme, et rentre sur le champ :

Une tentation des pires… fuis l’infâme !

 

Ils ont lui tout le jour en longs grêlons de flamme,

Battant toute vendange aux collines, couchant

Toute moisson de la vallée, et ravageant

Le ciel tout bleu, le ciel chanteur qui te réclame.

 

Ô pâlis et va-t’en, lente et joignant les mains !

Si ces hiers allaient manger nos beaux demains ?

Si la vieille folie était encore en route ?

 

Ces souvenirs, va-t-il falloir les retuer ?

Un assaut furieux, le suprême, sans doute !…

Ô va prier contre l’orage, va prier !

 

Et à travers toutes ces fabuleuses fatigues de Sisyphe ou d’Hercule sous la perpétuelle chute du roc charnel, il y avait de triomphales heures d’embellie, des aurores dans cette nuit… Il s’émerveillait chèrement, comme au retour dans le port, devant ce quelque chose de sacré que recèle en leur beauté la faiblesse des femmes… Il avait aussi des enthousiasmes juvéniles, des pitiés nobles pour tous ceux que décorait un sceau d’héroïsme et de malheur.

 

*

* *

 

« Comme Verlaine, en ce livre, a donné la plus forte expression de trouble moderne qui fût en lui, nous en avons dû scruter surtout le fond. Avec Jadis et Naguère[12], il convient de préférer la forme… Pour Verlaine, le vers demeure le Vers, l’être intangible et frémissant dont il avait appris des maîtres-forgerons, Leconte de Lisle et Banville, et Baudelaire lui-même, à forger l’armure, et quelques-uns des plus célèbres alexandrins qu’on citera dans vingt ans seront de Sagesse. Mais bien plus hardiment que Sainte-Beuve, dans le même but et avec un plus profond sens de modernité, il l’assouplit, le détaille, ce vers, quand il faut, selon les nuances de sentiment à rendre et selon de logiques lois nouvelles. »

 

Suivent des pages, aux détails finement ciselés, sur l’Art poétique de l’auteur de Sagesse, de Jadis et Naguère ; ces pages sont assez touffues pour que je ne puisse les résumer ici, et n’en dire qu’une partie serait trahir la logique du littérateur : elles lui servent d’ailleurs pour des dissertations personnelles, commentant Verlaine, ne le montrant plus. Avant de quitter Morice (non pour la dernière fois, car il apparaît constamment, à cette époque, dans l’ombre du Maître), voici un remarquable parallèle de Lamartine et de Verlaine, qui peut suffire à expliquer l’attachement du critique pour le poète[13] :

 

« Lamartine signala son passage dans le monde par des poèmes brillants, envolés légers comme des oiseaux, et sa vie elle-même demeure la tradition légendaire d’un merveilleux poème, la seule vie idéale de poète heureux – sauf les tristes derniers jours, aux mains besogneuses – qu’enregistre l’histoire de la littérature française. – Eh bien, à ce poète heureux et fêté, Verlaine, triste et méconnu, donne seul, si je puis dire, la réplique dans cette comédie symétrique du siècle : c’est la même âme en deux carrières orientées, l’une vers le signe Vénus et l’autre vers le signe Saturne. Lamartine commença par des hymnes évangéliques : il devait s’en détourner plus tard vers le rationalisme. Verlaine devait continuer par les hymnes après avoir commencé par un scepticisme de virtuose. Cette différence comme toutes les autres, les dates l’expliqueraient : Quand Lamartine, vieillissant, penchait vers les doctrines, sinon tout à fait ennemies, au moins très éloignées de ses premières ferveurs, c’est par la fatalité des dates que Verlaine, jeune alors, débutait dans l’insouci des crédos qu’il devait réciter plus tard. – Il lui fallait attendre, pour parvenir au catholicisme, que fût accompli le demi-cycle de négation que ne manque jamais de décrire l’esprit humain quand il vient d’achever le demi-cycle d’affirmation… Lamartine et Verlaine ont surtout cette capitale ressemblance : tous deux, touchés par les puretés et les douceurs de la religion chrétienne, les adorent avec les mêmes yeux enchantés des beautés humaines, et tous deux sont les seuls poètes de ce siècle que l’idéal chrétien ait séduits, en chrétiens épris ou tourmentés du dessein de « faire leur salut ». Si le mysticisme de l’un se meut plus volontiers et plus à l’aise dans plus de bleu, tandis que le mysticisme de l’autre, assombri, se concentre plus amer et plus rouge, c’est encore aux deux contraires colorations du siècle, à son aube et à son déclin, qu’il faut attribuer ces divergences. Tous deux ont un très vif et très profond frisson de corporalité, pour tous deux le paradis est un jardin de bonheur humain ; mais Lamartine est pris surtout d’adoration devant les splendeurs de la beauté physique, il en voit surtout la mystérieuse puissance, tout est pour lui lumière, la femme est un éclair vivant : Verlaine est surtout pris de pitié, d’étonnement. Qu’on vive lui semble une merveille,

 

Tant notre appareil est une fleur qui plie !

 

Et devant cet appareil, si faible et tant aimé, il médite :

 

La tristesse, la langueur du corps humain

M’attendrissent, me fléchissent, m’apitoient.

 

Et toujours à propos des choses corporelles, vous trouverez en lui cette même tristesse apitoyée, – sans jamais aucun dégoût. Tout ce qui est humain lui est sacré, mais il aime à plaindre ce qu’il adore, comme Lamartine à l’admirer. »

 

Le Poète, le Bohème.

De Henry Fouquier[14] :

 

« Doué d’une forme élégante, classique – oui, classique, – très français, ne cachant pas sa haine de l’internationalisme, le poète des Fêtes galantes appartient non à l’école, mais au groupe de ce qu’on pourrait appeler les poètes lunaires… je ne suis pas fermé au charme des poètes plus recherchés, plus subtils, plus curieux des formes nouvelles ou renouvelées, et qu’on lit per amica silentia lunæ[15], sans toujours les comprendre bien, mais en se laissant aller, comme au charme d’une lointaine musique, à l’harmonie de leurs vers. Je ne déteste pas, si Latin que je sois, l’inachevé, l’inexpliqué, l’entrevu. Mais foin des pédants qui veulent leur retirer le charme en les achevant, les expliquant, les montrant ! Besogne pleine de périls plus encore pour celui qui en est l’objet que pour celui qui l’entreprend. Qui veut préciser et faire logique le rêve en fait un cauchemar. »

 

Ceci s’adressait à Michel Abadie, qui, dans la Revue indépendante, analysant un sonnet de Verlaine, répondait surtout, en critique jeune et de foi vive, à l’article paru dans la Revue bleue en 1888 avec la signature d’un autre critique dans toute sa maîtrise rigoureuse, Jules Lemaître. Le débat portait sur le sonnet commençant par ce vers, un des plus cités de Verlaine :

 

L’espoir luit comme un brin de paille dans l’étable.

 

En réalité, M. Lemaître avait, pour les lecteurs de la Revue bleue, traduit de préférence l’aspect descriptif, la scène réaliste du poème ; M. Abadie[16] y recherchait plutôt le sens caché : mais il y mettait une vivacité toute juvénile, un peu rude, en certain passage, pour M. Fouquier. Dans sa riposte, M. Fouquier ne montre pas que son sentiment sur Verlaine en ait souffert ; il dit même en une phrase cordiale comment et pourquoi son esprit latin aime se reposer dans la lecture des poètes du charme et de l’harmonie ; il semble un autre ami, plus tiède certes que Morice, et sachant voir les défauts ; un ami raisonnable, c’est-à-dire un camarade du poète-bohème. Mais consultons le Figaro, un an plus tard[17] :

 

« M. Verlaine fut un lettré de distinction, un assez bon poète de troisième plan peut-être, dont le talent naturel fut gâté par la préciosité et l’obscurité voulues, et qui, trouvant qu’on était trop lent à rendre hommage à son talent, sauta le pas et se proclama du génie. »

 

Que s’était-il passé ?

 

Dans l’intervalle, Paul Verlaine étant mort, des amis songeaient à lui élever un monument, quand « l’avidité boutiquière d’un bibliopole inconscient »[18] lança en librairie un livre posthume : Invectives. Cet opuscule portait en couverture le nom de Verlaine ; il s’y trouvait des passages malsonnants adressés à quelques contemporains, dont Fouquier, qui combat dès lors le projet du Monument :

 

« Voici que ce littérateur, dont on pouvait avec pitié oublier la vie décousue, à qui on pouvait faire grâce de ses erreurs renouvelées, jette à la face de la foule, en s’en allant, comme un défi, un livre où il les rappelle en injuriant ceux qui eurent le triste devoir de les punir. Et on choisit cette heure pour demander que le buste devienne statue, que la glorification, de provinciale, se fasse nationale, et que l’immortalité du Luxembourg soit assurée à qui l’oubli eût été un bienfait !… Qui dit statue dit exemple. Et je m’adresse à M. Poincaré, dont on cite le nom parmi les promoteurs de cette glorification de M. Verlaine. Il occupe, dans le monde politique, une place à part et heureuse. Grand maître de l’Université il y a peu, pouvant le redevenir, il est tenu en haute affection par les lettrés. Nous estime-t-il si peu qu’il pense que nous restions indifférents à l’hommage rendu à un homme dont je le défierais de dire toute l’histoire à son fils ? M. Poincaré inscrira-t-il son nom au socle de l’image glorifiée d’un Antinoüs qui ne fut pas même beau garçon ? »

 

Lepelletier, dans sa réponse (Écho de Paris, 19 août), disait seulement ceci, pour Verlaine poète : « Vous le traitez de « lettré de distinction, d’assez bon poète de troisième plan » : c’est de la polémique, c’est de la critique. Libre à vous. Chacun porte par la suite devant la postérité le poids de ces téméraires jugements. Racine, pour ne citer qu’un exemple classique, a été, de son temps, qualifié aussi de poète dramatique de troisième ordre ; on le traitait de pion, Shakespeare étant un astre, à l’âge du romantisme, et aujourd’hui on est bien près de le jucher au sommet de l’art théâtral. Question d’époque et de modes d’art. »

 

Mais Verlaine portera encore quelque temps l’accusation d’avoir vécu, la plupart de ses jours, dans les milieux libres où des haillons drapent l’indépendance. Le bohème qu’il fut, parmi bien d’autres actions, est mort deux fois : peut-être qu’à la deuxième, Henry Fouquier a rendu à Verlaine le suprême service de détruire à jamais tout ce qui formait une nuit mauvaise autour du poète ; la justice ne punit qu’une fois, et Fouquier a frappé sévèrement.

 

Opinions.

Il est presque sans exemple qu’un être frappé n’ait reçu ensuite quelque consolation ; elle lui vient parfois d’un étranger, d’un inconnu, et toujours produit son effet salutaire là où fut faite la blessure ; mais le plus souvent c’est un ami qui prend ce soin pieux. Henry Bauër, dans un article qui serait à citer tout entier, prend le bohème et le glorifie[19] :

 

« Fatidique existence de poète destiné à chanter par les larmes et la damnation ! Sublime et misérable Passion de la poésie où l’élu parcourt le calvaire, les yeux fous, la bouche écumante, loqueteux, dégradé et superbe, jusqu’à la mort ! À lire ses trois livres en prose naïfs et doux : Confessions, Mes Prisons, Mes Hôpitaux, on parcourt les trois étapes de sa passion et on comprend… C’est l’amour en rêve extasié du jeune homme pour une belle et pure créature digne de lui, et soudain l’ensorcellement du démon Alcool avec ses fureurs, ses horreurs, puis la fuite, l’aversion de la femme tant aimée, ah ! combien regrettée ! que son culte idéal ne quittera jamais ; c’est, après les coups de folie, l’encellulement de la prison, la solitude, mère du repentir, l’espoir en Dieu, la honte de soi-même, l’affranchissement et la purification par l’hymne admirable de Sagesse ; c’est la station dernière d’épreuve physique, l’asile de l’hôpital pour attendre la mort, la résignation et la sérénité dans les crises de la douleur et de la destruction corporelle.

 

« Mais cette fatalité d’état, cette prédestination au martyre pour la poésie, cette exception exemplaire, – qui en rechercherait les causes profondes ? Il y a une quinzaine d’années, Edmond Lepelletier, l’ami le plus ancien, le plus sûr et le plus conscient du poète, recevait souvent au journal la visite d’un homme brun, aux yeux inquiets, au visage dur et sombre, à la tenue sordide. Ce compagnon de mauvaise mine attendait souvent en vain l’arrivée de Lepelletier, auquel le lendemain nous ne manquions pas de répéter : « L’homme brun est encore venu ! » Un jour, il nomma son visiteur : « C’est Paul Verlaine, un grand poète ! »

 

Voici les derniers mots de Henry Bauër : ils sont une des plus belles définitions du Poète : « Il vécut triste, misérable, tourmenté, glorieux, pour l’étonnement et l’admiration des hommes. Il manqua sombrer dans la damnation, et atteignit à l’esprit divin. Il y eut en lui du démon et de l’ange, tellement que le conflit des deux éléments forma le drame le plus extraordinaire et le plus émouvant. L’ange de Sagesse a vaincu ; il nous inspire ses paroles de joie et de réconfort, que nos enfants répéteront à leurs petits enfants. »

 

J’ajoute qu’ils auront beaucoup à raconter. La moisson des pages écrites sur Verlaine, ou seulement celle de leurs fragments principaux, s’offre si abondante, que j’hésite devant ma tâche. Il y faudrait plusieurs ouvriers, debout avant l’aube, et courbés encore dans le champ, le soleil couché. Que du moins je recueille ici les opinions les plus caractéristiques.

 

« Tous les critiques de notre temps ont étudié Verlaine », a dit Laurent Tailhade dans une causerie[20]. Il en excepte Francisque Sarcey, mais il ajoute : peut-être… Il conte qu’il dut de connaître Verlaine à Armand Silvestre, fait une longue et pittoresque description des réunions de la jeunesse au Quartier-Latin, jusqu’à l’année 1884 où il vit Verlaine, dont il donne ce portrait :

 

« Le front dévasté par le génie ou la douleur, plus vieux que son âge, mais la face éclairée par un sourire d’enfant et le clignotement spirituel de ses yeux obliques, Verlaine rappelle à première vue le visage traditionnel de Socrate, avec je ne sais quoi de magnifique et de robuste qui s’impose aux regards fascinés. C’est, sans doute, son beau crâne pareil à la coupole d’un temple, son crâne d’où tant de hautes pensées, de rythmes imprévus s’envolèrent vers le ciel. Dans le buste excellent qu’il en a fait, le sculpteur Auguste de Niederhausern sut dégager merveilleusement le caractère pour ainsi dire sacré de ce visage marqué du signe de la Muse. Son Verlaine rappelle ce satyre de la Légende des Siècles dont les « cils roux laissent passer de la lumière », et qui chante, sur la lyre d’Apollon, « avec des profondeurs splendides dans les yeux. ».

 

Peu de temps après cette causerie de Tailhade, Charles Maurras, dans une longue et consciencieuse étude[21], évoquait l’influence d’Arthur Rimbaud sur la poétique de Verlaine. On a beaucoup parlé de cette influence. Peut-être ne fut-elle, dans la vie tourmentée du poète, qu’un accident parmi tant d’autres, mais auquel un peu de mélodrame donna du relief. Voici ce que Charles Maurras en dit de spécial :

 

« Rimbaud devint promptement le mauvais ange du poète. Il lui ouvrit les portes de son enfer. Il le décida à goûter tout ce que gardent de charme les beautés de décadence et d’arrière-saison. En un mot, il l’orienta dans le sens de la plus parfaite perversion esthétique. Rimbaud, comme Verlaine, avait déjà mordu aux fruits amers de Baudelaire. Il avait médité l’enseignement des Fleurs du Mal et des Paradis artificiels, avec le commentaire, fort lucide, qu’y avait ajouté Gautier… C’est vers ce temps que commença la vie commune de Verlaine et de Rimbaud, et c’est ce que j’ai cru pouvoir appeler leur collaboration ; de là est, en effet, sorti ce que l’on a coutume d’appeler proprement le Verlainisme en poésie… Les conseils, les indications d’Arthur Rimbaud, qui avaient induit Verlaine à faire de la poésie le simple, le libre miroir de la sensibilité, l’avaient aussi déterminé à tenir la nécessité de l’émotion pour unique bien poétique. Il outrait ainsi une des plus dangereuses maximes de Lamartine et de Musset touchant le Pathétique, le Sentiment et la Passion. »

 

Un an plus tard (Verlaine venait de mourir), Charles Maurras, délaissant l’incident Rimbaud, qui est la plus grosse part de légende dans la vie du poète, notait strictement la personnalité du Maître disparu[22].

 

« Il était la parure et la curiosité de tout un âge de poètes. Bien qu’il eût assez de génie pour se passer d’une légende, il eut pourtant cette légende, avec l’honneur d’en avoir forgé presque tous les traits. Voilà cette légende atteinte, la légende du Saturnien, du poète maudit, par la noble publicité donnée à cette mort, par le concours de peuple qui s’est porté à ces obsèques, par les hommages solennels rendus à cette tombe ouverte. Mais la légende peut périr. Elle semblait déjà caduque à plus d’un bon esprit. L’âme charmante et désolée de ce doux poète ne peut périr, à tout le moins, qu’avec nous-mêmes. Elle s’est attachée à l’âme de notre génération. Sans discuter de leur mérite, il est certain qu’une centaine de vers de Paul Verlaine nous est gravée au cœur ».

 

Autrement, et plus grave, Anatole France écrivait[23] :

 

« Il ne faut pas juger ce poète comme on juge un homme raisonnable. Il a des idées que nous n’avons pas, parce qu’il est à la fois beaucoup plus et beaucoup moins que nous. Il est inconscient, et c’est un poète comme il ne s’en rencontre pas un par siècle… Il est fou, dites-vous ; je le crois bien. Et si je doutais qu’il le fût, je déchirerais les pages que je viens d’écrire. Certes, il est fou. Mais prenez garde que ce pauvre insensé a créé un art nouveau et qu’il y a quelque chance qu’on dise un jour de lui ce qu’on dit aujourd’hui de François Villon, auquel il faut bien le comparer : C’était le meilleur poète de son temps. »

 

Jules Lemaître insiste sur la comparaison[24] : « Paul Verlaine ressemble à François Villon, par son esprit et par sa vie, autant que cela est possible et permis de notre temps. Il a de Villon la vie pécheresse (si nous l’en croyons), le cœur tendre, l’âme candide. Que dis-je ? Dans les instants où il est un grand poète, Verlaine me paraît plus spontané, plus ignorant, plus intact de toute discipline, que son frère du XVe siècle… La vingtième partie à peu près des vers qu’il a écrits sont des petits diamants de poésie naturelle, comme involontaire, ni classique, ni romantique, ni parnassienne, ni autre chose ; je dirais presque de poésie anti-littéraire. Il a fait d’adorables petites chansons, et les seuls beaux vers catholiques qui aient été écrits de notre temps. »

 

D’Émile Zola, c’est un mot d’enthousiasme[25] : « Ah ! certes, si la poésie n’est que la source naturelle qui coule d’une âme, si elle n’est qu’une musique, qu’une plainte ou qu’un sourire, si elle est la libre fantaisie vagabonde d’un pauvre être qui jouit et pleure, qui pèche et se repent, Verlaine est le poète le plus admirable de cette fin de siècle ! »

 

Pauvreté, poésie, sont les deux termes par lesquels tous ces jugements se résument volontiers ; ils sont de plus énoncés avec une sympathie qui semble naître d’elle-même, toujours pareille chez les plus divers littérateurs : Si la fortune jamais ne visita Pauvre Lélian, l’estime de ses contemporains lui fut d’ordinaire plus fidèle. Il suffit, après ces quelques phrases de ceux qui furent de la génération de Verlaine, de citer aussi le vote de la jeunesse qui, en août 1894, par 77 voix sur 189 réponses à la question[26] : « Quel est celui qui, dans la gloire ainsi que dans le respect des jeunes, va remplacer Leconte de Lisle ? » – proclama Paul Verlaine.

 

Verlaine à l’Étranger.

De même que pour les nombreux jugements portés en France sur Paul Verlaine, un choix s’impose dans les critiques des écrivains étrangers.

 

M. Byvanck, dans son ouvrage : Un Hollandais à Paris en 1891, a conté un entretien avec Verlaine : mais la fantaisie y domine.

 

Dans la National Review, M. Arthur Simons a écrit, en conclusion d’un remarquable article : « De la date des Romances sans paroles à celle des Liturgies intimes, chaque étape de « cette fièvre appelée la vie » a été enregistrée et caractérisée dans ses vers. Le vers s’est modifié comme se modifiait la vie elle-même, restant fidèle à ce tempérament étrange et contradictoire qui est le sien. Verlaine a fait quelque chose de nouveau du vers français, quelque chose de plus souple, de plus exquisement délicat et sensitif que ce que cette langue avait été jusqu’alors capable d’exprimer. Il a inventé cette espèce de poésie impressionniste – la nuance, la nuance encore ! – qui semble si subitement correspondre aux plus récentes tendances des autres arts : la peinture de Whistler, la musique de Wagner. Lui-même, pauvre être tout de passions et de sensations, ballotté çà et là par chaque souille de la brise, il a donné une voix à tous les vagues désirs, à toutes les impressions tumultueuses de cette créature faible et avide : l’homme moderne des villes. »

 

De l’autre côté du Rhin, le nom du poète, né sur une terre française devenue allemande alors qu’il avait vingt-sept ans, a été souvent prononcé, non sans froideur.

 

« Plusieurs études[27] ont été consacrées par des Allemands à l’auteur de Sagesse. Karl Sachs a publié en 1892 son discours Sur les Décadents. À la même époque, paraît l’étude de Stéphane Wælzoldt intitulée Paul Verlaine, un poète de la décadence. Il existe des traductions de Verlaine, voire des imitations, celles, par exemple, de Dehmel. Enfin, il est souvent question de Paul Verlaine aux réunions des Néophilologues de Dresde. L’un de ces érudits, M. S., à qui le français paraît familier, a développé ces indications sans dissimuler son antipathie pour le poète français ; alors, pour montrer que les travaux de l’érudition allemande sont appréciés des revuïstes français plus chaleureusement que les poèmes verlainiens en Allemagne, un admirateur du poète a envoyé au journal où la discussion s’est engagée, une note dont voici le texte français : « Permettez-moi d’ajouter quelques mots à votre intéressante leçon sur Paul Verlaine né, il y a cinquante ans, à Metz. C’est au mois de juin 1890 que parut à Berlin la première étude complète sur ce poète – difficile à interpréter si on ne l’a pas vu ou entendu. – L’influence de son esthétique sur les lettres allemandes doit commencer vers 1886. Pour la constater, il suffirait de parcourir l’index des périodiques allemands qui signalent toutes les manifestations de la littérature française. L’étude en question a paru dans Die Gegenwart (l’Actualité), en juin 1890, sous la signature de M. Paul Rœmer. Les admirateurs de Verlaine reconnaissent qu’elle est très consciencieuse, très bienveillante, et qu’elle contient fort peu d’erreurs. Les revues littéraires les plus avancées ont déclaré qu’aucun chroniqueur parisien ne s’était jamais pénétré de son sujet comme le compréhensif étranger. Toutes les personnes au courant de la littérature moderne rendirent hommage au critique allemand qui, sans protections affichées ni démarches équivoques, s’était renseigné scrupuleusement avant d’aborder sa tâche épineuse. »

 

Jugend, de Munich, (N° de février 1896) a donné une analyse de l’œuvre de Verlaine, accompagnant plusieurs croquis intéressants de F. A. Cazals.

 

M. V. Brussof a publié à Moscou, en 1895, une traduction en russe des Romances sans paroles.

 

Dans Novy Zivol (La Vie nouvelle), à Machov (Autriche), en 1896, a été publiée une grande étude sur Paul Verlaine, avec traductions en vers, par Don Sigismond Bonska, fondateur de Katolicka Moderna (la Moderne Catholique) ; don S. Bonska prépare une Anthologie tchèque de Verlaine ; dans son livre poétique : Pietas, figure une Ode à Paul Verlaine, sur un portrait paru dans Jugend, revue de Munich (portrait par Cazals).

 

Les revues belges sont à citer toutes, qui ont publié des fragments du poète ou des études sur son œuvre.

 

Une page classique.

Que pensait Verlaine de lui-même ? Voici quelques souvenirs sur ses débuts littéraires[28] :

 

« En 1865 il donnait à l’impression les Poèmes saturniens, recueil de vers déjà anciens, faits pour la plupart dans son pupitre de rhétoricien en proie à feu le baccalauréat encyclopédique et polytechnique d’alors. On fit à ce livre, qui parut en même temps que le Reliquaire de Coppée, l’honneur de ne s’en un peu occuper que pour renvoyer l’auteur au bon français, au bon sens, à toutes sortes de bonnes choses tenues par ces messieurs à tant la ligne. Impénitent, Verlaine publia un an après les Fêtes galantes qui eurent quelque succès et procurèrent, étrangement gracieuses sans conteste et raffinées, non fades, qu’elles étaient, avec un point de mélancolie quelque peu féroce, un regain de lecture aux Poèmes saturniens. – Des écrivains sérieux, Sainte-Beuve entre autres, comme peut en témoigner sa correspondance, s’intéressèrent beaucoup à ces débuts. Nestor Roqueplan aima cette poésie bizarre et contrastée, déjà musicale. D’autres suffrages intimes et familiers continuèrent d’encourager l’auteur, déjà très volontaire et emballé pour sa part, qui mit au jour, au commencement de 1870, la Bonne Chanson, vers d’amour chaste. La guerre et son bruit firent tort à ce petit ouvrage auquel l’auteur tiendrait particulièrement à voir rendre justice. »

 

L’opinion de Verlaine, bien qu’exprimée avec simplicité, est plutôt favorable. J’ajoute que l’existence fut assez dure au poète pour qu’il eût eu le droit de se montrer plus favorable encore.

 

En somme, cet ensemble de jugements, pesés de Henry Fouquier à Charles Morice, penche vers l’admiration exaltée par ce dernier. Les louanges dépassent les blâmes. M. Fouquier fut-il donc seul à assumer le rôle de repousser hors la loi littéraire le littérateur rebelle ? Non pas, et Francis Vielé-Griffin[29] a compté, entre autres, MM. Émile Faguet, Gaston Deschamps et Georges Clément, dans le camp de l’opposition. Pourtant, Émile Faguet reconnaît près de « deux cents beaux vers » à Verlaine, et bien des poètes sont célèbres, qui n’ont pas laissé, ainsi, de quoi facturer quatorze de ces « sonnets sans défauts » qui, pour Boileau, valaient quatorze longs poèmes : M. Faguet a dû y penser ; il est donc sage de s’informer, avant de l’admettre parmi les contempteurs de l’auteur de Sagesse.

 

Un critique avec qui le doute n’est pas permis, est Charles Gidel[30]. D’abord il reconnaît que « ce poète n’est pas sans mérite quand il est raisonnable », mais « depuis qu’il est devenu symboliste, qu’il veut faire de la musique en vers, il affecte une obscurité systématique, et il réussit à ne se faire comprendre de personne. » M. Gidel cite Guyau (L’Art au point de vue sociologique, p. 373) : « C’est là ce qu’ils appellent des Romances sans paroles, comme dit Verlaine ; traduisez des paroles sans pensées. Quant à la musique de ces vers, qui peut la saisir, et en quoi diffère-t-elle des plus banales harmonies de Lamartine ? »

 

Avant de quitter l’enseignement, il est bon d’inscrire, à côté du jugement de Charles Gidel, proviseur du Lycée Louis-le-Grand, celui de Frédéric Bataille, professeur au Lycée Michelet[31] :

 

« Les qualités de simplicité rare et pourtant si naturelle, de grâce naïve et tendre, cachant sous des gaucheries apparentes – parfois cherchées – les secrets d’un art très savant, la délicatesse harmonieuse, la belle clarté française qui transparaît dans l’imprécision voulue des images voilées, tous ces dons qui forment le caractère original de la langue de Paul Verlaine, se retrouvent dans Sagesse et aussi dans Amour, avec une incomparable sincérité, et font de ces parties de son œuvre, souvent géniale par l’intensité de l’expression émue, le chef-d’œuvre du poète. Quant à l’influence de ce maître sur l’évolution poétique, elle a été déjà, elle est et sera considérable. La consonne d’appui détrônée de sa dictature tyrannique ; l’alternance des rimes masculines et féminines dans la stance, non pas supprimée, mais, suivant les sujets et les états d’âme, partageant sa légitime valeur avec la succession des faibles ou des fortes ; la césure, habilement et librement distribuée dans l’alexandrin, et commandée par les seules exigences de l’oreille, pour un effet voulu dans le mouvement de la pensée ; l’emploi possible, souvent heureux, des mètres nouveaux de neuf, de onze et de treize pieds : il y a certainement dans cet art si personnel, très suggestif, une source de vie prochaine pour une poésie sincère, vraie, rapprochée, avec la science en plus, de la primitive poésie populaire. »

 

Paul Verlaine, ainsi présenté par Frédéric Bataille, professeur, ancien instituteur, apparaît presque classique. Qui se souvient du poète en révolte, du bohème maudit ? Verlaine, pour être vu sous un aspect nouveau par chaque nouveau critique, avait-il donc tant d’aspects ? Était-il si multiple, que nous y trouvons tous l’angle spécial sous lequel chacun de nous a coutume d’apprécier son voisin ? Et peut-on faire un tel portrait, qu’il semble extrait d’une anthologie scolaire des poètes français ? Le doute vient, et l’incrédulité… Mais je me souviens de phrases, parsemant son œuvre, qui pourraient s’inscrire à l’appui de son classicisme ; d’un passage, noté dans un récit, qui m’évoque le lointain souvenir de pages lues sur les bancs d’une modeste école de village… N’est-ce pas même une dictée que j’écrivis, en compagnie des quinze élèves de ma division, ces lignes[32] sous lesquelles ma mémoire est tentée de lire quelque nom de célèbre écrivain moderne, et que je vois signées Paul Verlaine ?…

 

« Lors de nos passages à Bouillon, nous manquions rarement de nous arrêter au presbytère. À cette occasion, le cordial prêtre invitait quelques-uns de ses confrères, tous bons convives et saintes gens. Parfois, il nous menait dans son modeste char-à-bancs, à quelques kilomètres de là, « au château de Carlsbourg », qui avait appartenu à ma tante de Paliseul et que celle-ci, dès veuve, avait vendu comme infiniment trop grand pour elle, et son train forcément restreint, à la congrégation des Écoles chrétiennes, dits Frères ignorantins, braves religieux, modestes et infatigables instituteurs des pauvres, et qui remplissent à présent, plus que jamais, le monde de leurs bienfaits. Ce château, actuellement utilisé comme collège, est un très important bâtiment, le classique château à deux tourelles symétriquement disposées en poivrières, aux deux extrémités de la principale construction. D’immenses jardins, dont une partie convertie en cours de récréation, entourent cette seigneuriale demeure dont j’eusse pu, si l’avaient voulu les destinées, me voir le châtelain !… Au château de « Calcebourg », comme on prononce dans le pays, nous attendait une hospitalité sinon princière, du moins large et de tout cœur. »

 

Il faudrait plusieurs lourds in-folios pour rassembler tout ce qui a été écrit sur Verlaine ; un très gros volume même ne réunirait que les passages principaux de ces critiques. Beaucoup, qui sont nommés dans la BIOGRAPHIE, ont publié de bonnes pages, que j’ai dû réserver. Je n’ai rappelé que les fragments essentiels, ceux qui, mis en ordre, forment un portrait complet du poète. N’ajouterait-on que les études, préfaces[33] et manifestes inscrits au frontispice des livres nouveaux, et se rattachant à Verlaine ; que les ouvrages l’ayant décrit[34], dans le texte, avec ou sans son nom[35] ; que les articles des quotidiens, du Figaro jusqu’à l’Éclair : que les essais imprimés dans les revues de la jeunesse, depuis Lutèce que dirigeait Léo Trézenick, jusqu’aux plus récents périodiques littéraires, – que la seule nomenclature de tous ces travaux serait trop pour ce format, et trop pour mon intention. Je n’ai pas voulu dresser un catalogue des contemporains de Paul Verlaine. Il était, seulement, nécessaire de réunir ce qui fut écrit de strictement spécial sur le poète et le bohème (en omettant sciemment les récits passionnants, dont on n’est pas sûr qu’ils ne soient des légendes), avant d’étudier sa nature particulière.

 

C’est Charles Morice encore qui a écrit[36] : « Verlaine est moderne en héros. Son œuvre et sa vie se confondent en l’action dramatique d’un seul réel personnage aux prises avec des fantômes dans des décors changeants : le poète et les spectres de ses passions. Son œuvre n’est que l’ombre de son âme. »

 

Laissons donc l’ombre, et voyons l’âme.

L’HOMME

Je ne me souviens pas qu’à une seule des apparitions de Verlaine dans l’un des centres de la jeunesse, revues, cercles ou soirées, les dialogues n’aient cessé aussitôt : marque de politesse générale sans doute, mais qui pour lui se précisait d’un signe particulier. Dans le silence l’accueillant, il y avait, avec le respect, l’oubli de tout ce qui n’était pas Verlaine. Si digne d’intérêt que fût l’objet de la conversation, cet objet passait immédiatement au deuxième plan, et tous se rapprochaient, sachant ou devinant qu’il ne pouvait plus y avoir de paroles importantes que celles dites autour de Verlaine, ou par lui, ou pour lui.

 

Ce sentiment est le principe-même, et la seule explication de la sympathie naturelle grandissant autour de l’auteur de Sagesse. Cette affection ne se comprenait guère alors, et encore maintenant, plusieurs proposent de la nier ; on a dit qu’elle était plus littéraire qu’humaine : cependant, des littérateurs plus grands que lui ne peuvent l’inspirer, qui ont, plus que lui et de beaucoup, des défenseurs littéraires, et tout un peuple parfois de lecteurs amis. On a prétendu que son existence pénible, d’indépendance absolue, que son abord, auquel des légendes imposaient une autorité isolatrice, éloignaient les véritables amitiés : celles qui savent ou peuvent tout subir, et dont l’indulgence grandit avec la certitude d’apaiser un cœur où grandit aussi la souffrance ; que les hommages venus des provinces et de l’étranger furent adressés au rénovateur et non à l’homme, et qu’il n’eut que la curiosité cordiale des gens du peuple. Mais ceux qui l’ont vu et qui ont noté le sentiment assez fort pour faire cesser, dès qu’il apparaissait, toutes préoccupations qui n’étaient pas les siennes, savent bien qu’il y avait en lui autre chose qu’un littérateur, et que si Verlaine eut du génie, ce ne fut pas comme poète ni prosateur.

 

S’il recueillait aussi complètement la suprême discipline des silences, et dans les cercles les moins silencieux, c’est que chacun pressentait en lui l’unique refuge où toutes querelles, où toutes discussions pouvaient se confondre, s’anéantir ; c’est que, plus que tout autre, il savait oublier les opinions trop intransigeantes, les termes de métier qui soulèvent des passions ; – un mot de lui, un sourire furtif, un léger clin d’œil, le plus petit mouvement ironique, suffisait à calmer les effervescences. Puis, s’il parlait, ce n’étaient que paroles de vie : des noms d’objets ou d’idées usuels, des phrases courtes, vivement accrochées l’une à l’autre, suspendues et reprises au hasard d’un mot entendu, mais toujours suivant une logique : le simple et brave retour aux menus faits de l’existence, aux banalités quotidiennes. Il ne soutint peut-être jamais, ailleurs qu’en ses livres (si peu même), un principe littéraire. Très dissemblable en cela de la majorité des littérateurs, il pouvait donc faire oublier qu’il en était un, et obtenir ainsi des sympathies strictement humaines.

 

Sa réforme poétique lui a suscité des adversaires, dont le talent est assez connu pour que leurs objections, leurs condamnations parfois, pèsent lourdement sur l’œuvre du poète et la relèguent, comme on l’a dit, au second rang. Mais l’homme tolérant, l’homme quotidien qu’il était, n’a rencontré que des amis. Et depuis sa mort, il est, semble-t-il, quelqu’un de familier, tel un esprit veillant autour de nous, à qui l’on ose avouer ses rêves les plus audacieux, comme ses plus obscures faiblesses : on croirait que son regard est encore là, et son sourire, tous deux indulgents sur toutes choses.

 

Or, la sympathie non littéraire, mais humaine, c’est cela. C’est de se sentir paisible, consolé, sauvé, parce que tel être est là qui vous comprend. Et il n’est pas besoin d’avoir connu Verlaine pour ressentir cette bonne confiance : il n’est aucun de nous qui ne soit disposé, sans s’expliquer d’ailleurs ce mystère, à lui parler familièrement, s’il était là. – Cet usage de la parole, dégagé de toutes contraintes, même les plus légères, n’est-il pas la plus grande satisfaction que nous désirons, et qui nous est rarement donnée ? Et quelqu’un existe-t-il, en qui une telle satisfaction n’engendre pas, envers celui qui la procure, la reconnaissance spontanée : premier signe de l’amitié.

 

 

Au chapitre de l’amitié, deux noms surtout viennent à la mémoire : Edmond Lepelletier, F. A. Cazals.

 

Lepelletier, c’est celui des belles journées d’audace et de foi. Alors, la vingtième année bouillonne de tous les enthousiasmes. Entre eux, rien du jeune sceptique dont la fidélité cesse au premier coude de la route ; guêtrés et sanglés pour un long voyage, qu’ils crurent même infini, ils partagèrent joies et fatigues, luttes et triomphes. Puis, les tourmentes de la fin du second Empire, comme pour tant d’autres, aidèrent la séparation ; les études du collège furent interrompues ; des soucis et des violences les atteignirent : Verlaine connut la tristesse des premiers ouvrages dédaignés ou raillés, Lepelletier passa un mois à la prison politique de Sainte-Pélagie. Pendant la Guerre, Verlaine garda les remparts, tandis que Lepelletier, âgé de vingt-six ans, faisait le coup de feu, dans les batailles de la banlieue, convulsions de l’héroïque résistance de Paris. Enfin, la littérature prit l’un ; l’autre, le journalisme. Mais le souvenir restait fidèle. La mort même n’a pu les séparer : au lendemain des funérailles, Lepelletier, défendant le poète[37], croit le voir, l’entendre : « Je sais que s’il était encore là, vivant, frémissant, entendant mes paroles, lisant cet article, à la pensée de son père, le probe officier, de sa mère, vertueuse bourgeoise, il me dirait : « Merci, tu m’as loué comme il me plaît de l’être ! » Et Lepelletier lui crie ce douloureux adieu : « Mon pauvre cher camarade, martyr du cœur et vaincu de la vie, tu as payé bien cher la gloire, et ton exemple est fait pour désespérer ! »

 

Quelques semaines plus tard, ne pouvant, malgré les incidents bruyants de l’actualité, oublier celui qui n’était plus, et voulant interrompre les récits douteux que l’on faisait sur l’époque des prisons de Verlaine, Lepelletier fouille leur passé[38], retrouve des correspondances ; n’est-ce pas la meilleure réponse aux fausses légendes, que de publier, vingt ans après, ces pages intimes, franches, bonnes ? « La lettre ci-dessous, écrit le chroniqueur, porte le cachet bleu, à l’encre grasse, de la maison de Sûreté de Bruxelles, les Petits Carmes ; les autres, le timbre de la prison de Mons (Hainaut) :

 

« Bruxelles, dimanche, 28 septembre 1873.

 

« Mon cher ami, dès que cette lettre te parviendra, veuille me répondre poste par poste. Tu comprendras combien j’y tiens. Depuis trois semaines, je n’ai plus de visites, ma mère étant partie, et j’ai reçu seulement une lettre d’elle depuis ce temps. Dans l’état de tristesse et d’anxiété où je la sais, seule comme elle est, et avec le caractère inquiet qu’elle a, le moindre retard dans une lettre me rend inquiet à mon tour. Je me forge mille idées noires qui augmentent encore le chagrin de ma déplorable situation.

 

« Parle-moi un peu de Paris, des camarades, et si tu as des nouvelles de la rue Nicolet[39]. Des journaux de Paris auraient-ils par hasard parlé de cette malheureuse affaire ? « Victor Hugo est-il à Paris ? Veuille m’envoyer son adresse[40].

 

« Je ne sais quand je dois sortir d’ici. Ça peut être d’un moment à l’autre. C’est pourquoi écris-moi bien vite…

 

« Je prie Laure[41] d’aller le plus souvent possible voir ma mère, et je la remercie de l’intérêt qu’elle prend à sa situation et à la mienne.

 

« Mon ennui, surtout depuis une quinzaine, est atroce, et ma santé n’est pas fameuse. J’ai parfois des maux de tête épouvantables, et je suis plus nerveux que jamais. Ne dis rien de cela à ma mère, je t’en prie, et si tu la vois avant que je lui aie écrit, dis-lui que tu as reçu de mes nouvelles et que ma santé est bonne.

 

« Amitiés à Blémont et Valade. Je te serre la main cordialement.

 

« PAUL VERLAINE. »

 

« J’ai cité cette lettre parce qu’elle montre bien les sentiments de résignation du détenu, et surtout parce qu’elle témoigne de son profond amour pour sa mère (sentiment qui fut contesté). Voici une autre lettre de la prison des Carmes, même époque :

 

« Dimanche,

 

« … Je ne lui garde (à sa femme) aucune amertume. Dieu m’est témoin qu’encore aujourd’hui[42] je lui pardonnerais tout et lui ferais une vie heureuse.

 

« Je dois, me semble-t-il, s’ils ont l’indignité de persister encore dans leur infâme action[43], résister jusqu’au bout, mais pour cela j’ai besoin d’être là. Obtiendrai-je un renvoi à un an ? Ma mère, d’ailleurs, te parlera.

 

« Ton vieux infortuné camarade et ami.

 

« P. V. »

 

« Transféré à Mons, il écrivait d’une écriture toute modifiée, penchante, descendante, signes graphologiques certains de l’accablement et de la dépression :

 

« Mons, 22 novembre 1873.

 

« Le courage qui m’avait soutenu tous les derniers temps à Bruxelles fait mine de m’abandonner, maintenant que j’en ai plus besoin que jamais. Il faut espérer que ce n’est qu’un moment à subir. J’espère une remise de peine. On est très bon pour moi et je suis aussi bien que possible. Mais ma pauvre tête est si vide, si retentissante encore, pour ainsi dire, de tous les chagrins et malheurs de ces derniers temps, que je n’ai pu encore acquérir cette espèce de somnolence qui me semble être l’ultimum solatium[44] du prisonnier.

 

« Aussi ai-je besoin qu’on se souvienne un peu de moi de l’autre côté du mur. Je compte donc bien fermement sur une prompte réponse. Fais tes lettres les plus pleines possible, écris lisiblement à cause du greffe. À bientôt donc, n’est-ce pas ? Je te serai plus reconnaissant que tu ne peux le penser de cette marque d’amitié.

 

« Ton dévoué,

 

« P. Verlaine. »

 

Six mois se passent : Lepelletier répond à certains griefs de Henry Fouquier[45] par ces renseignements précis[46] :

 

« Je n’ai pas besoin de dire que Verlaine adorait son fils et que ce fut un chagrin perpétuel, une hantise cruelle pour lui, le souvenir de cet enfant… Le poète a été violent pour son ex-femme dans les Invectives, dites-vous. Voici ce qu’il me disait, au moment même où il écrivait ces vers irrités, très malade, s’attendant à mourir : « Si la chose arrive, qu’on n’accuse que ma femme à qui je pardonne, en embrassant mon pauvre petit Georges, qu’on refuse à mon agonie. – P. V., 6, rue de la Harpe. »

 

Vous voyez le cas qu’il convient de faire de la sincérité méchante de ses invectives.

 

« Je ne relèverai pas l’allusion à un vice que Verlaine a formellement nié. On pourrait répondre que semblable imputation n’empêcha nullement Socrate d’avoir son buste dans des endroits plus respectables encore que la pépinière du Luxembourg, mais je répète que Verlaine a toujours protesté contre cette calomnie. Dans une lettre-testament, il m’a chargé de défendre sa mémoire sur ce point spécial. »

 

Lepelletier, qui réapprit, après la Guerre, le nom de Verlaine aux Parnassiens, et qui défendit le poète après sa mort, a pris de plus un rôle actif dans le Comité du Monument, formé au mois de mai 1896, par F. A. Cazals[47].

 

Cazals fut l’ami des dernières années, des jours assombris qui hâtaient la fin de Verlaine. Il connut avec lui quelques heures lumineuses, mais il fut surtout celui qui dut consoler un cœur meurtri, apaiser un esprit en révolte et soutenir un corps affaibli. Son rôle fut de deuil, plus que d’espoir. Sans doute, ses croquis de Verlaine offrent souvent des détails fantasques ; mais sont-ils gais ? On sourit parfois, à leurs gestes amples, mais peu de temps, et ce qu’on en garde, c’est seulement le caractère qu’ils expriment.

 

L’œuvre de Cazals[48] « est absolument moderne ; comme peintre, dessinateur ou chansonnier, c’est dans la vie contemporaine qu’il prend ses modèles… Il y a dans son dessin une certaine naïveté qui me plaît infiniment ; chez lui elle est naturelle, de prime jet et non tentative d’imitation : un simple croquis, de dos, la figure absente, un chapeau mou, un foulard rouge, une canne à bec de corbin, et une jambe raide, projetant son ombre sur le sol, voilà Verlaine frappant, absolu, à jamais fixé dans la mémoire de ceux qui l’ont connu. »

 

Le portrait que de Colleville a fait de Cazals, « un ironiste de haute volée », semble de quelques années, car la mort de Verlaine a dissipé tous les signes extérieurs de cette ironie ; Rops a noté, par l’évocation d’une autre époque trois fois séculaire, le devoir nouveau échu à Cazals : dans une lettre du 9 février 1896, rappelant d’abord le choix de croquis publiés[49] :

 

« Il est regrettable pour tous, que ceux qui ont vécu dans l’intimité des Maîtres ne publient pas les documents qu’ils ont pu réunir dans cette communion de tous les jours, où chaque heure apporte son enseignement. Si des disciples zélés, comme Jean Aurifer, Antoine Lauterbach ou Dietrich, qui ont recueilli les propos de table de Martin Luther, eussent été plus nombreux, nous posséderions des documents précieux sur ceux qui nous ont précédés.

 

« FÉLICIEN ROPS. »

 

Cazals a fait connaître aussi des lettres[50] qui aident singulièrement à découvrir, sous l’apparence bruyante du poète, un homme, je n’ajouterai pas : davantage intéressant ; mais je remarque de plus en plus que le poète semble n’avoir été qu’un moyen : le geste employé par l’homme pour se manifester à nous. Comme le souci littéraire est loin ! dans ces pages familières datées d’Aix-les-Bains, où Verlaine faisait une cure. Il y est parlé de littérature, certes ; mais ce n’est que l’urgence d’un peu d’argent à gagner, quelques lignes çà et là, tandis qu’à peine arrivé à Aix, Verlaine apaisé s’écrie : « Je suis la brebis qui était perdue et qui est retrouvée ! » Des naïvetés du paysage le retiennent, des mots d’enfant naissent sous sa plume, comme une source de pure confiance ; il conte sa vie dans la ville thermale, par menus détails, regrette les absents, son fils, et dit en courtes phrases animées les gens et le décor qui l’avoisinent ; puis, il apprend la mort de Villiers de l’Isle-Adam : « Cette coïncidence dans la mort (ou tout comme, car au fond, je suis une façon de mort), après ces similitudes dans la vie, misère, insuccès, mêmes croyances, maladroitement mises en œuvre avec la même bonne volonté, ne peut manquer de te frapper et d’en frapper d’autres qui seront moins indulgents que toi envers ton pauvre vieux P. V… Certes, sa vie fut plus digne que la mienne, mais pas plus fière, au fond. J’ai fait plus d’efforts que lui et je fus – hélas ! je fus – un chrétien plus logique. Mes chutes sont dues à quoi ? Accuserai-je mon sang, mon éducation ?… »

 

Il doute, en vérité, de sa simplicité qui est la première qualité de la foi. Peut-il en douter ! N’est-il pas un croyant simple, celui qui écrit en sortant des Vêpres : « Ce que je goûte surtout dans ces prières d’après-midi, c’est le déroulement des psaumes de David, où toute la Vérité, toute la Morale, toute l’Adoration chantent dans toute la beauté d’un latin merveilleusement, non pas décadent, mais savamment et sincèrement barbare, au contraire. Et j’aime autant, sinon mieux, la psalmodie rudimentaire de nos églises rustiques, et surtout celle, si douce, si nette en même temps, des Moines, qui est presque une récitation, que les troublants, mais bien faux-bourdons des grandes églises de nos grands diocèses, Paris, Reims. J’en sors toujours, après ces tendres saluts au Sang réel, au vrai Pain, meilleur, oui, et résolu à la vertu. »

 

Cette façon de croire ne se rencontre généralement qu’au fond des campagnes, chez quelques vieux paysans fidèles aux traditions. Elle est le fond de son caractère spontané, de son esprit que rien ne fixe, hors la droiture d’une destinée autour de laquelle tous ses actes : gestes de révolte ou paroles de soumission, le ramènent quotidiennement, comme la flamme appelle le regard des enfants et l’aile des phalènes. Elle le domine et le guide. Cazals l’a reconnue ailleurs qu’à l’église, et l’a consignée en ces notes précises[51] :

 

« Cette naïveté, cette sincérité se retrouvent, avec quel charme ! dans ses Confessions. L’espèce d’enfant terrible que nous connûmes se rappelle, à quarante-six ans d’intervalle, les moindres incidents de sa prime enfance, et il se complaît à nous les raconter. Metz où il naquit, et la petite pension de la rue aux Ours, et la fenêtre du premier étage d’où il voyait passer les sous-lieutenants de l’École d’Application ; son père, capitaine du Génie, dont il dessine le portrait ; – puis, Montpellier, la procession religieuse formée par les jeunes gens de la ville, leurs robes monacales, aux cagoules percées de trois trous et rabattues sur le visage, pénitents qu’il prend pour des fantômes ; la bouillotte où l’eau, en ébullition, chante si agréablement,

 

« De la musique avant toute chose »

 

que l’envie lui prend d’y plonger la main droite : d’où brûlure affreuse ! Et le scorpion qu’il faillit avaler dans un verre d’eau sucrée ; et la sangsue oubliée, qui suce avidement l’enfant au berceau, durant que la bonne est endormie ; et cette fête de la Proclamation de la République, en 1848 : toilettes printanières, drapeaux flottant, sous-préfet et commissaire du gouvernement largement ceinturés de tricolore et qui haranguent les troupes de la garnison, défilé militaire au son des musiques exécutant la Marseillaise accompagnée à tue-tête par mille et mille voix gutturales ; tout cela écrit dans un style à la fois précieux et familier : ce sont là les tout premiers souvenirs de son enfance, accidentée, déjà !

 

« … En 1872, Verlaine se retirait chez sa tante, à Bouillon, ville frontière de Belgique, lieu de naissance de son père. Et voyez le jeu de la destinée ! Je tiens du poète lui-même ce détail : Conformément au second Traité de Paris (1815), Bouillon ayant été arraché à la France, le père de Verlaine ne voulant être ni Hollandais ni Belge, opta pour la France ; – comme le fit plus tard son fils, notre Paul Verlaine, quand Metz nous fut reprise, Metz qui lui inspira les si belles strophes qu’on va lire, et qu’il récitait parfois, farouche patriote, l’œil allumé, le poing crispé :

 

Ô Metz, mon berceau fatidique,

Metz, violée et plus pudique

Et plus pucelle que jamais !

Ô ville où riait mon enfance,

Ô mère auguste que j’aimais !

……………………………

Metz aux campagnes magnifiques,

Rivière aux ondes prolifiques,

Coteaux boisés, vignes de feu,

Cathédrale tout en volute,

Où le vent chante sur la flûte,

Et qui lui répond par la Mute[52],

Cette grosse voix du bon Dieu.

 

Mute, joins à la générale

Ton tocsin, rumeur sépulcrale :

Prophétise à ces lourds bandits

Leur déroute absolue, entière,

Bien au-delà de la frontière,

Que suivra la volée altière

Des Te Deum enfin redits ! »

 

Au contraire de Lepelletier et Cazals, dont l’affection, sous le poète, a découvert l’homme, Charles Morice a préféré le poète. Non qu’il n’ait tout deviné, tout compris : mais étant avant tout écrivain, il a, par une opération littéraire tournant la vérité, fait servir l’humanité de Verlaine à grandir sa poésie, alors que Verlaine, par sa seule vie, s’est toujours montré utilisant son art poétique pour affirmer son être humain. – Tel, un talent secondaire d’orateur sert parfois de moyen d’action publique à quelque homme d’État secrètement puissant. – Les livres de Verlaine sont les faits et gestes qu’il faut traduire pour le connaître : ils ne sont que le levier, le point d’appui, et peut-être la main, mais non pas la volonté. Il suffit donc, pour savoir Verlaine, de découvrir cette volonté, qui seule importe pour juger l’homme. Or, c’est la résistance, l’objet que soulève le levier, qui désigne spontanément, infailliblement, L’OUVRIER. Quel objet fut donc le but des vrais efforts de Verlaine ? c’est à dire ; la connaissance de ce but, par la plus élémentaire réflexion, ne nous révèlera-t-elle pas sa volonté, qui est tout l’homme ?

 

Écoutons d’abord Morice[53] :

 

« Quand je revois dans ma mémoire Verlaine tel qu’il m’a été donné de le voir, à des époques différentes, je me persuade que plus que de nulle autre l’aspect physique de cette singulière figure, si laide et si belle, si violente et si douce, n’est certes point inutile à la compréhension de son génie. »

 

Ainsi, ce visage n’éveille en lui aucun sentiment ; mais il y découvre volontiers le sceau du génie. Chez Lepelletier, Cazals, ce sont des mots de vie, des joies partagées, des adieux douloureux, de l’affection ; Morice ne voit l’homme que sous un angle littéraire, et il rappelle, dans sa conférence, le portrait qu’en ce sens il fit autrefois[54] :

 

« Le front, très haut, très large, domine comme un dôme tout le visage assis carrément sur de puissantes mâchoires ; – un front de cénobite rêveur, un front façonné aux amples théologies, – des mâchoires de barbare, faites pour assouvir les plus voraces faims. Cet antagonisme déclaré de l’esprit et de la chair, normale caractéristique humaine qui se rehausse en Verlaine par l’effrayant degré de l’écart, c’est l’explication de toute sa vie, comme c’est la source de toute son œuvre… C’est une bataille abandonnée aux hasards des batailles par la volonté débile, car le menton est faible et bref, presque fuyant, sans guère de prise pour le dessin, tandis que le nez, court et large, téméraire et gourmand, reste indifférent, attendant du caprice ou de la nécessité le choix d’une direction. Les yeux, profonds, petits, effilés à la chinoise vers les tempes, clignotent parfois et pâlissent pour, soudain, luire d’un éclair noir, émané peut-être des clartés du plus pur mysticisme, peut-être du feu des plus sensuelles amours… Cette sorte d’unité double de Verlaine – car il est tout entier dans sa raison comme il est tout entier dans son instinct – se déduirait des deux ressemblances qu’il évoque : Socrate et Bismarck. »

 

Socrate, Bismarck. – On avait d’abord dit Villon, Musset. Morice lui-même l’a déjà, longuement, comparé à Lamartine. Fouquier, pour L’Ode à Metz, a rappelé J.-B. Rousseau, et pour Invectives, Archiloque. Ch. Gidel l’a repoussé vers Shelley. Verlaine, lui, s’est mis fraternellement près de Villiers de l’Isle-Adam. Un plébiscite l’a élu, pour tenir le rang de Leconte de Lisle. Il fut à l’hôpital comme Gilbert et Hégésippe Moreau, et n’y mourut pas, comme d’autres. Il a ajouté un chapitre, l’Art poétique, à la belle œuvre de Boileau ; fut parfois naïf comme La Fontaine, rieur comme Rabelais, morose comme Baudelaire, formiste comme Théodore de Banville, et ses vers patriotiques vont à Déroulède. Rops a évoqué Luther ; Lepelletier, Racine. De plus, voici trois jours, j’ai entendu quelqu’un, un vieil homme du siècle, devant un petit portrait de Verlaine, parler de J.-J. Rousseau, et j’ai lu dans Fernand Hauser : « Paul Verlaine et Victor Hugo, dans l’histoire littéraire de France, occuperont une place d’honneur. »

 

C’est beaucoup d’hommes, et quels hommes ! en un seul. Fut-il un de ceux-là, ou fut-il tous ceux-là mis ensemble ? Les contenait-il tous ? ou ceux qui l’ont ainsi comparé à ces puissants esprits n’ont-ils pas fait erreur ?

 

Est-ce là qu’il faut voir le bal de Verlaine, c’est-à-dire sa volonté, et par conséquent l’homme réel qu’il a été ?

 

Socrate, Bismarck : – cette hardiesse de Morice est grande, il semble difficile de suivre le critique jusque-là ; ces deux noms frappent d’éblouissement, et il faut, avant d’y resonger, revenir sagement à quelque appréciation plus abordable, plus près de nous.

 

Donnons même la parole à un détracteur forcené[55] : Verlaine « est un effrayant dégénéré au crâne asymétrique et au visage mongoloïde, un vagabond impulsif, un rêveur émotif, débile d’esprit, un mystique dont la conscience fumeuse est parcourue de représentations de Dieu et des Saints, et un radoteur dont le langage incohérent, les expressions sans signification et les images bizarres révèlent l’absence de toute idée nette dans l’esprit. »

 

Ce cri de haine a été noblement rectifié par quelqu’un[56] qui d’ailleurs est sévère habituellement pour Verlaine : « Sans doute Verlaine est un malade… mais la religion pose un rayon de clarté dans cette âme et de beauté dans son œuvre. Cette meilleure part de lui-même, cette chapelle offusquée par des masures mal famées, il faut la dégager de ses entours pour la sauver de l’oubli. »

 

Un fait rompt l’impartialité de ces deux jugements : c’est que leurs auteurs se sont enfermés d’avance dans les bornes resserrées d’une cause spéciale à défendre. Ce qu’ils disent ne peut être l’appréciation simple, vraie, juste, que nous cherchons. C’est Charles Fuinel qui la donne[57] :

 

« Verlaine, né dans une époque de décadence, survivant aux plus affreux désastres qui puissent frapper la tête et le cœur d’un peuple, a résisté à la double faillite de la foi et de la poésie ; et quand, vingt-cinq ans après, on vit renaître ces deux fleurs dans l’âme des générations nouvelles, on trouva au pied du sanctuaire, une petite fleur qui avait traversé tous les hivers, une pauvre petite anémone, moins haute et moins imposante de tige que ne fut le beau lys que Lamartine fit fleurir vers 1820, mais ayant conservé dans son imperceptible parfum, dans ses brillantes et fragiles couleurs, que la fable fait naître du mélange du sang d’Adonis et des larmes de Vénus, un peu de l’arôme mystique que la fleur de la Vierge répandait autour de l’autel.

 

« Tel fut en quelques mots Paul Verlaine.

 

« Que nous importe son histoire ? c’est la terre commune de l’humanité ; que nous importe son œuvre, calculée par le nombre de ses volumes, la richesse, la variété et la nouveauté de sa prosodie ? c’est la base de tous les penseurs, c’est l’art dont se servent tous les poètes ; mais plus haut, ce qui est bien à lui, c’est sa foi retrouvée.

 

« Ce qu’il importe de savoir d’un homme, c’est jusqu’à quel point il s’est élevé ; OR, VERLAINE S’EST ÉLEVÉ JUSQU’À DIEU PAR LA PRIÈRE.

 

« Les contempteurs passeront, les détracteurs de l’homme aux prises avec les difficultés de la vie comprendront tout ce qu’il a souffert ; mais ceux qui goûtèrent le charme si pénétrant de sa poésie en conserveront dans le cœur l’ineffable sérénité, et s’étonneront qu’une si grande place tenue en leur âme, soit si petite aux yeux des hommes.

 

« Verlaine a souffert tout ce qu’homme peut souffrir dans la perpétuité de cette enfance du cœur qui est le charme de la vie ; il a expié devant Dieu, il a pardonné à ses ennemis et à tous ses bourreaux inconscients, il a demandé lui-même pardon de ce qu’il vivait hors des lois et des préjugés communs ; pourquoi chercher dans cette existence si tourmentée le venin du mal, au lieu de le couvrir et de ne laisser apparaître que la semence du bien dont toutes les âmes ont recueilli la fleur ? C’est sur le fumier de toutes les corruptions humaines que les plus belles fleurs s’élèvent soudain triomphantes, d’autant plus haut que leurs racines descendent plus bas dans la fange, et présentent leurs fraîches corolles aériennes aux baisers de l’aurore.

 

« La grande pléiade Lamartinienne de ce siècle inscrira parmi ses poètes de choix, le poète des intimes douleurs et des sublimes relèvements, le poète en qui toute une fin de siècles[58] trouve sa rédemption, Paul Verlaine.

 

« D’autres diront sa vie cachée, les curiosités et les originalités de cette existence bizarre, les anecdotes sans fin dont toute une jeunesse, qu’il frappa par son étrange personnalité, garde le souvenir ; pour nous, c’est le grand jour de sa mémoire que nous voulons recueillir et conserver pieusement. La poésie luit pour tous ; l’histoire a des détours où il est dangereux de s’aventurer, quand on n’a pas les éléments nécessaires à ces sortes d’enquêtes, et quand une main sûre et impartiale n’est pas là pour vous guider. Verlaine trouvera certainement un jour son biographe. Il risquerait de ne rencontrer aujourd’hui que des amis et des ennemis. »

 

Il m’est pénible d’arrêter ici mon étude. Mais je me heurte à deux sentiments contraires qui détruiraient l’équilibre de ce petit recueil. – L’un, prend naissance tout à coup dans ce vieux fonds d’attendrissement que chacun porte en soi : je ne sais quelle émotion subite me rapproche de Verlaine ; ses chutes, ses souffrances, son sacrifice, veulent plus que le pardon, plus que l’indulgence, plus que la justice ; ils imposent l’amitié : je dois donc cesser ce travail, où désormais entrerait une part de passion. – L’autre sentiment est un corollaire du précédent : la gêne de prendre ici parti pour Verlaine me rappelle rudement à mon devoir de témoignage, si rudement que je pourrais, voulant éviter le panégyrique, aller jusqu’au blâme volontaire, injuste, inhospitalier, du pécheur que fut Verlaine. – Mieux vaut, en cette alternative, conclure par les paroles d’un autre. Le 20 décembre dernier, j’entendis ces vers, qu’on va lire, de Madeleine Lépine. Il sied d’en accepter le vœu, sauvegarde d’une impartialité que j’allais perdre.

 

CLAMAVI AD TE[59]

 

À Paul Verlaine.

 

Que la Paix soit sur toi ! Que ton âme repose

En ce calme séjour qu’espèrent les vivants.

Si quelque noir démon à ton bonheur s’oppose,

S’il déchaîne sur toi les foudres et les vents ;

 

Si, te serrant joyeux sur sa poitrine ardente,

Il t’emporte éperdu dans l’affreux tourbillon

De ces infortunés que l’œil triste du Dante

Vit courir dans la nuit en épais bataillon :

 

Puisse un ange au front blanc, celui qui fut ton frère,

Celui qui t’inspira les cantiques d’amour

Où, demandant au Ciel pitié pour ta misère,

Tu le faisais chanter sur ton humble retour ;

 

Puisse un esprit de grâce et de miséricorde

Rappeler au Sauveur, crucifié pour toi,

Tes pleurs, ton repentir, afin que Dieu t’accorde

Cette félicité dont fut digne ta foi.

 

NOTES

Paul Verlaine a écrit, dans sa préface de Sagesse : « L’auteur de ce livre n’a pas toujours pensé comme aujourd’hui. Il a longtemps erré dans la corruption contemporaine, y prenant sa part de faute et d’ignorance. Des chagrins très mérités l’ont depuis averti, et Dieu lui a fait la grâce de comprendre l’avertissement. Il s’est prosterné devant l’autel trop longtemps méconnu, il adore la Toute-Bonté et la Toute-Puissance. »

 

Cette profession de foi, testament de cet esprit religieux, est aussi son rachat, et Rémy de Gourmont ajoute[60] : « Nulle confession publique ne peut scandaliser un homme, car tous les hommes sont pareils et pareillement tentés. »

 

Son œuvre, comme ses actes publics, repose sur la même spontanéité[61] : « Le pauvre Lélian, qui demeurera éternellement le Poète du cœur, ne fut point un artiste littéraire. Il fit des vers comme le poirier des poires, ce mot impérissable est d’Émile Zola. Les livres en prose où il narre ses aventures constituent une illustration de ses poèmes. Les Confessions, les Mémoires d’un veuf, Mes Prisons, restent de précieux documents sur les événements d’âme d’où naquirent tour à tour les Poèmes saturniens, la Bonne Chanson, Sagesse. »

 

Au théâtre, même simplicité. Verlaine a répondu, sur ce point, à un rédacteur des Débats qui l’interviewait sur Madame Aubin, représentée aux Soirées-Procope[62] : « Il y a dix ans que j’ai fait ce petit drame, comme j’eusse fait un sonnet, pour m’amuser, sans ambition aucune ; en le faisant représenter, j’ai cédé seulement aux instances de mes jeunes amis Trimouillat, Privas, etc., les poètes-chansonniers du Quartier Latin. »

 

Sans doute il y avait en Verlaine de quoi contenter tout le monde, et P. Berrichon s’obstine à ses cris de révolte[63] : « Verlaine aura parcouru son temps et traversé notre société en révolté. C’est de 1871 que, vraiment, Paul Verlaine date ; d’aussitôt après la Commune, dont on sait qu’il fut, en qualité de chef de bureau de la Presse. »

 

Au chapitre de l’amitié, voici un doute[64] : « Dans les heures tristes, tous l’avaient délaissé, sauf les flaireurs » – et voici une affirmation[65] : « Le cercueil de Paul Verlaine s’en est allé au cimetière sans escorte officielle, sans dragons, sans cuirassiers, sans généraux, avec le seul accompagnement de ses amis affligés. »

 

Sur Verlaine socratique[66] : « Physiquement, il ressemblait à Socrate, et il eut avec ce grand homme plus d’un rapport. Sa principale étude, par exemple, était de se connaître ; aussi Verlaine nous a-t-il laissé mille expressions sincères de ses divers états d’âme. Tel que Socrate encore, et parce qu’il avouait ingénument ses faiblesses, il fut accusé de tous les vices, et si ses envieux ne lui imposèrent pas la ciguë, du moins ils le réduisirent jusqu’à l’inéluctable fin et à la pire misère. »

 

En février 1896, eut lieu, à la Maison d’Art de Bruxelles, une conférence triple sur Verlaine[67], par Edmond Picard, Verhaeren, et H. Carton de Wiart. – M. E. Picard « a montré, dans le poète, le sensitif subissant l’influence du milieu, même si ce milieu (le Parnasse) l’oblige à l’impassibilité… À travers sa misère, il est une sorte de Nabi de l’art, un prophète individuel, inspiré par toutes les impressions du dehors et celles, plus profondes, du dedans. » – M. Verhaeren a établi « le rapport entre l’art de Verlaine et la musique ; entre celui des Parnassiens et la peinture, la sculpture. La terrible question du vers libre a été abordée nettement et franchement. La musicalité, le rythme, ne peuvent-ils suffire puisqu’ils ont toujours été l’essentiel ? » – M. H. Carton de Wiart a parlé de Sagesse, de Verlaine poète chrétien, rappelant que « ces chefs-d’œuvre religieux furent mal accueillis par la masse dévote : Verlaine manquait de tenue morale ! Cependant, pour Rubens, les tableaux qu’on dut brûler après sa mort n’ont pas fait proscrire ses peintures religieuses. »

 

Sur Verlaine à l’hôpital[68] : « Lui-même a plaisamment narré ses villégiatures et ses longues haltes dans les hôpitaux de Paris. Entouré d’amis, de disciples, de peintres ou de sculpteurs jaloux d’éterniser son visage, il goûta dans ces tristes châteaux de la maladie, un loisir fécond en chefs-d’œuvre. C’était vraiment la maison de campagne, le cottage réparateur où, suspendant pour quelques mois son exécrable hygiène, le maître reprenait possession entière de ses forces et de sa volonté : »

 

Achille Rouquet (Revue méridionale, Carcassonne, mars-avril 1896), Paul Meissonnier (l’Ardèche littéraire, Aubenas, 15 février 1896), Henri Degron (la Plume, 15 novembre 1896), disent l’émotion qui se manifesta à la disparition de Verlaine, la pléiade d’artistes et de lettrés qui suivit son cercueil, et l’impression qu’eut l’assistance, au cimetière : « l’Immortalité déjà s’était emparée de son âme ! »

 

Un an plus tard, c’est la messe-anniversaire dite à l’église Sainte-Clotilde[69] : « Or, tous étaient là, ce matin. Tous étaient là groupés autour de lui, courbés pendant l’Élévation. Après avoir battu bien des rivages, ils revenaient, les réfractaires, se ranger sous son égide sainte, comme autrefois ; ils étaient là, de force, même ceux qui pour une cause quelconque ne vinrent pas, et leur absence les rendait plus visibles… Et certainement, plus près de Lui, chœur angélique, les Laforgue, les Mikhaël, les Dubus, les Albert Aurier, morts avant l’épanouissement… et Louis Le Cardonnel qui n’a pas dit cette messe… Ô Maître, tous les ans, ton âme veut nous réunir ; elle descendra, tous les ans, parmi nous, comme l’Esprit Saint, pour réconforter les faibles, pour élire de nouveaux servants ou chasser les apostats ; et en nos jours de doute et de décrépitude, où toute foi s’éteint, où tout périclite, où il est si difficile de s’orienter, ton image sera pour nous l’Étoile directrice, le Phare sur la mer démontée. »

 

Dans un fascicule spécial consacré au poète[70], Stéphane Mallarmé, en quelques lignes, enferme l’œuvre et la montre toute condensée en un seul ouvrage : « Tout, de loin ou de près, ce qui s’affilie à SAGESSE, en dépend et pourrait y retourner, pour grossir l’unique livre : là, en un instant principal, ayant écho par tout Verlaine, le doigt a été mis sur la touche inouïe qui résonne solitairement, séculairement. »

 

Dans une lettre à Cazals, J.-K. Huysmans a évoqué de lointains souvenirs[71] : « Verlaine était depuis peu rentré en France. Un ami commun, le bon Robert Caze, nous avait réunis dans son logement de la rue Rodier. Bien peu d’écrivains connaissaient alors Sagesse, qui avait été si soigneusement enfouie dans le placard d’une librairie catholique. Ce fut, je crois bien, pour son auteur, un peu de légitime joie, lorsqu’il nous entendit, tous les deux, lui en parler avec une admiration qu’il sentait n’être point feinte, et il se débrida, sortit tout cet affectueux côté d’enfant et de brave homme qui était en lui. – Après le dîner, nous l’amenâmes à Villiers de l’Isle-Adam qu’il n’avait pas, depuis des années, revu… Et je revois Verlaine, dans cette pose que vous avez si bien rendue, regardant de ses petits yeux qui se recueillent, l’ébullition de son ami, secouant d’un coup de tête, la mèche de ses cheveux, se reculant comme pour prendre du champ, puis levant les bras en l’air en inclinant tout son buste sur la table qui les sépare. »

 

Ernest Delahaye, qui connaissait le poète depuis vingt-cinq ans[72], écrit que « Verlaine n’a été fait vraiment bien que par Cazals… Cazals a évoqué le Saturnien, le prédestiné aux drames et aux déchirantes tristesses, qui s’était décrit, et prédit :

 

Les sanglots longs

Des violons

De l’automne

Blessent mon cœur

D’une langueur

Monotone.

 

Et je m’en vais

Au vent mauvais

Qui m’emporte,

De ci, de là,

Pareil à la

Feuille morte. »

 

Dans les Opinions de la Presse qui complètent cet album de Cazals, quelques mots d’Anatole France, fragment d’un article du Temps (15 novembre 1891), rappellent quatre vers de Verlaine, où gît toute sa simplicité humaine :

 

« La misère et le mauvais œil, –

Soit dit sans le calomnier, –

Ont fait à ce monstre d’orgueil

Une âme de vieux prisonnier. »

 

BIOGRAPHIE

I

La famille de Paul Verlaine est originaire des Ardennes, vers les plateaux avoisinant la Semoys, près de Bouillon, dans le Luxembourg belge. Ses ancêtres ont habité les villages de Bras, Arville, Jehonville, Bertrix, où plusieurs ont appartenu à l’Église et à l’Armée, et c’est à Bertrix, dans l’ex-département des Forêts (Belgique), que naquit son père, Auguste Verlaine, de Henry-Joseph Verlaine et Anne-Louise-Augustine Grandjean, qui eurent aussi deux filles.

 

Nicolas-Auguste Verlaine, né à Bertrix le 24 mars 1798, s’engagea en 1814. Il opta pour la France après le deuxième traité de Paris (1815), qui nous avait pris Bouillon et autres villes. Ayant conquis ses grades un à un, il était, en 1831, année de son mariage avec Julie Déhée, lieutenant au 1er régiment du génie, en garnison à Arras.

 

Élisa-Stéphanie-Julie-Josèphe Déhée était née à Fampoux, en Artois, le 23 mars 1809, de Julien Déhée, fermier, et Madeleine Soualle.

 

Le 15 décembre 1831, à Arras, fut enregistré le mariage du lieutenant Auguste Verlaine, chevalier de la Légion d’honneur (1830), de l’ordre de Saint-Ferdinand d’Espagne, et médaillé de Sainte-Hélène (inscription 11439 de la Grande Chancellerie), avec Julie Déhée.

 

Auguste Verlaine, qui fut depuis capitaine au 3°, puis au régiment du génie, quitta la ville d’Arras et vint avec sa femme habiter Metz, en face de l’École d’application du génie et de l’artillerie.

 

Paul-Marie Verlaine est né à Metz, rue Haute-Pierre, n° 2, le 30 mars 1844.

 

C’est dans cette ville, où il épela ses lettres à une petite pension de la rue aux Ours, qu’il passa ses premières années ; on le conduisit quelquefois dans le pays de sa mère. Puis son père dut rejoindre son régiment à Montpellier, et l’enfant assista là-bas, en plein midi, au réveil des passions populaires, en 1848, qui lui ont laissé de vifs souvenirs.

 

Cette même année, le capitaine Verlaine voulut quitter l’armée ; mais son colonel, Niel, depuis maréchal, joignit à la demande adressée au Ministère, une note par laquelle, faisant valoir les mérites de son officier, il priait qu’on insistât pour le faire rester : la réponse du Ministère, faite en ce sens, décida le capitaine à retarder sa retraite.

 

La famille retourna à Metz, et ce fut en 1851 que Auguste Verlaine se retira de l’armée. Il vint à Paris, avec sa femme et son fils ; leur appartement fut loué rue Nollet, dans le quartier des Batignolles.

 

À peu de distance, rue Chaptal, l’enfant fut placé dans la pension Landry, qui se chargeait de le conduire chaque jour au lycée. Mais le Coup d’État, puis une maladie, retardèrent ses études. Dès qu’il fut guéri, il suivit les cours du lycée Bonaparte, aujourd’hui Condorcet, où il eut pour condisciple Edmond de Bouhélier-Lepelletier, né à deux pas de là, rue Lécluse, en 1846.

 

Entre eux se forma une vive amitié, que le temps devait fortifier : depuis que Verlaine n’est plus, Lepelletier s’est fait un des plus actifs défenseurs de sa mémoire.

 

L’élève du lycée Bonaparte fut reçu bachelier ès-lettres, le 16 août 1862.

 

Vers cette époque, l’ex-capitaine Verlaine, qui avait mis toute sa fortune dans le Crédit mobilier, voulut, les actions baissant, opérer la conversion des siennes. La perte fut importante, il ne sauva que 250,000 francs. Les études de son fils étant terminées, il le fit entrer à la Compagnie d’assurances l’Aigle, puis, en 1864, à l’Hôtel-de-Ville, en qualité d’expéditionnaire.

 

L’année suivante, celle de la majorité de Paul Verlaine, et l’année 1866, furent particulièrement accompagnées de faits, les uns douloureux qui le meurtrirent, d’autres passionnés qui orientèrent sa sombre destinée. Son père mourut, le 30 décembre 1865. Sa mère, volée par un nommé Salard, trompée par des spéculateurs, perdit une nouvelle part du bien familial. Lui-même, saisi par l’esprit poétique et par l’instinct aventureux, fut moins assidu aux soins de son emploi. On le vit alors parmi les Parnassiens, près de Leconte de Lisle qui eut sur lui le plus d’influence, Sully-Prud’homme, Léon Dierx, Catulle Mendès, et François Coppée, qui se lia avec lui. À l’œuvre que ces poètes fondaient, il apporta son premier livre : Poèmes saturniens.

 

II

Les Poèmes saturniens, préface de toute l’œuvre, furent publiés, en 1866, en même temps que le Reliquaire, de François Coppée. Ils présageaient deux choses : Sagesse, qui fut le testament de l’écrivain, et l’attitude qui perdit l’homme.

 

Le bruit soulevé au tour du Parnasse couvrit les hardiesses de ce début ; ce ne fut que l’année suivante, par les Fêtes galantes, que Verlaine obtint quelque succès. Sainte-Beuve, Nestor Roqueplan s’intéressèrent à ces essais gracieux et raffinés, étrangement encadrés de mélancolie.

 

La nouveauté de cet art suscita à son auteur de vives critiques ; la satire même l’atteignit : en 1867, une caricature signée Péaron le montra galopant dans un décor macabre.

 

C’est encore en ce temps-là que grandit en lui le besoin d’indépendance, qui le conduisit en des milieux où le bon grain était pêle-mêle avec l’ivraie : ce fut l’ivraie qui obtint alors ses plus riches trésors d’indulgence. Un séjour à la campagne répara ces désordres ; retiré dans le nord de la France, il était, en septembre 1869, avec sa mère, chez un oncle, à Fampoux, près d’Arras.

 

En 1870, il revint à Paris, publier la Bonne Chanson.

 

Il y fut pris d’un grand amour pour Mlle Mathilde Mautet, sœur utérine du compositeur Charles de Sivry. Ce fut entre eux la plus charmante idylle. Le mariage fut fixé à mi-juin. Mais une maladie de Mlle Mautet, puis de sa mère, retarda la cérémonie. Elle eut lieu à la fin du mois d’août, à la mairie de Montmartre, et à Notre-Dame-de-Clignancourt. C’était peu de jours avant le désastre de Sedan, et la guerre tenait éloignés amis et connaissances. Il n’y eut guère, avec la famille, que Léon Valade, Paul Foucher, beau-frère de Victor Hugo, Camille Pelletan, et Louise Michel.

 

Verlaine et sa jeune femme (elle avait seize ans) habitèrent d’abord la rue du Cardinal-Lemoine, derrière le Panthéon. Puis, de nouveaux désastres ayant amené l’appel des dernières classes sous les drapeaux, Verlaine, moins d’un mois après son mariage, inscrit au 160e bataillon de la Garde nationale, dut monter, un jour sur deux, la garde aux portes d’Issy, Vanves et Montrouge.

 

Pendant le siège de Paris, la mère de Verlaine les abrita, durant deux mois, chez elle, rue Lécluse, aux Batignolles. Sous la Commune, ils revinrent rue du Cardinal-Lemoine. Verlaine était alors directeur du Bureau de la Presse.

 

Un jour, à la fin du mois de mai 1871, le canon tonne dans les rues, Paris brûle, l’armée de Versailles écrase et refoule la Commune. Verlaine, pris d’inquiétude pour sa mère, veut la rejoindre ; mais on lui interdit le passage, aux barricades. Rentré chez lui, il voit sur son palier son ami Edmond Lepelletier, et Émile Richard, qui fut depuis président du Conseil municipal, tous deux noirs de poussière et de poudre ; il les recueille, les garde deux jours, puis les aide à s’évader.

 

Sa mère arrive ensuite ; elle a passé la nuit entière à franchir les barricades, pour rejoindre son fils. « Je suis femme de militaire, lui dit-elle, mais aujourd’hui, j’ai l’uniforme et les armes en horreur ! » Quelque temps après, Verlaine, compromis, dut se réfugier à Londres, où il apprit l’anglais. Il en revint par la Belgique, et rejoignit sa femme. Mais déjà la division était entre eux. Car il n’était pas toute douceur, et elle n’était pas toute patience. La naissance de leur fils Georges, vers la fin de 1871, ne put rétablir l’accord.

 

Il eût fallu qu’une amitié dévouée soutînt Verlaine, ou qu’une amitié passionnée ne le détournât pas du foyer. Les dévouements n’auraient pas manqué autour de lui ; il avait alors de bons et simples camarades, comme Ernest Delahaye. Mais la passion se présentait, avec Arthur Rimbaud : le mauvais destin de Verlaine lui fit choisir Rimbaud.

 

III

Au mois d’octobre 1871, Paul Verlaine, revenant du Pas-de-Calais, où il avait passé les vacances chez des parents de sa mère, reçut une lettre à laquelle étaient joints plusieurs poèmes dont l’étrangeté le surprit. Il les fit lire à Léon Valade, Charles Cros, Philippe Burty, puis, d’accord avec eux et avec la famille de sa femme, il écrivit à l’auteur des poèmes et de la lettre, Arthur Rimbaud, qu’il pouvait venir.

 

Verlaine voulut l’attendre à la gare du Nord, mais, ne l’y trouvant pas, il revint dans la maison de son beau-père, rue Nicolet, à Montmartre. À peine entré dans le salon, il aperçut Rimbaud, parlant avec Mlle Mautet et sa fille.

 

Pendant le dîner, Verlaine fut saisi de la taciturnité, de la froideur de l’adolescent ; quelque chose de glacial était en celui-ci, et quinze jours se passèrent sans qu’il perdît rien de cet aspect morose. Des excentricités qu’il commit décidèrent la famille Mautet à l’éloigner ; on pria quelques amis de le loger à leur tour. Mais la séparation ne put qu’augmenter la violence de l’attraction qu’il exerçait sur Verlaine.

 

Rimbaud, qui ne devait plus écrire après cette année, avait commencé par le vers libre, puis par une prose active et claire. Entre eux s’élevèrent d’ardentes discussions, durant qu’ils se promenaient ensemble dans les rues pittoresques de la butte Montmartre. Cette existence irrégulière accentua le désaccord entre Verlaine et sa femme. Dès 1872, Verlaine retourna en Angleterre, avec Rimbaud.

 

C’est de Londres que le poète, (Metz étant devenue allemande), opta pour la nationalité française.

 

Les deux amis y restèrent peu de temps, l’un, regagnant Charleville, sa ville natale ; l’autre, s’arrêtant à Paliseul, près de Bouillon, où vivait une sœur d’Auguste Verlaine.

 

Dans ce coin de terre plein des souvenirs paternels, le fils revint à d’autres sentiments. Il se promit de cesser tout désordre, et vécut très calme, quelques mois. Mais sa nature spontanée, encline à la prédilection pour tout être que le Malin possède : « le mauvais œil qu’il ne faut pas calomnier », le fit de nouveau rechercher Rimbaud. Ensemble ils gagnèrent Bruxelles. Là, subitement, en juillet 1873, Rimbaud déclara s’en aller pour ne plus revenir.

 

C’était faire éclater la foudre.

 

Depuis deux ans, Verlaine, tout d’audace, d’ingénuité, de passion avide de s’épandre, heurtait la froide impassibilité de Rimbaud, qui, d’ailleurs, n’étant pas destiné aux œuvres publiques, songeait à reprendre une vie régulière. Verlaine, de n’avoir pu entamer ce cœur de granit, ce cerveau réfractaire, voulait encore essayer : l’ardeur de convertir l’affolait. Quand il vit bien que l’aube s’en allait, ses yeux plongèrent en des ténèbres affreuses ; la peur de rester seul fit sombrer sa prudence ; l’écrivain, l’homme, moururent en cette minute de désespoir, ne laissant qu’un sectaire en fureur.

 

Il tira un coup de revolver, puis un autre.

 

Des deux obstinés : l’un, Rimbaud, fut blessé légèrement au poignet ; l’autre, Verlaine, fut condamné à deux ans de prison par le tribunal correctionnel du Brabant.

 

Enfermé aux Petits Carmes, prison de Bruxelles, Verlaine subit un long découragement. Les visites de sa mère, les lettres de Lepelletier, de quelques amis, vinrent le réconforter. Lorsqu’il fut transféré à Mons, un peu de sa foi poétique lui fut rendue ; il écrivit les Romances sans paroles, les envoya à Lepelletier, qui, se trouvant alors à Sens, où il dirigeait le Suffrage universel, employa les caractères du journal à imprimer ce nouveau recueil (1874).

 

C’est encore à Mons qu’il édifia Sagesse.

 

Mais l’art ne pouvait suffire à redresser l’homme ; la religion y suppléa. Après d’intimes entretiens avec l’aumônier de la prison, il se convertit, communia, le 15 août 1874, et fut libéré le 16 janvier 1875.

 

Rentré en France, l’esprit et le cœur vieillis, ayant en son regard cette lueur d’ironie à jamais incrédule devant les passions humaines, il ne voulut pas revoir ses amis. Sa vie était désorientée. Le divorce, prononcé entre lui et sa femme, qui se remaria, lui enleva sa dernière chance de salut. Retiré d’abord près de sa mère, à Coulommes, près d’Attigny, dans les Ardennes, il s’exila bientôt en Angleterre, où il fut professeur de français et de dessin, à Stickney (1875-1876) à Boston (1876), et à Bournemouth (1876-1877).

 

Vers septembre 1877, il reparut dans le département des Ardennes, fut professeur, en remplacement de son ami E. Delahaye, au collège de Rethel (1877-1879), où il enseigna l’histoire, la littérature et l’anglais, comme adjoint à M. Eugène Royer. C’est là, par de longues conversations avec l’abbé Dogny, qu’il fortifia le mysticisme dont allait se sanctifier Sagesse.

 

Il voulut, en 1879, faire un essai de culture, à Coulommes. Les paysans l’aimaient, bien qu’étonnés de ce fermier pour qui ses terres étaient surtout but à promenades et rêveries. Il achevait Sagesse. Quant à sa ferme, il dut la vendre, en 1881, et resta presque ruiné.

 

Il vint à Paris, définitivement, avec sa mère, et cette même année parut Sagesse, fruit de « six années d’austérité, de recueillement, de travail obscur. » À ce livre, les groupes d’artistes, de poètes, l’acclamèrent et l’entourèrent, sans redouter « ses mutismes soudains, ses sauvageries : car, dès qu’il peut surmonter inquiétudes et regrets, nul homme plus avenant, plus gai, plus obligeant que ce rude. Il parle beaucoup, dit tout, parfois brutalement. Il rit de grand cœur et sans fiel. »

 

Plusieurs crurent alors qu’il voulait imposer des formes décadentes ; mais ne devait-il pas dire, plus tard, en 1893 : « La poésie de demain sera calme, simple et grande, après l’orgie des rythmes et des raisonnements ; il faut que la poésie revienne à ses origines. Je vais à des vers simples, presque classiques. »

 

Déterminé à reprendre ses travaux littéraires, il revit des amis, Huysmans, Robert Caze, Villiers de l’Isle-Adam, se mit à des œuvres multiples, car il fut professeur encore à Boulogne-sur-Seine (1882), à Neuilly (1884), et publia les Poètes Maudits (1884), Jadis et Naguère (1885).

 

Un dernier deuil, le plus lourd peut-être, le frappe : celui de sa mère, veuve Auguste Verlaine, décédée, le 21 janvier 1886, en son domicile, 5, rue Moreau.

 

IV

De ce temps-là, commença pour Verlaine cette marche accidentée, bordée d’abîmes, fatiguée par des misères, et toujours au milieu d’une foule de jeunes littérateurs réfugiés vers lui, que tout le monde a connue.

 

En 1888, Charles Morice publia son étude : Paul Verlaine, et F.-A. Cazals commença la série de ses portraits du poète. En 1889, un dessin ayant pour titre : une soirée chez Paul Verlaine, et signé de lui, montre la cordialité de ses réceptions. Puis la maladie entame ce corps robuste : en août 1889, Cazals fait son portrait à l’hôpital Broussais ; vers la fin du même mois, et en septembre, Verlaine va faire une cure à Aix-les-Bains ; en janvier 1890, il est rentré à Broussais.

 

L’année suivante marqua un de ces triomphes spontanés que plusieurs fois lui offrit la jeunesse. La Plume donna son premier banquet le samedi 18 avril 1891, sous la présidence d’honneur de Paul Verlaine, qui connut ce soir la consolation d’une acclamation collective. Il y avait là : Charles Morice, Félicien Champsaur, Grenel-Dancourt, Jules de Marthold, Léon Deschamps, Paul Roinard, Ernest Raynaud, Édouard Dubus, A.-J. Boyer d’Agen, Hippolyte Buffenoir, Adolphe Retté, René Ponsard, Henry de Braisne, Alexandre Boutique, Henry Lapauze, Paul Hugonnet, Frédéric Bataille, Paul Fort, Léon Dequillebecq, Marcel Bailliot, Dauphin Meunier, F.-A. Cazals, Georges Nicolas, Eugène Lemercier, André Veidaux, Ernest Museux, Y. Rambosson, Robert Bernier, Pierre Trimouillat, Albert Girault, Georges Proteau, Dr Paul Blocq, Karl Boës, Gustave Tual, François Badran, René Le Clerc, Vidal de Kok, Charles Cain et Louis Miot.

 

Deux ans plus tard, une nouvelle et plus brillante manifestation eut lieu. Sur l’invitation suivante : « Le rédacteur en chef de la Plume a l’honneur de vous prier d’assister au 8e Banquet de la revue, qui aura lieu le jeudi 13 avril 1893, sous la présidence du poète Paul Verlaine, – de la part de MM. Aurélien Scholl, Émile Zola, François Coppée, Jules Claretie, Auguste Vacquerie, Leconte de Lisle, et Stéphane Mallarmé, vice-présidents » – une élite artistique et littéraire s’assembla autour de Verlaine. Voici leurs noms : Stéphane Mallarmé, John Grand-Carteret, O. de Gourcuff, Willy, Paul Masson, Marcel Bailliot, Paul Vérola, Léon Maillard, Louis Miot, F.-A. Cazals, Rivarde, Albert Tournaire, Emmanuel Signoret, Clément Billard, G. Robert, Arthur Bernède, Paul Balluriau, Edmond Charles, A. Benoit-Lévy, Ch. Valla, Eugène Classe, le Tallec, A. Simonis-Empis, Louis Dumur, Jean Carrère, Cornu, André Veidaux, F. Fau, Félix Charpentier. Victorien du Saussay, Birlé, Alfred Michau, Ed. Char, Gabriel Fabre, Faucher. G. Fleury, Léon Durocher, Alexandre Séon, Aristide Frémine, Charles Saunier, Lucien Taillis, H. Daras, André Ibels, Robert Daniel, Gustave Vautrey, Guillaume Boogaërts, Sophus Claussen, H. Durand-Tahier, Karl Boës, Robert Sherard, Jules Chevalier, Hugues Rebell, et René Tardivaux.

 

Cette année, plusieurs parlèrent de l’entrée prochaine de Paul Verlaine à l’Académie. Puis, des violences firent oublier les paisibles entretiens, les calmes ambitions : l’émeute du Quartier-Latin, en juin et juillet. Lui que d’autres soucis appelaient, alla faire une série de conférences littéraires à Nancy, en Angleterre, en Belgique, en Hollande. À son retour, gravement malade, il dut rentrer à Broussais, où il eut les soins du docteur Chauffard. Il se fatiguait de plus en plus.

 

Il eut cependant encore, en octobre 1894, deux satisfactions ; son acte en prose, Madame Aubin, fut représenté pour la première fois aux Soirées-Procope, – et le Congrès des Poètes l’acclama.

 

Georges Docquois ayant envoyé cette question : « Quel est, selon vous, celui qui, dans la gloire ainsi que dans le respect des jeunes, va remplacer Leconte de Lisle ? » reçut 189 opinions, très partagées, mais sur lesquelles 77 mentionnèrent Paul Verlaine. Ces 77 étaient de : Michel Abadie, George Auriol, Henry Béranger, Yves Berthou, Émile Blémont, Karl Boës, Jules Bois, Maurice Boukay, Henry de Braisne, Ant. Bunand, Jean Carrère, Félicien Champsaur, Paul Colmont, Romain Coolus, François Coulon, J.-L. Croze, Joseph Declareuil, Achille Delaroche, Emmanuel Delbousquet, Pierre Dévoluy, Charles Droulers, Georges Druilhet, Georges d’Esparbès, René Fernand, Georges Fourest, J. des Gachons, Raoul Gineste, Louis de Grammont, Charles Guérin, Fernand Hauser, Clovis Hugues, Tristan Klingsor, Marie Krysinska, Gabriel de Lautrec, Julien Leclercq, Charles Le Goffic, Marc Legrand, Paul Lheureux, Jean Lorrain, Félix Malterre, Roland de Marès, Jules de Marthold, Alfred Massebieau, Stuart Merrill, Dauphin Meunier, Léon Michaud-d’Humiac, Gabriel Montoya, Charles Morice, Alfred Mortier, Gabriel Mourey, Henri Ner, Alexis Noël, Franc Nohain, Abel Pelletier, Edmond Pilon, Alfred Poizat, Xavier Privas, Léon Quénéhen, Louis Raymond, Hugues Rebell, Paul Redonnel, Henri de Régnier, Adolphe Retté, M. de Rienzi, P. N. Roinard, Antoine Sabatier, Albert Saint-Paul, Emmanuel Signoret, Georges Suzanne, Adolphe Tabarant, Laurent Tailhade, Charles Ténib, Gustave Thévenet, Pierre Trimouillat, Eugène Turbert, Gabriel Vicaire, Franck Vincent.

 

Celui qui, après Verlaine, obtint le plus de mentions (José-Maria de Hérédia) n’en eut que 38. Venaient ensuite Stéphane Mallarmé, Sully Prud’homme et François Coppée.

 

Avant ce Congrès, Verlaine avait dû rentrer à l’hôpital, à Saint-Louis, où il était en juillet 1894, sortant de là, il vint encore une fois habiter, en septembre, le n° 4 de la rue de Vaugirard, cet Hôtel de Lisbonne qui fait désormais partie de l’histoire de Verlaine au Quartier-Latin ; c’est là, à vingt pas de l’Odéon, du Luxembourg, et du boulevard Saint-Michel, qu’un de ses amis, Raymond Maygrier, en 1886, l’amena pour la première fois ; il y fit plusieurs séjours, y tint ses intimes soirées, y reçut toute une jeunesse active, ses amis nouveaux : Gabriel Vicaire, Ary Renan, Rachilde, le comte de Villiers de l’Isle-Adam, Laurent Tailhade, Jean Moréas, Jules Tellier. Le patron de l’hôtel, M. Robert, était de Metz : encore un souvenir réfugié là. Cazals y fit plusieurs portraits, entre autres (dans la chambre n° 10) celui : « Verlaine au lit, écrivant » acheté par l’État en juillet 1896.

 

La dernière année, 1895, fut particulièrement sombre. Verlaine apparut plus isolé. Son pas ralenti n’était plus guère accompagné. La moyenne jeunesse, ayant trente ans, n’était plus jeune : l’âge mûr s’emparait d’elle, l’obligeant aux graves besognes, à des travaux individuels : l’éloignant, malgré elle, du Maître. Verlaine se résigna. Son œuvre était accomplie. Les élèves n’avaient plus besoin du professeur de vie. On ne le vit plus guère qu’aux Soirées-Procope, que venaient de fonder F.-A. Cazals, Jacquemin, Turbert, Trimouillat, Privas. Puis il dut garder la chambre, le lit. Les docteurs Chauffard et Parisot lui donnèrent leurs soins. Il écrivit ses derniers vers le 31 décembre 1895. Ils ont pour titre : Mort.

 

V

On était si bien habitué aux fréquentes rechutes de la maladie, qu’une grande surprise accueillit la lettre de faire-part : « Vous êtes prié d’assister aux Convoi, Service et Enterrement de Monsieur Paul Verlaine, poète, décédé le 8 janvier 1896, muni des Sacrements de l’Église, en son domicile, rue Descartes, n° 39, à l’âge de 51 ans, – qui se feront le vendredi 10 courant, à 10 heures très précises, en l’Église Saint-Étienne-du-Mont, sa paroisse. »

 

La veille de sa mort, il avait appelé Coppée, Mallarmé et Lepelletier.

 

Anciens amis, et jeunesse, tous accoururent. Chacun voulait voir une fois encore celui dont on avait tant parlé, et se souvenir de son image au dernier jour. Il reposait sur son lit couvert de fleurs, un crucifix sur sa poitrine. Cazals, le 9 janvier à midi, fit un dernier portrait du Maître à jamais muet ; on prit aussi le moulage de la tête. Des couronnes furent déposées à la maison mortuaire, par Edmond Lepelletier, le Mercure de France, la Lorraine-Artiste, The Senate, les Soirées-Procope, Gustave Kahn, la Revue encyclopédique, le Parnasse, la Plume, Léon Vanier, le comte de Montesquiou-Fezensac, l’Association générale des Étudiants. Et la presse, pendant trois jours, n’écrivit que de lui. L’Éclair du 10 janvier publia son portrait.

 

Le vendredi matin, à dix heures et demie, eut lieu la levée du corps. Le cortège était considérable. François Coppée, Stéphane Mallarmé, Edmond Lepelletier, Catulle Mendès, ceux qui, trente ans plus tôt, avaient fondé le Parnasse, entouraient le cercueil sur son char funèbre : l’humble corbillard de cinquième classe. Georges, le fils de Verlaine, était absent, malade, à l’hôpital militaire de Lille. M. Combes, ministre de l’Instruction publique, s’était fait représenter par M. Wels, son chef de cabinet. Charles de Sivry, Maurice Barrès, le comte de Montesquiou, Léon Vanier, F.-A. Cazals, venaient ensuite. Puis en rangs pressés : Henry Roujon, Sully-Prud’homme, José-Maria de Hérédia, Jules Lemaître, Jean Richepin, Henry Bauër, Raffaëlli, Jean Lahor, Armand Silvestre, Edmond Haraucourt, Maurice Bouchor, Roger Marx, René Maizeroy, Émile Blémont, Rachilde, Gustave Kahn, Ferdinand Hérold, Jean Moréas, Fernand Mazade, Jean Jullien, Eugène Carrière, Henri de Régnier, Francis Vielé-Griffin, Georges Rodenbach, Tardieu, Alexandre Boutique, Charles Maurras, Edmond Char, Paul Balluriau, Charles Frémine, Mme Segond-Weber, Chantalat, Henri Bouillon, Jacques des Gachons, Camille Mauclair, et une foule d’amis.

 

À l’église Saint-Étienne-du-Mont, l’abbé Chanes dit une messe basse, chantée par toute la maîtrise sous la direction de M. Gros, maître de chapelle. L’absoute fut donnée par l’abbé Lacèdre, et le grand orgue tenu par M. Théodore Dubois, organiste de la Madeleine, qui exécuta Pie Jesu, de Niedermeyer.

 

Le cortège ensuite gagna le cimetière des Batignolles, dont Verlaine avait dit, à l’époque où l’on voulut en retirer le corps de Villiers de l’Isle-Adam : « J’ai dans ce cimetière mon tombeau de famille, où dorment déjà mon père et ma mère : j’y ai ma place… Il me serait donc douloureux de penser que mon cher ami de si longtemps, que mon grand Villiers, qui me fut fidèle et doux en cette vie, ne restât pas mon compagnon de l’au-delà. »

 

Son cercueil fut posé sur les deux cercueils descendus dans ce caveau en 1865 et en 1886, – et, avant que la dalle fût pour toujours retombée sur le capitaine que Niel préférait, sur la mère qui avait franchi des barricades pour rejoindre son fils, sur le poète « en qui toute une fin de siècles trouve sa rédemption », – François Coppée, Stéphane Mallarmé, Edmond Lepelletier, Catulle Mendès, Maurice Barrés, Jean Moréas et Gustave Kahn s’approchèrent et prirent tour à tour la parole.

 

« Messieurs, dit François Coppée, saluons respectueusement la tombe d’un vrai poète, inclinons-nous sur le cercueil d’un enfant. – Nous avions à peine dépassé la vingtième année quand nous nous sommes connus, Paul Verlaine et moi, quand nous échangions nos premières confidences, quand nous nous lisions nos premiers vers. Je revois, en ce moment, nos deux fronts penchés fraternellement sur la même page ; je ressens par le souvenir, dans toute leur ardeur première, nos admirations, nos enthousiasmes d’alors, et j’évoque nos anciens rêves. Nous étions deux enfants ; nous allions, confiants, vers l’avenir. Mais Verlaine n’a pas rencontré l’expérience, la froide et sûre compagne qui nous prend rudement par le poignet et nous guide sur l’âpre chemin. Il est reste un enfant, toujours. – Faut-il l’en plaindre ? Il est si amer de devenir un Homme et un sage, de ne plus courir sur la libre route de sa fantaisie par crainte de tomber, de ne plus cueillir la rose de volupté de peur de se déchirer aux épines, de ne plus toucher au papillon du désir en songeant qu’il va se fondre en poudre sous vos doigts. Heureux l’enfant qui fait des chutes cruelles, qui se relève tout en pleurs, mais qui oublie aussitôt l’accident et la souffrance, et ouvre de nouveau ses yeux encore mouillés de larmes, ses yeux avides et enchantés sur la nature et sur la vie ! Heureux aussi le poète qui, comme le pauvre ami à qui nous disons aujourd’hui adieu, conserve son âme d’enfant, sa fraîcheur de sensations, son instinctif besoin de caresses, qui pèche sans perversité, a de sincères repentirs, aime avec candeur, croit en Dieu et le prie humblement dans les heures sombres, et qui dit naïvement tout ce qu’il pense et tout ce qu’il éprouve, avec des maladresses charmantes et des gaucheries pleines de grâce ! – Heureux, ce poète ! j’ose le répéter tout en me rappelant combien Paul Verlaine a souffert dans son corps malade et dans son cœur douloureux. Hélas ! comme l’enfant, il était sans défense commune, et la vie l’a souvent et cruellement blessé ; mais la souffrance est la rançon du génie, et ce mot peut être prononcé en parlant de Verlaine, car son nom éveillera toujours le souvenir d’une poésie absolument nouvelle et qui a pris dans les lettres françaises l’importance d’une découverte – L’œuvre de Paul Verlaine vivra. Quant à sa dépouille lamentable et meurtrie, nous ne pouvons, en pensant à elle, que nous associer aux touchantes prières de l’Église chrétienne que nous écoutions tout à l’heure, et qui demandent seulement pour les morts le repos, l’éternel repos ! – Adieu, pauvre et glorieux poète, qui, pareil au feuillage, a plus souvent gémi que chanté ; adieu, malheureux ami que j’aimai toujours et qui ne m’a pas oublié. Dans ton agonie, tu réclamais ma présence, et j’arrive trop tard devant ce muet cercueil, songeant que l’heure est peut-être proche, en effet, ou je devrai obéir à ton appel. Mais ton âme et la mienne ont toujours espéré, que dis-je, ont toujours cru en un séjour de paix et de lumière où nous serons tous pardonnés, purifiés – car qui donc aurait l’hypocrisie de se proclamer innocent et pur ? – et c’est là, en plein idéal, que je te donne rendez-vous et que je te répondrai : Me voici ! »

 

Maurice Barrès : « La jeunesse intellectuelle dépose sur cette tombe l’offrande de son admiration. – Cette figure populaire, nous n’aurons plus le bonheur de la rencontrer. Mais ce qui était en lui d’essentiel, sa puissance de sentir, l’accent communicatif de ses douleurs, ses audaces très sûres à la française, et ses beautés tendres et déchirantes : tout cela demeure vivant. Et ce qui n’est plus, dans ce cercueil, vit dans nous tous ici présents. C’est pourquoi nous ne venons point pleurer, regretter son génie sur sa tombe, mais nous venons l’affirmer. – Désormais sa pensée ne disparaîtra plus de l’ensemble des pensées qui constituent l’héritage national. – Voilà, messieurs, dans quels sentiments la jeunesse intellectuelle sur cette tombe apporte l’hommage de son admiration et de sa reconnaissance au Maître pour qui elle a conquis la gloire. »

 

Stéphane Mallarmé : « La tombe aime tout de suite le silence. – Acclamation, renom, la parole haute cesse et le sanglot des vers abandonnés ne suivra jusqu’à ce lieu de discrétion, celui qui s’y dissimule pour ne pas offusquer, d’une présence, sa gloire. – Paul Verlaine, son génie enfui au temps futur, reste héros. – Seul, ô plusieurs qui trouverions avec le dehors tel accommodement fastueux ou avantageux, considérons que – seul, comme revient cet exemple par les siècles rarement, notre contemporain affronta, dans toute l’épouvante, l’état du chanteur et du rêveur. – Sa bravoure, – il ne se cacha pas du destin – en harcelant ; plutôt, par défi, les hésitations, devenait ainsi la terrible probité. – Nous vîmes cela, messieurs, et en témoignons : cela, ou pieuse révolte, l’homme se montrant devant sa Mère quelle qu’elle soit et voilée, foule, inspiration, vie, le nu qu’elle a fait du poète, et cela consacre un cœur farouche, loyal, avec de la simplicité et tout imbu d’honneur. – Nous saluerons de cet hommage, Verlaine, dignement, votre dépouille. »

VI

La mort a inauguré pour Verlaine une vie nouvelle. Elle lui a donné de plus nombreux amis qu’auparavant. Beaucoup, qui n’ont pas lu ses œuvres, s’intéressent à son nom. Plusieurs s’occupent de lui avec surprise. Et ceci a commencé le lendemain des funérailles.

 

Au questionnaire de la Plume : « Quelles sont les meilleures parties de l’œuvre de Paul Verlaine ? quel a été son rôle dans l’évolution littéraire ? à qui attribuer sa succession ? » – 200 réponses affluèrent. Ce fut le 2° Congrès des Poètes. 94 suffrages choisirent Sagesse ; 48, les Fêtes galantes ; 31, Amour et Romances sans paroles ; 27, la Bonne Chanson. – Pour le rôle du littérateur : Avant lui, on étouffait… « Verlaine a ouvert les fenêtres ! » a répondu Rachilde. – Stéphane Mallarmé fut choisi pour le remplacer. – Voici les noms de ceux dont l’opinion sur Verlaine fut publiée dans la Plume : Michel Abadie, Jules Alby, Alfred Ansart, Albert Arnay, Marcel Bailliot, Louis-N. Baragnon, Auguste Barrau, Frédéric Bataille, Maurice Beaubourg, Édouard Beaufils, Émile Blémont, Jules Bois, Joseph Bouchard, Ernest Bouhaye, Raymond Bouyer, René Boylesve, Henry de Braisne, Adolphe Brisson, Viviane de Brocélyande, J.-R. de Brousse, Charles Brun, Hippolyte Buffenoir, Charles de Bussy, F.-A. Cazals, Coquelin cadet, Robert Cantel, Maurice Cartuyvels, Jean Casier, Félicien Champsaur, Auguste Chauvigné, Auguste Cheylack, vicomte de Colleville, François Coulon, Marcel Coulon, L. Cranmer-Byng, Francis de Croisset, Dauphin-Meunier, Pierre Dauze, Achille Delaroche, Jean Dayros, Henri Degron, Emmanuel Delbousquet, Léon Deschamps, Léon Dequillebecq, Manuel Devaldès, Pierre Dévoluy, Marius Dillard, Mme Tola Dorian, Charles Droulers, René Dubreuil, Louis Duchosal, Édouard Ducôté, Édouard Dujardin, Léon Durocher, Émile Dutiers, Max Elskamp, Emmanuel des Essarts, Eugène Faivre, André Fontainas, Georges Fourest, Jacques des Gachons, Louis Gallet, Auguste Gaud, Eugène Georges, Th. Geslain, René Ghil, Ivan Gilkin, Raoul Gineste, Albert Giraud, Alexandre Goichon, Olivier de Gourcuff, Johannès Gravier, Fernand Hauser, Jules Heyne, Émile Hinzelin, Eugène Hollande, Clovis Hugues, André Ibels, Lucien Jean, Gaston Jourdanne, Tristan Klingsor, Albert Lantoine, comte Léonce de Larmandie, Michel Lorenzi de Bradi, Gabriel de Lautrec, Maurice Le Blond, Paul Leclercq, Ledoux, Charles Le Goffic, Marc Legrand, Camille Lemonnier, André Lemoyne, Charles van Lerberghe, Paul Lheureux, la Lorraine Artiste, Georges de Lys, Léon Maillard, Stéphane Mallarmé, Félix Malterre, Joseph Mange, Roland de Marès, Jules de Marthold, Gabriel Martin, Alfred Massebieau, S.-Pierre Massoni, Camille Mauclair, Charles Maurras, Louis Ménard, Achille Millien, Albert Mockel, comte Robert de Montesquiou, Charles Morice. Alfred Mortier, Henri Ner, Francis Norgelet. Jacques Normand, l’Ouvreuse du Cirque d’Été, Papus, Alexandre Parodi, Léon Parsons, Jean Philibert, Edmond Picard, Edmond Pilon, Maurice du Plessys, Georges Polti, Edmond Porcher, Xavier Privas, Henri van de Putte, Rachilde, Gaston de Raimes, Georges Ramackers, Jean Rameau, Gabriel Randon, Louis Raymond, Ernest Raynaud, Hugues Rebell, Paul Redonnel, Adrien Remacle, André Rémont, Jacques Renaud, Georges Reney, Adolphe Retté, Henry Réveillez, Jean Richepin, Lionel des Rieux, Léon Riotor, William Ritter, Achille Rouquet, Georges Rodenbach, Saint-Pol Roux, André Ruyters, Louis de Saint-Jacques, Rémy Salvator, Charles Saunier, Victorien du Saussay, Aurélien Scholl, Achille Segard, Emmanuel Signoret, Paul Souchon, Strada, Stuart-Merrill, Laurent Tailhade, Raymond de la Tailhède, Charles Ténib, Louis Tiercelin, Pierre Trimouillat, Émile Verhaeren, Paul Vérola, Pierre Vierge, Aug.-Gilbert de Voisins. Jean Volane, Richard Wéman, Henry Zisly.

 

De janvier à avril, F.-A. Cazals réunit ses portraits les plus caractéristiques du Maître et les publia sous le titre : Paul Verlaine, ses portraits.

 

Léon Maillard, dans une Étude pour servira l’iconographie de Paul Verlaine, énuméra les artistes qui ont fixé les traits du poète. Ce sont les peintres : Aman-Jean, Eugène Carrière, Fantin-Latour, J. Valadon ; les sculpteurs : de Gaspari, Méoli (moulage), Niederhausern, Ségoffin ; les dessinateurs et graveurs ; Anquetin, Maurice Baud, P. Berrichon, F.-A. Cazals, Ém. Kohl, Couturier, Ducrocqui, Estoppey. Fredillo, Graverolle, Hayett, F. Langlois, La Gandara, L. Lebègue, L. Loévy, Luques, Pajol, Péaron, Wil. Rothenstein, Steinlen, R. Valin, H. Vallotton, Paul Verlaine, Jean Veth, Zilcken. Depuis, il faut inscrire Marcelin Desboutin et Gustave Bonnet.

 

L’œuvre de Paul Verlaine comprend, avec quelques pages et des lettres inédites, 27 volumes parus :

 

POÉSIE : Poèmes Saturniens (1866), les Fêtes galantes (1807), la Bonne Chanson (1870), Romances sans paroles (1874), Sagesse (1881), Jadis et Naguère (1885), Amour (1888), Parallèlement (1889), Dédicaces (1890), Bonheur (1891), Choix de Poésies (1891), Chansons pour Elle (1891), Les Uns et les Autres, comédie en un acte (1891), Liturgies intimes (1892), Élégies (1893), Odes en son honneur (1893), Dans les limbes (1894), Épigrammes (1894), Chair (1896) ;

 

PROSE : Les Poètes maudits (1884), Mémoires d’un veuf (1892), Mes Hôpitaux (1892), Louise Leclercq (1892), Mes Prisons (1893), Confessions (1895), Quinze jours en Hollande (1895), 26 Biographies (dans les Hommes d’aujourd’hui.)

 

Verlaine a collaboré à : Gil Blas, le Figaro, l’Écho de Paris, la Plume, la Revue encyclopédique, la Revue blanche, the Senate, la Cravache, la Revue contemporaine, Mercure de France, Entretiens politiques et littéraires, Vendémiaire, Lutèce, le Scapin, la Vogue, l’Art moderne, la Revue indépendante, Art et Critique, le Chat noir, la France littéraire, etc.

 

VII

Un puissant mouvement, que rien n’impose sinon la force des mouvements populaires, élève de plus en plus le nom de Verlaine.

 

F.-A. Cazals, alors qu’il rassemblait en un album ses portraits du Maître, préparait une autre manifestation plus imposante. Dès le mois de mai 1896, il organisait un Comité pour le monument à ériger à Paul Verlaine, au Luxembourg.

 

Voici les noms des membres du Comité d’action : Président, Stéphane Mallarmé ; vice-président, Auguste Rodin ; membres, Edmond Lepelletier, Catulle Mendès, Henry Bauër, Raoul Ponchon, Georges Rodenbach, comte Robert de Montesquiou-Fezensac, Maurice Barrés, Ernest Delahaye, Alfred Vallette, directeur du Mercure de France, Léon Deschamps, directeur de la Plume, Alexandre Natanson, directeur de la Revue blanche ; secrétaire, F.-A. Cazals ; trésorier, Fernand Clerget, éditeur.

 

La première réunion fut tenue, le 23 juin, au Siège du Comité, 17, rue Guénégaud.

 

Le 25 juin, le Comité envoya la lettre suivante : « Nous avons l’honneur de solliciter l’appui de votre nom, pour la formation d’un Comité de patronage où seront représentées les admirations et l’amitié fidèles à Paul Verlaine et à son œuvre. – Le président, STÉPHANE MALLARMÉ ; le vice-président, RODIN. – N. B. Les adhésions devraient nous être adressées aussitôt que possible au Siège du Comité. »

 

Les adhésions vinrent de suite et nombreuses. Voici les noms des membres du Comité de patronage : Président d’honneur, François Coppée. Membres : Anatole France, de Hérédia, Jules Lemaître, Sully Prud’homme, de l’Académie française ; Paul Acker, Paul Adam, Jean Aicard, Alphonse Allais, Aman Jean, Georges Bans, directeur de la Critique ; P Berrichon. Albert Besnard, Émile Blémont, don Sigismond Bonska (Autriche), Maurice Bouchor, Jean Bourguignon, directeur de la Revue d’Ardenne, Jacques Brieu, Jean Carrère, Eugène Carrière, H. Carton de Wiart, Dr Cazalis, Alexandre Charpentier, Dr Chauffard, P. Puvis de Chavannes, président de la Société nationale des Beaux-Arts ; Sophus Claussen (Danemark), vicomte de Colleville, G. Courteline, L. Cranmer-Byng (Angleterre), Alphonse Daudet, Henry D. Davray, Irénée Decroix, M. Desboutin, Léon Dierx, Jean Dolent, Louis Duchosal (Suisse), Ed. Ducôté, directeur de l’Ermitage ; Édouard Dujardin, Louis Dumur, Alfred Ernst, Gabriel Fauré, J.-L. Forain, E. Fasquelle, éditeur ; Ch. Frémine, Gustave Geffroy, R. Gineste, Ch. Le Goffic, Rémy de Gourmont, Gyp (comtesse de Martel de Janville), Gabriel Hanotaux, ministre des affaires étrangères ; Edmond Haraucourt, W.-E. Henley, éditeur de New-Review (Angleterre), Paul Hervieu, Clovis Hugues, député ; Alphonse Humbert, député ; J.-K. Huysmans, H.-G. Ibels, Vincent d’Indy, Ed. Jacquemin, Frantz Jourdain, Jean Jullien, Dr Louis Jullien, Gustave Kahn, Adrien Lachenal, conseiller fédéral (Suisse), Georges Lafenestre, de Larmandie, Gustave Larroumet, Georges Lecomte, Eugène Ledrain, Camille Lemonnier, Hugues Le Roux, Jean Lorrain, Pierre Louys, A.-F. Lugné-Poë, directeur du Théâtre de l’Œuvre ; Maurice Magre, directeur de l’Effort ; Léon Maillard, directeur du Parisien de Paris ; Paul Margueritte, Roger Marx, Raymond Maygrier, Albert Mérat, Stuart Merrill, Paul Meurice, Octave Mirbeau, Frédéric Mistral, Georges Montorgueil, Jean Moréas, Charles Morice, Lucien Muhlfeld, Th. Natanson, Vincent O’Sullivan (Angleterre), Édouard Petit, directeur de l’Écho de la Semaine ; Vittorio Pica (Italie), Edmond Picard (Belgique), Pierre-Paul Plan, Maurice du Plessys, Raymond Poincaré, vice-président de la Chambre des Députés ; Mme Rachilde, J.-F. Raffaëlli, Frédéric Raisin (Suisse), Ernest Raynaud, Odilon Redon, Henri de Régnier, Adolphe Retté, Reynaldo-Hahn, Harrison Rhode, Dr de Chap Book (États-Unis), Jean Richepin, Clément Rochel, Félicien Rops, Henry Roujon, directeur des Beaux-Arts ; Rémy Salvator, Jean Schlesinger, Aurélien Scholl, Marcel Schwob, Armand Silvestre, Ch. de Sivry, Frans Soudan (Belgique), Arthur Symons (Angleterre), Laurent Tailhade, R. de la Tailhède, Albert Trachsel, Jules Valadon, Émile Verhaeren (Belgique), Paul Vérola, Francis Vielé-Griffin, E. Zilcken (Hollande), Émile Zola.

 

Au mois de juillet, le Comité d’action envoya la lettre suivante : « L’élan unanime qui accompagna, voici une demi-année, au tombeau notre grand PAUL VERLAINE, reste un admirable souvenir : on ne saurait s’en tenir là, toutefois, dans la célébration publique d’une si chère mémoire. – Le génie a le droit de ne faire qu’un stage très bref dans le repos commun. – Ici la gloire était mûre, dès la mort ; et, tout de suite, cette radieuse figure peut renaître, par le marbre, dans le jardin du Luxembourg, cimetière, sans dépouille et léger, des Poètes. – Un monument, que surmonte le buste par Niederhausern, confié pour l’ensemble au sculpteur, va se dresser bientôt. – Appel est fait à votre souscription, et la présente lettre contient d’avance notre remercîment. – Le président, STÉPHANE MALLARMÉ ; le vice-président, A. RODIN. »

 

À la deuxième réunion, tenue au siège du Comité, le 14 décembre, furent décidées : la célébration d’une messe-anniversaire, et l’ouverture de la souscription publique.

 

Dans les premiers jours de janvier 1897, cette lettre fut envoyée : « La famille et les amis de PAUL VERLAINE vous prient d’assister à la Messe-Anniversaire qui sera célébrée, pour le repos de son âme, le 15 janvier 1897, en l’église Sainte-Clotilde, chapelle de la Sainte-Vierge, à dix heures précises, par M. l’abbé A. Mugnier, premier vicaire. – À l’issue de la cérémonie, une couronne sera portée sur la tombe du Poète, au cimetière des Batignolles. »

 

Cinq à six cents personnes se réunirent, le 15 janvier, à l’église Sainte-Clotilde. Il y avait là : Stéphane Mallarmé, Edmond Lepelletier, Auguste Rodin, Léon Dierx, J.-K. Huysmans, Fernand Clerget, Madeleine Lépine, F.-A. Cazals, Léon Deschamps, Alfred Vallette, Rachilde, Georges Rodenbach, Hérold, Charles Fuinel, Alexandre Natanson, Clément Rochel, Ernest Delahaye, Georges Verlaine, fils du poète ; Charles de Sivry, son ancien beau-frère ; Paul Tissier, Henri de Régnier, Francis Vielé-Griffin, Pierre Quillard, Gustave Kahn, Jean Lorrain, comte de Montesquiou, Jules Rais, Raoul Ponchon, Toulouse-Lautrec, Paul Fort, Édouard Jacquemin, Niederhausern, Saint-Georges de Bouhélier, Maurice Le Blond, Eugène Montfort, et d’autres dont les noms ont été inscrits sur un registre.

 

Après la messe, dite par l’abbé Mugnier à l’autel de la Vierge, l’assistance se dirigea, par groupes séparés, vers le cimetière des Batignolles. À midi, tous entouraient le tombeau de la famille Verlaine, qui fut couvert de fleurs et de couronnes. Et dans le religieux silence, plusieurs parlèrent.

 

Ernest Raynaud, Maurice du Plessys, Louis le Dauphin, dirent des vers à celui dont l’image restait visible à tous. Puis, Lepelletier excusa l’absence de François Coppée, et dit : « Verlaine, malade, isolé, frappé, aigri, désespéré, hanté, pour la seule fois peut-être, de la pensée du suicide, m’avait chargé de défendre sa mémoire. Ce mandat, que je garde toujours, n’a plus besoin d’être exercé. L’apaisement s’est fait : Verlaine est entré dans la sérénité de la gloire et dans la paix de l’immortalité. »

 

Paul Tissier, pour l’Association des Étudiants, ajoute : « Verlaine a vécu parmi nous toutes ses dernières années. Nous nous attachions à lui dans ces jours de tristesse où la souffrance et le malheur le ramenaient à l’hôpital ; nous nous souvenons des longues causeries du soir dans les couloirs de Broussais avec l’interne de garde. C’est au milieu de ces épreuves que se révélaient pleinement sa bonté et sa gaieté inaltérables. »

 

Stéphane Mallarmé prononça cette allocution : « Nous savons Verlaine souriant de partager l’immortalité des grands poètes de la France, par exemple, entre La Fontaine et Lamartine. La montée lumineuse n’a pas duré un an. L’outrage même ne manqua, il importe à un plus rapide dépouillement du malheur inhérent au génie ; – ayons un regret, seulement, pour ceux qui s’attribuent cette fonction. Avant que la chère Ombre se sépare d’ici pour un Jardin moins sévère, écoutons, tendrement, des paroles amies tout à l’heure l’entretenir comme d’hier ; ainsi s’effarouchera-t-elle peu elle-même, de nous suivre vers sa gloire. Une tâche, facile, commence pour le Comité chargé d’élever un monument différent de la tombe à laquelle chaque membre donne un salut. »

 

De ce jour, en un mois à peine, Verlaine a rallié toutes les forces autour de son nom. Chacun y contribue, parfois sous l’anonyme. L’œuvre entreprise s’appuie sur le Mercure de France, Simple Revue, la Plume, la Revue blanche, la Critique, l’Art moderne, la Libre Critique, the Senate, Novy Zivosl, le Parisien de Paris, Lutèce, New Review, La Montagne, la France Scolaire, d’autres encore. – Jean Schlesinger s’est chargé de recueillir des adhésions en Autriche ; Henri D. Davray, en Angleterre et aux États-Unis ; P.-P. Plan, en Suisse. – Jean Bourguignon, directeur de la Revue d’Ardennes et d’Argonne, a formé, le 6 février, un Comité ardennais : (Charles Houin, Paul Collinet, Ernest Raynaud, Jules Mazé, E. Delahaye, Jean Bourguignon, André Donnay, Paul Acker, Dr H. Doizy, H. Dacremont, Dr V. Meugy, G. Cromer, Aug. Drouet, J. Richelet, L. Pierquin, H. Bourguignat.) – F.-A. Cazals, délégué par le Comité du monument, a fait, fin février, un voyage à Bruxelles, à la suite duquel un Comité belge s’est formé, avec Camille Lemonnier, Edmond Picard, Émile Verhaeren, Octave Maus, H. Carton de Wiart. Eugène Georges, vicomte de Colleville, et Charles Morice ; ce Comité a donné, le jeudi 25 mars, une fête au bénéfice du monument, au Salon de la Libre Esthétique, où Verlaine avait fait autrefois des conférences.

 

Le Comité d’action a rassemblé d’ailleurs tous les documents intéressant son œuvre, et les a publiés dans la France Scolaire, bulletin mensuel du Comité d’instruction et d’éducation publiques (Février-Avril 1897). Ce numéro exceptionnel consacré au monument de Paul Verlaine, contient la liste des membres du Comité de patronage et du Comité d’action, une page de Stéphane Mallarmé évoquant un moyen pédagogique utilisé jadis par le professeur Paul Verlaine, l’historique des efforts faits par les amis du poète durant la première année, quelques mots sur la séance donnée le 25 mars au salon de la Libre Esthétique de Bruxelles au bénéfice du Monument (soirée brillante où Mlle Claire Friché a exquisement chanté les mélodies de Georges Flé sur des poésies de Verlaine, où M. Krauss a récité quatre sonnets tirés de Sagesse, où MM. Camille Lemonnier, Émile Verhaeren, Henry Carton de Wiart, Charles Morice, le vicomte de Colleville, ont fait ou lu des conférences définitives pour la mémoire du poète) ; – ce même numéro reproduit la plus belle page de Camille Lemonnier, les paroles de Charles Morice et du vicomte de Colleville, un article : Verlaine professeur, par Jean Bourguignon et Charles Houin, les autres documents que j’ai exposés précédemment, et la première liste des souscriptions reçues, près de 3,500 francs, – il annonce une représentation à Trianon, le charmant théâtre de Versailles : représentation que sans doute empêchera la catastrophe du Bazar de la Charité. – J’ai noté dans ce bulletin les paroles de Charles Morice ; leur conclusion est prophétique : « L’influence de Verlaine sur les générations de poètes sera durable et profonde. Quelque chose d’essentiel date de lui, qui fait de son rôle dans les lettres françaises celui d’un créateur et d’un révélateur. D’autres ont élevé des monuments plus considérables, à la faveur d’un long aboutissement de races : le présent admire ces ruines fastueuses, orientées à jadis, et passe. – Le monument de Verlaine commande une route haute, difficile et charmante, qui monte dans la lumière vers l’avenir. »

 

Voici la lettre, ouvrant la souscription publique internationale, qui a été envoyée de janvier à avril 1897, en France et à l’étranger, par le Comité du monument de Paul Verlaine :

 

« Au lendemain du Bout de l’An de Paul Verlaine, cérémonie qui a consacré d’une façon tout ensemble si touchante et si magnifique la gloire du Poète et la fidélité de ses admirateurs, le Comité pour l’érection à Paris du monument de Paul Verlaine croit devoir à ces derniers d’assembler leurs noms dans un nouvel hommage. – Le Comité se flatte de l’espoir que les amis et les admirateurs de Paul Verlaine tiendront à honneur de se faire inscrire, dès le présent avis, sur la première liste de la Souscription publique qui sera ouverte au 15 février, dans la Presse quotidienne et périodique. – Cette première liste contiendra intégralement les noms des souscripteurs qui se seront fait connaître avant la date indiquée ci-dessus. – Pour le Comité, le secrétaire, F.-A. CAZALS ; le trésorier, F. CLERGET. »

 

FIN

 

 

 

 

 


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Mai 2008

 

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[1] La Légende du Parnasse contemporain, pp. 287 à 290 – Bruxelles, Aug. Brancart, éditeur, 1884.

[2] Sic. (Note du correcteur – ELG.)

[3] La Légende de Paul Verlaine. – L’Écho de Paris, 11 janvier 1896.

[4] La Littérature de tout à l’heure, pp. 234 et 235. – Paris, Perrin et Co éditeurs, 1889.

[5] Paul Verlaine, pp. 7 et 8. – Paris. Léon Vanier, éditeur, 1888.

[6] Paul Verlaine, p. 19.

[7] Id., pp. 23,24 et suivantes.

[8] Paul Verlaine, p. 30.

[9] cf., pp. 31 et suiv.

[10] Id., pp. 33 et suiv.

[11] Id., pp. 42 et suiv.

[12] Paul Verlaine, pp. 51 et 53.

[13] Id., pp. 70 et 71.

[14] Critique littéraire (Nestor). – L’Écho de Paris, 19 septembre 1895.

[15] Sans le silence amical de la Lune. (Note du correcteur – ELG.)

[16] Sur un sonnet de Paul Verlaine. – La Revue indépendante, numéro de septembre 1895, 3e série.

[17] HENRY FOUQUIER, Une Statue pour M. Verlaine. – Le Figaro, 12 août 1896.

[18] EDMOND LEPELLETIER, À propos des Invectives. – Écho de Paris, 19 août 1896.

[19] Chronique. – Écho de Paris, 11 janvier 1896.

[20] Paul Verlaine, causerie donnée aux Soirées Procope, le 25 octobre 1804. – La Plume, 15 novembre 1894.

[21] Paul Verlaine, Les époques de sa poésie. – Revue encyclopédique, 1er janvier 1895.

[22] La Mémoire de Verlaine. – Revue encyclopédique, 25 janvier 1896.

[23] Jugements sur Verlaine. – Revue encyclopédique, 25 janv. 1896.

[24] Id.

[25] Ibid.

[26] GEORGES DOCQUOIS, Le Congrès des Poètes. – Paris, Bibliothèque de la Plume, 1894.

[27] CLODOMIR, Verlaine en Allemagne. – La Plume, 1er janvier 1895.

[28] PAUL VERLAINE, Paul Verlaine, – Les Hommes d’aujourd’hui, n° 244, 5e volume, Paris, L. Vanier (avec un portrait-charge par Émile Cohl).

[29] Verlaine. – Mercure de France, t. XX, p. 6, octobre 1896.

[30] Histoire de la Littérature française, t. V, pp. 389 et suivantes. – Paris, A. Lemerre, 1891.

[31] Deuxième congrès des Poètes. – La Plume, numéro consacré à Paul Verlaine, février 1896, p. 70.

[32] PAUL VERLAINE, Croquis de Belgique. – Revue encyclopédique, 1er mai 1895.

[33] FRANÇOIS COPPÉE, Préface pour Choix de Poésies. – Paris, Charpentier, 1891.

[34] SAINT-GEORGES DE BOUHÉLIER. Sur le tombeau de Paul Verlaine (L’Hiver en méditation). – Paris, Société du Mercure de France, 1896.

[35] ANATOLE FRANCE, Le Lys rouge. – Paris, 1894.

[36] Paul Verlaine, p. 9.

[37] La Légende de Paul Verlaine.

[38] E. LEPELLETIER, Un Prisonnier. Écho de Paris, 23 fév. 1896.

[39] Maison, à Montmartre, où la femme de Verlaine habitait avec ses parents. – E. L.

[40] Le grand poète intervint, mais sans succès, pour obtenir une remise de peine. – E. L.

[41] Mme Alphonse Humbert, sœur de Lepelletier.

[42] Ceci est souligné dans l’original. – E. L.

[43] Procès en séparation intenté par la femme de Verlaine, à l’instigation de sa famille. – E. L.

[44] L’ultime aide. (Note du correcteur – ELG.)

[45] HENRY FOUQUIER, Une Statue pour M. Verlaine (V. la note, p. 22).

[46]E. LEPELLETIER, À propos des « Inventives » (V. la note, p. 23).

[47] Voir Biographie.

[48] Vicomte de COLLEVILLE, F. A. Cazals. – L’Art moderne (Bruxelles), 28 février 1897.

[49] F. A. CAZALS, Paul Verlaine, ses portraits (avec des lettres de Huysmans, Rops, Delahaye, Cornuty). – Paris, Bibliothèque de l’Association, 1896.

[50] Lettres de Paul Verlaine (Une saison à Aix-les-Bains, août-septembre 1889). – La Revue blanche, n° 8 du 15 novembre et du 1er décembre 1896.

[51] F. A. CAZALS. Paul Verlaine intime. – The Senate (Londres), février 1897.

[52] Cloche de la cathédrale de Metz.

[53] Un portrait de Paul Verlaine (Extrait d’une conférence faite par Charles Morice à la Maison d’Art de Bruxelles. – L’Art moderne (Bruxelles), 6 décembre 1896.

[54] Paul Verlaine, pp. 10 et suiv.

[55] MAX NORDAU, Dégénérescence, I, p. 227. Traduit de l’allemand, par Aug. Dietrich. – Paris, Alcan, 1895.

[56] J. PACHEU, S. J., De Dante à Verlaine, p. 165. – Paris, librairie Plon, 1897.

[57] CHARLES FUINEL, La statue de Paul Verlaine. – La Lyre universelle, décembre 1896.

[58] Sic. (Note du correcteur – ELG.)

[59] Je t’invoque, je crie vers toi. (Note du correcteur – ELG.)

[60] Le Livre des Masques, p. 253. – Paris, Société du Mercure de France, 1896.

[61] MAURICE LE BLOND, Essai sur le Naturisme, pp. 131 et suiv, – Paris, id.

[62] Paul Verlaine auteur dramatique. – Débats, 10 octobre 1894.

[63] Verlaine héroïque. – Revue blanche, 15 février 1896.

[64] MARK SPOTT, Paul Verlaine. – La Critique, 20 janvier 1896.

[65] FERNAND HAUSER. Paul Verlaine. – Simple Revue, 1er février 1896.

[66] GABRIEL ECHAUPRE, Verlaine vrai. – Simple Revue, id.

[67] J. MAIRA, Verlaine à la Toison d’orLa Libre Critique (Bruxelles), 16 fév. 1896.

[68] LAURENT TAILHADE, Paul Verlaine (conférence faite le 25 janvier 1896). – Revue rouge, février 1896.

[69] G. DE LACAZE-DUTHIERS, À Sainte-Clotilde. – Simple Revue, 15 février 1897

[70] Paul Verlaine, n° exceptionnel, p. 96. – La Plume, février 1896.

[71] F.-A. CAZALS, Paul Verlaine, ses portraits (préface de Huysmans). – Paris, Bibliothèque de l’Association, 1896.

[72] Paul Verlaine, ses portraits, p. 20 – Id.