Gaston Maspero

LES CONTES POPULAIRES DE L’ÉGYPTE ANCIENNE

Quatrième édition (1911)

INTRODUCTION

Lorsque M. de Rougé découvrit en 1852 un conte d’époque pharaonique analogue aux récits des Mille et une Nuits, la surprise en fut grande, même chez les savants qui croyaient le mieux connaître l’Égypte ancienne. Les hauts personnages dont les momies reposent dans nos musées avaient un renom de gravité si bien établi, que personne au monde ne les soupçonnait de s’être divertis à de pareilles futilités, au temps où ils n’étaient encore momies qu’en espérance. Le conte existait pourtant ; le manuscrit avait appartenu à un prince, à un enfant de roi qui fut roi lui-même, à Sétoui II, fils de Ménéphtah, petit-fils de Sésostris. Une Anglaise, madame Élisabeth d’Orbiney, l’avait acheté en Italie, et comme elle traversait Paris au retour de son voyage, M. de Rougé lui en avait enseigné le contenu. Il y était question de deux frères dont le plus jeune, accusé faussement par la femme de l’autre et contraint à la fuite, se transformait en taureau, puis en arbre, avant de renaître dans le corps d’un roi. M. de Rougé avait paraphrasé son texte plus qu’il ne l’avait traduit[1]. Plusieurs parties étaient analysées simplement, d’autres étaient coupées à chaque instant par des lacunes provenant, soit de l’usure du papyrus, soit de la difficulté qu’on éprouvait alors à déchiffrer certains groupes de signes ou à débrouiller les subtilités de la syntaxe : même le nom du héros était mal transcrit[2]. Depuis, nul morceau de littérature égyptienne n’a été plus minutieusement étudié, ni à plus de profit. L’industrie incessante des savants en a corrigé les fautes et comblé les vides : aujourd’hui le Conte des deux Frères se lit couramment, à quelques mots près[3].

Il demeura unique de son espèce pendant douze ans. Mille reliques du passé reparurent au jour, listes de provinces conquises, catalogues de noms royaux, inscriptions funéraires, chants de victoire, des épîtres familières, des livres de comptes, des formules d’incantation magique, des pièces judiciaires, jusqu’à des traités de médecine et de géométrie, rien qui ressemblât à un roman. En 1864, le hasard des fouilles illicites ramena au jour, près de Déîr-el-Médinéh et dans la tombe d’un religieux copte, un coffre en bois qui contenait, avec le cartulaire d’un couvent voisin, des manuscrits qui n’avaient rien de monastique, les recommandations morales d’un scribe à son fils[4], des prières pour les douze heures de la nuit, et un conte plus étrange encore que celui des deux Frères. Le héros s’appelle Satni-Khâmoîs et il se débat contre une bande de momies parlantes, de sorcières, de magiciens, d’êtres ambigus dont on se demande s’ils sont morts ou vivants. Ce qui justifierait la présence d’un roman païen à côté du cadavre d’un moine, on ne le voit pas bien. On conjecture que le possesseur des papyrus a dû être un des derniers Égyptiens qui aient entendu quelque chose aux écritures anciennes ; lui mort, ses dévots confrères enfouirent dans sa fosse des grimoires auxquels ils ne comprenaient rien, et sous lesquels ils flairaient je ne sais quels pièges du démon. Quoi qu’il en soit, le roman était là, incomplet du début, mais assez intact par la suite pour qu’un savant accoutumé au démotique s’y orientât sans difficulté. L’étude de l’écriture démotique[5] n’était pas alors très populaire parmi les égyptologues : la ténuité et l’indécision des caractères qui la composent, la nouveauté des formes grammaticales, l’aridité ou la niaiserie des matières, les effrayaient ou les rebutaient. Ce qu’Emmanuel de Rougé avait fait pour le papyrus d’Orbiney, Brugsch était seul capable de l’essayer pour le papyrus de Boulaq : la traduction qu’il en a imprimée, en 1867, dans la Revue archéologique, est si fidèle qu’aujourd’hui encore on y a peu changé[6].

Depuis lors, les découvertes se sont succédées sans interruption. En 1874, Goodwin, furetant au hasard dans la collection Harris que le Musée Britannique venait d’acquérir, mit la main sur les Aventures du prince prédestiné[7], et sur le dénouement d’un récit auquel il attribua une valeur historique, en dépit d’une ressemblance évidente avec certains des faits et gestes d’Ali Baba[8]. Quelques semaines après, Chabas signalait à Turin ce qu’il pensait être les membres disjoints d’une sorte de rapsodie licencieuse[9] et à Boulaq les restes d’une légende d’amour[10]. Golénicheff déchiffra ensuite, à Saint-Pétersbourg, trois nouvelles dont le texte est inédit en partie jusqu’à présent[11]. Puis Erman publia un long récit sur Chéops et les magiciens, dont le manuscrit, après avoir appartenu à Lepsius, est aujourd’hui au musée de Berlin[12]. Krall recueillit dans l’admirable collection de l’archiduc Régnier, et il rajusta patiemment les morceaux d’une Emprise de la Cuirasse[13] ; Griffith tira des réserves du Musée Britannique un deuxième épisode du cycle de Satni-Khâmoîs[14], et Spiegelberg acquit pour l’Université de Strasbourg une version thébaine de la chronique du roi Pétoubastis[15]. Enfin, on a signalé, dans un papyrus de Berlin, le début d’un roman fantastique trop mutilé pour qu’on en devine sûrement le sujet[16], et sur plusieurs ostraca dispersés dans les musées de l’Europe les débris d’une histoire de revenants[17]. Ajoutez que certaines œuvres considérées au début comme des documents sérieux, les Mémoires de Sinouhît[18], les Plaintes du fellah[19], les négociations entre le roi Apôpi et le roi Saqnounrîya[20], la Stèle de la princesse de Bakhtan[21], le Voyage d’Ounamounou[22], sont en réalité des œuvres d’imagination pure. Même après vingt siècles de ruines et d’oubli, l’Égypte possède encore presque autant de contes que de poèmes lyriques ou d’hymnes adressés à la divinité.

I

L’examen en soulève diverses questions difficiles à résoudre. Et d’abord de quelle manière ont-ils été composés ? Ont-ils été inventés du tout par leur auteur ? ou celui-ci en a-t-il emprunté la substance à des œuvres préexistantes qu’il a juxtaposées ou fondues pour en fabriquer une fable nouvelle ? Plusieurs sont venus certainement d’un seul jet et ils constituent des pièces originales, les Mémoires de Sinouhît, le Naufragé, la Ruse de Thoutîyi contre Joppé, le Conte du prince prédestiné. Une action unique s’y poursuit de la première ligne à la dernière, et si des épisodes s’y rallient en chemin, ils ne sont que le développement nécessaire de la donnée maîtresse, les organes sans lesquels elle ne pourrait atteindre le dénouement saine et sauve. D’autres au contraire se divisent presque naturellement en deux morceaux, trois au plus, qui étaient indépendants à l’origine, et entre lesquels le conteur a établi un lien souvent arbitraire afin de les disposer dans un même cadre. Ainsi ceux qui traitent de Satni-Khâmoîs contiennent chacun le sujet de deux romans, celui de Nénoferképhtah et celui de Tboubouî dans le premier, celui de la descente aux enfers et celui des magiciens éthiopiens dans le second. Toutefois l’exemple le plus évident d’une composition artificielle nous est fourni jusqu’à présent par le conte de Chéops et des magiciens[23].

Il se résout dès l’abord en deux éléments : l’éloge de plusieurs magiciens morts ou vivants, et une version miraculeuse des faits qui amenèrent la chute de la IVe et l’avènement de la Ve dynastie. Comment l’auteur fut-il amené à les combiner, nous le saurions peut-être si nous possédions encore les premières pages du manuscrit ; en l’état, il est hasardeux de rien conjecturer. Il paraît pourtant qu’ils n’ont pas été fabriqués tout d’une fois mais que l’œuvre s’est constituée comme à deux degrés. Il y avait, dans un temps que nous ne pouvons déterminer encore, une demi-douzaine d’histoires qui couraient à Memphis ou dans les environs et qui avaient pour héros des sorciers d’époque lointaine. Un rapsode inconnu s’avisa d’en compiler un recueil par ordre chronologique, et pour mener à bien son entreprise, il eut recours à l’un des procédés les plus en honneur dans les littératures orientales. Il supposa que l’un des Pharaons populaires, Chéops, eut un jour la fantaisie de demander à ses fils des distractions contre l’ennui qui le rongeait. Ceux-ci s’étaient levés devant lui l’un après l’autre, et ils lui avaient vanté tour à tour la prouesse de l’un des sorciers d’autrefois ; seul Dadoufhorou, le dernier d’entre eux, avait entamé l’éloge d’un vivant. En considérant les choses de plus près on note que les sages étaient des hommes au livre ou au rouleau en chef de Pharaon, c’est-à-dire des gens en place, qui tenaient leur rang dans la hiérarchie, tandis que le contemporain, Didou, ne porte aucun titre. Il était un simple provincial parvenu à l’extrême vieillesse sans avoir brigué jamais la faveur de la cour ; si le prince le connaissait, c’est qu’il était lui-même un adepte, et qu’il avait parcouru l’Égypte entière à la recherche des écrits antiques ou des érudits capables de les interpréter. Il se rend donc chez son protégé et il l’amène à son père pour opérer un miracle plus étonnant que ceux de ses prédécesseurs : Didou refuse de toucher à un homme, mais il ressuscite une oie, il ressuscite un bœuf, puis il rentre au logis comblé d’honneurs. Le premier recueil s’arrêtait ici à coup sûr, et il formait une œuvre complète en soi. Mais il y avait, dans le même temps et dans la même localité, une histoire de trois jumeaux fils du Soleil et d’une prêtresse de Râ, qui seraient devenus les premiers rois de la Ve dynastie. Didou y jouait-il un rôle dès le début ? En tout cas, l’auteur à qui nous devons la rédaction actuelle le choisit pour ménager la transition entre les deux chroniques. Il supposa qu’après avoir assisté à la résurrection de l’oie et du bœuf, Chéops avait requis Didou de lui procurer les livres de Thot. Didou ne se refuse pas à confesser qu’il les connaît, mais il déclare aussi qu’un seul homme est capable d’en assurer la possession au roi, l’aîné des trois garçons qu’une prêtresse de Râ porte actuellement dans son sein, et qui sont prédestinés à régner au bout de quatre générations. Chéops s’émeut de cette révélation, ainsi qu’il est naturel, et il s’informe de la date à laquelle les enfants naîtront : Didou la lui indique, il regagne son village et l’auteur, l’y laissant, s’attache sans plus tarder aux destinées de la prêtresse et de sa famille.

Il ne s’était pas torturé longuement l’esprit à chercher sa transition, et il avait eu raison, car ses auditeurs ou ses lecteurs n’étaient pas exigeants sur le point de la composition littéraire. Ils lui demandaient de les amuser, et pourvu qu’il y réussît, ils ne s’inquiétaient pas des procédés qu’il y employait. Les romanciers égyptiens n’éprouvaient donc aucun scrupule à s’approprier les récits qui circulaient autour d’eux, et à les arranger selon leur guise, les compliquant au besoin d’incidents étrangers à la rédaction première, ou les réduisant à n’être plus qu’un épisode secondaire dans un cycle différent de celui auquel ils appartenaient par l’origine. Beaucoup des éléments qu’ils combinaient présentent un caractère nettement égyptien, mais ils en utilisaient aussi qu’on rencontre dans les littératures des peuples voisins et qu’ils avaient peut-être empruntés au dehors. On se rappelle, dans l’Évangile selon saint Luc, cet homme opulent, vêtu de pourpre et de fin lin, qui banquetait somptueusement chaque jour, tandis qu’à sa porte Lazare, rongé d’ulcères, se consumait en vain du désir de ramasser seulement les miettes qui tombaient de la table du riche. « Or, il arriva que le mendiant, étant mort, fut emporté au ciel par les anges, et que le riche mourut aussi et fut enterré pompeusement ; au milieu des tortures de l’enfer, il leva les yeux, et il aperçut très loin Lazare, en paix dans le sein d’Abraham[24] ». On lit, au second roman de Satni-Khâmoîs, une version égyptienne de la parabole évangélique, mais elle y est dramatisée et amalgamée à une autre conception populaire, celle de la descente d’un vivant aux enfers[25]. Sans insister sur ce sujet pour le moment, je dirai que plusieurs des motifs développés par les écrivains égyptiens leur sont communs avec les conteurs des nations étrangères, anciennes ou modernes. Analysez le Conte des deux Frères et appliquez-vous à en définir la structure intime : vous serez étonnés de voir à quel point il ressemble pour la donnée et pour les détails à certains des récits qui ont cours chez beaucoup d’autres nations.

Il se dédouble à première vue : le conteur, trop paresseux ou trop dénué d’imagination pour inventer une fable, en avait choisi deux ou plus parmi celles que ses prédécesseurs lui avaient transmises, et il les avait soudées bout à bout de façon plus ou moins maladroite, en se contentant d’y introduire quelques menus incidents qui pussent faciliter le contact entre elles. L’Histoire véridique de Satni-Khâmoîs est de même un ajustage de deux romans, la descente aux Enfers, et l’aventure du roi Siamânou ; le rédacteur les a reliés en supposant que le Sénosiris du premier réincarnait l’Horus qui était le héros du second[26]. Le Conte des deux Frères met d’abord en scène deux frères, l’un marié, l’autre célibataire, qui habitent ensemble et qui s’occupent aux mêmes travaux. La femme de l’aîné s’éprend du cadet sur le vu de sa force, et elle profite de l’absence du mari pour s’abandonner à un accès de passion sauvage. Baîti refuse ses avances brutalement ; elle l’accuse de viol, et elle le charge avec tant d’adresse que le mari se décide à le tuer en trahison. Les bœufs qu’il rentrait à l’étable l’ayant averti du danger, il s’enfuit, il échappe à la poursuite grâce à la protection du soleil, il se mutile, il se disculpe, mais il refuse de revenir à la maison commune et il s’exile au Val de l’Acacia : Anoupou, désespéré, rentre chez lui, il égorge la calomniatrice, puis il « demeure en deuil de son petit frère[27] ».

Jusqu’à présent, le merveilleux ne tient pas trop de place dans l’action : sauf quelques discours prononcés par les bœufs et l’apparition, entre les deux frères, d’une eau remplie de crocodiles, le narrateur s’est servi surtout de moyens empruntés à l’ordinaire de la vie. La suite n’est que prodiges d’un bout à l’autre[28]. Baîti s’est retiré au Val pour vivre dans la solitude, et il a déposé son cœur sur une fleur de l’Acacia. C’est une précaution des plus naturelles. On enchante son cœur, on le place en lieu sûr, au sommet d’un arbre par exemple ; tant qu’il y restera, aucune force ne prévaudra contre le corps qu’il anime quand même[29]. Cependant, les dieux, descendus en visite sur la terre, ont pitié de l’isolement de Baîti et ils lui fabriquent une femme[30]. Comme il l’aime éperdument, il lui confie son secret, et il lui enjoint de ne pas quitter la maison ; car le Nil qui arrose la vallée est épris de sa beauté et ne manquerait pas à vouloir l’enlever. Cette confidence faite, il s’en va à la chasse, et elle lui désobéit aussitôt : le Nil l’assaille et s’emparerait d’elle, si l’Acacia, qui joue le rôle de protecteur on ne sait trop comment, ne la sauvait en jetant à l’eau une boucle de ses cheveux. Cette épave, charriée jusqu’en Égypte, est remise à Pharaon, et Pharaon, conseillé par ses magiciens, envoie ses gens à la recherche de la fille des dieux. La force échoue la première fois ; à la seconde la trahison réussit, on coupe l’Acacia, et sitôt qu’il est à bas Baîti meurt. Trois années durant il reste inanimé ; la quatrième, il ressuscite avec l’aide d’Anoupou et il songe à tirer vengeance du crime dont il est la victime. C’est désormais entre l’épouse infidèle et le mari outragé une lutte d’adresse magique et de méchanceté. Baîti se change en taureau : la fille des dieux obtient qu’on égorge le taureau. Le sang, touchant le sol, en fait jaillir deux perséas qui trouvent une voix pour dénoncer la perfidie : la fille des dieux obtient qu’on abatte les deux perséas, qu’on en façonne des meubles, et, pour mieux goûter sa vengeance, elle assiste à l’opération. Un copeau, envolé sous l’herminette des menuisiers, lui entre dans la bouche ; elle l’avale, elle conçoit, elle accouche d’un fils qui succède à Pharaon ; et qui est Baîti réincarné. À peine monté sur le trône, il rassemble les conseillers de la couronne et il leur expose ses griefs, puis il envoie au supplice celle qui, après avoir été sa femme, était devenue sa mère malgré elle. Somme toute, il y a dans ce seul conte l’étoffe de deux romans distincts, dont le premier met en scène la donnée du serviteur accusé par la maîtresse qu’il a dédaignée, tandis que le second dépeint les métamorphoses du mari trahi par sa femme. La fantaisie populaire les a réunis par le moyen d’un troisième motif, celui de l’homme ou du démon qui cache son cœur et meurt lorsqu’un ennemi le découvre. Avant de s’expatrier, Baîti a déclaré qu’un malheur lui arriverait bientôt, et il a décrit les prodiges qui doivent annoncer la mauvaise nouvelle à son frère. Ils s’accomplissent au moment où l’Acacia tomba et Anoupou part d’urgence à la recherche du cœur : l’aide qu’il prête en cette circonstance compense la tentative de meurtre du début, et elle forme la liaison entre les deux contes.

La tradition grecque, elle aussi, avait ses fables où le héros est tué ou menacé de mort pour avoir refusé les faveurs d’une femme adultère, Hippolyte, Pélée, Phinée. Bellérophon, fils de Glaucon, « à qui donnèrent les dieux la beauté et une aimable vigueur », avait résisté aux avances de la divine Antéia, et celle-ci, furieuse, s’adressa au roi Prœtos : « Meurs, Prœtos, ou tue Bellérophon, car il a voulu s’unir d’amour avec moi, qui n’ai point voulu ». Prœtos expédia le héros en Lycie, où il comptait que la Chimère le débarrasserait de lui[31]. La Bible raconte en détail une aventure analogue au récit égyptien. Joseph vivait dans la maison de Putiphar comme Baîti dans celle d’Anoupou : « Or il était beau de taille et de figure. Et il arriva à quelque temps de là que la femme du maître de Joseph jeta ses yeux sur lui et lui dit : « Couche avec moi ! » Mais il s’y refusa et lui répondit : « Vois-tu, mon maître ne se soucie pas, avec moi, de ce qui se passe dans sa maison, et il m’a confié tout son avoir. Lui-même n’est pas plus grand que moi dans cette maison, et il ne m’a rien interdit si ce n’est toi, puisque tu es sa femme. Comment donc commettrais-je ce grand crime, ce péché contre Dieu ? » Et quoiqu’elle parlât ainsi à Joseph tous les jours, il ne l’écouta point et il refusa de coucher avec elle et de rester avec elle. Or, il arriva un certain jour qu’étant entré dans la chambre pour y faire sa besogne, et personne des gens de la maison ne s’y trouvant, elle le saisit par ses habits en disant : « Couche avec moi ! » Mais il laissa son habit entre ses mains et il sortit en toute hâte. Alors, comme elle vit qu’il avait laissé son habit entre ses mains et qu’il s’était hâté de sortir, elle appela les gens de sa maison et elle leur parla en ces termes : « Voyez donc, on nous a amené là un homme hébreu pour nous insulter. Il est entré chez moi pour coucher avec moi, mais j’ai poussé un grand cri, et quand il m’entendit élever la voix pour crier, il laissa son habit auprès de moi et il sortit en toute hâte ». Et elle déposa l’habit près d’elle, jusqu’à ce que son maître fût rentré chez lui ; puis elle lui tint le même discours, en disant : « Il est entré chez moi, cet esclave hébreu que tu nous as amené, pour m’insulter, et quand j’élevai la voix pour crier, il laissa son habit auprès de moi et il se hâta de sortir ». Quand son maître eut entendu les paroles de sa femme qu’elle lui adressait en disant : « Voilà ce que m’a fait ton esclave ! » il se mit en colère, et il le prit, et il le mit en prison, là où étaient enfermés les prisonniers du roi. Et il resta là dans cette prison[32]. La comparaison avec le Conte des deux Frères est si naturelle que M. de Rougé l’avait instituée dès 1852[33]. Mais la séduction tentée, les craintes de la coupable, sa honte, la vengeance qu’elle essaie de tirer sont données assez simples pour s’être présentées à l’esprit des conteurs populaires, indépendamment et sur plusieurs points du globe à la fois[34]. Il n’est pas nécessaire de reconnaître dans l’aventure de Joseph la variante d’une histoire, dont le Papyrus d’Orbiney nous aurait conservé la version courante à Thèbes, vers la fin de la XIXe dynastie.

Peut-être convient-il de traiter avec la même réserve un conte emprunté aux Mille et une Nuits, et qui n’est pas sans analogie avec le nôtre. Le thème primitif y est dédoublé et aggravé d’une manière singulière : au lieu d’une belle-sœur qui s’offre à son beau-frère, ce sont deux belles-mères qui essaient de débaucher les fils de leur mari commun. Le prince Kamaralzaman avait eu Amgiâd de la princesse Bâdour et Assâd de la princesse Haïât-en-néfous. Amgiâd et Assâd étaient si beaux que, dès l’enfance ; ils inspirèrent aux sultanes une tendresse incroyable. Les années écoulées, ce qui semblait affection maternelle éclate en passion violente : au lieu de combattre leur ardeur criminelle, Bâdour et Haïât-en-néfous se concertent et elles déclarent leur amour par lettres de haut style. Évincées avec mépris, elles craignent une dénonciation. À l’exemple de la femme d’Anoupou, elles prétendent qu’on a voulu leur faire violence, elles pleurent, elles crient, elles se couchent ensemble dans un même lit, comme si la résistance avait épuisé leurs forces. Le lendemain matin, Kamaralzaman, revenu de la chasse, les trouve plongées dans les larmes et leur demande la cause de leur douleur. On devine la réponse : « Seigneur, la peine qui nous accable est de telle nature que nous ne pouvons plus supporter la lumière du jour, après l’outrage dont les deux princes vos enfants se sont rendus coupables à notre égard. Ils ont eu, pendant votre absence ; l’audace d’attenter à notre honneur ». Colère du père, sentence de mort contre les fils : le vieil émir chargé de l’exécuter ne l’exécute point, sans quoi il n’y aurait plus de conte. Kamaralzaman ne tarde pas à reconnaître l’innocence d’Amgiâd et d’Assâd : cependant, au lieu de tuer ses deux femmes comme Anoupou la sienne, il se borne à les emprisonner pour le restant de leurs jours[35]. C’est la donnée du Conte des deux Frères, mais adaptée aux besoins de la polygamie musulmane : à se modifier de la sorte, elle n’a gagné ni en intérêt, ni en moralité[36].

Les versions du deuxième conte sont plus nombreuses et plus curieuses[37]. On les rencontre partout, en France[38], en Italie[39], dans les différentes parties de l’Allemagne[40], en Transylvanie[41], en Hongrie[42], en Russie et dans les pays slaves[43], chez les Roumains[44], dans le Péloponèse[45], en Asie-Mineure[46], en Abyssinie[47], dans l’Inde[48]. En Allemagne, Baîti est un berger, possesseur d’une épée invincible. Une princesse lui dérobe son talisman ; il est vaincu, tué, coupé en morceaux, puis rendu à la vie par des enchanteurs qui lui concèdent la faculté de « revêtir toutes les formes qui lui plairont ». Il se change en cheval. Vendu au roi ennemi et reconnu par la princesse qui insiste pour qu’on le décapite, il intéresse à son sort la cuisinière du château : « Quand on me tranchera la tête, trois gouttes de mon sang sauteront sur ton tablier ; tu les mettras en terre pour l’amour de moi ». Le lendemain, un superbe cerisier avait poussé à l’endroit même où les trois gouttes avaient été enterrées. La princesse coupe le cerisier ; la cuisinière ramasse trois copeaux et les jette dans l’étang où ils se transforment en autant de canards d’or. La princesse en tue deux à coups de flèche, s’empare du troisième et l’emprisonne dans sa chambre ; pendant la nuit, le canard reprend l’épée et disparaît[49]. En Russie, Baîti s’appelle Ivan, fils de Germain le sacristain. Il trouve une épée magique dans un buisson, il va guerroyer contre les Turcs qui avaient envahi le pays d’Arinar, il en tue quatre-vingt mille, cent mille, puis il reçoit pour prix de ses exploits la main de Cléopâtre, fille du roi. Son beau-père meurt, le voilà roi à son tour, mais sa femme le trahit et livre l’épée aux Turcs ; quand Ivan désarmé a péri dans la bataille, elle s’abandonne au sultan comme la fille des dieux à Pharaon. Cependant, Germain le sacristain, averti par un flot de sang qui jaillit au milieu de l’écurie, part et recueille le cadavre. « Si tu veux le ranimer, dit son cheval, ouvre mon ventre, arrache mes entrailles, frotte le mort de mon sang, puis, quand les corbeaux viendront me dévorer, prends-en un et oblige-le à t’apporter l’eau merveilleuse de vie ». Ivan ressuscite et renvoie son père : « Retourne à la maison ; moi je me charge de régler mon compte avec l’ennemi ». En chemin, il aperçoit un paysan : « Je me changerai pour toi en un cheval merveilleux, avec une crinière d’or : tu le conduiras devant le palais du sultan, ». Le sultan voit le cheval, l’enferme à l’écurie et ne se lasse pas de l’aller admirer. « Pourquoi, seigneur, lui dit Cléopâtre, es-tu toujours aux écuries ? – J’ai acheté un cheval qui a une crinière d’or. – Ce n’est pas un cheval, c’est Ivan, le fils du sacristain : commande qu’on le tue ». Un bœuf au pelage d’or naît du sang du cheval : Cléopâtre le fait égorger. De la tête du taureau naît un pommier aux pommes d’or : Cléopâtre le fait abattre. Le premier copeau qui s’envole du tronc sous la hache se métamorphose en un canard magnifique. Le sultan ordonne qu’on lui donne la chasse et il se jette lui-même à l’eau pour l’attraper, mais le canard s’échappe vers l’autre rive. Il y reprend sa figure d’Ivan, avec des habits de sultan, il jette sur un bûcher Cléopâtre et son amant, puis il règne à leur place[50].

Voilà bien, à plus de trois mille ans d’intervalle, les grandes lignes de la version égyptienne. Si l’on voulait se donner la peine d’en examiner les détails, les analogies se révéleraient partout presque aussi fortes. La boucle de cheveux enivre Pharaon de son parfum ; dans un récit breton, la mèche de cheveux lumineuse de la princesse de Tréménéazour rend amoureux le roi de Paris[51]. Baîti place son cœur sur la fleur de l’Acacia ; dans le Pantchatantra, un singe raconte qu’il ne quitte jamais sa forêt sans laisser son cœur caché au creux d’un arbre[52]. Anoupou est averti de la mort de Baîti par un intersigne convenu à l’avance, du vin et de la bière qui se troublent ; dans divers contes européens, un frère partant en voyage annonce à son frère que, le jour où l’eau d’une certaine fiole se troublera, on saura qu’il est mort[53]. Et ce n’est pas seulement la littérature populaire qui possède l’équivalent de ces aventures : les religions de la Grèce et de l’Asie occidentale renferment des légendes qu’on peut leur comparer presque point par point. Pour ne citer que le mythe phrygien, Atys dédaigne l’amour de la déesse Cybèle, comme Baîti celui de la femme d’Anoupou, et il se mutile comme Baîti[54] ; de même aussi que Baîti en arrive de changement en changement à n’être plus qu’un perséa, Atys se transforme en pin[55]. Toutefois ni Anoupou, ni Baîti ne sont des dieux ou des héros venus à l’étranger. Le premier est allié de près au dieu chien des Égyptiens, et le second porte le nom d’une des divinités les plus vieilles de l’Égypte archaïque, ce Baîti à double buste et à double tête de taureau[56] dont le culte s’était localisé de très bonne heure dans la Moyenne Égypte, à Saka du nome Cynopolite[57], à côté de celui d’Anubis[58] : il fut plus tard considéré comme l’un des rois antérieurs à Ménés[59], et son personnage et son rôle mythique se confondirent dans ceux d’Osiris[60]. D’autres ont fait ou feront mieux que moi les rapprochements nécessaires : j’en ai dit assez pour montrer que les deux éléments principaux existaient ailleurs qu’en Égypte et en d’autres temps qu’aux époques pharaoniques.

Y a-t-il dans tout cela une raison suffisante de déclarer qu’ils n’en sont pas ou qu’ils en sont originaires ? Un seul point me paraît hors de doute pour le moment : la version égyptienne est de beaucoup la plus vieille en date que nous ayons. Elle nous est parvenue en effet dans un manuscrit du XIIIe siècle avant notre ère, c’est-à-dire nombre d’années avant le moment où nous commençons à relever la trace des autres. Si le peuple égyptien en a emprunté les données ou s’il les a transmises au dehors, l’opération s’est accomplie à une époque plus ancienne encore que celle où la rédaction nous reporte ; qui peut dire aujourd’hui comment et par qui elle s’est faite ?

II

Que le fond soit ou ne soit pas étranger, la forme est toujours indigène, si par aventure il y eut emprunt du sujet, au moins l’assimilation fut-elle complète. Et d’abord les noms. Quelques-uns, Baîti et Anoupou, appartiennent à la religion ou à la légende : Anoupou[61] est, je viens de le dire, en rapport avec Anubis, et son frère, Baîti, avec Baîti le double Taureau.

D’autres dérivent de l’histoire et ils rappellent le souvenir des plus célèbres parmi les Pharaons. L’instinct qui porte les conteurs de tous les pays et de tous les temps à choisir comme héros des rois ou des seigneurs de haut rang, s’associait en Égypte à un sentiment patriotique très vif. Un homme de Memphis, né au pied du temple de Phtah et grandi, pour ainsi dire, à l’ombre des Pyramides, était familier avec Khoufouî et ses successeurs : les bas-reliefs étalaient à ses yeux leurs portraits authentiques, les inscriptions énuméraient leurs titres et célébraient leur gloire. Sans remonter aussi loin que Memphis dans le passé de l’Égypte, Thèbes n’était pas moins riche en monuments : sur la rive droite comme sur la rive gauche du Nil, à Karnak et à Louxor comme à Gournah et à Médinét-Habou, les murailles parlaient à ses enfants de victoires remportées sur les nations de l’Asie ou de l’Afrique et d’expéditions lointaines au-delà des mers. Quand le conteur mettait des rois en scène, l’image qu’il évoquait n’était pas seulement celle d’un mannequin affublé d’oripeaux superbes : son auditoire et lui-même songeaient à ces princes toujours triomphants, dont la figure et la mémoire se perpétuaient vivantes au milieu d’eux. Il ne suffisait pas d’avancer que le héros était un souverain et de l’appeler Pharaon : il fallait dire de quel Pharaon glorieux on parlait, si c’était Pharaon Ramsès ou Pharaon Khoufouî, un constructeur de pyramides ou un conquérant des dynasties guerrières. La vérité en souffrait souvent. Si familiers qu’ils fussent avec les monuments, les Égyptiens qui n’avaient pas fait de leurs annales une étude attentive inclinaient assez à défigurer les noms et à brouiller les époques. Dès la XIIe dynastie, Sinouhît raconte ses aventures à un certain Khopirkérîya Amenemhaît, qui joint au nom propre Amenemhaît le prénom du premier Sanouosrît : on le chercherait en vain sur les listes officielles[62]. Sanafrouî, de la IVe dynastie, est introduit dans le roman conservé à Saint-Pétersbourg avec Amoni de la XIe[63] ; Khoufouî, Khâfrîya et les trois premiers Pharaons de la Ve dynastie jouent les grands rôles dans les récits du papyrus Westcar[64] ; Nabkéourîya, de la IXe, se montre dans l’un des papyrus de Berlin[65] ; Ouasimarîya et Minibphtah de la XIXe[66], Siamânou de la XXIe avec un prénom Manakhphré qui rappelle celui de Thoutmôsis III[67], dans les deux Contes de Satni ; Pétoubastis de la XXVIe[68] ; Râhotpou et Manhapouriya dans un fragment d’histoire de revenant[69], et un roi d’Égypte anonyme dans le Conte du prince prédestiné. Les noms d’autrefois prêtaient au récit un air de vraisemblance qu’il n’aurait pas eu sans cela : une aventure merveilleuse, inscrite au compte de l’un des Ramsès, devenait plus probable qu’elle n’aurait été, si on l’avait attribuée à quelque bon bourgeois sans notoriété.

Il s’établit ainsi, à côté des annales officielles, une chronique populaire parfois bouffonne, toujours amusante. Le caractère des Pharaons et leur gloire même en souffrit : de même qu’il y eut dans l’Europe au moyen âge le cycle de Charlemagne où le rôle et l’esprit de Charlemagne furent dénaturés complètement, on eut en Égypte des cycles de Sésôstris et d’Osimandouas, des cycles de Thoutmôsis III, des cycles de Chéops, où la personne de Ramsès II, de Thoutmôsis III, de Chéops, se modifia au point de devenir souvent méconnaissable. Des périodes entières se transformèrent en sortes d’épopées romanesques, et l’âge des grandes invasions assyriennes et éthiopiennes fournit une matière inépuisable aux rapsodes : selon la mode ou selon leur propre origine, ils groupèrent les éléments que cette époque belliqueuse leur prodiguait autour des Saïtes Bocchoris et Psammétique[70], autour du Tanite Pétoubastis, ou autour du bédouin Pakrour, le grand chef de l’Est[71]. Toutefois, Khoufouî est l’exemple le plus frappant peut-être que nous ayons de cette dégénérescence. Les monuments nous suggèrent de lui l’opinion la plus avantageuse. Il fut guerrier et il sût contenir les Nomades qui menaçaient les établissements miniers du Sinaï. Il fut constructeur et il bâtit en peu de temps, sans nuire à la prospérité du pays, la plus haute et la plus massive des Pyramides. Il fut dévot, il enrichit les dieux de statues en or et en matières précieuses, il restaura les temples anciens, il en édifia de nouveaux. Bref, il se montra le type accompli du Pharaon Memphite. Voilà le témoignage des documents contemporains, mais écoutez celui des générations postérieures, tel que les historiens grecs l’ont recueilli. Chez eux, Chéops est un tyran impie qui opprime son peuple et qui prostitue sa fille pour achever sa pyramide. Il proscrit les prêtres, il pille les temples, et il les tient fermés cinquante années durant. Le passage de Khoufouî à Chéops n’a pu s’accomplir en un jour, et, si nous possédions plus de la littérature égyptienne, nous en jalonnerions les étapes à travers les âges, comme nous faisons celui du Charlemagne des annalistes au Charlemagne des trouvères. Nous saisissons, avec le conte du Papyrus Westcar[72], un des moments de la métamorphose. Khoufouî n’y est déjà plus le Pharaon soumis religieusement aux volontés des dieux. Lorsque Râ se déclare contre lui et suscite les trois princes qui ont détrôné sa famille, il se ligue avec un magicien pour déjouer les projets du dieu ou pour en retarder l’exécution : on voit qu’il n’hésiterait pas à traiter les temples de Sakhîbou aussi mal que le Chéops d’Hérodote avait traité tous ceux de l’Égypte.

Ici, du moins, le roman n’emprunte pas le ton de l’histoire : sur la Stèle de la princesse de Bakhtan[73], il s’est entouré d’un appareil de noms et de dates combiné si habilement qu’il a réussi à revêtir les apparences de la vérité. Le thème fondamental n’y a rien d’essentiellement égyptien : c’est celui de la princesse possédée par un revenant ou par un démon, délivrée par un magicien, par un dieu ou par un saint. La variante égyptienne, en se l’appropriant, a mis en mouvement l’inévitable Ramsès II, et elle a profité du mariage qu’il contracta en l’an XXXIV de son règne avec la fille aînée de Khattousîl II, le roi des Khâti, pour transporter en Asie le théâtre principal de l’action. Elle le marie à la princesse presque un quart de siècle avant l’époque du mariage réel, et dès l’an XV, elle lui expédie une ambassade pour lui apprendre que sa belle-sœur Bintrashît est obsédée d’un esprit, dont seuls des magiciens habiles sont capables de la délivrer. Il envoie le meilleur des siens, Thotemhabi, mais celui-ci échoue dans ses exorcismes et il revient tout penaud. Dix années s’écoulent, pendant lesquelles l’esprit reste maître du terrain, puis en l’an XXVI, nouvelle ambassade : cette fois, une des formes, un des doubles de Khonsou consent à se déranger, et, partant en pompe pour l’étranger, il chasse le malin en présence du peuple de Bakhtan[74]. Le prince, ravi, médite de garder le libérateur, mais un songe suivi de maladie a promptement raison de ce projet malencontreux, et l’an XXXIII, Khonsou rentre à Thèbes, chargé d’honneurs et de présents. Ce n’est pas sans raison que le roman affecte l’allure de l’histoire. Khonsou était demeuré très longtemps obscur et de petit crédit. Sa popularité, qui ne commença guère qu’à la fin de la XIXe dynastie, crût rapidement sous les derniers Ramessides : au temps des Tanites et des Bubastites, elle balançait presque celle d’Amon lui-même. Il n’en pouvait aller ainsi sans exciter la jalousie du vieux dieu et de ses partisans : les prêtres de Khonsou et ses dévots durent chercher naturellement dans le passé les traditions qui étaient de nature à rehausser son prestige. Je ne crois pas qu’ils aient fabriqué notre conte de toutes pièces. Il existait avant qu’ils songeassent à se servir de lui, et, les conquêtes de Ramsès en Asie, ainsi que son mariage exotique, le désignaient nécessairement pour être le héros d’une aventure dont une Syrienne était l’héroïne. Voilà pour le nom du roi : celui du dieu guérisseur était avant tout affaire de mode ou de piété individuelle, Khonsou étant la mode au temps que le conteur écrivait, c’est à sa statue qu’il confia l’honneur d’opérer la guérison miraculeuse. Les prêtres se bornèrent à recueillir ce roman si favorable à leur dieu ; ils lui donnèrent les allures d’un acte réel, et ils l’affichèrent dans le temple[75].

On conçoit que les égyptologues aient pris au sérieux les faits consignés dans une pièce qui s’offrait à eux avec toutes les apparences de l’authenticité : ils ont été victimes d’une fraude pieuse, comme nos archivistes lorsqu’ils se trouvent en face des chartes fausses d’une abbaye. On conçoit moins qu’ils se soient laissé tromper aux romans d’Apôpi ou de Thoutîyi. Dans le premier, qui est fort mutilé, le roi Pasteur Apôpi dépêche message sur message au thébain Saqnounrîya et le somme de chasser les hippopotames du lac de Thèbes qui l’empêchent de dormir. On ne se douterait guère que cette exigence bizarre sert de prétexte à une propagande religieuse : c’est pourtant la vérité. Si le prince de Thèbes refuse d’obéir, on l’obligera à renoncer au culte de Râ pour adopter celui de Soutekhou[76]. Aussi bien la querelle d’Apôpi et de Saqnounrîya semble n’être que la variante locale d’un thème populaire dans l’Orient entier. « Les rois d’alors s’envoyaient les uns aux autres des problèmes à résoudre sur toutes sortes de matières, à condition de se payer une espèce de tribut ou d’amende, selon qu’ils répondraient bien ou mal aux questions proposées ». C’est ainsi qu’Hiram de Tyr débrouillait par l’entremise d’un certain Abdémon les énigmes que Salomon lui intentait[77]. Sans examiner ici les fictions diverses qu’on a établies sur cette donnée, j’en citerai une qui nous rend intelligible ce qui subsiste du récit égyptien. Le Pharaon Nectanébo expédie un ambassadeur à Lycérus, roi de Babylone, et à son ministre Ésope : « J’ay des cavales en Égypte qui conçoivent au hannissement des chevaux qui sont devers Babylone : qu’avez-vous à répondre là-dessus ? » Le Phrygien remit sa réponse au lendemain ; et, retourné qu’il fut au logis, il commanda à des enfants de prendre un chat et de le mener fouettant par les rues. Les Égyptiens, qui adorent cet animal, se trouvèrent extrêmement scandalisez du traitement que lon luy faisoit. Ils l’arracherent des mains des enfans, et allerent se plaindre au Roy. On fit venir en sa présence le Phrygien. « Ne savez-vous pas, lui dit le Roy, que cet animal est un de nos dieux ? Pourquoy donc le faites-vous traiter de la sorte ? – C’est pour l’offense qu’il a commise envers Lycerus, reprit Ésope ; car la nuit dernière il luy a étranglé un coq extrêmement courageux et qui chantoit à toutes les heures. – Vous estes un menteur, reprit le Roy ; comment seroit-il possible que ce chat eust fait, en si peu de temps, un si long voyage ? – Et comment est-il possible, reprit Ésope, que vos jumens entendent de si loin nos chevaux hannir et conçoivent pour les entendre ? »[78] Un défi porté par le roi du pays des Nègres au Pharaon Ousimarès noue la crise du second roman de Satni, mais là du moins il s’agit d’une lettre cachetée dont on doit deviner le contenu[79], non pas d’animaux prodigieux que les deux rivaux posséderaient. Dans la Querelle, les hippopotames du lac de Thèbes, que le roi du Sud devra chasser pour que le roi du Nord dorme en paix, sont cousins des chevaux dont le hennissement porte jusqu’à Babylone, ou du chat qui accomplit en une seule nuit le voyage d’Assyrie, aller et retour[80]. Je ne doute pas qu’après avoir reçu le second message d’Apôpi, Saqnounrîya ne trouvât, dans son conseil, un sage aussi perspicace qu’Ésope le phrygien, et dont la prudence le tirait sain et sauf de l’épreuve. Le roman allait-il plus loin, et décrivait-il la guerre éclatée entre les princes du Nord et du Sud, puis l’Égypte délivrée du joug des Pasteurs ? Le manuscrit ne nous mène pas assez avant pour que nous devinions le dénouement auquel l’auteur s’était arrêté.

Bien que le roman de Thoutîyi soit incomplet du début, l’intelligence du récit ne souffre pas trop de cette mutilation. Le sire de Joppé, s’étant révolté contre Thoutmôsis III, Thoutîyi l’attire au camp égyptien sous prétexte de lui montrer la grande canne de Pharaon et il le tue. Mais ce n’est pas tout de s’être débarrassé de l’homme, si la ville tient bon. Il empote donc cinq cents soldats dans des cruches énormes, il les transporte jusque sous les murs, et là, il contraint l’écuyer du chef à déclarer que les Égyptiens ont été battus et qu’on ramène leur général prisonnier. On le croit, on ouvre les portes, les soldats sortent de leurs cruches et enlèvent la place. Avons-nous ici le récit d’un épisode réel des guerres égyptiennes ? Joppé a été l’un des premiers points de la Syrie occupés par les Égyptiens : Thoutmôsis Ier l’avait soumise, et elle figure sur la liste des conquêtes de Thoutmôsis III. Sa condition sous ses maîtres nouveaux n’avait rien de particulièrement fâcheux : elle payait tribut, mais elle conservait ses lois propres et son chef héréditaire. Le Vaincu de Jôpou, car Vaincu est le titre des princes syriens dans le langage de la chancellerie égyptienne, dut agir souvent comme le Vaincu de Tounipou, le Vaincu de Kodshou et tant d’autres, qui se révoltaient sans cesse et qui attiraient sur leurs peuples la colère de Pharaon. Le fait d’un sire de Joppé en lutte avec son suzerain n’a rien d’invraisemblable en soi, quand même il s’agirait d’un Pharaon aussi puissant qu’était Thoutmôsis Ill et aussi dur à la répression. L’officier Thoutîyi n’est pas non plus un personnage entièrement fictif. On connaît un Thoutîyi qui vivait, lui aussi, sous Thoutmôsis et qui avait exercé de grands commandements en Syrie et en Phénicie. Il s’intitulait « prince héréditaire, délégué du roi en toute région étrangère des pays situés dans la Méditerranée, scribe royal, général d’armée, gouverneur des contrées du Nord »[81]. Rien n’empêche que dans une de ses campagnes il ait eu à combattre le seigneur de Joppé.

Les principaux acteurs peuvent donc avoir appartenu à l’histoire. Les actions qu’on leur prête ont-elles la couleur historique, ou sont-elles du domaine de la fantaisie ? Thoutîyi s’insinue comme transfuge chez le chef ennemi et il l’assassine. Il se déguise en prisonnier de guerre pour pénétrer dans la place. Il introduit avec lui des soldats habillés en esclaves et qui portent d’autres soldats cachés dans des jarres en terre. On trouve chez la plupart des écrivains classiques des exemples qui justifient suffisamment l’emploi des deux premières ruses. J’accorde volontiers qu’elles doivent avoir été employées par les généraux de l’Égypte, aussi bien que par ceux de la Grèce et de Rome. La troisième renferme un élément non seulement vraisemblable, mais réel : l’introduction dans une forteresse de soldats habillés en esclaves ou en prisonniers de guerre. Polyen raconte comment Néarque le Crétois prit Telmissos, en feignant de confier au gouverneur Antipatridas une troupe de femmes esclaves. Des enfants enchaînés accompagnaient les femmes avec l’appareil des musiciens, et une escorte d’hommes sans armes surveillait le tout. Introduits dans la citadelle, ils ouvrirent chacun l’étui de leur flûte, qui renfermait un poignard au lieu de l’instrument, puis ils fondirent sur la garnison et ils s’emparèrent de la ville[82]. Si Thoutîyi s’était borné à charger ses gens de vases ordinaires ou de boîtes renfermant des lames bien affilées, je n’aurais rien à objecter contre l’authenticité de son aventure. Mais il les écrasa sous le poids de vastes tonneaux en terre qui contenaient chacun un soldat armé ou des chaînes au lieu d’armes. Si l’on veut trouver l’équivalent de ce stratagème, il faut descendre jusqu’aux récits véridiques des Mille et une Nuits. Le chef des quarante voleurs, pour mener incognito sa troupe chez Ali-Baba, n’imagine rien de mieux à faire que de la cacher en jarre, un homme par jarre, et de se représenter comme un marchand d’huile en tournée d’affaires qui désire mettre sa marchandise en sûreté. Encore le conteur arabe a-t-il plus souci de la vraisemblance que l’égyptien, et fait-il voyager les pots de la bande à dos de bêtes, non à dos d’hommes. Le cadre du récit est historique ; le fond du récit est de pure imagination.

Si les égyptologues modernes ont pu s’y méprendre, à plus forte raison les anciens se sont-ils laissé duper à des inventions analogues. Les interprètes et les prêtres de basse classe, qui guidaient les étrangers, connaissaient assez bien ce qu’était l’édifice qu’ils montraient, qui l’avait fondé, qui restauré ou agrandi et quelle partie portait le cartouche de quel souverain ; mais, dès qu’on les poussait sur le détail, ils restaient court et ils ne savaient plus que débiter des fables. Les Grecs eurent affaire avec eux, et il n’y a qu’à lire Hérodote en son second livre pour voir comment ils furent renseignés sur le passé de l’Égypte. Quelques-uns des on-dit qu’il a recueillis renferment encore un ensemble de faits plus ou moins altérés, l’histoire de la XXVIe dynastie par exemple, ou, pour les temps anciens, celle de Sésostris. La plupart des récits antérieurs à l’avènement de Psammétique Ier sont chez lui de véritables romans où la vérité n’a point de part. Le canevas de Rhampsinite et du fin larron existe ailleurs qu’en Égypte[83]. La vie légendaire des rois constructeurs de pyramides n’a rien de commun avec leur vie réelle. Le chapitre consacré à Phéron renferme l’abrégé d’une satire humoristique à l’adresse des femmes[84]. La rencontre de Protée avec Hélène et Ménélas est l’adaptation égyptienne d’une tradition grecque[85]. On pouvait se demander jadis si les guides avaient tout tiré de leur propre fonds : la découverte des romans égyptiens a prouvé que, là comme ailleurs, l’imagination leur manqua. Ils se sont contentés de répéter en bons perroquets les fables qui avaient cours dans le peuple, et la tâche leur était d’autant plus facile que la plupart des héros y étaient affublés de noms ou de titres authentiques. Aussi les dynasties des historiens qui s’étaient informés auprès d’eux sont-elles un mélange de noms véritables, Ménès, Sabacon, Chéops, Chéphrên, Mykérinos, ou déformés par l’addition d’un élément parasite pour les différencier de leurs homonymes, Rhampsinitos à côté de Rhamsès, Psamménitos à côté de Psammis et de Psammétique ; de prénoms altérés par la prononciation, Osimandouas pour Ouasimarîya[86] ; de sobriquets populaires, Sésousrîya, Sésôstris-Sésoôsis ; de titres, Phérô, Prouîti, dont on a fait des noms propres, enfin de noms forgés de toutes pièces comme Asychis, Ouchoreus, Anysis.

La passion du roman historique ne disparut pas avec les dynasties nationales. Déjà, sous les Ptolémées, Nectanébo, le dernier roi de race indigène, était devenu le centre d’un cycle important. On l’avait métamorphosé en un magicien habile, un constructeur émérite de talismans : on l’imposa pour père à Alexandre le Macédonien. Poussons même au delà de l’époque romaine : la littérature byzantine et la littérature copte qui dérive de celle-ci avaient aussi leurs Gestes de Cambyse et d’Alexandre, cette dernière calquée sur l’écrit du Pseudo-Callisthènes[87], et il n’y a pas besoin de scruter attentivement les chroniques arabes pour extraire d’elles une histoire imaginaire de l’Égypte empruntée aux livres coptes[88]. Que l’écrivain empêtré dans ce fatras soit Latin, Grec ou Arabe, on se figure aisément ce que devient la chronologie parmi ces manifestations de la fantaisie populaire. Hérodote, et à son exemple presque tous les écrivains anciens et modernes, jusqu’à nos jours, ont placé Moiris, Sésostris, Rhampsinite, avant les rois constructeurs de pyramides. Les noms de Sésostris et de Rhampsinite sont un souvenir de la XIXe et de la XXe dynastie ; celui des rois constructeurs de pyramides, Chéops, Chéphrên, Mykérinos, nous reporte à la quatrième. C’est comme si un historien de la France plaçait Charlemagne après les Bonaparte, mais la façon cavalière dont les romanciers égyptiens traitent la succession des règnes nous enseigne comment il se fait qu’Hérodote ait commis pareille erreur. L’un des contes dont les papyrus nous ont conservé l’original, celui de Satni, met en scène deux rois et un prince royal. Les rois s’appellent Ouasimârîya et Mînibphtah, le prince royal Satni Khâmoîs. Ouasimârîya est un des prénoms de Ramsès II, celui qu’il avait dans sa jeunesse alors qu’il était encore associé à son père. Mînibphtah est une altération, peut-être volontaire, du nom de Mînéphtah, fils et successeur de Ramsès II. Khâmoîs, également fils de Ramsès II, administra l’empire pendant plus de vingt ans, pour le compte de son père vieilli. S’il y avait dans l’ancienne Égypte un souverain dont la mémoire fût restée populaire, c’était à coup sûr Ramsès II. La tradition avait inscrit à son compte ce que la lignée entière des Pharaons avait accompli de grand pendant de longs siècles. On devait donc espérer que le romancier respecterait la vérité au moins en ce qui concernait cette idole et qu’il ne toucherait pas à la généalogie :

Il n’en a pas tenu compte. Khâmoîs demeure, comme dans l’histoire, le fils d’Ouasimârîya, mais Minibphtah, l’autre fils, a été déplacé. Il est représenté comme étant tellement antérieur à Ouasimârîya, qu’un vieillard, consulté par Satni-Khâmoîs sur certains événements arrivés du temps de Minibphtah, en est réduit à invoquer le témoignage d’un aïeul très éloigné. « Le père du père de mon père a dit au père de mon père, disant : « Le père du père de mon père a dit au père de mon père : « Les tombeaux d’Ahouri et de Maîhêt sont sous l’angle septentrional de la maison du prêtre[89]… » Voilà six générations au moins entre le Mînibphtah et l’Ouasimârîya du roman :

Le fils, Minibphtah, est passé ancêtre et prédécesseur lointain de son propre père Ouasimârîya, et pour achever la confusion, le frère de lait de Satni porte un nom de l’âge persan, Éiernharérôou, Inaros[90]. Ailleurs, Satni, devenu le contemporain de l’Assyrien Sennachérib[91], est représenté comme vivant et agissant six cents ans après sa mort. Dans un troisième conte[92], il est relégué avec son père Ramsès II, quinze cents ans après un Pharaon qui paraît être un doublet de Thoutmôsis III.

Supposez un voyageur aussi disposé à enregistrer les miracles de Satni qu’Hérodote l’était à croire aux richesses de Rhampsinite. Pensez-vous pas qu’il eût commis, à propos de Mînibphtah et de Ramsès II, la même erreur qu’Hérodote au sujet de Rhampsinite et de Chéops ? Il aurait interverti l’ordre des règnes et placé le quatrième roi de la XIXe dynastie longtemps avant la troisième. Le drogman qui montrait le temple de Phtah et les pyramides de Gizèh aux visiteurs avait hérité vraisemblablement d’un boniment où il exposait, sans doute après beaucoup d’autres, comme quoi, à un Ramsès dit Rhampsinite le plus opulent des rois, avait succédé Chéops le plus impie des hommes. Il le débita devant Hérodote et le bon Hérodote l’inséra tel quel dans son livre. Comme Chéops, Chéphrên et Mykérinos forment un groupe bien circonscrit, que d’ailleurs, leurs pyramides s’élevant au même endroit, les guides n’avaient aucune raison de rompre l’ordre de succession à leur égard, Chéops une fois transposé, il devenait nécessaire de déménager avec lui Chéphrên, Mykérinos et le prince qu’on nommait Asychis, le riche[93]. Aujourd’hui que nous contrôlons le témoignage du voyageur grec par celui des monuments, peu nous importe qu’on l’ait trompé. Il n’écrivait pas une histoire d’Égypte. Même bien instruit, il n’aurait pas attribué à celui de ses discours qui traitait de ce pays plus de développement qu’il ne lui en a donné. Toutes les dynasties auraient tenu en quelques pages, et il ne nous eut rien appris que les documents originaux ne nous enseignent aujourd’hui. En revanche, nous y aurions perdu la plupart de ces récits étranges et souvent bouffons qu’il nous a contés si joliment sur la foi de ses guides. Phéron ne nous serait pas familier, ni Protée, ni Séthôn, ni Rhampsinite : je crois que ce serait grand dommage. Les hiéroglyphes nous disent, ou ils nous diront un jour, ce que firent les Chéops, les Ramsès, les Thoutmôsis du monde réel. Hérodote nous apprend ce qu’on disait d’eux dans les rues de Memphis. La partie de son second livre que leurs aventures remplissent est pour nous mieux qu’un cours d’histoire : c’est un chapitre d’histoire littéraire, et les romans qu’on y lit sont égyptiens au même titre que les romans conservés par les papyrus. Sans doute, il vaudrait mieux les posséder dans la langue d’origine, mais l’habit grec qu’ils ont endossé n’est pas assez lourd pour les déguiser : même modifiés dans le détail, ils gardent encore des traits de leur physionomie primitive ce qu’il en faut pour figurer, sans trop de disparate, à côté du Conte des Deux Frères ou des Mémoires de Sinouhît.

III

Voilà pour les noms : la mise en scène est purement égyptienne, et si exacte qu’on pourrait tirer des seuls romans un tableau complet des mœurs et de la société. Pharaon s’y révèle moins divin qu’on ne serait disposé à le croire, si on se contentait de le juger sur la mine hautaine que ses maîtres imagiers lui prêtent dans les scènes religieuses ou triomphales. Le romancier ne répugne pas à l’imaginer parfois ridicule et à le dépeindre dans des situations qui contrastent avec l’appareil plus qu’humain de sa grandeur. Il est trompé par sa femme comme un simple mortel[94], volé puis dupé à tout coup par les voleurs[95], escamoté par un magicien au milieu de son palais et rossé d’importance devant un roitelet nègre[96]. C’était la revanche du menu peuple, dépouillé et battu, sur le tyran qui l’écrasait. Le fellah qui venait de passer par les verges pour avoir refusé l’impôt, se consolait de sa poche vidée et de ses chairs sanglantes en s’entendant conter comment Manakhphré Siamonou avait endossé trois cents coups de bâton en une seule nuit, et comment il avait exhibé piteusement ses meurtrissures aux courtisans. Ce n’était là que des accidents passagers, et le plus souvent sa toute-puissance demeurait intacte dans la fiction comme dans l’histoire ; l’étiquette se dressait toujours très haute entre ses sujets et lui. Mais le cérémonial une fois satisfait, si l’homme lui plaît, comme c’est le cas pour Sinouhît[97], il daigne s’humaniser et le dieu bon se montre bon prince[98] : même il est jovial et il plaisante sur l’apparence rustique du héros, plaisanterie de roi qui provoque la gaieté de l’assistance mais dont le sel a dû s’évaporer à travers les âges, car nous n’en goûtons plus la saveur[99]. Il va plus loin encore avec ses intimes, et il s’enivre devant eux, malgré eux, sans vergogne[100]. Il est du reste en proie à cet ennui prodigieux que les despotes orientaux ont éprouvé de tout temps, et que les plaisirs ordinaires ne suffisent plus à chasser[101]. Comme Haroun-ar-raschid des Mille et une Nuits, Khoufouî et Sanafrouî essaient de se distraire en écoutant des histoires merveilleuses, ou en assistant à des séances de magie, mais ils n’y réussissent que médiocrement. Quelquefois, pourtant, un ministre mieux avisé que les autres leur invente un divertissement dont la nouveauté les aide à passer un ou deux jours presque dans la joie. Sanafrouî devait être aussi blasé que Haroun sur les délices du harem : son sorcier découvre pourtant le moyen de réveiller son intérêt en faisant ramer devant lui un équipage de jeunes filles à peine voilées d’un réseau à larges mailles[102]. Les civilisations ont beau disparaître et les religions changer ; l’esprit de l’Orient demeure immuable sous tous les masques, et Méhémet-Ali, dans notre siècle, n’a pas trouvé mieux que Sanafrouî dans le sien. On visite encore à Choubrah les bains qu’il avait construits sur un plan particulier. « C’est, dit Gérard de Nerval, un bassin de marbre blanc, entouré de colonnes d’un goût byzantin, avec une fontaine dans le milieu, dont l’eau s’échappe par des gueules de crocodiles. Toute l’enceinte est éclairée au gaz, et, dans les nuits d’été, le pacha se fait promener sur le bassin dans une cange dorée dont les femmes de son harem agitent les rames. Ces belles dames s’y baignent aussi sous les yeux de leur maître, mais avec des peignoirs en crêpe de soie, le Coran ne permettant pas les nudités ». Sans doute, mais le crêpe de Méhémet-Ali n’était guère moins transparent que le réseau de Sanafrouî.

Celui-là, c’est le Pharaon des grandes dynasties, dont l’autorité s’exerçait indiscutée sur l’Égypte entière, et pour qui les barons n’étaient que des sujets d’un ordre un peu plus relevé. Mais il arrivait souvent qu’après des siècles de pouvoir absolu, la royauté s’affaiblît et ne tînt plus la féodalité en respect. Celle-ci reprenait le dessus avec des caractères nouveaux selon les époques, et ses chefs les plus hardis se rendaient indépendants ou peu s’en faut, chacun dans son fief héréditaire : Pharaon n’était plus alors qu’un seigneur à peine plus riche ou plus fort que les autres, auquel on obéissait, par tradition et avec lequel on liait partie contre les rivaux, afin d’empêcher que ceux-ci ne finissent par usurper le trône, et qu’ils ne remplaçassent une souveraineté presque nominale par une domination effective. Tel est Pétoubastis dans l’Emprise de la cuirasse et du trône. Il n’a plus rien du maître impérieux de qui d’autres romans nous retracent le portrait, Chéops, Thoutmôsis, Ramsès II. Il est encore, par droit divin, le possesseur prétendu des deux Égyptes : seul il coiffe le double diadème, seul il est le fils de Râ, seul il a le droit d’envelopper ses noms des cartouches, et c’est d’après les années de son règne que la chancellerie date les événements qui s’accomplissent de son vivant. Toutefois c’est avant tout un pacifique, un dévot, soumis à toutes les prescriptions de la religion, le prototype de ce roi sans libre arbitre et sans esprit d’initiative dont les Grecs de l’âge macédonien nous représentèrent l’image comme celle du prince idéal[103]. La puissance ne réside pas entre ses mains. Il ne lui reste plus en propre qu’une portion, la moindre, de l’ancien domaine pharaonique, le nome de Tanis, celui de Memphis, peut-être deux ou trois de ceux du voisinage ; des familles, apparentées à la sienne pour la plupart, se sont approprié le gros du territoire et le serrent étroitement, Pakrour à l’Est dans l’Ouady Toumilât, le grand Seigneur d’Amon à Diospolis du Nord, à Mendès et à Busiris, Pétékhonsou et Pémou au sud, l’un dans Athribis, l’autre dans Héliopolis, sans parler des sires de Sébennytos, de Sais, de Méîtoum, de la lointaine Éléphantine, et d’une quinzaine d’autres plus obscurs. Ces gens-là lui doivent en principe l’hommage, le tribut, l’obéissance passive, le service de cour, la milice, mais ils ne s’astreignent pas toujours de bonne grâce à leurs obligations et la paix règne rarement autour d’eux. Ils entretiennent chacun leur armée et leur flotte, où les mercenaires libyens, syriens, éthiopiens, asianiques même, abondent à l’occasion. Ils ont leurs vassaux, leur cour, leurs finances, leurs dieux par lesquels ils jurent, leurs collèges de prêtres ou de magiciens ; ils s’allient, ils se brouillent, ils se battent, ils se pourchassent d’une rive du Nil à l’autre rive, ils se coalisent contre le Pharaon pour lui arracher les lambeaux de son domaine, puis, quand l’un d’eux sort du rang et qu’il acquiert trop d’ascendant, ils s’unissent momentanément contre lui ou ils appellent les étrangers éthiopiens pour l’obliger à rentrer dans l’ordre. C’est déjà presque notre féodalité, et les mêmes conditions ont suscité chez eux des coutumes analogues à celles qui prévalurent chez nous pendant la durée du moyen âge.

Voyez en effet ce qui se passe dans cette Emprise de la cuirasse dont Krall a reconstitué la fable si ingénieusement. Le sire d’Héliopolis, un Inarôs, possédait une cuirasse que ses rivaux lui enviaient. Il meurt, et pendant les jours de deuil qui précèdent les funérailles, le Grand Seigneur de Diospolis la dérobe on ne sait comment : le fils de cet Inarôs, Pémou le petit, la réclame et, comme on la lui refuse, il déclare très haut qu’il la recouvrera par force. Ce serait la guerre allumée, clan contre clan, ville contre ville, nome contre nome, dieu contre dieu, si Pétoubastis n’intervenait pas. Seul, ses vassaux ne l’écouteraient peut-être guère, mais le grand chef de l’Est, Pakrourou, se joint à lui, et tous deux ensemble ils imposent leur volonté à la masse des seigneurs moindres[104]. Ils décident qu’au lieu de s’aborder en rase campagne sans trêve ni merci, les adversaires et leurs partisans se battront en champ clos, selon les lois assez compliquées, ce semble, qui régissaient ce genre de rencontres. Ils font disposer des estrades sur lesquelles ils siègeront comme juges du camp, ils assignent à chacun des champions un poste particulier, puis Pakrour les appareille l’un contre l’autre, et, s’il en survient un nouveau lorsque l’appareillage est terminé, il le tient en réserve pour le cas où quelque événement imprévu se produirait[105]. Tout est réglé comme dans un tournoi, et nous devons présumer que les armes seront courtoises, mais la traîtrise du seigneur de Diospolis bouleverse des mesures prises : il attaque Pémou avant l’arrivée de ses alliés, et bien que l’intervention de Pakrourou l’empêche de pousser trop loin son avantage, sa félonie laisse une impression fâcheuse sur l’esprit de ses adversaires. À mesure que l’engagement se prolonge, les esprits s’échauffent et les jouteurs oublient la modération que le chef du jeu leur avait commandée : ils se provoquent, ils s’insultent, ils s’attaquent sans ménagement, et le vainqueur, oubliant qu’il s’agit d’une simple passe d’armes, s’apprête à tuer le vaincu comme il ferait dans une bataille. Aussitôt le roi accourt ou Pakrourou, et c’est à peine si leurs injonctions ou leurs prières préviennent la catastrophe. Lorsqu’après plusieurs heures de mêlée ils proclament la trêve, il semble bien que les deux partis n’ont pas souffert beaucoup, mais qu’ils en sont quittes pour quelques blessures. On jurerait une de ces rencontres de notre XIe siècle entre Français et Anglo-Normands où, après toute une journée de horions échangés, les deux armées se quittaient pleines d’admiration pour leur prouesse et laissant sur le carreau trois chevaliers étouffés par leur armure. Ainsi font encore aujourd’hui les Bédouins de l’Arabie, et leurs coutumes nous aident à comprendre pourquoi Pétoubastis et Pakrourou s’évertuent si fort à éviter qu’il y ait mort de prince : un chef tué, c’était l’obligation pour son clan de le venger et la vendetta sévissant pendant des années sans nombre. Pétoubastis ne veut pas que la guerre désole l’Égypte en son temps, et si amoindri que soit son prestige, comme sa volonté est d’accord avec l’intérêt commun, il la fait prévaloir sur ce point.

Les Gestes des Pharaons ne se présentaient pas toujours de la même manière, selon qu’elles étaient composées par des Memphites ou par des Thébains. Les provinces du Nord de l’Égypte et celles du Sud différaient grandement, non seulement de langage, mais de tendances politiques et de caractère. Elles se méfiaient souvent l’une de l’autre, et les méfiances dégénéraient aisément en haines puis en guerres civiles. Tels rois, qui étaient populaires chez l’une, étaient peu aimés de l’autre ou n’y étaient pas connus sous le même nom. Ramsès II avait, au temple de Phtah Memphite, des monuments où son sobriquet de Sésousi ou Sésousrîya était mentionné : la légende de Sésostris se forma autour d’eux[106]. À Thèbes, son prénom d’Ouasimarîya prédominait : il y devint l’Ousimarès des romans de Satni, et l’Osimandouas dont les écrivains copiés par Diodore de Sicile célébrèrent les victoires et décrivirent le palais. La découverte d’un roman nouveau par Spiegelberg nous apprend que Pétoubastis eut le même sort. Une partie des personnages qui l’entouraient dans celui de Krall y reparaissent avec lui, mais l’objet de la querelle y est différent. C’est un trône ou une chaire, et je soupçonne qu’il s’agit ici d’une forme de la divinité fréquente à l’époque gréco-romaine dans le nome thébain, un emblème de nature indéterminé, peut-être l’image d’une pierre sacrée posée sur un fauteuil d’apparat : Amon se manifesta ainsi probablement à son fils Alexandre de Macédoine, quand celui-ci vint le consulter dans son oasis[107]. L’héritier légitime était, comme dans l’Emprise de la Cuirasse, l’enfant du premier propriétaire, un prophète de l’Horus de Boutô, mais il dévolut au fils du roi Ankhhorou, et le refus de le rendre fut l’origine du conflit. On assistera ailleurs[108] aux péripéties des combats que les champions des deux partis se livrèrent à Thèbes en présence du souverain : ce qu’il convient de signaler dès maintenant, c’est que le prophète d’Horus est aidé dans ses revendications par treize bouviers vigoureux, dont l’énergie lui assure d’abord la victoire sur l’armée de l’Égypte. Les clans moitié de pécheurs, moitié de pasteurs, qui habitaient les plaines marécageuses du Delta septentrional, les Boucolies, ne supportaient qu’à contre-cœur le joug des autorités constituées régulièrement, grecques ou romaines : ils saisissaient les moindres occasions de leur déclarer la guerre ouverte, et on ne les réduisait, d’ordinaire, qu’au prix d’efforts longs et coûteux. La plus sanglante de leurs révoltes fut celle de l’an 172 après J.-C.[109] mais il y en avait eu sous les Ptolémées dont le souvenir se perpétua longtemps dans la vallée du Nil : si un romancier grec du Bas-Empire, Héliodore, se plaisait encore à décrire leurs mœurs pillardes[110], on ne saurait s’étonner qu’un conteur indigène les ait choisis comme des types de bravoure brutale. Par contraste avec ces Gestes toutes remplies du mouvement et du bruit des armes, les premières pages du Conte des deux Frères présentent une peinture excellente de ce qu’étaient la vie et les occupations habituelles du fellah ordinaire. Anoupou, l’aîné, a sa maison et sa femme : Baîti, le cadet, ne possède rien, et il habite chez son frère, mais non pas comme un parent chez son parent ou comme un hôte chez son hôte. Il soigne les bestiaux, il les conduit aux champs et il les ramène à l’étable, il dirige la charrue, il fauche, il bottèle, il bat le blé, il rentre les foins. Chaque soir, avant de se coucher, il enfourne le pain de la famille et il se lève de grand matin pour le retirer cuit. Pendant la saison du labourage, c’est lui qui court à la ferme chercher les semailles et qui rapporte sur son dos la charge de plusieurs hommes. Il file le lin ou la laine en menant ses animaux aux pâturages de bonnes herbes, et quand l’inondation retient bêtes et gens au logis, il s’accroupit devant le métier et il devient tisserand. Bref, c’est un valet, un valet uni au maître par les liens du sang, mais un valet. Il ne faut pas en conclure d’une manière générale l’existence du droit d’aînesse, ni que, partout en Égypte, l’usage à défaut de la loi plaçât le plus jeune dans la main de l’aîné. Tous les enfants d’un même père héritaient également de son bien quel que fût leur ordre de géniture. La loi était formelle à cet égard, et le bénéfice s’en étendait non seulement aux légitimes mais à ceux qui naissaient hors le mariage : les fils ou les filles de la concubine héritaient au même titre et dans la même proportion que les fils ou les filles de la femme épousée régulièrement[111]. Anoupou et Baîti, issus de mères différentes, auraient été égaux devant la loi et devant la coutume : à plus forte raison l’étaient-ils, puisque le conteur les déclare issus d’un seul père et d’une seule mère. L’inégalité apparente de leur condition n’était donc pas commandée par le droit, et il faut lui chercher une cause ailleurs que dans la législation. Supposez qu’après la mort de leurs parents communs, Baîti, au lieu de rester chez Anoupou, eût pris la moitié qui lui revenait de l’héritage et fût allé courir la fortune à travers le monde, à quels ennuis et à quelles avanies ne se fut-il pas exposé ? Le fellah dont l’histoire est contée au Papyrus de Berlin n° II, et qui commerçait entre l’Égypte et le Pays du Sel[112], est volé par l’homme lige d’un grand seigneur sur les terres duquel il passait[113]. Il porte plainte, l’enquête prouve la justesse de sa réclamation, vous imaginez qu’on va lui rendre aussitôt son dû ? Point. Son voleur appartient à une personne de qualité, a des amis, des parents, un maître : le paysan, lui, n’est qu’un homme sans maître. L’auteur a soin de nous l’apprendre, et n’avoir point de maître est un tort impardonnable dans la féodale Égypte ; contre les seigneurs qui se partageaient le pays, contre les employés qui l’exploitaient pour le compte de Pharaon, l’individu isolé était sans défense. Le pauvre diable crie, supplie, présente à mainte reprise sa requête piteuse. Comme, après tout, il est dans son droit, Pharaon commande qu’on ait soin de sa femme et qu’on ne le laisse pas mourir de faim ; quant à juger l’affaire et à délivrer sentence, on verra plus tard s’il y a lieu. Nous savons maintenant qu’il finit par obtenir justice, après s’être répandu en belles harangues pour le plus grand plaisir de Pharaon ; mais les délais et les angoisses qu’il subit n’expliquent-ils pas suffisamment pourquoi Baîti est resté chez son frère ? L’aîné, devenu maître par provision, était pour le cadet un protecteur qui le gardait du mal, lui et son bien, jusqu’au jour où un riche mariage, un caprice du souverain, une élévation soudaine, un héritage imprévu, ou simplement l’admission parmi les scribes, lui assurerait un protecteur plus puissant et, par aventure, de protégé l’investirait protecteur à son tour.

Donc, à discuter chaque conte détail par détail, on verrait que tout le côté matériel de la civilisation qu’ils décrivent est purement égyptien. On commenterait aisément les scènes du début au Conte des deux frères avec les peintures des hypogées thébains : telle des expressions que l’auteur y emploie se rencontre presque mot pour mot dans les légendes explicatives des tableaux[114]. Il n’y a pas jusqu’aux actes les plus intimes de la vie privée, les accouchements par exemple, dont on ne puisse illustrer le mécanisme au moyen d’images prises dans des temples. Que ce soit à Louxor[115], à Déîr-el-Baharî[116], à Erment[117], qu’il s’agisse de Moutemoua, d’Ahmasi ou de Cléopâtre, vous avez sous les yeux de quoi reconstituer exactement ce qui se passa lorsque Roudîtdidît mit au monde les trois fils de Râ[118]. La pauvrette est accroupie sur sa chaise ou sur son lit de misère, tandis que l’une des sages-femmes l’étreint par derrière et qu’une autre, accroupie devant elle, reçoit l’enfant qui s’échappe de son sein. Elle le transmet aux nourrices qui le lavent, le bercent dans leurs bras, le caressent, l’allaitent. L’examen des monuments prouverait qu’il en est de même avec ceux des contes dont nous possédons l’original hiératique, et je l’ai constaté aussi pour la plupart de ceux dont nous ne connaissons plus que la version en une langue étrangère : c’est le cas de Rhampsinite. Je n’ai pas l’intention d’en reprendre la teneur mot par mot, afin de montrer combien : il est égyptien dans le fond, malgré le vêtement grec qu’Hérodote lui a prêté. Je me bornerai à discuter deux des points qu’on y a relevés comme indiquant une origine étrangère.

L’architecte chargé de construire un trésor pour Pharaon tailla et assit une pierre si proprement, que deux hommes, voire un seul, la pouvaient tirer de sa place[119]. La pierre mobile n’est pas, a-t-on dit, une invention égyptienne : en Égypte, on bâtissait les édifices publics en très gros appareil, et toute l’habileté du monde n’aurait pas permis à un architecte de disposer un bloc à la façon qu’Hérodote décrit. Strabon savait déjà pourtant qu’on pénétrait dans la grande pyramide par un couloir dont une pierre mobile dissimulait l’entrée[120], et, en dehors de la pyramide, nous avons constaté qu’il en était de même pour les cachettes dont les temples étaient remplis. À Dendérah, par exemple, il y a douze cryptes perdues dans les fondations ou dans l’épaisseur des parois. « Elles communiquent avec le temple par des passages étroits qui débouchent dans les salles sous la forme de trous aujourd’hui ouverts et libres. Mais ils étaient autrefois fermés par une pierre ad hoc, dont la face, tournée vers l’extérieur, était sculptée comme le reste de la muraille[121] ». Un passage du Conte de Khoufouî semble dire que la crypte où le dieu Thot cachait sa bibliothèque était close, à Héliopolis, par un bloc analogue à ceux de Mariette[122]. Les inscriptions enseignent d’ailleurs que, la chambre secrète une fois établie, on prenait toutes les précautions pour qu’elle demeurât ignorée non seulement des visiteurs, mais du bas sacerdoce. « Point ne la connaissent les profanes, la porte ; si on la cherche, personne ne la trouve, excepté les prophètes de la déesse[123] ». Comme l’architecte de Rhampsinite et ses fils, ces prophètes de Dendérah savaient comment pénétrer dans un réduit encombré de métaux et d’objets précieux, et ils étaient seuls à le : savoir. Une pierre levée, que rien ne signalait au vulgaire, ils apercevaient l’orifice d’un couloir : ils s’y engageaient en rampant et ils arrivaient après quelques instants au milieu du trésor. Le bloc remis sur son lit, l’œil le mieux exercé ne pouvait plus distinguer l’endroit précis où le passage débouchait[124].

Plus loin, celui des fils de l’architecte qui vient d’échapper à la mort enivre les gardes chargés de veiller sur le cadavre de son frère, et il leur rase la barbe de la joue droite[125]. Wilkinson observa, le premier je crois, qu’en Égypte les soldats sont figurés imberbes et que toutes les classes de la société avaient l’habitude de se raser : les seuls personnages barbus auraient été des barbares[126]. Depuis lors, on n’a jamais manqué de répéter son assertion comme une preuve de l’origine étrangère du conte. Il en est d’elle comme de bien d’autres que son ouvrage renferme : elle résulte d’une étude trop hâtive des documents. Les Égyptiens de race pure pouvaient porter la barbe, et ils la portaient quand ils en avaient le caprice ; les bas-reliefs de toutes les époques le prouvent suffisamment. De plus, la police ne renfermait pas que des indigènes : elle se recrutait principalement chez une tribu d’origine libyenne, les Mazaiou, et puisque, de l’aveu de Wilkinson, les étrangers étaient exceptés de l’usage courant, pourquoi les policiers à qui Rhampsinite avait confié le cadavre n’auraient-ils pas eu du poil au menton ou sur les joues ? Des soldats qui composaient l’armée égyptienne, telle qu’elle était au temps des Saïtes et des Perses, telle en un mot qu’Hérodote a pu la connaître, les uns étaient des Libyens, les autres étaient des mercenaires sémitiques, Cariens ou Grecs, d’autres enfin faisaient partie des garnisons persanes : ils étaient tous barbus communément[127]. Il faut donc avouer que, pour les Égyptiens contemporains, il n’y avait rien que d’ordinaire à voir des gendarmes barbus, qu’ils fussent nés dans le pays ou qu’ils vinssent du dehors ; l’épisode de la barbe rasée n’est pas une preuve contre l’origine indigène du conte.

Mais laissons de côté le détail matériel. Le côté moral de la civilisation n’est pas reproduit moins exactement dans nos récits. Sans doute, il faut éviter de prendre au pied de la lettre tout ce qu’ils semblent nous apprendre sur la vie privée des Égyptiens. Comme les modernes, les auteurs de ces temps-là s’attachaient à développer des sentiments ou des caractères qui n’étaient, après tout, qu’une exception sur la masse de la nation. S’il fallait juger les Égyptiennes par les portraits qu’ils ont tracés d’elles, on serait porté à concevoir de leur chasteté une opinion assez triste. La fille de Rhampsinite ouvre sa chambre et s’abandonne à qui la paie : c’est, si l’on veut, une victime de la raison d’État, mais une victime résignée[128]. Thoubouî accueille Satni et se déclare prête à le recevoir dans son lit dès la première entrevue. Si elle paraît incertaine au moment décisif et si elle retarde à plusieurs reprises l’heure de sa défaite, la pudeur n’entre pour rien dans son hésitation ; il s’agit de faire acheter au plus cher ce qu’elle a l’intention de vendre et de ne se livrer qu’après paiement du prix convenu[129]. La vue de Baîti, jeune et vigoureux, allume un désir irrésistible au cœur de la femme d’Anoupou[130], et la femme d’Oubaouanir est aussi sensible que celle-là à l’attrait d’un beau gars[131]. L’épouse divine de Baîti consent à trahir son mari en échange de quelques bijoux et à devenir la favorite du roi[132]. Princesses, filles de la caste sacerdotale, bourgeoises, paysannes, toutes se valent en matière de vertu. Je ne vois d’honnêtes qu’Ahouri[133], Mahîtouaskhît[134] et une étrangère, la fille du chef de Naharinna ; encore l’emportement avec lequel cette dernière se jette dans les bras de l’homme que le hasard a fait son mari donne-t-il fort à réfléchir[135].

Dans l’écrit d’un moraliste de profession, la satire des mœurs féminines a peu de valeur pour l’histoire : c’est un lieu commun, dont le développement varie selon les époques ou selon les pays, mais dont le thème ne prouve rien contre une époque ou contre un pays déterminé. Que Ptahhotpou définisse la femme vicieuse un faisceau de toutes les méchancetés, un sac plein de toutes sortes de malices[136], ou qu’Ani, reprenant le même thème à trois mille ans d’intervalle, la décrive comme une eau profonde et dont nul ne connaît les détours[137], leur dire est sans importance : toutes les femmes de leur temps auraient été vertueuses qu’ils leur auraient inventé des vices pour en tirer des effets d’éloquence. Mais les conteurs ne faisaient pas métier de prêcher la pudeur. Ils n’avaient aucun parti pris de satire contre les femmes, et ils les peignaient telles qu’elles étaient pour les contemporains, telles peut-être qu’eux-mêmes les avaient trouvées à l’user. Je doute qu’ils eussent jamais rencontré, au cours de leurs bonnes fortunes, une princesse du harem de Pharaon ; mais Tboubouî se promenait chaque jour dans les rues de Memphis, les hiérodules ne réservaient pas leurs faveurs aux princes du sang, la compagne de Baîti n’était pas seule à aimer la parure, et plus d’un beau-frère sans scrupule savait où logeait la femme d’Anoupou. Les mœurs étaient faciles en Égypte. Mûre d’une maturité précoce, l’Égyptienne vivait dans un monde où les lois et les coutumes semblaient conspirer à développer ses ardeurs natives. Enfant, elle jouait nue avec ses frères nus ; femme, la mode lui mettait la gorge au vent et l’habillait d’étoffes transparentes qui la laissaient nue sous les regards des hommes. À la ville, les servantes qui l’entouraient d’ordinaire et qui se pressaient autour de son mari ou de ses hôtes se contentaient pour vêtement d’une étroite ceinture serrée sur la hanche ; à la campagne, les paysans de ses domaines se débarrassaient de leur pagne pour travailler. La religion et les cérémonies du culte attiraient son attention sur des formes obscènes de la divinité, et l’écriture elle-même étalait à ses regards des images impudiques. Lorsqu’on lui parlait d’amour, elle n’avait pas, comme la jeune fille moderne, la rêverie de l’amour idéal, mais l’image nette et précise de l’amour physique. Rien d’étonnant, après cela, si la vue d’un homme robuste émeut la femme d’Anoupou au point de lui faire perdre toute retenue. Il suffisait à peu près qu’une Égyptienne conçût l’idée de l’adultère pour qu’elle cherchât à le consommer sur le champ ; mais y avait-il en Égypte plus de femmes qu’ailleurs à concevoir l’idée de l’adultère ?

Les guides contèrent à Hérodote, et Hérodote nous conte à son tour avec la gravité de l’historien, qu’un certain Pharaon, devenu aveugle à cause de son impiété, avait été condamné par les dieux en belle humeur à ne recouvrer la vue… Hérodote est quelquefois scabreux à traduire. Bref, il s’agissait de se procurer une femme qui n’eût jamais eu de commerce qu’avec son mari. La reine subit l’épreuve, puis les dames de la cour, puis celles de la ville, puis les provinciales, les campagnardes, les esclaves : rien n’y fit, le bon roi continuait de n’y voir goutte. Après bien des recherches, il découvrit la porteuse du remède et il l’épousa. Les autres ? Il les enferma dans une ville et il les brûla : les choses se passaient de la sorte, en ce temps[138]. Ce fabliau, débité au coin d’un carrefour par un conteur des rues ou lu à loisir après boire, devait avoir le succès qu’une histoire graveleuse obtient toujours auprès des hommes ; mais chaque Égyptien pensait à part soi, tout en se gaussant du voisin, qu’en pareille aventure sa ménagère saurait le guérir et il ne pensait pas mal. Les contes grivois de Memphis ne signifient rien de plus que ceux des autres nations ; ils procèdent de ce fonds de rancune commune que l’homme a toujours conservé et partout contre la femme. Les commères égrillardes de notre moyen âge et les Égyptiennes enflammées des récits memphites n’ont rien à s’envier ; mais ce que les conteurs nous disent d’elles ne prouve rien contre les mœurs féminines de leur temps.

Ces restrictions faites, le menu des aventures est égyptien. Relisez le passage où Satni rencontre Tboubouî et luit confesse crûment son désir. Les noms changés, vous y avez la peinture exacte de ce qui se passait à Thèbes ou à Memphis en cas pareil, les préliminaires noués par le valet et la servante, le rendez-vous, le divertissement et le souper fin, le marchandage avant l’abandon final. Les amoureux des Mille et une Nuits n’agissent pas autrement ; même l’inévitable cadi qu’on appelle pour célébrer le mariage de la Zobéide avec l’Ahmed ou le Noureddin d’occasion est déjà annoncé par le maître d’école qui rédige les contrats destinés à transférer sur Tboubouî les biens de Satni-Khâmoîs[139]. Quant aux événements qui précipitent ou qui retardent le dénoûment, ils sont le plus souvent les incidents de la vie courante.

IV

Je dis tous les incidents sans exception, même ceux qui sont les plus invraisemblables à nos yeux, car il ne faut pas juger les conditions de la vie égyptienne par celles de la nôtre. On n’emploie pas communément chez nous, comme ressorts de romans, les apparitions de divinités, les songes, les hommes transformés en bêtes, les animaux parlants, les bateaux ou les litières magiques : ceux qui croient aux prodiges de ce genre les considèrent comme un accident des plus rares, et ils n’en usent pas dans le roman bourgeois.

Il n’en allait pas de même en Égypte et ce que nous appelons le surnaturel y était journalier. Les songes y jouaient un rôle décisif dans la vie des souverains ou des particuliers, soit qu’ils fussent suscités par la volonté d’un dieu, soit qu’on les provoquât en allant dormir dans certains temples pendant la nuit[140]. La croyance aux intersignes régnait partout incontestée, et ce n’était pas seulement dans le roman que les bouillons d’un cruchon de bière ou les dépôts de lie d’une bouteille de vin prévenaient un frère de la mort de son frère[141] : tant de gens avaient reçu de ces avertissements mystérieux que personne ne s’avisait de crier à l’invraisemblance lorsqu’on les retrouvait dans le roman. La sorcellerie enfin avait sa place dans l’ordinaire de l’existence, aussi bien que la guerre, le commerce, la littérature, les métiers, les divertissements et les plaisirs ; tout le monde n’avait pas été témoin de ses prestiges, mais tout le monde était lié avec quelqu’un qui les avait vu s’accomplir, en avait profité ou en avait souffert. On la tenait en effet une science, et d’un ordre très relevé. À bien considérer les choses, le prêtre était un magicien : les cérémonies qu’il célébrait, les prières qu’il récitait, étaient comme autant d’arts par lesquels il obligeait ses dieux à agir pour lui de la manière qu’il lui plaisait, et à lui accorder telle ou telle faveur en ce monde ou dans l’autre. Les prêtres porteurs du rouleau ou du livre (khri-habi), qui possédaient les secrets de la divinité au ciel, sur la terre, dans l’enfer, pouvaient exécuter tous les prodiges qu’on réclamait d’eux : Pharaon en avait à côté de lui, qu’il nommait khri-habi en chef, et qui étaient ses sorciers attitrés. Il les consultait, il stimulait leurs recherches, et quand ils avaient inventé pour lui quelque miracle nouveau, il les comblait de présents et d’honneurs. L’un savait rattacher au tronc une tête coupée, l’autre fabriquait un crocodile qui dévorait ses ennemis, un troisième ouvrait les eaux, les soulevait, les amoncelait à son gré[142]. Les grands eux-mêmes, Satni-Khâmoîs et son frère de lait, étaient des adeptes convaincus et ils lisaient avidement les recueils de formules mystiques ; même Satni s’acquit un renom tel en ce genre d’études qu’un cycle complet d’histoires se groupa autour de son nom[143]. Un prince à grimoires n’inspirerait chez nous qu’une estime médiocre : en Égypte, la magie n’était pas incompatible avec la royauté, et les magiciens de Pharaon eurent souvent Pharaon pour élève[144].

Plusieurs de nos personnages sont donc des sorciers amateurs ou de profession, Thoubouî[145], Nénoferképhtah[146], Oubaou-anir et Zazamânkhou[147], Didi[148], Sénosiris[149], Horou fils de la Négresse[150]. Baîti « enchante son cœur », se l’arrache de la poitrine sans cesser de vivre, se métamorphose en bœuf, puis en arbre[151]. Khâmoîs et son frère de lait ont appris, par aventure, l’existence d’un volume que Thot avait écrit de sa propre main et qui était doué de propriétés merveilleuses : on n’y comptait que deux formules, sans plus, mais quelles formules ! « Si tu récites la première, tu charmeras le ciel, la terre, le monde de la nuit, les montagnes, les eaux ; tu comprendras ce que les oiseaux et les reptiles disent, tous tant qu’ils sont ; tu verras les poissons de l’abîme, car une force divine les fera monter à la surface de l’eau. Si tu récites la seconde formule, encore que tu sois dans la tombe, tu reprendras la forme que tu avais sur la terre ; même tu verras le soleil se levant au ciel et son cycle de dieux, la lune en la forme qu’elle a quand elle paraît[152] ». Satni-Khâmoîs tenait à se procurer, outre l’ineffable douceur de produire à son gré le lever de la lune, la certitude de ne jamais perdre la forme qu’il avait sur terre : son désir du livre merveilleux devient le ressort principal du roman. La science à laquelle il se livre est d’ailleurs exigeante et elle impose à ses fidèles la chasteté, l’abstinence et d’autres vertus qu’ils ne peuvent toujours pratiquer jusqu’au bout. Et pourtant elle leur est si douce qu’ils s’y absorbent et qu’ils négligent tout pour elle : ils ne voient plus ; ils ne boivent plus, ils ne mangent plus, ils n’admettent plus qu’une seule occupation, lire leur grimoire sans relâche et user de l’autorité dont il les investit sur les choses et sur les êtres[153]. Cet enivrement ne va pas sans danger : les dieux ou les morts auxquels le sorcier a ravi leurs talismans essaient de les recouvrer et tous les moyens leur sont bons. Ils rôdent autour de lui et ils profitent de ses passions ou de ses faiblesses pour le réduire à leur discrétion : l’amour est le grand auxiliaire, et c’est par le moyen de la femme qu’ils réussissent le plus souvent à reconquérir leur trésor perdu[154].

Et la puissance de l’art magique ne cessait pas avec la vie. Qu’il le voulût ou non, chaque Égyptien était, après sa mort, soumis aussi fatalement que pendant sa vie aux charmes et aux incantations. On croyait, en effet, que l’existence de l’homme se rattachait par des liens nécessaires à celle de l’univers et des dieux. Les dieux n’avaient pas toujours marqué pour l’humanité cette indifférence dédaigneuse à laquelle ils semblaient se complaire depuis le temps de Ménès. Ils étaient descendus jadis dans le monde récent encore de la création, ils s’étaient mêlés familièrement aux peuples nouveau-nés, et prenant un corps de chair, ils s’étaient asservis aux passions et aux faiblesses de la chair. Les gens d’alors les avaient vu s’aimer et se combattre, régner et se succéder, triompher et succomber tour à tour. La jalousie, la colère, la haine avaient agité leurs âmes divines comme si elles eussent été de simples âmes humaines. Isis, veuve et misérable, pleura de vaines larmes de femme sur son mari assassiné[155], et sa déité ne la sauva point des douleurs de l’enfantement. Râ faillit périr de la piqûre d’un serpent[156] et détruire ses créatures dans un accès de fureur : il avait vieilli et dans sa décrépitude il avait subi les déchéances de la seconde enfance, branlant de la tête et bavant comme un vieillard d’entre nous[157]. Horus l’enfant conquit le trône d’Égypte les armes à la main[158]. Plus tard, les dieux s’étaient retirés au ciel ; autant jadis ils avaient aimé se montrer ici-bas, autant maintenant ils mettaient de soin à se dissimuler dans le mystère de leur éternité. Qui, parmi les vivants, pouvait se vanter d’avoir entrevu leur face ?

Et pourtant, les incidents heureux ou funestes de leur vie corporelle décidaient encore à distance le bonheur ou le malheur de chaque génération, et, dans chaque génération, de chaque individu. Le 17 Athyr d’une année si bien perdue dans les lointains du passé qu’on ignorait combien de siècles au juste s’étaient écoulés depuis elle, Sîtou avait attiré près de lui son frère Osiris et il l’avait tué en trahison au milieu d’un banquet[159]. Chaque année, à pareil jour, la tragédie qui s’était jouée dans le palais terrestre du dieu semblait recommencer dans les profondeurs du firmament. Comme au même instant de la mort d’Osiris, la puissance du bien s’amoindrissait, la souveraineté du mal prévalait et la nature entière, abandonnée aux divinités de ténèbres, se retournait contre l’homme. Un dévot n’avait garde de rien entreprendre ce jour-là : quoi qu’il se fût avisé de faire, ç’aurait échoué. S’il sortait au bord du fleuve, un crocodile l’assaillait comme le crocodile dépêché par Sîtou avait assailli Osiris. S’il partait en voyage, il pouvait dire adieu pour jamais à sa famille et à sa maison : il était certain de ne plus revenir. Mieux valait s’enfermer chez soi, attendre, dans la crainte et dans l’inaction, que les heures de danger s’en fussent allées une à une, et que le soleil du jour suivant eût mis le mauvais en déroute. Le 9 Khoïak, Thot avait rencontré Sîtou et il avait remporté sur lui une victoire éclatante. Le 9 Khoïak de chaque année, il y avait fête sur la terre parmi les hommes, fête dans le ciel parmi les dieux et sécurité de tout commencer[160]. Les jours se succédaient fastes ou néfastes, selon l’événement qu’ils avaient vu s’accomplir au temps des dynasties divines.

« Le 4 Tybi. – Bon, bon, bon[161] – Quoi que tu voies en ce jour, c’est pour toi d’heureux présage. Qui naît ce jour-là meurt le plus âgé de tous les gens de sa maison ; il aura longue vie succédant à son père.

« Le 5 Tybi. – Mauvais, mauvais, mauvais. – C’est le jour où furent brûlés les chefs par la déesse Sokhît qui réside dans la demeure blanche, lorsqu’ils sévirent, se transformèrent, vinrent[162] : gâteaux d’offrandes pour Shou, Phtah, Thot ; encens sur le feu pour Râ et les dieux de sa suite, pour Phtah, Thot, Hou-Saou, en ce jour. Quoi que tu voies en ce jour, ce sera heureux[163].

« Le 7 Tybi. – Mauvais, mauvais, mauvais – Ne t’unis pas aux femmes devant l’œil d’Horus[164]. Le feu qui brûle dans ta maison, garde-toi de t’exposer à son atteinte funeste.

« Le 8 Tybi. – Bon, bon, bon. – Quoi que tu voies en ce jour, de ton œil, le cycle divin t’exauce. Consolidation des débris[165].

« Le 9 Tybi. – Bon, bon, bon. – Les dieux acclament la déesse du midi en ce jour. Présenter des gâteaux de fête et des pains frais qui réjouissent le cœur des dieux et des mânes.

« Le 10 Tybi. – Mauvais, mauvais, mauvais. – Ne fais pas un feu de joncs ce jour-là. Ce jour-là, le feu sortit du dieu Sop-ho dans le Delta, en ce jour[166].

« Le 14 Tybi. – Mauvais, mauvais, mauvais. – N’approche pas de la flamme en ce jour : Râ, v. s. f., l’a dirigée pour anéantir tous ses ennemis, et quiconque en approche en ce jour, il ne se porte plus bien tout le temps de sa vie ».

Tel officier de haut rang qui, le 13 de Tybi, affrontait la dent d’un lion en toute assurance et fierté de courage, ou qui entrait dans la mêlée sans redouter la morsure des flèches syriennes[167], le 12, s’effrayait à la vue d’un rat et, tremblant, détournait les yeux[168].

Chaque jour avait ses influences, et les influences accumulées formaient le destin. Le destin naissait avec l’homme, grandissait avec lui, le guidait à travers sa jeunesse et son âge mûr, coulait, pour ainsi dire, sa vie entière dans le moule immuable que les actions des dieux avaient préparé dès le commencement des temps. Pharaon et ses nobles étaient soumis au destin, soumis aussi les chefs des nations étrangères[169]. Le destin suivait son homme jusqu’après la mort ; il assistait avec la fortune au jugement de l’âme[170], soit pour rendre au jury infernal le compte exact des vertus ou des crimes, soit afin de préparer les conditions d’une vie nouvelle. Les traits sous lesquels on se le figurait n’avaient rien de hideux. C’était une déesse, Hâthor, ou mieux sept jeunes et belles déesses[171], des Hâthors à la face rosée et aux oreilles de génisse, toujours gracieuses, toujours souriantes, qu’il s’agit d’annoncer le bonheur ou de prédire la misère. Comme les fées marraines du moyen âge, elles se pressaient, autour du lit des accouchées et elles attendaient la venue de l’enfant pour l’enrichir ou pour le ruiner de leurs dons. Les sculptures des temples à Louxor[172], à Erment[173], à Déîr el Baharî[174], nous les montrent qui jouent le rôle de sages-femmes auprès de Moutemoua, femme de Thoutmôsis IV, de la reine Ahmasi et de la fameuse Cléopâtre. Les unes soutiennent tendrement la jeune mère et elles la fortifient par leurs incantations ; les autres prodiguent les premiers soins au nouveau-né et elles lui présagent à l’envi toutes les félicités. Khnoumou ayant fabriqué une femme à Baîti, elles la viennent voir, l’examinent un moment et s’écrient d’une seule voix : « Qu’elle périsse par le glaive[175] ! » Elles apparaissent au berceau du Prince prédestiné et elles annoncent qu’il sera tué par le serpent, par le crocodile ou par le chien[176]. Dans le conte de Khoufouî et des Magiciens, quatre d’entre elles, Isis, Nephthys, Maskhonouît et Hiqaît, assistées de Khnoumou, se déguisent en almées pour délivrer la femme du prêtre de Râ des trois enfants qui s’agitent dans son sein. Le point par quoi elles diffèrent de nos fées marraines, c’est une passion désordonnée pour le calembour : les noms qu’elles imposent à leurs filleuls sont des jeux de mots, difficiles à comprendre pour un moderne, plus difficiles à traduire. C’est un manque de goût dont elles ne sont pas seules à faire preuve : l’Orient a toujours été entraîné par un penchant irrésistible vers ce genre d’esprit, et l’Arabie ou la Judée n’ont rien à envier à l’Égypte en matière d’étymologies baroques pour les noms, de leurs saints ou de leurs héros.

Voir les Hâthors et les entendre au moment même où elles prononçaient leurs arrêts était privilège réservé aux grands de ce monde : les gens du commun n’étaient pas d’ordinaire dans leur confidence. Ils savaient seulement, par l’expérience de nombreuses générations, qu’elles départaient certaines morts aux hommes qui naissaient à de certains jours.

« Le 4 Paophi. – Hostile, bon, bon. – Ne sors aucunement de ta maison en ce jour. Quiconque naît en ce jour meurt de la contagion en ce jour.

« Le 5 Paophi. – Mauvais, mauvais, mauvais. – Ne sors aucunement de ta maison en ce jour ; ne t’approche pas des femmes ; c’est le jour d’offrir offrande de choses par devant le Dieu, et Montou[177] repose en ce jour. Quiconque naît en ce jour, il mourra de l’amour.

« Le 6 Paophi. – Bon, bon, bon. – Jour heureux dans le ciel ; les dieux reposent par devant le Dieu, et le cycle divin accomplit les rites par devant[178]… Quiconque naît ce jour-là mourra d’ivresse.

« Le 7 Paophi. – Mauvais, mauvais, mauvais. – Ne fais absolument rien en ce jour. Quiconque naît ce jour-là mourra sur la pierre[179].

« Le 9 Paophi. – Allégresse des dieux, les hommes sont en fête, car l’ennemi de Râ est à bas. Quiconque naît ce jour-là mourra de vieillesse.

« Le 23 Paophi. – Bon, bon, mauvais. – Quiconque naît ce jour-là meurt par le crocodile.

« Le 27 Paophi. – Hostile, hostile, hostile. – Ne sors pas ce jour là ; ne t’adonne à aucun travail manuel : Râ repose. Quiconque naît ce jour-là meurt par le serpent.

« Le 29 Paophi. – Bon, bon, bon. Quiconque naît ce jour-là mourra dans la vénération de tous ses gens ».

Tous les mois n’étaient pas également favorables à cette sorte de présage. À naître en Paophi, on avait huit chances sur trente de connaître, par la date de la naissance, le genre de la mort. Athyr, qui suit immédiatement Paophi, ne renfermait que trois moments fatidiques[180]. L’Égyptien né le 9 ou le 29 de Paophi n’avait donc qu’à se laisser vivre : son bonheur ne pouvait plus lui manquer. L’Égyptien né le 7 ou le 27 du même mois n’avait pas raison de s’inquiéter outre mesure. La façon de sa mort était désormais fixée, non l’instant : il était condamné, mais il avait la liberté de retarder le supplice presque à volonté. Était-il, comme le Prince prédestiné, menacé de la dent d’un crocodile ou d’un serpent, s’il n’y prenait point garde, ou si, dans son enfance, ses parents n’y avisaient point pour lui, il ne languissait pas longtemps ; le premier crocodile ou le premier serpent venu exécutait la sentence. Mais il pouvait s’armer de précautions contre son destin, se tenir éloigné des canaux et du fleuve, ne s’embarquer jamais à de certains jours où les crocodiles étaient maîtres de l’eau[181], et, le reste du temps, faire éclairer sa navigation par des serviteurs habiles à écarter le danger au moyen de sortilèges[182]. On pensait qu’au moindre contact d’une plume d’ibis, le crocodile le plus agile et le mieux endenté devenait immobile et inoffensif[183]. Je ne m’y fierais point ; mais l’Égyptien, qui croyait aux vertus secrètes des choses, rien ne l’empêchait d’avoir toujours sous la main quelques plumes d’ibis et d’imaginer qu’il était garanti.

Aux précautions humaines on ne se faisait pas faute de joindre des précautions divines, les incantations, les amulettes, les cérémonies du rituel magique. Les hymnes religieux avaient beau répéter en grandes strophes sonores qu’« on ne taille point le dieu dans la pierre – ni dans les statues sur lesquelles on pose la double couronne ; on ne le voit pas ; – nul service, nulle offrande n’arrive jusqu’à lui ; – on ne peut l’attirer dans les cérémonies mystérieuses ; on ne sait pas le lieu où il est ; – on ne le trouve point par la force des livres sacrés[184] ». C’était vrai des dieux considérés chacun comme un être idéal, parfait, absolu, mais en l’ordinaire de la vie Râ, Osiris, Shou, Amon, n’étaient pas inaccessibles ; ils avaient gardé de leur royauté une sorte de faiblesse et d’imperfection qui les ramenait sans cesse à la terre. On les taillait dans la pierre, on les touchait par des services et par des offrandes, on les attirait dans les sanctuaires et dans les châsses peintes. Si leur passé mortel influait sur la condition des hommes, l’homme influait à son tour sur leur présent divin. Il y avait des mots qui, prononcés avec une certaine intonation, pénétraient jusqu’au fond de l’abîme, des formules dont le son agissait irrésistible sur les intelligences surnaturelles, des amulettes où la consécration magique enfermait efficacement un peu de la toute-puissance céleste. Par leur vertu, l’homme mettait la main sur les dieux ; il enrôlait Anubis à son service, ou Thot, ou Bastît, ou Sîtou lui-même, il les irritait et il les calmait, il les lançait et il les rappelait, il les forçait à travailler et à combattre pour lui. Ce pouvoir formidable qu’ils croyaient posséder, quelques-uns l’employaient à l’avancement de leur fortune et à la satisfaction de leurs rancunes ou de leurs passions mauvaises. Ce n’était pas seulement dans le roman qu’Horus, fils de la négresse, s’armait de maléfices afin de persécuter un Pharaon et d’humilier l’Égypte devant l’Éthiopie[185] : lors d’une conspiration ourdie contre Ramsès III, des conspirateurs s’étaient servis de livres d’incantations pour arriver jusqu’au harem de Pharaon[186]. La loi punissait de mort ceux qui abusaient de la sorte, mais leur crime ne lui cachait point les services de leurs confrères moins pervers ; elle protégeait ceux qui exerçaient une action inoffensive ou bienfaisante.

Désormais, l’homme menacé par le sort n’était plus seul à veiller ; les dieux veillaient avec lui et ils suppléaient à ses défaillances par leur vigilance infaillible. Prenez un amulette qui représente « une image d’Amon à quatre têtes de bélier, peintre sur argile, foulant un crocodile aux pieds, et huit dieux qui l’adorent placés à sa droite et à sa gauche[187] ». Prononcez sur lui l’adjuration que voici : « Arrière, crocodile, fils de Sîtou ! – Ne vogue pas avec ta queue ; – ne saisis pas de tes deux bras ; – n’ouvre pas ta bouche ! – Devienne l’eau une nappe de feu devant toi ! – Le charme des trente-sept dieux est dans ton œil ; – tu es lié au grand croc de Râ ; – tu es lié aux quatre piliers en bronze du midi, – à l’avant de la barque de Râ. – Arrête, crocodile, fils de Sîtou ! – protège-moi, Amon, mari de ta mère ! » Le passage est obscur ? Il fallait qu’il le fût pour opérer avec efficacité. Les dieux comprennent à demi-mot ce qu’on leur dit : des allusions aux événements de leur vie par lesquels on les conjure suffisent à les toucher sans qu’on ait besoin de les leur rappeler par le menu. Fussiez-vous né le 22 ou le 23 de Paophi, Amon était tenu de vous garder contre le crocodile et contre les périls de l’eau. D’autres grimoires et d’autres amulettes préservaient du feu, des scorpions, de la maladie[188] ; sous quelque forme que le destin se déguisât, il rencontrait des dieux embusqués pour la défense. Sans doute, rien qu’on fit ne changeait son arrêt, et les dieux eux-mêmes étaient sans pouvoir sur l’issue de la lutte. Le jour finissait par se lever où précautions, magie, protections divines, tout manquait à la fois ; le destin était le plus fort. Au moins, l’homme avait-il réussi à durer, peut-être jusqu’à la vieillesse, peut-être jusqu’à cet âge de cent dix ans, limite extrême de la vie, que les sages espéraient atteindre parfois, et que nul mortel né de mère mortelle ne devait dépasser[189].

Après la mort, la magie accompagnait l’homme au-delà de la tombe et elle continuait à le régenter. Notre terre, telle que l’imaginaient la foi aveugle du peuple et la science superstitieuse des prêtres, était comme un théâtre en deux compartiments. Dans l’un, l’Égypte des vivants s’étale en pleine lumière, le vent du nord souffle son haleine délicieuse, le Nil roule à flots, la riche terre noire produit des moissons de fleurs, de céréales et de fruits : Pharaon, fils du Soleil, seigneur des diadèmes, maître des deux pays, trône à Memphis ou à Thèbes, tandis que ses généraux remportent au loin des victoires et que les sculpteurs se fatiguent à tailler dans le granit les monuments de sa piété. C’est là, dans son royaume ou dans les pays étrangers qui dépendent de lui, que l’action de la plupart des contes se déroule. Celle des romans de Satni se poursuit en partie dans la seconde division de notre univers, la région des tombeaux et de la nuit. Les eaux éternelles, après avoir couru, pendant le jour, le long des remparts du monde, de l’orient au sud et du sud à l’occident, arrivaient, chaque soir, à la Bouche de la Fente[190] et elles s’engouffraient dans les montagnes qui bornent la terre vers le nord, entraînant avec elles la barque du soleil et son cortège de dieux lumineux[191]. Pendant douze heures, la compagnie divine parcourait de longs corridors sombres, où des génies, les uns hostiles, les autres bienveillants, tantôt s’efforçaient de l’arrêter, tantôt l’aidaient à vaincre les dangers du voyage. D’espace en espace, une porte, défendue par un serpent gigantesque, s’ouvrait devant elle et lui livrait l’accès d’une salle immense, remplie de monstres ; puis les couloirs recommençaient, étroits et obscurs, et la course à l’aveugle au milieu des ténèbres, et les luttes contre les génies malfaisants, et l’accueil joyeux des dieux propices. Au matin, le soleil avait atteint l’extrême limite de la contrée ténébreuse et il sortait de la montagne à l’orient pour éclairer un nouveau jour[192]. Il arrivait parfois aux vivants de pénétrer par la vertu de la magie dans ces régions mystérieuses et d’en ressortir sains et saufs : le Pharaon Rhampsinite en avait remporté les dons de la déesse Nouît[193], et Satni, guidé par son fils Sénosiris, y avait assisté au jugement des âmes[194]. C’était l’exception : pour les affronter selon la règle, il fallait avoir subi l’épreuve de la mort.

Le tombeau des rois, des princes, des riches particuliers, était souvent construit à l’image du monde infernal. Il avait, lui aussi, son puits, par où le mort se glissait au caveau funéraire, ses couloirs enfoncés bien avant dans la roche vive, ses grandes salles aux piliers bariolés, à la voûte en berceau[195], dont les parois portaient, peints à même, les démons et les dieux de l’enfer[196]. Tous les habitants de ces « maisons éternelles »[197] revêtaient, dans la splendeur bizarre de ses modes changeantes, la livrée de la mort égyptienne, le maillot de bandelettes fines, les cartonnages coloriés et dorés, le masque aux grands yeux d’émail toujours ouverts : gardez de croire qu’ils étaient tous morts. On peut dire, d’une manière générale, que les Égyptiens ne mouraient pas au sens où nous mourons. Le souffle de vie, dont leurs tissus s’étaient imprégnés au moment de la naissance, ne disparaissait pas soudain avec les derniers battements du cœur : il persistait jusqu’à la complète décomposition. Combien obscure et inconsciente que fût cette vie du cadavre, il fallait éviter de la laisser éteindre. Les procédés du dessèchement d’abord puis de la momification fixaient la forme et la pétrifiaient, pour ainsi dire ; ceux de la magie et de la religion y maintenaient une sorte d’humanité latente, susceptible de se développer un jour et de se manifester. Aussi, l’embaumeur était-il un magicien et un prêtre en même temps qu’un chirurgien. Tout en macérant les chairs et en roulant les bandelettes, il récitait des oraisons, il accomplissait des rites mystérieux, il consacrait des amulettes souverains. Chaque membre recevait de lui, tour à tour, l’huile qui le rend incorruptible et les prières qui y alimentent le ferment de la vie[198] : même, vers la fin de l’âge pharaonique, la magie avait envahi le cadavre et elle l’avait harnaché de ses talismans des pieds à la tête. Un disque de carton doré, chargé de légendes mystiques, et placé sous la tête, y entretenait un restant de chaleur animale[199]. Le scarabée de pierre, cerclé d’or, collé sur la poitrine à la naissance du cou, remplaçait le cœur immobilisé par l’arrêt du sang ou par la fuite des souffles, et il rétablissait une respiration artificielle[200]. Des brins d’herbe, des fleurs sèches, des rouleaux de papyrus, de mignonnes figurines en terre émaillée perdues dans l’épaisseur des bandages, des bracelets, des anneaux, des plaques constellées d’hiéroglyphes, les mille petits objets qui encombrent aujourd’hui les vitrines de nos musées, couvraient le tronc, les bras, les jambes, comme les pièces d’une armure magique. L’âme, de son côté, ne s’aventurait pas sans défense dans la vie d’outre-tombe. Les chapitres du Livre des Morts et des autres écrits théologiques, dont on déposait un exemplaire dans le cercueil, étaient pour elle autant de charmes qui lui ouvraient les chemins des sphères infernales et qui en écartaient les dangers. Si, au temps qu’elle était encore enfoncée dans la chair, elle avait eu soin de les apprendre par avance, il n’en valait que mieux. Si la pauvreté, l’ignorance, la paresse, l’incrédulité, ou quelque autre raison l’avaient empêchée de recevoir l’instruction nécessaire, même après la mort un parent ou un ami charitable pouvait lui servir d’instructeur. C’en était assez de réciter chaque prière auprès de la momie ou sur les amulettes pour que la connaissance s’en infusât, par je ne sais quelle subtile opération, dans l’âme désincarnée.

C’était le sort commun : quelques-uns y échappaient par prestige et art magique, pour qui le retour dans notre monde était une renaissance véritable au sein d’une femme. Ainsi Baîti dans le Conte des deux frères ; ainsi le sorcier Horus, le fils de Panishi. Celui-ci, apprenant que l’Égypte est menacée par les sortilèges d’une peste d’Éthiopien, s’insinue dans les entrailles de la princesse Mahîtouaskhît, et renaît au monde sous le nom de Sénosiris, comme fils de Satni-Khâmoîs. Il parcourt de nouveau tous les stages de l’existence humaine, mais il conserve l’acquis et la conscience de sa première vie, et il ne regagne l’Hadès qu’après avoir accompli victorieusement la tâche patriotique qu’il s’était imposée[201]. D’autres au contraire, ne désirant produire qu’un effet momentané, se dispensent d’une procédure aussi lente : ils envahissent notre monde brusquement sous la forme qui leur paraît être le plus propre à favoriser leurs projets, et ils ne séjournent ici-bas que le nombre d’heures strictement indispensables. Tels les personnages que Satni trouva réunis dans la tombe de Nénoferképhtah et qui n’ont du mort que l’apparence et la livrée. Ils sont des momies si l’on veut ; le sang ne coule plus dans leurs veines, leurs membres ont été roidis par l’emmaillotement funéraire, leurs chairs sont saturées et durcies des parfums de l’embaumement, leur crâne est vide. Pourtant ils pensent, ils parlent, ils se meuvent, ils agissent comme s’ils vivaient, je suis presque tenté de dire qu’ils vivent : le livre de Thot est en eux et les porte. Madame de Sévigné écrivait d’un traité de M. Nicole « qu’elle voudrait bien en faire un bouillon et l’avaler ». Nénoferképhtah avait copié les formules du livre magique sur du papyrus vierge, il les avait dissoutes dans de l’eau, puis il avait avalé le breuvage[202]. Le voilà désormais indestructible. La mort, en le frappant, peut changer les conditions de son existence : elle n’atteint pas son existence même. Il mande dans sa tombe les doubles de sa femme et de son fils, il leur infuse les vertus du livre et il reprend avec eux la routine de famille, un instant interrompue par les formalités de l’embaumement. Il peut entrer et sortir à son gré, reparaître au jour, revêtir toutes les formes qu’il lui convient revêtir, communiquer avec les vivants. Il laisse dormir son pouvoir, mais quand Satni l’a dépouillé, il n’hésite pas à l’éveiller et à user de lui énergiquement. Il délègue à Memphis sa femme Ahouri, et celle-ci, escortée des pions de l’échiquier qui deviennent autant de serviteurs pour la circonstance, se déguise en hiérodule pour séduire le voleur. Lorsqu’elle a réussi auprès de lui dans son œuvre de perdition, et qu’il gît sans vertu à sa merci, Nénoferképhtah se manifeste à son tour, d’abord sous la figure d’un roi, puis sous celle d’un vieillard, et il l’oblige à restituer le précieux manuscrit. Il pourrait au besoin tirer vengeance de l’imprudent qui a violé le secret de sa tombe, mais il se contente de l’employer à l’accomplissement de celui de ses désirs qu’un vivant seul peut exaucer : il le contraint de ramener à Memphis les momies d’Ahouri et de Maîhêt qui étaient en exil à Coptos, et de réunir en un seul tombeau ceux que les rancunes de Thot avaient tenus séparés.

Voilà qui est égyptien et rien qu’égyptien. Si l’on persiste à prétendre que la conception originelle est étrangère, il faudra confesser que l’Égypte se l’est appropriée au point de la rendre sienne entièrement. On a signalé ailleurs des familles de spectres ou des assemblées de morts en rupture de cercueil ; une famille de momies n’est possible qu’aux hypogées de la vallée du Nil. Après cela, l’apparition d’un revenant dans un fragment malheureusement trop court du Musée de Florence n’étonnera personne[203]. Ce revenant ou, pour l’appeler par son nom égyptien, ce khou, ce lumineux, fidèle à l’habitude de ses congénères, racontait son histoire, comme quoi il était né sous le roi Râhotpou de la XVIIe dynastie, et quelle vie il avait menée. Ses auditeurs n’avaient point l’air étonnés de le rencontrer si loquace : ils savaient que le temps viendrait bientôt pour eux où ils seraient ce qu’il était, et ils comprenaient quelle joie ce devait être pour un pauvre esprit réduit depuis des siècles à la conversation des esprits, de causer enfin avec des vivants.

V

C’en est assez pour montrer avec quelle fidélité les récits populaires dépeignent les mœurs et les croyances de l’Égyptien en Égypte : il est curieux de démêler dans d’autres contes les impressions de l’Égyptien en voyage. J’étonnerai bien des gens en avançant que, tout considéré, les Égyptiens étaient plutôt un peuple voyageur. On s’est en effet habitué à les représenter comme des gens casaniers, routiniers, entichés de la supériorité de leur race au point de ne vouloir en fréquenter aucune autre, amoureux de leur pays à n’en sortir que par force. Le fait était peut-être vrai à l’époque gréco-romaine, bien que la présence des prêtres errants, des nécromants, des jongleurs, des matelots égyptiens, en différents points de l’Empire des Césars et jusqu’au fond de la Grande-Bretagne, montre qu’ils n’éprouvaient aucune répugnance à s’expatrier, quand ils y trouvaient leur profit. Mais ce qui était peut-être vrai de l’Égypte vieillie et dégénérée l’était-il également de l’Égypte pharaonique ?

Les armées des Pharaons guerriers traînaient derrière elles des employés, des marchands, des brocanteurs, des gens de toute sorte : les campagnes se renouvelant presque chaque année, c’étaient presque chaque année des milliers d’Égyptiens qui quittaient la vallée à la suite des conquérants et qui y revenaient pour la plupart l’expédition terminée[204]. Grâce à ces exodes périodiques, l’idée du voyage entra si familière dans l’esprit de la nation, que les scribes n’hésitèrent pas à en classer le thème parmi leurs exercices de style. L’un d’eux a consacré vingt pages de belle écriture à tracer l’itinéraire assez exact d’une randonnée entreprise sous Ramsès II à travers les provinces syriennes de l’empire[205]. Les incidents habituels y sont indiqués brièvement : le héros y affronte des forêts peuplées d’animaux sauvages et de bandits, des routes mal entretenues, des peuplades hostiles, des régions de montagnes où son char se brise. La plupart des villes qu’il visite ne sont qu’énumérées dans leur ordre géographique, mais quelques détails pittoresques interrompent çà et là les monotonies du dénombrement : c’est la Tyr insulaire avec ses poissons plus nombreux que les grains de sable de la mer et ses bateaux qui lui apportent l’eau du rivage ; c’est Byblos et sa grande déesse, Joppé et ses vergers fréquents en séductions amoureuses. « Je te ferai connaître le chemin qui passe par Magidi, car, toi, tu es un héros habile aux œuvres de vaillance, trouve-t-on un héros qui charge comme toi à la tête des soldats, un seigneur qui, mieux que toi, lance la flèche ? Te voilà donc sur le bord d’un gouffre profond de deux mille coudées, plein de roches et de galets, tu chemines tenant l’arc et brandissant le fer de la main gauche, tu le montres aux chefs excellents et tu obliges leurs yeux à se baisser devant ta main. « Tu es destructeur comme le dieu El, cher héros[206] ! Tu te fais un nom, héros, maître des chevaliers d’Égypte, devienne ton nom comme celui de Kazarati, chef du pays d’Asarou, alors que les hyènes le rencontrèrent au milieu des halliers, dans le chemin creux, féroces comme les Bédouins qui se cachent dans les taillis, longues quelques-unes de quatre à cinq coudées, leur corps massif comme celui de l’hippopotame, d’aspect féroce, impitoyables, sourdes aux prières ». Toi, cependant, tu es seul, sans guide, sans troupe à ta suite et tu ne trouves pas de montagnard qui t’indique la direction que tu dois suivre, aussi l’angoisse s’empare de toi, tes cheveux se dressent sur ta tête, ton âme passe tout entière dans ta main, car la route est pleine de roches et de galets, sans passage frayé, obstruée de houx, de ronces, d’aloès, de Souliers de Chiens[207], le précipice d’un côté, la montagne abrupte de l’autre. Tandis que tu y chemines, ton char cahote sans cesse et ton attelage s’effraie à chaque heurt ; s’il se jette de côté, il entraîne le timon, les rênes sont arrachées violemment et on tombe ; si, tandis que tu pousses droit devant toi, le cheval arrache le timon au plus étroit du sentier, il n’y a pas moyen de le rattacher, et, comme il n’y a pas moyen de le rajuster, le joug demeure en place et le cheval s’alourdit à le porter. Ton cœur se lasse enfin, tu te mets à galoper, mais le ciel est sans nuages, tu as soif, l’ennemi est derrière toi, tu as peur, et, dès qu’une branche d’acacia te happe au passage, tu te rejettes de côté, ton cheval se blesse sur l’heure, tu es précipité à terre et tu te meurtris à grand’douleur. Entrant à Joppé, tu y rencontres un verger fleuri en sa saison, tu fais un trou dans la haie pour y aller manger ; tu y trouves la jolie fille qui garde les vergers, elle te prend pour ami et t’abandonne la fleur de son sein. On t’aperçoit, tu déclares qui tu es et on reconnaît que tu es un héros[208]. Le tout formerait, sans peine, le canevas d’un roman géographique pareil à certains romans byzantins, les Éthiopiques d’Héliodore ou les Amours de Clitophon et de Leucippe.

Il n’y a donc point lieu de s’étonner si les héros de nos contes voyagent beaucoup à l’étranger. Ramsès II épouse la fille du prince de Bakhtan au cours d’une expédition, et Khonsou n’hésite pas à charger son arche sur un char pour s’en aller au loin guérir Bintrashît[209]. Dans Le Prince prédestiné, un fils de Pharaon, s’ennuyant au logis, va courir l’aventure au Naharinna, en pleine Syrie du Nord[210]. C’est dans la Syrie du Sud, à Joppé, que Thoutîyi trouve l’occasion de déployer ses qualités de soldat rusé[211]. L’exil mène Sinouhît au Tonou supérieur[212]. La peinture des mœurs manque presque partout, et aucun détail ne prouve que l’auteur connût autrement que de nom les pays où il conduisait ses personnages. L’homme qui a rédigé les Mémoires de Sinouhît avait ou exploré lui-même la région qu’il décrivait, ou consulté des gens qui l’avaient parcourue. Il devait avoir affronté le désert et en avoir ressenti les terreurs, pour parler comme il fait des angoisses de son héros : « Alors la soif elle fondit sur moi, je défaillis, mon gosier râla, et je me disais déjà : « C’est le goût de la mort », quand soudain je relevai mon cœur et je rassemblai mes membres ; j’entendais la voix forte d’un troupeau ». Les mœurs des Bédouins ont été saisies sur le vif, et le combat singulier entre Sinouhît et le champion de Tonou est raconté avec tant de fidélité, qu’on pourrait presque le donner pour le récit d’un combat d’Antar ou de Rebiâ. Il ne nous restait plus, pour compléter la série, qu’à trouver un roman maritime : Golénicheff en a découvert deux à Saint-Pétersbourg[213]. Les auteurs grecs et latins nous ont répété à l’envi que la mer était considérée comme impure par les Égyptiens et que nul d’entre eux n’osait s’y aventurer de son plein gré. Les modernes ont réussi pendant longtemps à se persuader, sur la foi des anciens, que l’Égypte n’avait jamais possédé ni matelots ni marine nationale ; le voyage d’exploration de la reine Hâtshopsouîtou, les victoires navales de Ramsès III, auraient été le fait de Phéniciens combattant ou naviguant sous bannière égyptienne. Les romans de Saint-Pétersbourg nous contraignent de renoncer à cette hypothèse. L’un d’eux, celui d’Ounamounou, est le périple d’un officier que le grand-prêtre Hrihorou envoie acheter du bois sur la côte syrienne au XIIe siècle avant notre ère[214]. Les incidents y sont ceux qui survenaient dans la vie journalière des marchands ou des ambassadeurs, et l’ensemble du document laisse pour les croisières maritimes une impression analogue à celle que le Papyrus Anastasi n° I nous avait donnée des voyages de terre[215]. Ce sont des mésaventures du genre de celles qu’on lit dans les relations du Levant au XVIe et au XVIIe siècles, vols à bord, mauvaise volonté des capitaines de port, menaces des petits tyrans locaux, discussions et palabres interminables pour la liberté de partir et même pour la vie. Le second roman nous reporte à plus de vingt siècles plus loin, dans un temps où il n’était pas question pour l’Égypte de conquérir la Syrie. Les monuments nous avaient déjà fait connaître sous des rois de la VIe et de la XIe dynastie des expéditions maritimes au pays de Pouanît[216] : le roman de Saint-Pétersbourg nous enseigne que les matelots auxquels les souverains de la XIIe confiaient la tâche d’aller acheter au loin les parfums et les denrées de l’Arabie étaient bien de race et d’éducation égyptiennes.

Rien n’est plus curieux que la mise en scène du début. Un personnage envoyé en mission revient après une croisière malheureuse où l’on dirait qu’il a perdu son navire. Un de ses compagnons, peut-être le capitaine du vaisseau qui l’a recueilli, l’encourage à se présenter hardiment devant le souverain pour plaider sa cause, et, afin de le rassurer sur les suites de la catastrophe, il lui raconte ce qui lui arriva en semblable occurrence. Le récit est construit sur le modèle des notices biographiques que les grands seigneurs faisaient graver sur les murs de leurs hypogées, ou des rapports qu’ils adressaient à leur maître après chaque mission remplie. Les phrases en sont celles-là mêmes que les scribes employaient lorsqu’ils avaient à rendre compte d’une affaire de service. « J’allai aux mines du Souverain, et j’étais descendu en mer sur un navire de cent cinquante coudées de long sur quarante de large, qui portait cent cinquante matelots de l’élite du pays d’Égypte, qui avaient vu le ciel, qui avaient vu la terre, et qui étaient plus hardis de cœur que des lions[217] ». Le nomarque Amoni-Amenemhaît, qui vivait à peu près au temps où notre ouvrage fut composé, ne parle pas autrement dans le mémoire qu’il nous a laissé de sa carrière : « Je remontai le Nil afin d’aller chercher les produits des diverses sortes d’or pour la Majesté du roi, Khopirkerîya ; je le remontai avec le prince héréditaire, fils aîné légitime du roi, Amoni, v. s. f. ; je le remontai avec un nombre de quatre cents hommes de toute l’élite de ses soldats[218] ». Si, par une de ces mésaventures auxquelles l’égyptologie nous tient accoutumés, le manuscrit avait été déchiré en cet endroit et la fin perdue, nous aurions presque le droit d’imaginer qu’il contenait un morceau d’histoire, comme on a fait longtemps pour le Papyrus Sallier n° I[219]. Par bonheur, il est intact et nous y voyons nettement comment le héros passe sans transition du domaine de la réalité à celui de la fable. Une tempête coule son navire et le jette sur une île. Le fait n’a rien que d’ordinaire en soi, mais l’île à laquelle il aborde, seul d’entre ses camarades, n’est pas une île ordinaire. Un serpent gigantesque l’habite avec sa famille, serpent à voix humaine qui accueille le naufragé, l’entretient, le nourrit, lui prédit un heureux retour au pays, le comble de cadeaux au moment du départ. Golénicheff a rappelé à ce propos les voyages de Sindbad le marin[220], et le rapprochement une fois indiqué par lui s’est imposé de lui-même à l’esprit du lecteur. Seulement les serpents de Sindbad ne sont plus d’humeur aussi accommodante que ceux de son prédécesseur égyptien. Ils ne s’ingénient pas à divertir l’étranger par les charmes d’une causerie amicale ; ils l’avalent de bon appétit et s’ils l’approvisionnent de diamants, de rubis ou d’autres pierres précieuses c’est bien malgré eux, parce qu’avec toute leur voracité ils ne sont point parvenus à supprimer le chercheur de trésors.

Je ne voudrais pas cependant conclure de cette analogie que nous avons une version égyptienne du conte de Sindbad. Les récits de voyages merveilleux naissent naturels dans la bouche des matelots, et ils présentent nécessairement un certain nombre de traits communs, l’orage, le naufragé qui survit seul à tout un équipage, l’île habitée par des monstres parlants, le retour inespéré avec une cargaison de richesses. Celui qui, comme Ulysse, a fait un long voyage, a, par métier, la critique lâche et l’imagination inépuisable : à peine s’est-il échappé du cercle où la vie ordinaire de ses auditeurs se meut, qu’il se lance à pleines voiles dans le pays des miracles. Le Livre des Merveilles de l’Inde[221], les Relations des marchands arabes[222], les Prairies d’or de Maçoudi apprendront aux curieux ce que des gens de bonne foi apercevaient à Java, en Chine, dans l’Inde, sur les côtes occidentales de l’Afrique, il y a quelques siècles à peine. Plusieurs des faits rapportés dans ces ouvrages ont été insérés tels quels dans les aventures de Sindbad ou dans les voyages surprenants du prince Séîf-el-molouk : les Mille et une Nuits ne sont pas ici plus mensongères que les histoires sérieuses du moyen âge musulman. Aussi bien le bourgeois du Caire qui écrivit les sept voyages de Sindbad n’avait-il pas besoin d’en emprunter les données à un conte antérieur : il n’avait qu’à lire les auteurs les plus graves ou qu’à écouter les matelots et les marchands revenus de loin, pour y recueillir à foison la matière de ses romans.

L’Égypte ancienne n’aurait eu rien à envier de ce chef à la moderne. Le scribe, à qui nous devons le conte de Saint-Pétersbourg, avait les capitaines au long cours de son temps pour garant des balivernes étonnantes qu’il débitait. Dès la Ve dynastie, et plus tôt même, on naviguait sur la mer Rouge jusqu’aux Pays des Aromates, sur la mer Méditerranée jusqu’aux îles de la côte asiatique : les noms géographiques épars dans le récit indiquent que le héros dirige son voyage vers le sud. Il se rend aux mines de Pharaon : l’autobiographie très authentique d’Amoni-Amenemhaît nous apprend qu’elles étaient situées en Éthiopie, dans la région de l’Etbaye actuelle, et qu’on les atteignait par la voie du Nil. Aussi le naufragé a-t-il soin de nous informer qu’après être parvenu à l’extrémité du pays des Ouaouaîtou, au sud de la Nubie, il a passé devant Sanmouît, c’est-à-dire devant l’île de Bîgéh, à la première cataracte. Il a remonté le Nil, il est entré dans la mer, où une longue navigation a mené son navire jusque dans le voisinage du Pouanît, puis il est revenu en Thébaïde par la même voie[223]. Un lecteur d’aujourd’hui ne comprend plus rien à cette façon de procéder : il suffit cependant de consulter quelque carte du XVIe et du XVIIe siècle pour se représenter ce que le scribe égyptien a voulu dire. Le centre de l’Afrique y est occupé par un grand lac d’où sortent, d’un côté le Congo et le Zambèze, de l’autre le Nil[224]. Les géographes alexandrins ne doutaient pas que l’Astapus et l’Astaboras, le Nil bleu et le Tacazzé, ne poussassent vers l’est des bras qui établissaient la communication avec la mer Rouge[225]. Les marchands arabes du moyen âge croyaient qu’en suivant le Nil on gagnait le pays des Zindjes, après quoi l’on débouchait dans l’océan Indien[226]. Hérodote et ses contemporains dérivaient le Nil du fleuve Océan[227]. Arabes ou Grecs, ils n’avaient pas inventé cette conception : ils répétaient la tradition égyptienne. Celle-ci à son tour a peut-être des fondements plus sérieux qu’on ne serait porté à lui en prêter de prime abord. La plaine basse et marécageuse où le Bahr-el-Abiad s’unit aujourd’hui au Sobat et au Bahr-el-Ghazâl était jadis un lac plus grand que le Nyanza Kéréwé de nos jours. Les alluvions l’ont comblé peu à peu, à l’exception d’un creux plus profond que le reste, qu’on appelle le Birket-Nou et qui se colmate de jour en jour[228], mais il devait encore être assez vaste au XVIe ou XVIIe siècle avant notre ère pour donner aux soldats et aux bateliers égyptiens l’idée d’une véritable mer ouverte sur l’Océan Indien.

L’île où notre héros aborde a-t-elle donc quelque droit à figurer dans une géographie sérieuse du monde égyptien ? On nous la dépeint comme un séjour fantastique dont il n’était pas donné à tous de trouver le chemin. Quiconque en sortait n’y pouvait plus rentrer : elle se résolvait en vagues et elle s’enfonçait sous les flots. C’est un prototype lointain de ces terres enchantées, l’île de Saint-Brandan par exemple, que les marins de notre moyen âge apercevaient parfois parmi les brumes de l’horizon et qui s’évanouissaient quand on voulait en approcher. Le nom qu’elle porte est des plus significatifs à cet égard ; c’est Île de double qu’elle s’appelle[229]. J’ai déjà dit tant de fois ce qu’était le double[230], que j’hésite à en parler une fois de plus. En deux mots, le double est l’âme qui survit au corps et qu’il faut habiller, loger, nourrir dans l’autre monde : une île de double est donc une île où l’âme des morts habite, une sorte de paradis analogue aux Îles Fortunées de l’antiquité classique. Les géographes de l’époque alexandrine la connaissaient, et c’est d’après eux que Pline[231] indique, dans la mer Rouge, une île des Morts, non loin de l’île Topazôn, qui se cache dans les brouillards[232] de la même manière que l’île du Double se dissimule au creux des vagues. Elle n’était même que le reste d’une terre plus grande, une Terre des Doubles que les Égyptiens de l’empire memphite plaçaient au voisinage du Pouanît et de la région des Aromates[233]. Le serpent qui la gouverne est-il lui-même un double ou le surveillant de la demeure des doubles ? Je pencherais d’autant plus volontiers vers cette seconde explication que, dans tous les livres sacrés, au Livre des morts, au Livre de savoir ce qu’il y a dans le monde de la nuit, la garde des endroits où les âmes vivent est confiée le plus souvent à des serpents d’espèces diverses. Les doubles étaient trop ténus pour que l’œil d’un vivant ordinaire les aperçût ; aussi n’en est-il pas question dans le conte de Saint-Pétersbourg. Le gardien était pétri d’une manière plus solide, et c’est pourquoi le naufragé entre en relations avec lui. Lucien, dans son Histoire véritable, n’y met pas tant de façons : à peine débarqué dans les Champs-Élysées, il lie commerce d’amitié avec les mânes et il fréquente les héros d’Homère. C’était à fin de mieux se moquer des romans maritimes de son temps ; le scribe égyptien, qui croyait à l’existence des îles où résidaient les bienheureux, conformait les aventures de son héros aux règles de sa religion.

N’était-ce pas en effet comme une pointe poussée dans le domaine de la théologie que ce voyage d’un simple matelot à l’Île de Double ? Selon l’une des doctrines les plus répandues, l’Égyptien, une fois mort, ne joignait l’autre monde qu’à la condition d’entreprendre une longue traversée. Il s’embarquait sur le Nil, au jour même de l’enterrement, et il se rendait à l’ouest d’Abydos, où le canal osiriaque le conduisait hors de notre terre[234]. Les monuments nous le montrent dirigeant lui-même son navire et voguant à pleines voiles sur la mer mystérieuse d’Occident, mais sans nous dire quel était le but de sa course. On savait bien d’une manière générale qu’il finissait par aborder au pays qui mêle les hommes[235], et qu’il y menait une existence analogue à son existence terrestre ; mais on n’avait que des notions contradictoires sur l’emplacement de ce pays. La croyance à la mer d’Occident est-elle une simple conception mythologique ? Faut-il y voir un souvenir inconscient de l’époque très reculée à laquelle les bas-fonds du désert libyen, ce qu’on appelle aujourd’hui les Bahr-belâ-mâ, les fleuves sans eau, n’étaient pas encore asséchés et formaient en avant de la vallée une barrière de lacs et de marais ? Quoi que l’on pense de ces questions, il me paraît certain qu’il y a entre le voyage du matelot à l’Île de double et la croisière du mort sur la mer d’Occident des rapports indiscutables. Le conte de Saint-Pétersbourg n’est guère que la transformation en donnée romanesque d’une donnée théologique. Il nous fournit le premier en date de ces récits où l’imagination populaire s’est complu à représenter un vivant admis impunément chez les morts : c’est, à ce titre, un ancêtre très éloigné de la Divine Comédie. La conception première en est-elle égyptienne ? Si par hasard elle ne l’était pas, il faudrait avouer au moins que la manière dont elle a été traitée est conforme de tout point aux sentiments et aux mœurs du peuple égyptien.

L’avenir nous rendra sans doute d’autres débris de cette littérature romanesque. Plusieurs sont sortis de terre depuis la première édition de ce livre, et j’en sais d’autres qui sont cachés dans des musées de l’étranger ou dans des collections particulières dont l’accès ne m’a pas été permis. Les publications et les découvertes nouvelles nous forceront-elles à revenir sur les conclusions qu’on peut tirer de l’examen des fragments connus jusqu’à ce jour ? Un égyptologue parlant en faveur de l’Égypte est toujours suspect de plaider pour sa maison : il y a cependant quelques propositions que je pense pouvoir énoncer sans encourir le reproche de partialité. Un premier point que nul ne contestera, c’est que les versions égyptiennes sont parfois beaucoup plus anciennes que celles des autres peuples. Les manuscrits qui nous ont conservé le Conte des deux Frères et la Querelle d’Apôpi et de Sagnounrî, sont du XIVe ou du XIIIe siècle avant notre ère. Le Naufragé, le Conte fantastique de Berlin, les Mémoires de Sinouhît ont été écrits plusieurs centaines d’années plus tôt. Encore ne sont-ce là que des dates a minimâ, car les papyrus que nous avons sont la copie de papyrus plus anciens. L’Inde n’a rien qui remonte à pareille antiquité, et la Chaldée qui, seule parmi les contrées du monde classique, possède des monuments contemporains de ceux de l’Égypte, ne nous a pas livré encore un seul roman. En second lieu, l’étude sommaire que j’achève en ce moment aura suffi, je l’espère, à convaincre le lecteur de la fidélité avec laquelle les contes dépeignent les mœurs de l’Égypte. Tout y est égyptien du commencement jusqu’à la fin, et les détails même qu’on a indiqués comme étant de provenance étrangère nous apparaissent purement indigènes, quand on les examine de près. Non seulement les vivants, mais les morts, ont la tournure particulière au peuple du Nil, et ils ne sauraient être confondus en aucune façon avec les vivants et les morts d’un autre peuple. Je conclus de ces faits qu’il faut considérer l’Égypte, sinon comme un des pays d’origine des contes populaires, au moins comme un de ceux où ils se sont naturalisés le plus anciennement et où ils ont pris le plus tôt une forme vraiment littéraire. Je m’assure que de plus autorisés souscriront à cette conclusion.

LE CONTE DES DEUX FRÈRES

(XIXe DYNASTIE)

Le manuscrit de ce conte, acheté en Italie par madame Élisabeth d’Orbiney, fut vendu par elle au British Museum en 1857 et bientôt après reproduit par Samuel Birch, dans les Select Papyri, t. II, pl. IX-XIX (1860), in-folio. Une édition cursive de ce fac-similé couvre les pages 22-40 de l’Ægyptische Chrestomathie de M. Leo Reinisch, Vienne, 1875, petit in-folio, et une copie très soignée en a été donnée par G. Möller, Hieratische Lesestücke, Leipzig, 1910, petit in-folio, t. II, p. 1-20. F. Ll. Griffith a revu soigneusement le texte sur l’original ; il a publié sa collation sous le titre de Notes on the Text of the d’Orbiney Papyrus, dans les Proceedings of the Society of Biblical Archæology, t. VII, 1888-1889, p. 161-172 et 414-416.

Le texte a été traduit et analysé pour la première fois par :

E. de Rougé, Notice sur un manuscrit égyptien en écriture hiératique, écrit sous le règne de Merienphtah, fils du grand Ramsès, vers le XVe siècle avant l’ère chrétienne, dans l’Athénæum Français, numéro du samedi 30 octobre 1852, p. 280-284 (tirage à part chez Thunot, 1852, in-12o, 24 pp.), et dans la Revue archéologique, 1re série, t. VIII, p. 30 sqq. (tirage à part chez Leleu, 1852, in-8°, 15 pp. et 1 pl.) ; ce mémoire a été republié dans les Œuvres Diverses, t. II, p. 303-319.

Depuis lors des analyses et des transcriptions et traductions nombreuses en plusieurs langues ont été données par :

C.-W. Goodwin, Hieratic Papyri, dans les Cambridge Essays, 1858, p. 232-239.

Mannhardt, das älteste Märchen, dans la Zeitschrift für Deutsche Mythologie und Sittenkunde, 1859.

Birch, Select Papyri, part. II, London, 1860, Text, p. 7-9.

Lepage-Renouf, On the Decypherment and Interpretation of dead Languages, London, 1863, in-8° ; reproduit dans The Life-Work of Sir Peter Lepage-Renouf, 1re série, t. I, p. 116-133.

Chabas, Étude analytique d’un texte difficile, dans les Mélanges Égyptologiques, 2e série, 1864, p. 182-230.

Brugsch, Aus dem Orient, 1864, p. 7 sqq.

Ebers, Ægypten und die Bücher Moses, in-8°, 1re éd., 1868, p. 311-316.

Vladimir Stasow, Drewnêjsaja powest w miré « Roman dwuch bratjew » Le plus ancien conte du Monde, le Roman des deux Frères dans la Revue Westnik Jewropi (les Messagers d’Europe), 1868, t. V, p. 702 732.

Maspero, Le Conte des deux Frères dans la Revue des Cours littéraires, 1871, numéro du 28 février, p. 780 sqq.

Lepage-Renouf, The Tale of the Two Brothers, dans les Records of the Past, 1re série, t. II, p. 137-152 ; cf. ses Parallels in Folklore, dans les Proceedings of the Society of Biblical Archæology, t. XI, p. 177-189, reproduits dans The Life-Work, t. III, p. 311-327.

Maspero, Conte des deux Frères, dans la Revue archéologique, 2e série, XIXe année (mars 1878). Tirage à part, chez Didier, Paris, in-8°, 16 p. ; reproduit dans les Mélanges de Mythologie et d’Archéologie Égyptiennes, t. III, p. 43-66.

Chabas, le Conte des deux Frères, dans le Choix de textes égyptiens, publié après sa mort par M. de Horrack, Paris, 1883, in-8°, p. 5 sqq., reproduit dans les Œuvres diverses, t. V, p. 424-435.

E.-M. Coemans, Manuel de la langue égyptienne, 1887, t. I, p. 95-120.

W.-N. Groff, Étude sur le Papyrus d’Orbiney, Paris, Leroux, 1888, in-4°, 84-III p., et Quelques Observations sur mon Étude sur le Papyrus d’Orbiney, Leroux, 1889, in-4°, VIII p.

Ch.-E. Moldenke, The Tale of the two Brothers. A fairy tale of ancient Egypt, being the d’Orbiney Papyrus in hieratic character in the British Museum ; to which is added the hieroglyphic transcription, a glossary, critical notes, etc. New-York, 1888-1893, in-8°.

E.-W. Budge, Egyptian Reading Book, 1re édit. Londres, Nutt, 1888, in-8°, p. XI et 1-25 ; ne contient que la transcription du texte en hiéroglyphes.

W. Flinders Petrie, Egyptian Tales, 1895, t. II, p. 36-86.

Ch.-E. Moldenke, The Oldest Fairy Tale translated from the Papyrus d’Orbiney, with Notes, dans les Transactions of the Meriden Scientific Association, Meriden, 1895, in-8°, t. VII, p. 33-81.

Karl Piehl, En gammla Saga dans Bilder fran Egypten, 1896, in-8°.

F. Ll. Griffith, Egyptian Literature dans Specimen Pages of the World’s best Literature, New-York, 1898, in-8°, p. 5253-5262.

D. A. Speransky, Iz literatury Dpewnjago Jegypta, Wipuski : Razskaz o dwuch bratjach (Le Conte des deux Frères), Saint-Pétersbourg, 1906, in-8°, 264 p.

A. Wiedemann, Altægyptische Sagen und Märchen, Leipzig, 1906, petit in-8°, p. 58-77.

Le manuscrit renferme dix-neuf pages de dix lignes, les cinq premières assez mutilées. Quelques lacunes ont été remplies par l’un des possesseurs modernes ; elles ont été signalées sur le fac-similé. Le livre portait, à deux reprises, le nom de son propriétaire antique, Sêtoui Mainephtah, qui régna plus tard sous le nom de Sêtoui II. Au verso de l’un des feuillets, un contemporain, peut-être Sêtoui lui-même, a tracé le mémorandum suivant (cfr. W. Spiegelberg, Rechnungen, p. 41, n. 8)

Grands pains          17

Pains de seconde qualité  50

Pains de temple     68

Le manuscrit sort de l’officine du scribe Ennana, à laquelle nous devons plusieurs autres éditions d’ouvrages classiques, entre autres le Papyrus Anastasi IV, et qui était en pleine activité sous les règnes de Ramsès II, de Ménéphtah, et de Sêtoui II ; il a plus de trois mille ans d’existence.

*

* *

Il y avait une fois deux frères d’une seule mère et d’un seul père[236] : Anoupou[237] était le nom du grand, tandis que Baîti[238] était le nom du cadet. Or Anoupou, lui, avait maison, avait femme, mais son frère cadet était avec lui ce qu’il en est d’un cadet. C’était lui qui fabriquait les étoffes, tout en allant derrière ses bestiaux aux champs[239], c’était lui qui faisait les labours, c’était lui qui battait le grain, lui qui exécutait tous les travaux des champs ; car ce petit frère était un ouvrier excellent, et il n’y avait point son pareil dans la Terre-Entière[240], mais le germe de tout dieu était en lui. Et après beaucoup de jours ensuite de cela[241], lorsque le frère cadet était derrière ses vaches, selon sa coutume de tous les jours, il venait à sa maison, chaque soir, chargé de toutes les herbes des champs, ainsi qu’on fait quand on revient des champs ; il les déposait devant son grand frère, qui était assis avec sa femme, il buvait, il mangeait, il dormait dans son étable, avec ses vaches, chaque jour[242]. Et quand la terre s’éclairait et qu’un second jour était, dès que les pains étaient cuits, il les mettait devant son grand frère, et celui-ci lui donnait des pains pour les champs. Il poussait ses vaches pour les faire manger aux champs, et tandis qu’il allait derrière ses vaches, elles lui disaient : « Elle est bonne l’herbe, en tel endroit » ; or, lui, il écoutait tout ce qu’elles disaient, il les menait au bon herbage qu’elles souhaitaient. Elles donc, les vaches qui étaient avec lui, elles devenaient belles, beaucoup, beaucoup, elles multipliaient leurs naissances, beaucoup, beaucoup[243].

Et une fois, à la saison du labourage, son grand frère lui dit : « Prépare-nous notre attelage pour nous mettre à labourer, car la terre est sortie de l’eau[244] et elle est bonne à labourer. Toi donc, va-t’en au champ avec les semences, car nous nous mettrons à labourer demain matin » ; ainsi lui dit-il, et son frère cadet fit toutes les choses que son grand frère lui avait dites quantes elles furent. Lorsque la terre s’éclaira et qu’un second jour fut, ils allèrent aux champs avec leur attelage pour se mettre à labourer, et leur cœur fut joyeux beaucoup, beaucoup, de leur travail, et ils n’abandonnèrent pas l’ouvrage.

Et après beaucoup de jours ensuite de cela, tandis qu’ils étaient aux champs et qu’ils houaient, le grand frère dépêcha son frère cadet, disant : « Cours, apporte-nous les semences du village ! » Le frère cadet trouva la femme de son grand frère qu’on était occupé à coiffer[245]. Il lui dit : « Debout ! donne-moi des semences, que je coure aux champs, car mon grand frère a dit en m’envoyant : Point de paresse ! » Elle lui dit : « Va, ouvre la huche[246], toi, emporte ce qu’il te plaira, de peur que ma coiffure ne reste inachevée ». Le gars entra dans son étable, il emporta une grande jarre, car son intention était de prendre beaucoup de grains, il la chargea de blé et d’orge et il sortit sous le faix. Elle lui dit : « Quelle est la quantité qui est sur ton épaule ? » Il lui dit : « Orge, trois mesures, froment, deux mesures, total, cinq, voilà ce qu’il y a sur mon épaule ». Ainsi lui dit-il, mais elle, elle lui adressa la parole, disant : « Il y a grand prouesse en toi, et j’observe tes forces chaque jour[247] ! » Et son cœur l’accointa comme on accointe un gars[248]. Elle se leva, elle le saisit, elle lui dit : « Viens ! reposons ensemble, une heure durant ! Si tu m’accordes cela, certes, je te fais deux beaux vêtements ». Le gars devint comme un guépard du midi en rage grande, à cause des vilains propos qu’elle lui disait, et elle eut peur beaucoup, beaucoup. Il lui adressa la parole, disant : « Mais certes, tu es pour moi comme une mère ! mais ton mari est pour moi comme un père ! mais lui, qui est mon aîné, c’est lui qui me fait vivre ! Ah ! cette grande horreur que tu as dite, ne me la dis pas de nouveau ; et moi je ne la dirai à quiconque, et je ne la laisserai échapper de ma bouche pour personne ». Il chargea son faix, il s’en alla aux champs. Quand il fut arrivé auprès de son grand frère, ils se mirent à travailler de leur travail.

Et après cela, sur le moment du soir, tandis que le grand frère retournait à sa maison, et que le frère cadet était à la suite de ses bestiaux, chargé de toutes les choses des champs, et qu’il menait ses bestiaux devant lui pour les faire coucher dans leurs étables au village[249], comme la femme du grand frère avait peur des propos qu’elle avait dits, elle prit de la graisse, un chiffon, et elle s’accoutra comme qui a été roué de coups par un malfaiteur[250], afin de dire à son mari : « C’est ton frère cadet qui m’a rouée de coups ». Quand donc son mari revint au soir, selon son habitude de chaque jour, en arrivant à sa maison, il trouva sa femme gisante et dolente comme de violence ; elle ne lui versa point l’eau sur les mains selon son habitude de chaque jour, elle ne fit pas la lumière devant lui, mais sa maison était dans les ténèbres et elle gisait toute souillée. Son mari lui dit : « Qui donc a parlé avec toi ? » Voilà qu’elle lui dit : « Nul n’a parlé avec moi, outre ton frère cadet. Lorsqu’il vint prendre pour toi les semences, me trouvant assise toute seule, il me dit : « Viens, toi, que nous reposions ensemble une heure durant ; revêts tes beaux vêtements ». Il me parla ainsi, et moi, je ne l’écoutai point : Mais ne suis-je pas, moi, ta mère ? car ton grand frère n’est-il pas pour toi comme un père ? » Ainsi lui dis-je. Il eut peur, il me roua de coups pour que je ne te fisse point de rapport. Si donc tu permets qu’il vive, je me tuerai ; car, vois, quand il reviendra, le soir, comme je me suis plainte de ces vilaines paroles, ce qu’il fera est évident ».

Le grand frère devint comme un guépard du midi[251] ; il donna du fil à son couteau, il le mit dans sa main. L’aîné se tint derrière la porte de son étable, afin de tuer son frère cadet, lorsque celui-ci viendrait, au soir, pour faire entrer ses bestiaux à l’étable. Et quand le soleil se coucha, et que le frère cadet se chargea de toutes les herbes des champs, selon son habitude de chaque jour, et qu’il vint, la vache de tête, à l’entrer dans l’étable, dit à son gardien : « Voici ton grand frère qui se tient devant toi, avec son couteau, pour te tuer ; sauve-toi devant lui ! » Quand il eut entendu ce que disait sa vache de tête, la seconde, entrant, lui parla de même ; il regarda par-dessous la porte de son étable, il aperçut les pieds de son grand frère qui se tenait derrière la porte, son couteau à la main[252], il posa son faix à terre, il se mit à courir de toutes ses jambes, et son grand frère partit à la poursuite avec son couteau. Le frère cadet cria vers Phrâ-Harmakhis[253], disant : « Mon bon maître, c’est toi qui juges l’inique du juste ! » Et Phrâ entendit toutes ces plaintes, et Phrâ fit paraître une eau immense entre lui et son grand frère, et elle était pleine de crocodiles, et l’un d’eux se trouva d’un côté, l’autre de l’autre, et le grand frère par deux fois lança sa main pour le frapper, mais il ne le tua pas ; voilà ce qu’il fit. Son frère cadet le héla sur la rive, disant : « Reste là jusqu’à ce que la terre blanchisse. Quand le disque du soleil se lèvera, je plaiderai avec toi devant lui, afin que je rétablisse la vérité, car je ne serai plus avec toi jamais, je ne serai plus dans les lieux où tu seras : j’irai au Val de l’Acacia[254] ! »

Quand la terre s’éclaira et qu’un second jour fut, Phrâ-Harmakhis s’étant levé, chacun d’eux aperçut l’autre. Le gars adressa la parole à son grand frère, lui disant « Pourquoi viens-tu derrière moi afin de me tuer en fraude, sans avoir entendu ce que ma bouche avait à dire ? Mais moi, je suis réellement ton frère cadet ! Mais toi, tu m’es comme un père ! Mais ta femme m’est comme une mère, n’est-il pas vrai ? Or, quand tu m’eus envoyé pour nous apporter des semences, ta femme m’a dit « Viens, passons une heure, couchons-nous », et voici, cela a été perverti pour toi en autre chose ». Il lui fit donc connaître tout ce qui s’était passé entre lui et la femme. Il jura par Phrâ-Harmakhis, disant : « Toi, venir derrière moi pour me tuer en fraude, ton poignard à la main, en trahison, quelle infamie ! » Il prit une serpe à couper les roseaux, il se trancha le membre, il le jeta à l’eau où le silure trembleur le dévora[255], il s’affaissa, il s’évanouit. Le grand frère en maudit son cœur beaucoup, beaucoup, et il resta là à pleurer sur lui ; il s’élança, mais il ne put passer sur la rive où était son frère cadet, à cause des crocodiles. Son frère cadet le héla, disant : « Ainsi, tandis que tu te figurais une action mauvaise, tu ne t’es pas figuré une seule des actions bonnes ou même une seule des choses que j’ai faites pour toi ! Ah ! va-t’en à ta maison, soigne toi-même tes bestiaux, car je ne demeurerai plus à l’endroit où tu es, j’irai au Val de l’Acacia. Or, voici ce que tu feras pour moi, quand tu seras retourné à tes affaires ; car, apprends-le, des choses vont m’arriver. J’arracherai mon cœur par magie afin de le placer sur le sommet de la fleur de l’Acacia ; et, lorsqu’on coupera l’Acacia et que mon cœur sera tombé à terre, tu viendras le chercher. Quand tu passerais sept années à le chercher, ne te rebute pas, mais, une fois que tu l’auras trouvé, mets-le dans un vase d’eau fraîche[256] ; certes je vivrai de nouveau, je rendrai le mal qu’on m’aura fait[257]. Or, tu sauras qu’il m’arrive quelque chose, lorsqu’on te mettra une cruche de bière dans la main et qu’elle jettera de l’écume ; on t’en donnera une autre de vin et elle se troublera. Ne demeure pas en vérité, après que cela te sera arrivé ». Il s’en alla au Val de l’Acacia, et son grand frère retourna à sa maison, la main sur sa tête, barbouillé de poussière[258]. Lorsqu’il fut arrivé à sa maison, il tua sa femme, il la jeta aux chiens[259], et il demeura en deuil de son frère cadet.

Et après beaucoup de jours ensuite de cela, le frère cadet, étant au Val de l’Acacia sans personne avec lui, employait la journée à chasser les bêtes du désert, et il venait passer la nuit sous l’Acacia, au sommet de la fleur duquel son cœur était placé. Et après beaucoup de jours ensuite de cela, il se construisit de sa main, dans le Val de l’Acacia, une ferme remplie de toute bonne chose, afin de se monter une maison. Comme il sortait de sa ferme, il rencontra la Neuvaine des dieux[260] qui s’en allait régler les affaires de leur Terre-Entière[261]. La Neuvaine des dieux parla tous ensemble et elle lui dit : « Ah ! Baîti, taureau de la Neuvaine des dieux[262], n’es-tu pas ici seul, pour avoir quitté ton pays devant la femme d’Anoupou, ton grand frère ? Voici, sa femme est tuée, et tu lui as rendu tout ce qui avait été fait de mal contre toi ». Leur cœur souffrit pour lui beaucoup, beaucoup, et Phrâ-Harmakhis dit à Khnoumou[263] : « Oh ! fabrique une femme à Baîti, afin que tu ne restes pas seul[264] ». Khnoumou lui fit une compagne pour demeurer avec lui, qui était belle en ses membres plus que toute femme qui est en la Terre-Entière, car le germe de tous les dieux était en elle. Les Sept Hâthors[265] vinrent la voir et elles dirent d’une seule, bouche : « Qu’elle meure la mort du glaive ! » Baîti la désirait beaucoup, beaucoup : comme elle demeurait dans sa maison, tandis qu’il passait le jour à chasser les bêtes du désert afin de les déposer devant elle, il lui dit : « Ne sors pas dehors, de peur que le fleuve[266] ne te saisisse ; tu ne saurais te délivrer de lui, car tu es une femme tout bonnement. Quant à moi, mon cœur est posé au sommet de la fleur de l’Acacia et si un autre le trouve, il me faudra me battre avec lui ». Il lui révéla donc tout ce qui concernait son cœur[267].

Et après beaucoup de jours ensuite de cela, Baîti étant allé à la chasse, selon son habitude de chaque jour, comme la damoiselle était sortie pour se promener sous l’Acacia qui était auprès de sa maison, voici, elle aperçut le fleuve qui tirait ses vagues vers elle, elle se prit à courir devant lui, elle entra dans sa maison. Le fleuve cria vers l’Acacia, disant : « Que je m’empare d’elle ! » et l’Acacia livra une tresse de ses cheveux. Le fleuve la porta en Égypte, il la déposa au douet des blanchisseurs de Pharaon, v. s. f. [268]. L’odeur de la boucle de cheveux se mit dans le linge de Pharaon, v. s. f. et l’on querella les blanchisseurs de Pharaon, v. s. f., disant : « Odeur de pommade dans le linge de Pharaon, v. s. f. ! » On se mit à les quereller chaque jour, si bien qu’ils ne savaient plus ce qu’ils faisaient et que le chef des blanchisseurs de Pharaon, v. s. f., vint au douet, car son cœur était dégoûté beaucoup, beaucoup, des querelles qu’on lui faisait chaque jour. Il s’arrêta, il se tint au douet, juste en face de la boucle de cheveux qui était dans l’eau ; il fit descendre quelqu’un et on la lui apporta, trouvant qu’elle sentait bon beaucoup, beaucoup, et lui la porta à Pharaon, v. s. f. On amena les scribes sorciers de Pharaon, v. s. f. Ils dirent à Pharaon, v. s. f. : « Cette boucle de cheveux appartient à une fille de Phrâ-Harmakhis qui a en elle l’essence de tous les dieux.[269] Puisque c’est un hommage pour toi d’une terre étrangère, fais que des messagers, aillent vers toute terre étrangère afin de chercher cette fille ; et le messager qui ira au Val de l’Acacia, fais que beaucoup d’hommes aillent avec lui pour la ramener ». Voici, Sa Majesté, v. s. f., dit : « C’est parfait, parfait ce que nous avons dit » ; et on fit partir les messagers. Et après beaucoup de jours ensuite de cela, les hommes qui étaient allés vers la Terre étrangère vinrent faire rapport à sa Majesté, v. s. f., mais ils ne vinrent pas ceux qui étaient allés vers le Val de l’Acacia : Baîti, les ayant tués, laissa un seul d’entre eux pour faire rapport à Sa Majesté, v. s. f., Sa Majesté, v. s. f., fit aller beaucoup d’hommes et d’archers, aussi des gens de char, pour ramener la damoiselle ; une femme était avec eux qui lui donna tous les beaux affiquets d’une femme en sa main[270]. Cette femme vint en Égypte avec elle, et on se réjouit d’elle dans la Terre-Entière. Sa Majesté, v. s. f., l’aima beaucoup, beaucoup, si bien qu’On[271] la salua Grande Favorite. On lui parla pour lui faire dire ce qu’il en était de son mari, et elle dit à Sa Majesté, v. s. f. : « Qu’on coupe l’Acacia, et lui il sera détruit ! » On fit aller des hommes et des archers avec leurs outils pour couper l’Acacia ; ils coupèrent la fleur sur laquelle était le cœur de Baîti, et il tomba mort en cette male heure.

Et quand la terre s’éclaira et qu’un second jour fut, après que l’Acacia eut été coupé, comme Anoupou, le grand frère de Baîti, entrait dans sa maison et s’asseyait, ayant lavé ses mains, on lui donna une cruche de bière et elle jeta de l’écume, on lui en donna une autre de vin et elle se troubla de lie. Il saisit son bâton avec ses sandales, aussi ses vêtements avec ses armes, il se mit à marcher vers le Val de l’Acacia, il entra dans la villa de son frère cadet, et il trouva son frère cadet couché sur son cadre[272], mort. Il pleura, quand il aperçut son frère cadet couché et bien mort ; il s’en alla pour chercher le cœur de son frère cadet sous l’Acacia à l’abri duquel son frère cadet couchait le soir, il consuma trois années à le rechercher sans le trouver. Et il entamait la quatrième année, lorsque, son cœur désirant venir en Égypte, il dit : « J’irai demain » ; ainsi dit-il en son cœur. Et quand la terre s’éclaira et qu’un second jour fut, il alla sous l’Acacia, il passa la journée à chercher ; tandis qu’il revenait le soir, et qu’il regardait autour de lui pour chercher de nouveau, il trouva une graine, il revint avec elle, et voici, c’était le cœur de son frère cadet. Il apporta une tasse d’eau fraîche, il l’y jeta, il s’assit selon son habitude de chaque jour. Et lorsque la nuit fut, le cœur ayant absorbé l’eau, Baîti tressaillit de tous ses membres, et il se mit à regarder fixement son grand frère, tandis que son cœur était dans la tasse[273]. Anoupou, le grand frère, saisit la tasse d’eau fraîche où était le cœur de son frère cadet ; celui-ci but et son cœur fut en place, et lui devint comme il était autrefois. Chacun d’eux embrassa l’autre, chacun parla avec son compagnon, puis Baîti dit à son grand frère : « Voici, je vais devenir un grand taureau qui aura tous les bons poils, et dont on ne connaîtra pas la nature[274]. Toi, assieds-toi sur mon dos quand le soleil se lèvera, et, lorsque nous serons au lieu où est ma femme, je rendrai des réponses[275]. Toi donc, conduis-moi à l’endroit où l’On est, et on te fera toute bonne chose, on te chargera d’argent et d’or pour m’avoir amené à Pharaon, v. s. f., car je serai un grand miracle et on se réjouira de moi dans la Terre-Entière, puis tu t’en iras dans ton bourg ». Et quand la terre s’éclaira et qu’un second jour fut, Baîti se changea en la forme qu’il avait dite à son grand frère. Anoupou, son grand frère, s’assit sur son dos, à l’aube, et il arriva à l’endroit où l’On était[276]. On le fit connaître à Sa Majesté, v. s. f., elle le regarda, elle entra en liesse beaucoup, beaucoup, elle lui fit grand’fête, disant : « C’est un grand miracle qui se produit ! » et on se réjouit de lui dans la Terre-Entière[277]. On chargea d’argent et d’or son grand frère, et celui-ci s’établit dans son bourg. On donna au taureau des gens nombreux, des biens nombreux, car Pharaon, v. s. f., l’aima beaucoup, beaucoup, plus que tout homme en la Terre-Entière.

Et après beaucoup de jours ensuite de cela, le taureau entra au harem[278], et il s’arrêta à l’endroit où était la favorite, et il se mit à lui parler, disant : « Vois, moi je vis pourtant ». Elle lui dit : « Toi, qui es-tu donc ? » Il lui dit : « Moi, je suis Baîti. Tu savais bien, quand tu faisais abattre l’Acacia par Pharaon, v. s. f., que c’était me mettre à mal, si bien que je ne pusse plus vivre ; mais, vois, moi je vis pourtant, je suis taureau ». La favorite eut peur beaucoup, beaucoup, du propos que lui avait dit son mari. Il sortit du harem, et Sa Majesté, v. s. f., étant venue passer un jour heureux avec elle, elle fut à la table de Sa Majesté et On fut bon pour elle beaucoup, beaucoup. Elle dit à Sa Majesté : « Jure-moi par Dieu disant : « Ce que tu diras, je l’écouterai pour toi ». Il écouta tout ce qu’elle disait : « Qu’il me soit donné de manger le foie de ce taureau, car il ne fera rien qui vaille ». C’est ainsi qu’elle lui parla. On s’affligea de ce qu’elle disait beaucoup, beaucoup, et le cœur de Pharaon en fut malade beaucoup, beaucoup. Et quand la terre s’éclaira et qu’un second jour fut, on proclama une grande fête d’offrandes en l’honneur du taureau, et on envoya un des bouchers en chef de Sa Majesté, v. s. f., pour faire égorger le taureau. Or, après qu’on l’eut fait égorger, tandis qu’il était sur les épaules des gens qui l’emportaient, il secoua son cou, il laissa tomber deux gouttes de sang vers le double perron de Sa Majesté, v. s. f. : l’une d’elles fut d’un côté de la grande porte de Pharaon, v. s. f., l’autre de l’autre côté, et elles poussèrent en deux grands perséas[279], dont chacun était de toute beauté. On alla dire à Sa Majesté, v. s. f. : « Deux grands perséas ont poussé en grand miracle pour Sa Majesté, v. s. f., pendant la nuit, auprès de la grande porte de Sa Majesté, v. s. f. » ; et on se réjouit à cause d’eux dans la Terre-Entière, et On leur fit des offrandes.[280]

Et après beaucoup de jours ensuite de cela, Sa Majesté, v. s. f., se para du diadème de lapis-lazuli, le cou ceint de guirlandes de toutes sortes de fleurs, elle monta sur son char de vermeil, elle sortit du palais royal, v. s. f. afin de voir les perséas. La favorite sortit sur un char à deux chevaux, à la suite de Pharaon, v. s. f., puis Sa Majesté, v. s. f., s’assit sous un des perséas[281], la favorite s’assit sous l’autre perséa. Quand elle se fut assise, le perséa parla à sa femme : « Ah ! perfide ! Je suis Baîti et je vis, maltraité de toi. Tu savais bien que faire couper l’Acacia par Pharaon, v. s. f., c’était me mettre à mal ; je suis devenu taureau, et tu m’as fait tuer ». Et après beaucoup de jours ensuite de cela, comme la favorite était à la table de Sa Majesté, v. s. f., et qu’On était bon pour elle, elle dit à Sa Majesté, v. s, f. : « Prête-moi serment par Dieu, disant : Ce que la favorite me dira, je l’écouterai pour elle. Parle ! » Il écouta tout ce qu’elle disait. Elle dit : « Fais qu’on abatte ces deux perséas, qu’on en fabrique de beaux coffres[282] ! » On écouta tout ce qu’elle disait. Et après beaucoup de jours ensuite de cela, Sa Majesté, v. s. f., envoya des charpentiers habiles, on coupa les perséas de Pharaon ; v. s. f., et se tenait là, regardant faire, la royale épouse, la favorite. Un copeau s’envola, entra dans la bouche de la favorite, et elle s’aperçut qu’elle concevait[283]. On fabriqua les coffres, et On en fit tout ce qu’elle voulut.

Et après beaucoup de jours ensuite de cela, elle mit au monde un enfant mâle, et on alla dire à Sa Majesté, v. s. f. : « Il t’est né un enfant mâle ! » On l’apporta, on lui donna des nourrices et des remueuses[284]. On se réjouit dans la Terre-Entière. On se mit à faire un jour de fête, on commença d’être en son nom[285]. Sa Majesté, v. s. f., l’aima beaucoup, beaucoup, sur l’heure, et on le salua fils royal de Kaoushou[286]. Et après beaucoup de jours ensuite de cela, Sa Majesté, v. s. f., le fit prince héritier de la Terre-Entière. Et après beaucoup de jours ensuite de cela, quand il fut resté beaucoup d’années prince héritier de la Terre-Entière, Sa Majesté, v. s. f., s’envola vers le Ciel[287]. On dit : « Qu’on m’amène les grands officiers de Sa Majesté, v. s. f., que je leur fasse connaître tout ce qui s’est passé à mon sujet ». On lui amena sa femme, il la jugea par devant eux, et ils ratifièrent son jugement. On lui amena son grand frère, et il le fit prince héritier de sa Terre-Entière. Il fut vingt ans roi d’Égypte, puis il passa de la vie, et son grand frère fut en sa place le jour des funérailles. Il est fini en paix ce livre, pour le double du scribe trésorier Qagabou, du trésor de Pharaon, v. s. f., du scribe Haraoui, du scribe Maîaemapît ; l’a fait le scribe Ennana, le maître de ce livre. Quiconque parle contre ce livre, puisse Thot le provoquer en duel[288] !

LE ROI KHOUFOUI ET LES MAGICIENS

(XVIIIe DYNASTIE)

Le papyrus qui nous a conservé ce conte fut donné à Lepsius, il y a plus de cinquante ans, par une dame anglaise, Miss Westcar, qui l’avait rapporté d’Égypte. Acquis en 1886 par le Musée de Berlin, on en connut d’abord une analyse sommaire que publia :

A. Erman, Ein neuer Papyrus des Berliner Museums, dans la National-Zeitung de Berlin (n° du 14 mai 1886),

et que reproduisirent :

A. Erman, Ægypten und Ægyptisches Leben im Altertum, in-8°, Tubingen, 1885-1887, p. 498-502,

Ed. Meyer, Geschichte des alten Ægyptens, in-8°, Berlin, 1887, p. 129-131.

La traduction que j’en avais donnée dans la seconde édition de ces contes était moins une version littérale qu’une adaptation faite, en partie sur une traduction allemande, en partie sur une transcription en caractères hiéroglyphiques qu’Erman avait bien voulu me communiquer. Depuis lors une paraphrase anglaise en a été insérée par W. Flinders Petrie dans ses Egyptian Tales, 1895, Londres, in-12°, t. I, p. 97-142, et le texte lui-même a été publié en fac-similé et en transcription hiéroglyphique, puis traduit en allemand par :

A. Erman, die Märchen des Papyrus Westear (formant les tomes V-VI des Mittheilungen aus den Orientalischen Sammlungen), 1890, Berlin, in-4°, qui depuis a reproduit, sa traduction avec quelques corrections dans son petit livre, Aus den Papyrus der Königlichen Museum, 1899, Berlin ; in-8°, p. 30-42, et a introduit la transcription en hiéroglyphes de plusieurs passages dans son Ægyptische Chrestomathie, 1904, Berlin, in-12, p. 20-27.

Enfin une nouvelle traduction allemande en a été composée par A. Wiedemann, Altægyptische Sagen und Märchen, Leipsig, 1906, petit in-8°, p. 1-24.

Le conte aurait été probablement l’un des plus longs que nous eussions connus, s’il nous était parvenu entier : malheureusement, le commencement en a disparu. Il débutait par plusieurs récits de prodiges que les fils du roi Chéops racontaient à leur père l’un après l’autre. Le premier de ceux qu’on lit sur notre manuscrit est presque entièrement détruit : la formule finale subsiste seule pour nous montrer que l’action se passait au temps de Pharaon Zasiri, probablement le Zasiri que nos listes royales placent dans la IIIe dynastie. Les pages suivantes contenaient le récit d’un prodige accompli par le sorcier Oubaou-anir, sous le règne de Nabka de la IIIe dynastie. À partir du moment où le prince Bioufrîya ouvre la bouche, le récit marche sans interruption importante jusqu’à la fin du manuscrit ; il s’arrête au milieu d’une phrase, sans que nous puissions conjecturer avec vraisemblance ce qu’il lui manque pour être complet. Les romanciers égyptiens ont des façons déconcertantes de tourner court au moment où on s’y attend le moins, et de condenser en quelques lignes des faits que nous nous croyons obligés d’exposer longuement. Peut-être une ou deux pages de plus auraient suffi à nous conserver le dénouement ; peut-être exigeait-il huit ou dix pages encore et comportait-il des péripéties que nous ne soupçonnons pas.

On peut se demander si la portion du roman où la naissance des trois premiers rois de la Ve dynastie est racontée contient un fond historique. Il est certain qu’une famille nouvelle commença de régner avec Ousirkaf : le Papyrus de Turin mettait une rubrique avant ce souverain, et il le séparait ainsi des Pharaons qui l’avaient précédé. Les monuments semblent n’admettre aucun interrègne entre Shopsiskaf et Ousirkaf, ce qui nous inclinerait à penser que le changement de dynastie s’opéra sans trouble. Si l’on en croyait la légende d’après laquelle Ousirkaf serait le fils de Râ et d’une prêtresse, il n’était pas de sang royal et il ne tenait par aucun lien de parenté aux princes qu’il remplaça ; l’exemple des théogamies thébaines, telles qu’elles nous sont connues par l’histoire de la reine Hatchopsouîtou et d’Aménôthès III, pourrait cependant nous laisser soupçonner qu’il se rattachait à la grande lignée pharaonique par l’un de ses ascendants. La donnée d’après laquelle les trois souverains étaient nés ensemble paraît avoir été assez répandue en Égypte, car un texte d’époque ptolémaïque (Brugsch, Dict. Hiér., t. VII, p. 1093), parlant de la ville de Pa-Sahourîya fondée par l’un d’eux, affirme qu’elle s’appelait aussi la Ville des Trimeaux (Piehl, Quelques passages du Papyrus Westcar, dans Sphinx, t. I, p. 71-80) ; cela ne prouve pas toutefois que nous devions lui attribuer une valeur historique. En somme, le plus prudent jusqu’à nouvel ordre est de considérer le récit de notre conte comme purement imaginaire.

Erman a constaté que l’écriture du Papyrus Westcar ressemble beaucoup à celle du Papyrus Ebers : on peut donc rapporter la confection du manuscrit aux derniers règnes de la domination des Hyksôs au plus tôt, aux premiers de la XVIIIe dynastie au plus tard. Il est probable pourtant que la rédaction est beaucoup plus ancienne que l’exécution : d’après les particularités du style, Erman est d’avis qu’elle remonte peut-être à la XIIe dynastie. Le conte de Chéops et des magiciens appartiendrait donc au même temps à peu près que les Mémoires de Sinouhît et que les Plaintes du fellah ; ce serait un spécimen du roman bourgeois de l’époque.

Le début du récit et le cadre général nous sont fournis assez vraisemblablement par le préambule du Papyrus n° 1 de Saint-Pétersbourg : « Il arriva, au temps où Sanafrouî était roi bienfaisant de cette Terre entière, un jour que les conseillers intimes du palais qui étaient entrés chez Pharaon, v. s. f., pour délibérer avec lui, s’étaient déjà retirés après avoir délibéré, selon leur coutume de chaque jour, Sa Majesté dit au chancelier qui se trouvait près de lui : « Cours, amène-moi les conseillers intimes du palais qui sont sortis pour s’éloigner, afin que nous délibérions de nouveau, sur l’heure ! » Les conseillers reviennent, et le roi leur confesse qu’il les a rappelés pour leur demander s’ils ne connaissaient pas un homme qui pût l’amuser en lui racontant des histoires : sur quoi, ils lui recommandent un prêtre de Bastît du nom de Neferhô[289]. Il est très probable que Chéops réunit ses fils un jour d’ennui et qu’il leur demanda s’ils connaissaient dans le passé ou dans le présent quelques prodiges accomplis par des magiciens. La première des histoires est perdue, mais la partie conservée du manuscrit porte encore les restes de la formule par laquelle le Pharaon, émerveillé, manifestait sa satisfaction.

*

* *

La Majesté du roi des deux Égyptes Khoufouî, à la voix juste, dit : « Qu’on présente à la Majesté du roi Zasiri, à la voix juste, une offrande de mille pains, cent cruches de bière, un bœuf, deux godets d’encens, et qu’on fasse donner une galette, une pinte de bière, une ration de viande, un godet d’encens pour l’homme au rouleau en chef…, car j’ai vu la preuve de sa science ». Et l’on fit ce que Sa Majesté avait ordonné[290].

Lors, le fils royal Khâfrîya se leva pour parler et il dit : « Je vais faire connaître à ta Majesté un prodige qui arriva au temps de ton père, le roi Nabka[291], à la voix juste, une fois qu’il s’était rendu au temple de Phtah, maître d’Ankhoutaouî[292] ».

« Or, un jour que Sa Majesté était allée au temple de Phtah maître d’Ankhoutaouî et que Sa Majesté faisait visite à la maison du scribe, premier lecteur[293], Oubaou-anir avec sa suite, la femme du premier lecteur Oubaou-anir vit un vassal[294] de ceux qui étaient derrière le roi : dès l’heure qu’elle l’aperçut, elle ne sut plus l’endroit du monde où elle était. Elle lui envoya sa servante qui était auprès d’elle, pour lui dire : « Viens, que nous reposions ensemble, une heure durant ; mets tes vêtements de fête ». Elle lui fit porter une caisse pleine de beaux vêtements[295], et lui il vint avec la servante à l’endroit où elle était. Or, quand des jours eurent passé sur cela, comme le premier lecteur Oubaou-anir avait un kiosque au Lac d’Oubaou-anir[296], le vassal dit à la femme d’Oubaou-anir : « Il y a le kiosque au Lac d’Oubaou-anir ; s’il te plaît, nous y prendrons un petit moment ». Lors la femme d’Oubaou-anir envoya dire au majordome qui avait charge du Lac : « Fais préparer le kiosque qui est au Lac ».

« Il fit comme elle avait dit et elle y demeura, buvant avec le vassal jusqu’à ce que le soleil se couchât. Et quand le soir fut venu, il descendit dans le Lac pour se baigner et la servante était avec lui, et le majordome sut ce qui se passait entre le vassal et la femme d’Oubaou-anir. Et quand la terre se fut éclairée et qu’un second jour fut, le majordome alla trouver le premier lecteur Oubaou-anir et il lui conta ces choses que ce vassal avait faites dans le kiosque avec sa femme. Quand le premier lecteur Oubaou-anir sut ces choses qui s’étaient passées dans son kiosque, il dit au majordome : « Apporte-moi ma cassette en bois d’ébène incrusté de vermeil qui contient mon grimoire[297] ». Quand le majordome l’eut apportée, il modela un crocodile de cire, long de sept pouces, il récita sur lui ce qu’il récita de son grimoire, il lui dit : « Quand ce vassal viendra pour se baigner dans mon Lac, alors entraîne-le au fond de l’eau[298] ». Il donna le crocodile au majordome et il lui dit : « Dès que le vassal sera descendu dans le Lac, selon sa coutume de chaque jour, jettes-y le crocodile de cire derrière lui ». Le majordome alla donc et il prit la crocodile de cire avec lui. La femme d’Oubaou-anir envoya au majordome qui avait charge du Lac et elle lui dit : Fais préparer le kiosque qui est au bord du Lac, car voici, je viens y séjourner ». Le kiosque fut muni de toutes les bonnes choses ; on vint et on se divertit avec le vassal. Quand ce fut le temps du soir, le vassal alla, selon sa coutume de chaque jour, et le majordome jeta le crocodile de cire à l’eau derrière lui ; le crocodile se changea en un crocodile de sept coudées, il saisit le vassal, il l’emporta sous l’eau. Or, le premier lecteur Oubaou-anir demeura sept jours avec la Majesté du roi de la haute et de la basse Égypte Nabka, à la voix juste, tandis que le vassal était dans l’eau sans respirer. Mais, après que les sept jours furent révolus, quand le roi de la haute et de la basse Égypte Nabka, à la voix juste, alla et qu’il se rendit au temple, le premier lecteur Oubaou-anir se présenta devant lui et il lui dit : « Plaise ta Majesté venir et voir le prodige qui s’est produit au temps de ta Majesté au sujet d’un vassal ». Sa Majesté alla donc avec le premier lecteur Oubaou-anir. Oubaou-anir dit au crocodile : « Apporte le vassal hors de l’eau ! » Le crocodile sortit et apporta le vassal hors de l’eau. Le premier lecteur Oubaou-anir dit : « Qu’il s’arrête ! » et il le conjura, il le fit s’arrêter devant le roi. Lors la Majesté du roi de la haute et de la basse Égypte Nabka, à la voix juste, dit : « De grâce, ce crocodile est terrifiant ! » Oubaou-anir se baissa, il saisit le crocodile, et ce ne fut plus dans ses mains qu’un crocodile de cire. Le premier lecteur Oubaou-anir raconta à la Majesté du roi de la haute et de la basse Égypte Nabka, à la voix juste, ce que le vassal avait fait dans sa maison avec sa femme. Sa Majesté dit au crocodile « Prends, toi, ce qui est tien ». Le crocodile plongea au fond du lac et l’on n’a plus su ce qu’il advint du vassal et de lui. La Majesté du roi de la haute et de la basse Égypte Nabka, à la voix juste, fit conduire la femme d’Oubaou-anir au côté nord du palais ; on la brûla et on jeta ses cendres au fleuve[299]. Voici, c’est là le prodige qui arriva au temps de ton père, le roi de la haute et de la basse Égypte Nabka, à la voix juste, et qui est de ceux qu’opéra le premier lecteur Oubaou-anir ».

La Majesté du roi Khoufouî, à la voix juste, dit donc : « Qu’on présente à la Majesté du roi Nabka, à la voix juste, une offrande de mille pains, cent cruches de bière, un bœuf, deux godets d’encens, puis qu’on fasse donner une galette, une pinte de bière, un godet d’encens pour le premier lecteur Oubaou-anir, car j’ai vu la preuve de sa science ». Et l’on fit ce que Sa Majesté avait ordonné. Lors le fils royal Baîoufrîya se leva pour parler et il dit : « Je vais faire connaître à ta Majesté un prodige qui arriva au temps de ton père Sanatrouî, à la voix juste, et qui est de ceux qu’opérait hier le premier lecteur Zazamânkhou.

« Un jour que le roi Sanatrouî, à la voix juste, s’ennuyait, Sa Majesté assembla la maison du roi, v. s. f., afin de lui chercher quelque chose qui lui allégeât[300] le cœur. Comme on ne trouvait rien, il dit : « Courez et qu’on m’amène le premier lecteur, Zazamânkhou », et on le lui amena sur l’heure. Sa Majesté lui dit : « Zazamânkhou, mon frère, j’ai assemblé la maison du roi, v. s. f., afin qu’on cherchât quelque chose qui m’allégeât le cœur, mais je n’ai trouvé rien ». Zazamânkhou lui dit « : Daigne ta Majesté se rendre au Lac de Pharaon, v. s. f., et se faire armer une barque avec toutes les belles filles du Harem royal. Le cœur de ta Majesté s’allégera quand tu les verras aller et venir ; puis, quand tu contempleras les beaux fourrés de ton Lac, quand tu regarderas les belles campagnes qui le bordent et ses belles rives, alors le cœur de ta Majesté s’allégera. Quant à moi, voici comment je réglerai la vogue. Fais moi apporter vingt rames en bois d’ébène, garnies d’or, dont les pales seront de bois d’érable garni de vermeil ; qu’on m’amène aussi vingt femmes de celles qui ont beau corps, beaux seins, belle chevelure, et qui n’aient pas encore eu d’enfant, puis, qu’on apporte vingt résilles et qu’on les donne à ces femmes en guise de vêtement[301] ». On fit ce que Sa Majesté avait ordonné. Les femmes allaient, venaient, et le cœur de Sa Majesté se réjouissait à les voir voguer, quand la rame de l’une d’elles lui heurta la chevelure, et son poisson de malachite neuf tomba à l’eau[302]. Alors elle se tut, elle cessa de ramer, et ses camarades de la même bande se turent et elles ne ramèrent plus[303], et Sa Majesté dit : « Vous ne ramez plus ? » Elles dirent : Notre compagne s’est tue et elle ne rame plus ». Sa Majesté dit à celle-ci « Que ne rames-tu ? » Elle dit : « Mon poisson de malachite neuf est tombé à l’eau ». Sa Majesté dit : « Rame seulement, je te le remplacerai ». Elle dit : « Je veux mon bijou à moi et non un bijou pareil ». Alors, Sa Majesté dit : « Allons, qu’on m’amène le premier lecteur Zazamânkhou ! » On le lui amena sur l’heure et Sa Majesté dit « Zazamânkhou, mon frère, j’ai fait comme tu as dit, et le cœur de Sa Majesté s’allégeait à voir ramer ces femmes quand, voici, le poisson de malachite neuf de l’une des petites est tombé à l’eau. Alors elle s’est tue, elle a cessé de ramer, et elle a arrêté ses camarades. Je lui ai dit : « Que ne rames tu ? » Elle m’a dit : « Le poisson de malachite neuf est tombé à l’eau ». Je lui ai dit : « Rame seulement, et je te le remplacerai ». Elle a dit : « Je veux mon bijou à moi et non un bijou pareil ». Lors, le premier lecteur Zazamânkhou récita ce qu’il récita de son grimoire. Il enleva tout un pan d’eau et il le mit sur l’autre ; il trouva le poisson posé sur un rehaut de terre, il le prit, il le donna à sa maîtresse. Or, l’eau était profonde de douze coudées en son milieu, et, maintenant qu’elle était empilée, elle atteignait vingt-quatre coudées : il récita ce qu’il récita de son grimoire, et se remit l’eau du Lac en son état. Sa Majesté passa donc un heureux jour avec toute la maison du roi, v. s. f., et il récompensa le premier lecteur Zazamânkhou avec toute sorte de bonnes choses. Voici, c’est là le prodige qui arriva au temps de ton père, le roi Sanofrouî, à la voix juste, et qui est de ceux qu’opéra le premier lecteur, Zazamânkhou, le magicien ».

La Majesté du roi Khoufoui, à la voix juste, dit donc : « Qu’on présente à la Majesté du roi Sanafrouî, à la voix juste, une offrande de mille pains, cent cruches de bière, un bœuf, deux godets d’encens, puis qu’on fasse donner une galette, une pinte de bière, un godet d’encens, pour le premier lecteur Zazamânkhou, le magicien, car j’ai vu la preuve de sa science ». Et l’on fit ce que Sa Majesté avait ordonné.

*

* *

Lors, le fils du roi, Dadoufhorou[304], se leva pour parler et il dit : « Jusqu’à présent ta Majesté a entendu le récit de prodiges que les gens d’autrefois seuls ont connus mais dont on ne peut garantir la vérité. Je puis faire voir à ta Majesté un sorcier qui est de ton temps et que ta Majesté ne connaît pas. » Sa Majesté dit : « Qu’est-ce là, Dadoufhorou ? » Le fils du roi, Dadoufhorou, dit : « Il y a un vassal qui s’appelle Didi, et qui demeure à Didou-sanafrouî[305]. C’est un vassal de cent dix ans[306], qui mange encore ses cinq cents miches de pain avec une cuisse de bœuf entière, et qui boit jusqu’à ce jour ses cent cruches de bière. Il sait remettre en place une tête coupée ; il sait se faire suivre d’un lion sans laisse[307], il connaît le nombre des écrins à livres de la crypte de Thot ». Or voici, la Majesté du roi Khoufouî, à la voix juste, avait employé beaucoup de temps à chercher ces écrins à livres de la crypte de Thot, afin de s’en faire une copie pour sa pyramide[308]. Sa Majesté dit donc : « Toi-même, Dadoufhorou, mon fils, amène-le-moi ». On arma des barques pour le fils du roi, Dadoufhorou, et il fit voile vers Didousanafrouî. Quand les vaisseaux eurent abordé à la berge, il débarqua et il se plaça sur une chaise de bois d’ébène dont les brancards étaient en bois de napéca[309] garni d’or ;[310] puis, quand il fut arrivé à Didousanafrouî, la chaise fut posée à terre, il se leva pour saluer le magicien, et il le trouva étendu sur un lit bas[311] au seuil de sa maison, un esclave à la tête qui le grattait, un autre qui lui chatouillait les pieds. Le fils royal Dadoufhorou lui dit : « Ta condition est celle de qui vit à l’abri de l’âge. La vieillesse c’est d’ordinaire l’arrivée au port[312], c’est la mise en bandelettes, c’est le retour à la terre ; mais rester ainsi étendu bien avant dans le jour, sans infirmités du corps, sans décrépitude de la sagesse ni du bon conseil, c’est vraiment d’un bienheureux[313] ! Je suis accouru en hâte pour t’inviter, par message de mon père Khoufouî, à la voix juste ; tu mangeras du meilleur que donne le roi, et des provisions qu’ont ceux qui sont parmi ses serviteurs, et grâce à lui tu parviendras en une bonne condition de vie à tes pères qui sont dans la tombe ». Ce Didi lui dit : « En paix, en paix[314], Dadoufhorou, fils royal chéri de son père ! Que te loue ton père Khoufouî, à la voix juste, et qu’il t’assure ta place en avant des vieillards ! puisse ton double avoir gain de cause contre les ennemis, et ton âme connaître les chemins ardus qui mènent à la porte de Hobs-bagaî[315], car celui qui est de bon conseil, c’est toi, fils du roi[316] ! » Le fils du roi, Dadoufhorou, lui tendit les deux mains ; il le fit lever, et comme il se rendait avec lui au port, il lui tenait la main. Didi lui dit « Qu’on me donne un caïque pour m’apporter mes enfants et mes livres » ; on lui donna deux bateaux avec leur équipage, et Didi lui-même navigua dans la barque où était le fils du roi, Dadoufhorou. Or, quand il fut arrivé à la cour, dès que le fils du roi, Dadoufhorou, fut entré pour faire son rapport à la Majesté du roi des deux Égyptes Khoufouî, à la voix juste, le fils du roi, Dadoufhorou, dit : « Sire, v. s. f., mon maître, j’ai amené Didi ». Sa Majesté dit : « Vite, amène-le-moi », et quand Sa Majesté se fut rendue à la salle d’audience de Pharaon, v. s. f, on lui présenta Didi. Sa Majesté dit : « Qu’est cela, Didi, que je ne t’aie jamais encore vu ? » Didi lui dit : « Qui est appelé il vient ; le souverain, v. s. f., m’appelle, me voici, je suis venu ». Sa Majesté dit : « Est-ce vrai ce qu’on dit, que tu sais remettre en place une tête coupée ? » Didi lui dit : « Oui, je le sais, sire, v. s. f., mon maître ». Sa Majesté dit : « Qu’on m’amène un prisonnier de ceux qui sont en prison, et dont la condamnation est prononcée ». Didi lui dit : « Non, non, pas d’homme, sire, v. s. f., mon maître : qu’on n’ordonne pas de faire rien de tel au bétail noble[317] ». On lui apporta une oie à qui l’on trancha la tête, et l’oie fut mise à main droite de la salle et la tête de l’oie à main gauche de la salle : Didi récita ce qu’il récita de son grimoire, l’oie se dressa, sautilla, la tête fit de même, et quand l’une eut rejoint l’autre, l’oie se mit à glousser. Il se fit apporter un pélican (?) ; autant lui en advint. Sa Majesté lui fit amener un taureau dont on abattit la tête à terre, et Didi récita ce qu’il récita de son grimoire ; le taureau se mit debout derrière lui mais son licou resta à terre[318]. Le roi Khoufoui, à la voix juste, dit : « Qu’est-ce qu’on dit, que tu connais les nombres des écrins à livres de la crypte de Thot ? » Didi lui dit : « Pardon, si je n’en sais le nombre, sire, v. s. f., mon maître, mais je connais l’endroit où ils sont ». Sa Majesté dit : « Cet endroit, où est-il ? » Ce Didi lui dit : « Il y a un bloc de grès dans ce qu’on appelle la Chambre des rôles à Onou[319], et les écrins à livres de la crypte de Thot sont dans le bloc ». Le roi dit : « Apporte-moi les écrins qui sont dans ce bloc[320] ». Didi lui dit : « Sire, v. s. f., mon maître, voici, ce n’est point moi qui te les apporterai ». Sa Majesté dit : « Qui donc me les apportera ? » Didi lui dit : « L’aîné des trois enfants qui sont dans le sein de Roudîtdidît, il te les apportera ». Sa Majesté dit : « Parbleu ! celle-là dont tu parles, qui est-elle, la Roudîtdidît ? » Didi lui dit : « C’est la femme d’un prêtre de Râ, seigneur de Sakhîbou. Elle est enceinte de trois enfants de Râ, seigneur de Sakhîbou, et le dieu lui a dit qu’ils rempliraient cette fonction bienfaisante en cette Terre-Entière[321], et que l’aîné d’entre eux serait grand pontife à Onou ». Sa Majesté, son cœur en fut troublé, mais Didi lui dit : « Qu’est-ce que ces pensers, sire, v. s. f., mon maître ? Est-ce que c’est à cause de ces trois enfants ? Je te dis : Ton fils, son fils, et un de celle-ci[322] ». Sa Majesté dit : « Quand enfantera-t-elle, « cette Roudîtdidît ? » Il dit : « Elle enfantera, le 15 du mois de Tybi ». Sa Majesté dit : « Si les bas-fonds du canal des Deux-Poissons ne coupaient le chemin, j’irais moi-même, afin de voir le temple de Râ, maître de Sakhîbou ». Didi lui dit : « Alors, je ferai qu’il y ait quatre coudées d’eau sur les bas-fonds du canal des Deux-Poissons[323] ». Quand Sa Majesté se fut rendue en son logis, Sa Majesté dit : « Qu’on mette Didi en charge de la maison du fils royal Dadoufhorou, pour y demeurer avec lui, et qu’on lui donne un traitement de mille pains, cent cruches de bière, un bœuf, et cent bottes d’échalote ». Et l’on fit tout ce que Sa Majesté avait ordonné.

*

* *

Or, un de ces jours-là, il arriva que Roudîtdidît souffrit les douleurs de l’enfantement. La Majesté de Râ, seigneur de Sakhîbou, dit à Isis, à Nephthys, à Maskhonouît[324], à Hiqaît[325], à Khnoumou : « Hop ! courez délivrer la Roudîtdidît de ces trois enfants qui sont dans son sein et qui rempliront cette fonction bienfaisante en cette Terre-Entière, vous bâtissant vos temples, fournissant vos autels d’offrandes, approvisionnant vos tables à libations, augmentant vos biens de main morte ». Lors ces dieux allèrent : les déesses se changèrent en musiciennes, et Khnoumou fut avec elles comme homme de peine[326]. Elles arrivèrent à la maison de Râousir, et elles le trouvèrent qui se tenait là ; déployant le linge[327]. Elles passèrent devant lui avec leurs crotales et avec leurs sistres[328], mais il leur dit : « Mesdames, voyez, il y a ici une femme qui souffre les douleurs de l’enfantement ». Elles dirent : « Permets-nous de la voir, car, voici, nous sommes habiles aux accouchements ». Il leur dit : « Venez donc », et elles entrèrent devant Roudîtdidît, puis elles fermèrent la chambre sur elle et sur elles-mêmes. Alors, Isis se mit devant elle, Nephthys derrière elle, Hiqaît facilita l’accouchement[329]. Isis dit : « Ô enfant, ne fais pas le fort en son ventre, en ton nom d’Ousirraf, celui dont la bouche est forte[330] ! » Alors cet enfant lui sortit sur les mains, un enfant d’une coudée de long[331], aux os vigoureux, aux membres couleur d’or, à la coiffure de lapis-lazuli vrai[332]. Les déesses le lavèrent, elles lui coupèrent le cordon ombilical, elles le posèrent sur un lit de briques, puis Maskhonouît s’approcha de lui et elle lui dit : « C’est un roi qui exercera « la royauté en ce Pays Entier ». Khnoumou lui mit la santé dans les membres[333]. Ensuite Isis se plaça devant Roudîtdidît, Nephthys derrière elle, Hiqaît facilita l’accouchement. Isis dit : « Enfant, ne voyage pas plus longtemps dans son ventre, en ton nom de Sâhouriya, celui qui est Râ voyageant au ciel[334] ». Alors cet enfant lui sortit sur les mains, un enfant d’une coudée de long, aux os vigoureux, aux membres couleur d’or, à la coiffure de lapis-lazuli vrai. Les déesses le lavèrent, elles lui coupèrent le cordon, elles le portèrent sur un berceau de briques, puis Maskhonouît s’approcha de lui et elle dit : « C’est un roi qui exercera la royauté en ce Pays Entier ». Khnoumou lui mit la santé dans les membres. Ensuite, Isis se plaça devant Roudîtdidît, Nephthys se plaça derrière elle, Hiqaît facilita l’accouchement. Isis dit : « Enfant, ne reste pas plus longtemps dans les ténèbres de son ventre, en ton nom de Kakaouî, le ténébreux[335] ». Alors cet enfant lui sortit sur les mains, un enfant d’une coudée de long, aux os vigoureux, aux membres d’or, à la coiffure de lapis-lazuli vrai. Les déesses le lavèrent, elles lui coupèrent le cordon, elles le posèrent sur un lit de briques, puis Maskhonouît s’approcha de lui et elle dit : « C’est un roi qui exercera la royauté en ce Pays Entier ». Khnoumou lui mit la santé dans les membres[336]. Quand ces dieux sortirent, après avoir délivré la Roudîtdidît de ses trois enfants, ils dirent : « Réjouis-toi, Râousir, car, voici, trois enfants te sont nés ». Il leur dit : « Mesdames, que ferai-je pour vous ? Ah, donnez ce grain que voici à votre homme de peine, pour que vous l’emportiez en paiement aux silos[337] ! » Et Khnoumou chargea ce grain, puis ils repartirent pour l’endroit d’où ils étaient venus. Mais Isis dit à ces dieux : « À quoi songeons-nous d’être venus à Râousir sans accomplir, pour ces enfants, un prodige par lequel nous puissions faire savoir l’événement à leur père qui nous a envoyés[338] ». Alors elles fabriquèrent trois diadèmes de maître souverain, v. s. f.[339], et elles les placèrent dans le grain ; elles précipitèrent du haut du ciel l’orage et la pluie, elles revinrent à la maison, puis elles dirent : « Déposez ce grain dans une chambre scellée, jusqu’à ce que nous revenions baller au nord[340] ». Et l’on déposa ce grain dans une chambre scellée.

Roudîtdidît se purifia d’une purification de quatorze jours, puis elle dit à sa servante : « La maison est-elle en bon ordre ? » La servante lui dit : « Elle est garnie de toutes les bonnes choses ; pourtant, les pots pour la bouza, on ne les a pas apportés[341] ». Alors Roudîtdidît lui dit : « Pourquoi n’a-t-on pas apporté les pots ? » La servante dit : « Il serait bon de brasser sans retard, si le grain de ces chanteuses n’était pas dans une chambre scellée de leur cachet ». Alors Roudîtdidît lui dit : « Descends[342], apporte-nous-en ; Râousir leur en donnera d’autre en place, lorsqu’elles reviendront ». La servante alla et elle ouvrit la chambre ; elle entendit des voix, du chant, de la musique, des danses, du zaggarit[343] tout ce qu’on fait à un roi, dans la chambre[344]. Elle revint, elle rapporta tout ce qu’elle avait entendu à Roudîtdidît. Celle-ci parcourut la chambre et elle ne trouva point la place d’où le bruit venait. Elle appliqua sa tempe contre la huche et elle trouva que le bruit était à l’intérieur : elle mit donc la huche dans un coffre en bois, elle apposa un autre sceau, elle l’entoura de cuir, elle plaça le tout dans la chambre où étaient ses vases et elle ferma celle-ci de son sceau[345]. Quand Râousir arriva de retour du jardin, Roudîtdidît lui répéta ces choses et il en fut content extrêmement, et ils s’assirent et ils passèrent un jour de bonheur.

Or, beaucoup de jours après cela, voici que Roudîtdidît se disputa avec la servante et qu’elle la fit fouetter. La servante dit aux gens qui étaient dans la maison : « Est-ce ainsi qu’elle me traite, elle qui a enfanté trois rois ? « J’irai et je le dirai à La Majesté du roi Khoufouî, à la voix juste ». Elle alla donc et elle trouva son frère aîné de mère, qui liait le lin qu’on avait teillé sur l’aire. Il lui dit : « Où vas-tu, ma petite damoiselle ? » et elle lui raconta ces choses. Son frère lui dit : « C’est bien faire ce qu’il y avait à faire que venir à moi ; je vais t’apprendre à te révolter ». Voici qu’il prit une botte de lin contre elle et il lui administra une correction. La servante courut se puiser un peu d’eau, et le crocodile l’enleva[346]. Quand son frère courut vers Roudîtdidît pour lui dire cela, il trouva Roudîtdidît assise, la tête aux genoux, le cœur triste plus que toute chose. Il lui dit : « Madame, pourquoi ce cœur ? » Elle dit : « C’est à cause de cette petite qui était dans la maison ; voici qu’elle est partie disant : J’irai et je dénoncerai ». Il se prosterna la face contre terre, il lui dit : « Ma dame, quand elle vint me conter ce qui est arrivé et qu’elle se plaignit à moi, voici que je lui donnai de mauvais coups ; alors elle alla se puiser un peu d’eau, et le crocodile l’emporta… »

*

* *

La fin du roman pouvait contenir, entre autres épisodes, le voyage à Sakhîbou auquel Chéops fait allusion vers la fin de son entretien avec Didi. Le roi échouait dans ses entreprises contre les enfants divins ; ses successeurs, Chéphrên et Mykérinos, n’étaient pas plus heureux que lui, et l’intrigue se dénouait par l’avènement d’Ousirkaf. Peut-être ces dernières pages renfermaient-elles des allusions à quelques-unes des traditions que les écrivains grecs avaient recueillies. Chéops et Chéphrên se vengeaient de l’inimitié que Râ leur témoignait en fermant son temple à Sakhîbou et dans d’autres villes : ils justifiaient ainsi une des histoires qui leur avaient valu leur renom d’impiété. De toute façon, le Papyrus Westcar est le premier qui nous arrive en rédaction originale des romans dont se composait le cycle de Chéops et des rois constructeurs de pyramides.

LES PLAINTES DU FELLAH

(XIIIe DYNASTIE)

Ce conte paraît avoir été très populaire pendant la durée de l’Empire thébain, car nous connaissons quatre manuscrits qui le renferment, trois à Berlin, un à Londres. Les trois manuscrits de Berlin ont été publiés dans les Denkmäler aus Ægypten und Æthiopien de Lepsius, Abtheilung VI, puis dans Vogelsang-Gardiner, die Klagen des Bauern (forme le tome I des Literarische Texten des Mittleren Reiches d’Erman), 1908, Leipzig, in-folio.

1° Le Papyrus de Berlin n° 2 (Berlin 3023), de la planche 108 à la 110 des Denkmæler (cf. les planches 5,5a – 17,17a des Klagen), renferme trois cent vingt-cinq lignes d’une grosse écriture des premiers temps de la XVIIIe dynastie, soignée au commencement, de plus en plus négligée à mesure qu’on avance vers la fin. Le début et la conclusion de l’histoire manquent.

2° Le Papyrus de Berlin n° 4 (Berlin 3025), de la planche 113 à la planche 114 des Denkmæler (cf. pl. 18,18a – 24,24a des Klagen), renferme cent quarante-deux lignes d’une écriture très rapide de la même époque que celle du manuscrit précédent. Il paraît avoir été détérioré par un maniement prolongé, et les lacunes provenant de l’usure, jointes au peu de netteté du caractère, le rendent difficile à déchiffrer. Les parties conservées contiennent, vers la fin, une cinquantaine de lignes en plus ; cependant la conclusion du récit manque encore. Des fragments de ces deux manuscrits, qui avaient échappé à Lepsius, ont été acquis par lord Amherst of Hackney et sont conservés dans sa collection à Didlington Hall. Les plus importants contiennent quelques débris des pages qui manquent au Papyrus de Berlin n° 2, les autres appartenaient au Papyrus de Berlin n° 4, et tous ont été publiés par :

Percy E. Newberry, the Amherst Papyri, 1901, t. I, pl. I A-L et p. 9-10.

3° Le Papyrus du Ramesséum (Berlin 10.499) faisait partie d’un lot de papyrus découverts pendant l’hiver de 1895-1896 près du Ramesséum, au cours des fouilles de Quibell ; cédé par Petrie à Alan H. Gardiner, celui-ci en fit hommage au Musée de Berlin. Il contient au recto le début des Plaintes du fellah, correspondant au Papyrus Butler en son entier, et aux lignes 1-87, 130-146 du Papyrus de Berlin n° 2. Son existence fut signalée par :

Alan H. Gardiner, Eine nette Handschrift des Sinuhegedichtes, dans les Sitzungsberichte de l’Académie des Sciences de Berlin, 1906, p. 442-443, p. 1-2 du tirage à part.

Il a été publié en fac-similé et en transcription hiéroglyphique dans :

Volgelsang-Gardiner, die Klagen des Bauern, pl. 1, 1a – 4bis 4bis-a.

Papyrus Butler n° 527 (British Museum 10274 verso). Il est d’une grosse écriture, assez soignée, peut-être des premiers temps de la XVIIIe dynastie. Il est plus développé que les deux anciens manuscrits de Berlin, et il ajoute à ce qu’ils nous font connaître une quinzaine de lignes d’introduction, qui ne nous donnent pas encore le commencement de l’histoire. Une portion en a été publiée en fac-similé cursif par :

F. Ll. Griffith, Fragments of Old Egyptian Stories, dans les Proceedings of the Society of Biblical Archæology, 1891-1892, t. XIV, pl. I-IV

En combinant les éléments que nous fournissent ces quatre manuscrits, on arrive à reconstituer le texte presque complètement. Borchardt a démontré dans la Zeitschrift für Ægyptische Sprache, t. XXVII, p. 12, que divers fragments, placés par Lepsius au début du Papyrus n° 4, doivent être reportés à la fin du même papyrus, et qu’ils nous fournissent à peu près le dénouement de l’histoire.

Le sujet en fut découvert et signalé presque simultanément par Chabas et par Goodwin. Chabas donna la traduction suivie des premières lignes dans son mémoire sur :

Les Papyrus hiératiques de Berlin, récits d’il y a quatre mille ans, Paris, 1863, in-8°, p. 5-36 ; cf. Œuvres diverses, t. II, p. 292 sqq.

Goodwin se contenta de publier une analyse fort courte de l’ensemble dans un article intitulé :

The Story of Saneha, An Egyptian Tale of Four Thousand Years ago, dans le Frazer’s Magazine (n° du 15 février 1865, p. 185-202), p. 188. Chabas n’avait utilisé, pour établir son texte, que les Papyrus de Berlin, Goodwin eut la bonne fortune de découvrir le Papyrus Butler au British Museum, et il inséra la traduction raisonnée des premières lignes dans les :

Mélanges Égyptologiques de Chabas, 2e série, Paris, 1864, Benjamin Duprat, in-8°, p. 249-266, ce qui fournit à Chabas lui-même (p. 266-272) l’occasion de rectifier quelques détails de sa propre traduction et de la traduction anglaise.

Depuis lors le texte a été étudié plusieurs fois. Je l’avais transcrit et traduit en 1877 au Collège de France, en 1893 et 1894 à l’École des Hautes-Études, et c’est le commencement de cette traduction qui figurait dans les trois premières éditions de ces Contes. Une version anglaise, couvrant les parties du texte sur lesquelles j’avais travaillé déjà, fut publiée plus tard par :

F. LI. Griffith, Fragments of Old Egyptian Stories, dans les Proceedings of the Society of Biblical Archæology, 1891-1892, t. XIV, p. 459-472.

Une transcription hiéroglyphique de quelques parties, puis une traduction complète de l’ensemble a été donnée en allemand par :

Erman, Ægyptische Grammatik, 1re édition, 1899, p. 28*-37* ;

Erman, Aus den Papyrus der Königlichen Museen, Berlin, Speeman, 1899, p. 46-53 ;

Erman, Ægyptische Chrestomathie, Berlin, Reuther et Richard, 1904, p. 11-19 et 6*-10*,

et l’on trouve une traduction anglaise un peu libre d’allure dans :

Flinders Petrie, Egyptian Tales, 1895, t. I, p. 61-80.

Enfin la transcription et la traduction en allemand de l’ensemble ont été publiées en 1907 par Vogelsang-Gardiner, die Klagen des Bauern, p. 8-15.

Le nom et la qualité des deux personnages principaux de cette histoire ont donné lieu à de nombreuses recherches. Pleyte avait lu celui du persécuteur Sati, le Chasseur (Sur quelques groupes hiéroglyphiques, dans la Zeitschrift, 1869, p. 82), et sa lecture prévalut longtemps. En 1891, Griffith le déchiffra avec doute Souti ou Soutenti (Fragments of Old Egyptian Stories, dans les Proceedings, 1891-1892, t. XIV, p. 468, note 3), et bientôt après Max Müller le rendit par hamouîti, le charpentier, l’artisan (the Story of the Peasant, dans les Proceedings, 1892-1893, t. XV, p. 343-344). Schæfer a démontré (Eine kursive Form von Dhwti, dans la Zeitschrift, 1902-1903, t. XL, p. 121-124) que c’était non pas un terme de métier mais un nom propre, Thotnakhouîti. Le sobriquet du persécuté, Sokhîti, a été rendu d’accord commun paysan, cultivateur, fellah, et c’est bien le sens qu’il a dans les textes ordinaires. Ici le contexte me paraît indiquer qu’on doit le considérer comme un ethnique : le sokhîti de notre conte est donc l’homme de la Sokhît hamaît, de l’Oasis du Natron, et, par abréviation, je l’avais traduit le Saunier dans l’édition précédente de ces contes. Pour éviter les confusions que cette traduction trop littérale n’a pas manqué de produire dans l’esprit des lecteurs, je reviens à l’ancienne traduction de fellah.

Comme le conte précédent, celui-ci nous apporte quantité de détails sur les usages, la condition, les misères des petites gens. La ressemblance des mœurs anciennes et des mœurs actuelles s’y révèle d’une manière frappante, et l’homme auquel un petit fonctionnaire de village vole un âne ou un chameau, ses plaintes et ses récriminations inutiles, ses séances prolongées à la porte de l’officier de police ou du grand seigneur qui est censé devoir lui rendre justice, sont expériences journalières pour quiconque a vécu hors d’Alexandrie et du Caire. Il n’est pas jusqu’aux harangues interminables du fellah ancien qu’on ne retrouve, presque avec les mêmes hyperboles, dans la bouche du fellah contemporain. Le pauvre diable se croit obligé de parler beau afin d’attendrir son juge, et il débite tout ce que son imagination lui suggère de grands mots et de fortes images, le plus souvent sans trop se soucier du sens et sans bien calculer ses effets. Les difficultés que ses discours présentent tiennent sans doute à la même cause qui empêche l’Européen de comprendre un fellah qui porte plainte. L’incohérence des idées et l’obscurité du langage sont dues au désir de bien dire qui le possède et au peu d’habitude qu’il a de manier le langage relevé : l’auteur de notre conte me semble avoir réussi trop complètement pour nous à rendre ce côté légèrement comique du caractère national.

Le nom du Pharaon Nabkaourîya et le lieu de la scène nous prouvent que l’auteur faisait vivre son héros au temps des dynasties héracléopolitaines. Je reporterai donc volontiers la composition au premier âge thébain, comme on a fait depuis Chabas, et plutôt aux siècles qui suivirent la XIIe dynastie qu’à la XIIe dynastie elle-même ; c’est là toutefois un point qui ne pourrait être établi sans de longues discussions.

*

* *

Il y avait une fois un homme, Khounianoupou de son nom, qui était un fellah de la Plaine du Sel[347], et il avait une femme, Nofrît de son nom[348]. Ce fellah dit à cette sienne femme : « Hé toi, je descends en Égypte pour en rapporter du pain[349] à nos enfants. Va là, mesure-moi le grain qui est dans le magasin, du reste du grain de cette année ». Alors il lui mesura huit boisseaux de grain. Ce fellah dit à cette sienne femme : « Hé toi, voici ces deux boisseaux de grain pour tes enfants, mais fais-moi, des six boisseaux de grain, de pain et de la bière[350] pour chaque jour que je serai en voyage ». Quand donc ce fellah descendit en Égypte, il chargea ses ânes de roseaux, de joncs[351], de natron, de sel, du bois d’Ouîti[352], de l’acacia du Pays des bœufs[353], de peaux de loup, de cuirs de chacal[354], de sauge, d’onyx, de la gaude, de la coloquinte, du coriandre, de l’anis, du talc, de la pierre ollaire, de la menthe sauvage, du raisin, des pigeons, des perdrix, des cailles, des anémones, des narcisses, des graines de soleil, des Cheveux de terre, des piments, tout plein de tous les bons produits de la Plaine du Sel[355].

Lors donc que ce fellah s’en fut allé au sud, vers Khininsouton[356], et qu’il fut arrivé au lieu dit Pafifi, au nord du bourg de Madenît[357], il rencontra un individu qui se tenait sur la berge, Thotnakhouîti de son nom, fils d’un individu, Asari de son nom, tous deux serfs du maire du palais Marouîtensi. Ce Thotnakhouîti dit, dès qu’il vit les ânes de ce fellah, s’émerveillant en son cœur : « Me favorise toute idole, si bien que je m’empare des biens de ce fellah ». Or le logis de ce Thotnakhouîti était contigu à la chaussée, qui en était resserrée, pas ample, si bien qu’elle n’avait plus que la largeur d’une pièce d’étoffe avec de l’eau sur un côté et du blé sur l’autre. Ce Thotnakhouîti dit à son serviteur : « Cours et m’apporte une pièce de toile de ma maison. » Elle lui fut apportée sur le champ et il la déploya à même la chaussée, si bien que le liteau touchait à l’eau et l’effilé au blé[358]. Lors donc que ce fellah vint sur le chemin de tout le monde, ce Thotnakhouîti dit : « Fais-moi plaisir[359], fellah, ne marche pas sur mon linge ». Ce fellah dit : « À faire ainsi que tu dis, ma route est bonne ». Comme il se portait vers le haut, Thotnakhouîti dit : « Mon blé va-t-il pas te servir de chemin, fellah ? » Ce fellah dit : « Ma route est bonne, mais la berge est haute, la route a du blé, tu as barré le chemin avec ton linge. Est-ce que tu ne permets pas que je passe ? » Tandis qu’il lui disait ces paroles, un des ânes prit une pleine bouchée de tiges de blé. Ce Thotnakhouîti dit : « Hé toi, puisque ton âne mange mon blé, je le mettrai au labour à cause de sa force ». Ce fellah dit : « Ma route est bonne. Pour éviter une avanie, j’avais emmené mon âne, et maintenant tu le saisis parce qu’il a pris une bouchée de tiges de blé ! Mais certes je connais le maître de ce domaine, qui est le grand intendant Marouîtensi ; c’est lui, certes, qui écarte tout voleur dans cette Terre entière[360], et je serais volé sur son domaine ? » Ce Thotnakhouîti dit « N’est-ce pas là vraiment le proverbe que disent les gens : “On cite le nom du pauvre diable à cause de son maître ?” C’est moi qui te parle, et c’est au maire du palais Marouîtensi que tu penses[361] ». Alors il saisit une branche verte de tamarisque et il lui en fouetta tous les membres, puis il lui enleva ses ânes et il les fit entrer dans son champ. Ce fellah se mit à pleurer très fort par douleur de ce qu’on lui faisait, et ce Thotnakhouîti dit « N’élève pas la voix, fellah, ou tu iras à la ville du dieu seigneur du silence[362] ! » Ce fellah dit : « Tu m’as frappé, tu as volé ma propriété, et maintenant tu enlèves la plainte de ma bouche ! Divin seigneur du silence, rends-moi mon bien, afin que je ne crie ta crainte[363] ».

Ce fellah passa la durée de quatre jours à se plaindre à ce Thotnakhouîti, sans que celui-ci lui donnât son droit. Quand ce fellah se fut rendu à Khininsouton afin de se plaindre au maire du palais Marouîtensi, il le trouva qui sortait de la porte de sa maison pour s’embarquer dans la cange de son service. Ce fellah dit : « Ah ! permets que je réconforte ton cœur par mon discours[364]. C’est le cas d’envoyer vers moi ton serviteur, l’intime de ton cœur, pour que je te le renvoie instruit de mon affaire ». Le maire du palais Marouîtensi fit aller son serviteur, l’intime de son cœur, le premier auprès de lui, et ce fellah le renvoya instruit de cette affaire, telle qu’elle était. Le maire du palais Marouîtensi informa de ce Thotnakhouîti les prud’hommes[365] qui étaient auprès de lui, et ils dirent à leur maître : « Voire, s’agit-il ici d’un paysan de Thotnakhouîti qui s’en était allé faire affaire avec un autre, au lieu de faire affaire avec lui ; c’est ainsi, en effet, que ces gens-là en agissent envers leurs fellahs, quand ceux-ci vont vers d’autres au lieu d’aller à eux, c’est bien ainsi qu’ils en agissent[366]. Est-ce la peine de poursuivre ce Thotnakhouîti pour un peu de natron et pour un peu de sel ? Qu’on lui ordonne de les rendre et il les rendra[367] ». Le maire du palais Marouîtensi garda le silence : il ne répondit pas à ces notables, il ne répondit pas à ce fellah.

Quand ce fellah vint se plaindre au grand intendant Marouîtensi pour la première fois, il dit : « Maire du palais, mon seigneur, le grand des grands, le guide de ceux qui sont et de ceux qui ne sont pas, quand tu descends au Bassin de la Justice[368] et que tu y navigues avec du vent, puisse l’écoute de ta voile ne pas s’arracher, puisse ton esquif ne pas aller à la dérive, puisse aucun malheur ne venir à ton mât, puissent tes bordages ne pas se briser ; puisses-tu ne pas être emporté, quand tu accostes à la terre ; puisse le flot ne pas te saisir, puisses-tu ne pas goûter aux malices du fleuve, puisses-tu ne pas voir la face terrible, mais que viennent à toi les poissons les plus rebelles et puisses-tu atteindre les oiseaux bien gras ! Car c’est toi le père du manant, le mari de la veuve, le frère de la divorcée, le vêtement de qui n’a plus de mère ! Fais que je puisse proclamer ton nom dans ce pays comme supérieur à toute bonne loi. Guide sans caprice, grand sans petitesse, toi qui anéantis le mensonge et fais être la vérité, viens à la voix qu’émet ma bouche ! Je parle, écoute, fais justice, louable que les plus louables louent, détruis mes misères ; me voici chargé de tristesses, me voici désespéré, juge-moi, car me voici en grand besoin ! »

Or ce fellah disait ces paroles au temps du roi de la Haute et de la Basse-Égypte, Nabkaourîya, à la voix juste. Le maire du palais Marouîtensi alla devant Sa Majesté, et il dit : « Mon seigneur, j’ai rencontré un de ces fellahs, beaux parleurs en vérité, à qui son bien a été volé par un homme qui relève de moi : voici qu’il vient pour se plaindre à moi de cela ». Le roi dit « Marouîtensi, si tu me veux conserver dispos, traîne-le en longueur, ne réponds rien à tout ce qu’il dira. Quoi qu’il lui plaise dire, rapporte-le-nous par écrit pour que nous l’entendions. Veille à ce que sa femme et ses enfants vivent, et toi, envoie un de ces fellahs pour écarter le besoin de sa maison, fais aussi que ce paysan vive en ses membres, mais quand tu lui feras donner du pain, donne qu’il ne sache pas que c’est toi qui le lui donnes ». On lui servit quatre pains et deux pots de bière chaque jour ; le maire du palais Marouîtensi les fournissait, mais il les donnait à un de ses clients et c’était celui-ci qui les donnait à l’autre. Voici que le maire du palais Marouîtensi envoya vers le châtelain de l’Oasis du Sel, afin que l’on fît du pain pour la femme de ce paysan, dans la proportion de trois mesures par jour.

Ce fellah vint se plaindre pour la seconde fois, disant : « Maire du palais, mon maître, grand des grands, riche des riches, toi qui es le plus grand de tes grands et le plus riche de tes riches, gouvernail du ciel, étai de la terre, corde qui porte les poids lourds, gouvernail ne t’affole pas[369], étai ne ploie pas, corde ne t’échappe pas ! Donc, le grand seigneur prend de celle qui n’a pas de maître[370], il dépouille qui est seul ! Ta ration dans ta maison, c’est une cruche de bière, trois pains par jour, et qu’est-ce que tu dépenses à nourrir tes clients ? Qui meurt meurt-il avec ses gens ? toi seras-tu éternel[371] ? Aussi bien, c’est un mal, une balance qui ploie, un peson qui perd l’aplomb, un juste intègre qui dévie. Hé toi, si la justice qui marche sous toi s’échappe de sa place, les prud’hommes commettent des écarts, celui qui tenait compte des discours prononcés des deux parts penche vers un côté, la valetaille vole, celui qui est chargé de saisir l’infidèle qui n’accomplit point la parole du juge dans sa rigueur, lui-même il s’égare loin d’elle, celui qui doit donner le souffle de la vie en manque sur terre, celui qui est calme halète de colère, celui qui divise en parts justes n’est plus qu’un prépotent, celui qui réprime l’oppresseur donne l’ordre qu’il maltraite la ville comme l’inondation, celui qui repousse le mal commet des écarts. »

Le maire du palais Marouîtensi dit : « Est-ce donc pour toi si grand’chose et qui te tienne tant au cœur que mon serviteur[372] soit saisi ? »

Ce fellah dit : « Lorsque le boisseleur de grains fraude pour soi un autre se prend à perdre son avoir. Celui qui guide à l’observance de la loi, s’il commande qu’on vole, qui donc alors repoussera le crime ? Celui qui écrase l’erreur, s’il s’écarte lui-même de l’équité, un autre a le droit de plier. Si un autre approuve tes écarts, comment trouveras-tu, toi, le moyen de repousser les écarts d’autrui ? Quand l’homme opulent vient à la place qu’il occupait hier, c’est un ordre de faire à qui fait pour l’engager à faire ce qu’on l’a honoré d’avoir fait, c’est administrer sagement les biens au lieu de les gaspiller, c’est attribuer les biens à qui possédait déjà la fortune[373]. Oh, la minute qui anéantit, quand tout sera bouleversé dans tes vignes, quant ta basse-cour sera détruite et que seront décimés tes gibiers d’eau, quand celui qui voyait se manifeste aveugle et celui qui entendait sourd, quand celui qui guidait dans le droit chemin devient celui qui égare !… Donc es-tu sain ? Agis pour toi, car, toi, tu es fort puissant, ton bras est vaillant, ton cœur est hardi, l’indulgence s’éloigne de toi, la prière des misérables est ta destruction, tu sembles le messager du dieu Crocodile ; toi, tu es le compagnon de route de la Dame de Peste, si tu n’es pas elle n’est pas, si elle n’est pas tu n’es pas, ce que tu ne fais pas elle ne le fait pas[374]. Le riche en revenus légitimes qui est fort est gracieux pour le mendiant, celui qui est ferme en la possession de ses rapines est gracieux pour qui n’a point de biens, mais si le mendiant est dépouillé de son bien c’est action mauvaise pour qui n’est pas dénué de tout, on ne saurait en être relevé, et on est recherché pour elle. Mais toi, tu te rassasies de ton pain à toi, tu t’enivres de ta bière, tu es riche plus que tous les vivants. Lorsque le visage du timonier se tourne vers l’avant[375], le bateau s’égare où il lui plaît. Lorsque le roi est dans le harem et que le gouvernail est dans ta main, il y a des abus autour de toi, la plainte est ample, la ruine est lourde. Qu’est-ce donc qu’il y a là ? Tu as fait des places d’asile, ta digue est saine, et voici que ta ville conteste le bien jugé de ta langue[376] ? Ne te rebute pas pourtant ! C’est le ver destructeur de l’homme que ses propres membres[377] ! Ne dis pas de mensonge, surveille les notables du fisc ; lorsque les servants récoltent leurs herbages, dire le mensonge est une tradition qui leur tient au cœur. Toi qui connais l’avoir des gens, ignores-tu ma fortune ? Ô toi qui réduis à néant tout accident par l’eau, me voici, moi, sur les voies du malheur ! Ô toi qui ramènes à terre quiconque se noie et qui sauves le naufragé, je suis opprimé de par toi ! »

Ce fellah vint se plaindre pour la troisième fois, disant « Maire du palais, mon maître, tu es Râ, maître du ciel, avec ta cour, et c’est l’intérêt de tout le monde. Tu es comme la vague d’eau, tu es le Nil qui engraisse les champs, qui permets la culture des îles. Réprime le vol, protège les misères, ne sois pas un courant destructeur contre qui se plaint à toi, mais prends garde que l’éternité approche, et te plaise qu’il en soit pour toi ainsi qu’il est dit : C’est de l’air au nez que de faire la justice[378]. » Charge qui a chargé, et cela ne sera point porté à ton compte. Est-ce que la bascule fléchit ? Est-ce que la balance penche d’un côté ? Est-ce que Thot est indulgent ? Si tu commets des écarts tu te fais l’égal de ces trois-là[379]. Si tu es indulgent, ton indulgence est de qui répond le bien comme si c’était le mal, comme qui met ce dernier à la place de l’autre. La parole prospère plus que les herbes vivaces, elle prospère autant qu’est fort celui qui lui répond, et celui-ci est l’eau qui fait prospérer ses vêtements à elle, pendant ces jours qu’il le fait faire[380]. Quand tu tires des bordées à la voile, et que tu prends le courant pour arriver à agir ainsi qu’il est juste, fais attention et manœuvre bien la barre quand tu seras en face de la terre[381]. « Fais le juste ; ne mens pas, tu es la grandeur, ne sois pas léger, tu es la lourdeur ! Ne mens pas ; tu es la romaine, ne perds pas l’aplomb ; tu es le compte exact, hé toi, tu es d’accord avec la bascule, si bien que si elle ploie, toi aussi tu ploies. Ne t’affole pas quand tu gouvernes, mais manie bien la barre. Ne prends rien quand tu iras contre celui qui prend, car ce n’est pas un grand, ce grand-là qui est rapace. Ta langue est un peson de balance et ton cœur est le poids que tes deux lèvres font basculer. Si tu voiles ta face pour celui dont le visage est ferme[382], qui donc repoussera le mal ? Hé toi, tu es comme un méchant blanchisseur rapace qui rudoie un ami et qui lie un client qui est pauvre, mais qui tient pour son frère celui qui vient et qui lui apporte son dû. Hé toi, tu es le passeur qui passe seulement celui qui possède le montant du droit de péage, et dont le droit de péage pour les autres est la ruine. Hé toi, tu es le chef de grenier qui ne permet pas de passer celui qui vient les mains vides aussitôt. Hé toi, tu es un homme-oiseau de proie qui vis des misérables petits oiseaux. Hé toi, tu es le cuisinier dont la joie est de tuer et à qui aucun animal n’échappe. Hé toi, tu es le berger qui ne se soucie de rien ; tu n’as pas compté combien tu as perdu de tes bêtes par le crocodile, ce violateur des lieux d’asile, qui attaque la cité de la Terre-Entière[383]. Ô auditeur, qui n’as pas entendu, que n’entends-tu donc, puisqu’ici j’ai repoussé le furieux des eaux ? Être poursuivi d’un crocodile, combien de temps cela durera-t-il ? Que soit trouvée dès aujourd’hui la vérité cachée, et que soit rué le mensonge à terre ! N’escompte pas le lendemain qui n’est pas venu encore : on ne sait pas quels maux il y a en lui ! »

Après que ce fellah eut tenu ce discours au maire du palais Marouîtensi, sur l’esplanade qui est devant la Porte, celui-ci expédia contre lui deux hommes de son clan avec des courbaches, et ils flagellèrent tous ses membres.

Ce fellah dit : « Le fils que j’aime, il dévie donc : sa face est aveugle à ce qu’il voit, il est sourd à ce qu’il entend, il passe oublieux de ce qu’on lui signale. Hé toi, tu es comme une ville qui n’a pas de châtelain, comme une communauté qui n’a point de chef, comme un bateau qui n’a point de capitaine, comme une caravane sans guide. Hé toi, tu es comme un ghafir qui vole, comme un châtelain qui prend, comme un chef de district chargé de réprimer le brigandage et qui se met à la tête de ceux qui le commettent ! »

Lorsque ce paysan vint se plaindre pour la quatrième fois, il trouva le maire du palais qui sortait de la porte du temple d’Harchafi, et il dit : « Ô béni, le béni d’Harchafi et qui vient de son temple, lorsque le bien périt sans opposition, le mensonge se propage sur la terre. Et en effet, le bac où l’on vous fait entrer et traverser le fleuve, lorsqu’arrive la saison de l’étiage, traverser le fleuve en sandales, n’est-ce pas un bon moyen de traverser ? Et qu’en est-il de qui dort jusqu’en plein jour ? Périssent par là et l’aller en sûreté pendant la nuit, et le voyager sans danger pendant le jour, et la possibilité que l’individu profite de sa fortune en vérité. Hé toi, il ne faut pas s’arrêter de te le dire. L’indulgence s’éloigne de toi, la prière des misérables est ta destruction[384]. Tu es comme le chasseur, au cœur clair, hardi à faire ce qu’il, lui plaît, harponner l’hippopotame, percer de flèches les taureaux sauvages, atteindre au bident les poissons[385], emmailler les oiseaux. Ô toi qui n’as pas la bouche courante et qui es sans flux de paroles, toi qui n’as pas le cœur léger mais dont le sein est lourd de desseins, applique-toi de cœur à connaître la vérité, réprime ton inclination mauvaise jusqu’à ce que survienne le silencieux[386]. « Ne sois pas l’enquêteur malhabile qui écrase la perfection, ni un cœur rapide qui se dérobe lorsqu’on lui apporte la vérité, mais soit fait que tes deux yeux aperçoivent, que ton cœur se satisfasse, et ne te trouble pas doutant de ta force[387], de peur que le malheur ne t’atteigne : celui qui passe outre à sa fortune sans la saisir sera toujours au second rang. L’homme qui mange déguste, celui qu’on interroge répond, celui qui est couché fait des rêves, mais le juge à la porte[388] ne lui fais opposition car il est à la tête des malfaiteurs ; et alors, grâce à lui, imbécile on arrive, ignorant de tout on est consulté si l’on est comme un courant d’eau qui se déverse les gens y entrent. Ô timonier, n’affole pas ta barque ; toi qui donnes la vie ne fais pas, qu’on meure ; toi qui peux anéantir, ne fais pas qu’on soit anéanti. Lumineux, ne sois pas comme l’ombre ; place d’asile, ne permets pas au crocodile d’enlever ses victimes en toi ! Quatre fois que je me plains à toi, n’est-ce pas assez de temps passé à cela ?

Ce fellah vint pour se plaindre la cinquième fois, disant : « Maire du palais, Marouîtensi, mon maître, le pêcheur à la nasse embouteille les perches, le pêcheur au couteau égorge les anguilles, le pêcheur au trident harponne les bayyâds, les pêcheurs à l’épervier prennent les châls[389], bref les pêcheurs dépeuplent le fleuve. « Hé toi, tu es de leur sorte ; ne ravis pas au misérable son avoir, car sa peine, tu la connais. Ses biens, c’est l’air vital du misérable : c’est lui boucher le nez que de les lui ravir. Tu as été commis à entendre la parole, à juger entre deux frères ; à réprimer le vol, et le malfaiteur est avec toi, et c’est un lourd faix de vols, ce que tu fais ! On t’a fait le favori[390], et tu es devenu un criminel ; tu as été donné comme une digue au misérable pour empêcher qu’il se noie, et toi, tu es l’homme semblable au bassin qui se vide rapidement[391] ! »

Ce fellah vint pour se plaindre la sixième fois, disant : « Maire du palais, Marouîtensi[392], mon maître, maître silencieux de la ruine, fais que la justice soit, fais que soit le bien ; anéantis le mal, comme vient la satiété qui arrête la faim, l’habillement qui fait cesser la nudité, comme le ciel se rassérène après la bise, et que son ardeur réchauffe tous ceux qui avaient froid, comme le feu cuit les crudités, comme l’eau éteint la soif. Ô toi qui vois, ne détourne pas ta face[393] ; toi qui partages équitablement, ne sois pas rapace[394] ; toi qui consoles, « ne cause pas de rancœur ; toi qui guéris, ne cause pas de maladies. Le délinquant diminue la vérité ; celui qui remplit bien ses devoirs ne lèse pas, ne blesse pas la vérité. Si tu as des revenus légitimes, donnes-en à ton frère : l’égoïsme manque d’à-propos, car celui qui a rancœur, il est un guide de discorde, et celui qui conte sa peine tout bas amène les scissions, sans qu’on ait su ce qu’il avait dans le cœur[395]. Ne sois donc pas inactif ! Si tu agis selon ton intention de détruire, qui livrera bataille ? L’eau de la brèche est avec toi, à la façon dont la brèche s’ouvre, au temps où l’inondation est étale : si la barque y entre, comme elle est saisie par le courant, sa cargaison périt à terre dispersée sur toutes les berges[396]. Tu es instruit, tu es bien dressé, tu es établi solidement et non par la violence, mais tandis que tu établis des règlements pour tout le monde, ceux qui t’entourent s’écartent de la voie droite. Équitable à la fois et coupable envers la Terre-Entière, jardinier de misère qui irrigue son terrain de vilenies pour que son terrain devienne un terrain de mensonge, pour répandre les crimes sur le bien-fond ! »

Ce fellah vint se plaindre pour la septième fois, disant « Maire du palais, mon maître, tu es le gouvernail de la Terre-Entière, qui navigues la terre à ton gré. Tu es le second Thot[397], qui jugeant ne penche pas d’un côté. « Ô mon maître, te plaise n’assigner un individu à comparaître au tribunal que pour les actes qu’il a commis réellement ! Ne restreins pas ton cœur ; il n’est pas dans ta nature que de large d’esprit tu deviennes borné de cœur[398] ! Ne te préoccupe pas de ce qui n’arrive pas encore et ne te réjouis pas de ce qui n’est pas encore venu ! Comme l’homme impartial est large en amitié, il tient pour nul l’acte qui s’est accompli sans qu’on ait su quelle intention il y avait au fond du cœur[399]. Celui qui rabaisse la loi et qui détruit le compte des actions humaines, il n’y a misérable qui vive parmi ceux qu’il a volés, et la vérité ne l’interpelle plus[400]. Mais mon sein est plein, mon cœur est chargé et ce qui sort de mon sein en conséquence, c’est la brèche d’une digue d’où l’eau s’écoule : ma bouche s’ouvre à la parole, j’ai lutté pour boucher ma brèche, j’ai versé mon courant, j’ai piloté à bon port ce qui était dans mon sein, j’ai lavé mes haillons, mon discours se produit et ma misère est complète devant toi : quelle est ton appréciation finale ? Ton inertie te nuira, ta rapacité te rendra imbécile, ton avidité te fera des ennemis ; mais où trouveras tu un autre fellah tel que moi ? Sera-ce un paresseux qui, se plaignant, se tiendra à la porte de sa maison[401] ? Il n’y a silencieux que tu ne fasses parler, il n’y a endormi que tu ne réveilles, il n’y a timide que tu ne rendes audacieux[402], il n’y a muet dont tu n’ouvres la bouche, il n’y a ignorant que tu ne changes en savant, il n’y a stupide que tu n’instruises. Ce sont des destructeurs du mal, les notables qui t’entourent, ce sont les maîtres du bien, ce sont des artisans qui produisent tout ce qui existe, des remetteurs en place de tête coupée[403] »

Ce fellah vint se plaindre pour la huitième fois, disant « Maire du palais, mon maître, puisqu’on tombe par œuvre de violence, puisque le rapace n’a point de fortune ou plutôt que sa fortune est vaine, puisque tu es violent quand ce n’est pas ta nature de l’être, et que tu voles sans que cela te soit utile, laisse les gens s’en tenir à leur bonne fortune. Tu as ce qu’il te faut dans ta maison, ton ventre est plein, mais le tas de grains s’éparpille[404] et ce qui sort de lui périt sur le sol, le voleur pille, ravissant par force les notables qui sont faits pour repousser les crimes et qui sont l’asile du persécuté, les notables qui sont faits pour repousser le mensonge. La crainte de toi n’a pas permis que je te supplie comme il faut, et tu n’as pas compris mon cœur. Ô silencieux[405], celui qui revient pour te faire ses objurgations, il ne craint plus de te les présenter, bien que son frère ne t’apporte pas des cadeaux dans ton habitation privée. Tu as des pièces de terrain à la campagne, tu as des revenus à la ville, tu as ton pain aux entrepôts[406], les notables t’apportent des cadeaux, et tu prends ! N’es-tu donc pas un voleur puisque, lorsqu’on défile avec la redevance pour toi, il y a des pillards avec toi pour prélever le métayage des terres[407] ? Fais le vrai du maître du vrai, ce qui est le vrai du vrai[408]. Toi le calame, le rouleau du papyrus, la palette, le dieu Thot, garde-toi de faire des écarts de la justice ; bon, sois bon, vraiment bon, sois bon ! Car la vérité est pour l’Éternité ; elle descend dans l’Hadès avec qui la pratique. Lorsqu’il a été mis au cercueil et déposé dans le sol, son nom n’a pas été effacé sur terre, et on se le rappelle en bien, en conséquence de la parole du dieu[409]. C’est qu’en effet la bascule n’a point ployé, la balance n’a point penché d’un côté. Et pourtant, a quand moi je viens, quand un autre vient te prier, répondant, priant le silencieux[410], s’efforçant d’atteindre ce qui ne peut pas être atteint, tu ne t’es pas adouci, tu n’as pas compati, tu n’as pas reculé, tu n’as pas supprimé le mal, tu n’as pas tenu envers moi la conduite qui répond à cette parole excellente qui est sortie de la bouche de Râ lui-même[411] : Dis le vrai, fais le vrai, fais ce qui est conforme au vrai, parce que la vérité est puissante, parce qu’elle est grande, parce qu’elle est durable, et lorsqu’on trouve ses limites, elle conduit à la béatitude ». Si la balance ne ploie pas, si ses plateaux portent des objets au même niveau, les résultats du compte ne se feront pas sentir contre moi, et la honte n’arrivera pas derrière moi à la ville, et elle ne prendra pas terre ».

Ce fellah vint se plaindre pour la neuvième fois, disant « Maire du palais, mon maître, la balance des gens c’est leur langue, et c’est la balance qui vérifie les comptes[412]. Lors donc que tu punis celui qui avait mal agi, le compte est apuré en ta faveur[413]. Au contraire, celui qui pactise avec le mensonge, sa part désormais c’est que la vérité se détourne de lui, car alors son bien c’est le mensonge, et la vérité ne se soucie plus de lui[414]. Lors donc que marche le menteur, il s’égare, il ne passe pas l’eau dans le bac, il n’est pas accueilli[415]. S’il est riche, lui, il n’a pas d’enfants, il n’a pas de postérité sur la terre[416]. S’il voyage, il n’accoste pas à terre, et sa barque n’aborde pas à sa ville[417]. Donc ne te fais pas lourd, car déjà tu n’es pas un petit poids, ne fonce pas, car déjà tu n’es pas léger à la course[418], ne crie pas fort, ne sois pas égoïste[419], ne voile pas ta face à ce que tu sais, ne ferme pas les yeux à ce que tu as vu, n’écarte pas celui qui mendie de toi. Si tu tombes dans la négligence, on fait usage de ta conduite contre toi[420]. Agis donc envers qui a agi contre toi, mais que tout le monde n’en entende point parler : n’assigne un individu que pour l’acte qu’il aura commis en vérité. Il n’y a pas de hier pour le négligent[421] ; il n’y a pas d’ami pour qui est sourd au vrai ; il n’y a pas de bonheur pour le rapace. D’autre part celui qui proteste devient misérable, et le misérable passe à l’état de plaignant perpétuel, et le plaignant est égorgé. Hé toi, je me suis plaint à toi et tu n’as pas écouté ma plainte : j’irai me plaindre de toi à Anubis[422] ».

Le maire du palais, Marouîtensi, envoya deux hommes de son clan pour que le fellah revînt. Ce fellah donc eut peur et il eut soif, craignant que le maire n’agit ainsi afin de le punir pour ce discours qu’il avait tenu, et ce fellah dit : « Écarte ma soif… »[423]. Le maire du palais, Marouîtensi, dit : « Ne crains rien, fellah. J’agirai envers toi ainsi que tu agis envers moi ». Ce fellah dit : « Puissé-je vivre mangeant ton pain et buvant ta bière éternellement ! » Le maire du palais, Marouîtensi, dit : « Garde donc désormais qu’on entende ici toi et tes plaintes ! » Puis il fit coucher sur une feuille de papyrus neuve toutes les plaintes du fellah jusqu’à ce jour. Le maire du palais, Marouîtensi, l’envoya à la Majesté du roi des deux Égyptes Nabkaourîya, à la voix juste, et cela lui fut agréable par-dessus toutes choses qu’il y a en cette Terre-Entière, et Sa Majesté dit : « Juge toi-même, mon fils bien-aimé ». Le maire du palais, Marouîtensi, manda donc deux hommes de son clan pour qu’on lui amenât le greffier, et il lui fit donner six esclaves mâles et femelles, en plus de ce qu’il possédait déjà en esclaves, en blé du midi, en dourah, en ânes, en biens de toute sorte. Il ordonna que restituât ce Thotnakhouiti à ce paysan ses ânes avec tous ses biens qu’il lui avait pris…

*

* *

La fin manque, et il est difficile de dire si les exercices de style noble auxquels ce fellah s’était livré ne continuaient pas quelque temps encore, cette fois pour rendre gloire au Pharaon et pour remercier Marouîtensi de son équité. Le fellah d’aujourd’hui ne se lasse jamais de parler quand son intérêt entre en jeu ou que sa cupidité est satisfaite : celui que nous venons de quitter avait l’haleine non moins longue, et il ne devait pas être embarrassé de trouver dans sa mémoire autant de belles phrases qu’il en avait déjà tiré. Je crains bien que mes lecteurs, s’ils ont eu la patience d’aller jusqu’au bout de cette rapsodie, n’aient pas ressenti plus de plaisir à la parcourir que je n’en éprouvai à mettre la traduction sur pied. Auront-ils toujours bien apprécié le détail ? Les concepts des Égyptiens ne répondent pas souvent aux nôtres, et l’on en réunissait sous une expression unique plusieurs que nous avons l’habitude de séparer. Il n’y avait qu’un seul mot pour le vrai et pour le juste, pour le mensonge et pour le mal, pour la paresse personnelle ou pour l’indifférence aux actes ou aux intérêts d’autrui ; par contre, l’auteur rend par des termes auxquels je n’ai pas réussi à attribuer d’équivalents, les variétés diverses du mal physique ou moral. J’ai dû paraphraser résolument des passages qu’un moderne étranger à l’Égyptologie n’aurait pas compris si je les avais transcrits littéralement. Le gros sens y est : ce sera affaire à d’autres d’approfondir chaque membre de phrase et d’en dégager les nuances subtiles de pensée et de langage qui y charmèrent les Égyptiens.

LES MÉMOIRES DE SINOUHÎT

Les Mémoires de Sinouhît paraissent avoir joui d’une grande réputation dans les cercles littéraires de l’Égypte Pharaonique, car ils ont été recopiés assez souvent en tout ou en partie, et nous possédons encore les restes de trois manuscrits qui les contenaient au complet, le Papyrus de Berlin n° 1 auquel appartiennent les débris du Papyrus Amherst, le Papyrus Golénicheff et le Papyrus n° 1 du Ramesséum à Berlin (Berlin 3022).

Le Papyrus de Berlin n° 1, acheté par Lepsius en Égypte, et inséré par lui dans les Denkmæler aus Ægypten und Æthiopien, VI, pl. 104-107, est mutilé au début. Il a été publié en fac-similé photographique avec transcription hiéroglyphique, par Alan H. Gardiner, die Erzählung des Sinuhe und die Hirtengeschichte, dans les Hieratische Texte des Mittteren Reiches d’Erman, in-8°, Leipzig, 1909, t. II, pl. 5-15. Il contient, dans son état actuel, trois cent onze lignes de texte. Les cent soixante-dix-neuf lignes du commencement sont verticales ; viennent ensuite quatre-vingt-seize lignes (180-276) horizontales, mais, à partir de la ligne deux cent soixante-dix-sept jusqu’à la fin, le scribe est revenu au système des colonnes verticales. Les quarante premières lignes de la partie conservée ont plus ou moins souffert de l’usure et des déchirures ; cinq d’entre elles (lignes 1, 13, 15, 38) renferment des lacunes que je n’aurais pas réussi à combler, si je n’avais eu la bonne fortune de découvrir à Thèbes un manuscrit nouveau. La fin est intacte et se termine par la formule connue : C’est venu de son commencement jusqu’à sa fin, comme il a été trouvé dans le livre. L’écriture, très nette et très hardie dans les portions verticales, devient lourde et confuse dans les portions horizontales ; elle est remplie de ligatures et de formes rapides qui en rendent parfois le déchiffrement difficile. Quelques parcelles des portions qui manquent au début ont été retrouvées dans des fragments qui appartiennent à la collection de lord Amherst of Hackney ; elles ont été publiées en transcription hiéroglyphique par F. Ll. Griffith, Fragments of Old Egyptian Stories dans les Proceedings of the Society of biblical Archæology, 1891-1892, t. XIV, p. 452-454, puis en fac-similé par P. Newberry dans les Amherst Papyri, 1901, t. I, pl. I M-Q et p. 9-10. D’après G. Möller Hieratische Palæographie, Theil I, p. 14-15, et aussi, d’après Alan H. Gardiner, die Klagen des Bauern, p. 5-6, puis die Erzählung des Sinuhe, p. 5, il aurait été écrit pendant la seconde moitié de la XIIe dynastie ou la première moitié de la XIIIe : certains détails, entre autres la corruption du nom royal, me paraissent indiquer dans la XIIIe une date plus rapprochée de nous.

Le Papyrus Golénicheff renferme les débris très mutilés de quatre pages. Les treize premières lignes de la page 1 comprenaient le début du texte qui manque au Papyrus de Berlin n° 1 ; les morceaux conservés de cette page et des pages suivantes appartenaient à la portion du récit qui s’étend de la ligne 1 du Papyrus de Berlin à sa ligne 66. Il est inédit, mais M. Golénicheff a bien voulu m’en communiquer des photographies et une transcription hiéroglyphique, que j’ai publiée dans G. Maspero, les Mémoires de Sinouhît (forme le tome Ier de la Bibliothèque d’Étude), 1906, p. 32-33, et qui m’ont aidé à reconstituer le texte. L’écriture est le bon hiératique de la XIXe et de la XXe dynasties.

Le Papyrus de Berlin a été analysé et traduit en français par :

Chabas, Le Papyrus de Berlin, récits d’il y a quatre mille ans, p. 37-51, et Bibliothèque Universelle, 1870, t. II, p. 174, en partie seulement (cf. Œuvres diverses, t. IV, p. 254-255).

M. Goodwin a donné une version anglaise du tout dans le Frazer’s Magazine, 1865, sous le titre de the Story of Saneha, p. 185-202, puis, dans la brochure The Story of Saneha, an Egyptian Tale of Four Thousand Years ago, translated from the Hieratic text by Charles Wycliffe Goodwin M. A. (Reprinted from Frazer’s Magasine, London, Williams and Norgate, 1866, in-8°, 46 p.) Cette traduction a été corrigée par l’auteur lui-même dans la Zeitschrift, 1872, p. 10-24, et reproduite intégralement dans les Records of the Past, Ire série, t. VI, p. 131-150, avec une division un peu arbitraire des lignes.

Une seconde traduction française est celle qu’on lit, sous le titre Le Papyrus de Berlin n° 1, transcrit, traduit, commenté par G. Maspero (Cours au Collège de France, 1874-1876), dans les Mélanges d’archéologie égyptienne et assyrienne, t. III, p. 68-82, 140 sqq. ; reproduite en partie avec des corrections dans l’Histoire ancienne des peuples de l’Orient, 6°édition, p. 115-116, 121-124.

Enfin Henry Daniel Haigh examina les données historiques et géographiques de ce document dans un article spécial de la Zeitschrift, 1875, p. 78-107, et Erman en inséra une courte analyse allemande dans son livre Ægypten und Ægyptisches Leben im Altertum, 1885-1888, p. 494-497.

Le Papyrus n° 1 du Ramesséum contenait au verso une copie complète des Mémoires de Sinouhît, mais nous n’en possédons plus qu’une vingtaine de pages plus ou moins mutilées. Les premières représentent cent quatre lignes horizontales, qui correspondent au texte complet de l’Ostracon 27419 du Caire dont il sera question plus loin, au Papyrus Golénicheff, aux fragments du Papyrus Amherst et aux lignes 1-77 du Papyrus de Berlin n° 1. Après ce début, il ne nous reste plus qu’une page à peu près intacte, avec les extrémités des lignes qui appartenaient aux deux pages de droite et de gauche ; on y lit, avec beaucoup de lacunes, le récit du duel entre Sinouhît et le brave de Tonou, de la ligne 131 à la ligne 145 du Papyrus de Berlin n° 1. La découverte en fut annoncée par Alan H. Gardiner, Eine neue Handschrift des Sinuhegedichtes, dans les Sitzungsberichte de l’Académie des Sciences de Berlin, 1907, p. 142-150, tirage à part in-8°de 9 pages. Le texte en a été publié en fac-similé, avec une transcription hiéroglyphique, par Alan H. Gardiner, die Erzählung des Sinuhe und die Hirlengeschichte, pl. 1-4.

Outre les éditions sur papyrus, nous possédons sur deux ostraca la copie de deux portions assez considérables du commencement et de la fin du récit. Le plus anciennement connu d’entre eux est conservé au Musée Britannique, où il porte le numéro 5629. Il a été signalé d’abord par Birch dans son Mémoire sur le Papyrus Abbott (traduction française de Chabas, dans la Revue archéologique, 1858, p. 264 ; cf. Œuvres diverses, t. I, p. 284), puis publié en fac-similé dans les Inscriptions in the Hieratic and Demotic Character, from the Collections of the British Museum, in-folio, London, M DCCC LXVIII, pl. XXIII et p. 8.

Lauth le transcrivit et le traduisit dans Die zweiælteste Landkorte nebst Græberplænen (extrait des Sitzungsberichte de l’Académie des Sciences de Munich, 1871, p. 233-236), mais l’identité du texte qu’il renferme avec le texte des lignes 300-310 du Papyrus de Berlin n° 1, a été découverte par :

Goodwin, On a Hieratic Inscription upon a Stone in the British Museum, dans la Zeitschrift, 1812, p. 20-24, où la transcription et la traduction du texte sont consignées tout au long. L’écriture est de la XIXe et de la XXe dynasties, de même que celle du Papyrus Golénicheff. Comme la version qu’il porte diffère par certains détails de celle du Papyrus de Berlin, il ne sera pas inutile d’en insérer une traduction complète :

On me fit construire une pyramide en pierre – dans le cercle des pyramides. – Les tailleurs de pierre taillèrent le tombeau – et en devisèrent les murs ; – les dessinateurs y dessinèrent, – le chef des sculpteurs y sculpta, – le chef des travaux qui se font à la nécropole parcourut le pays pour tout le mobilier – dont je garnis ce tombeau. – Je lui assignai des paysans, – et il eut des domaines, des champs au voisinage de la ville – comme on fait aux Amis du premier rang. – il y eut une statue d’or à la jupe de vermeil – que me firent à moi les fils du roi, – se réjouissant de faire cela pour moi ; – car je fus dans les faveurs de par le roi, – jusqu’à ce que vint le jour où on aborde à l’autre rive.

C’est fini heureusement en paix.

Le second Ostracon est conservé au Musée du Caire, et il a été ramassé, le 6 février 1886, dans la tombe de Sannozmou, à Thèbes. C’est une pièce de calcaire, brisée en deux morceaux, longue d’un mètre, haute de vingt centimètres en moyenne, couverte d’assez gros caractères hiératiques ponctués à l’encre rouge et divisés en paragraphes, comme c’est le cas dans la plupart des manuscrits de l’époque des Ramessides. Au dos, deux lignes malheureusement presque illisibles contiennent un nom que je n’ai pas réussi à déchiffrer, probablement le nom du scribe qui écrivit notre texte. La cassure n’est pas récente. Le calcaire a été brisé au moment de la mise au tombeau, et cette exécution ne s’est pas accomplie sans dommages : quelques éclats de la pierre ont disparu et ils ont emporté des fragments de mots avec eux. La plupart de ces lacunes peuvent se combler sans peine. Le texte est très incorrect, comme celui des ouvrages destinés à l’usage des morts. Beaucoup des variantes qu’il renferme proviennent de mauvaises lectures du manuscrit original : le scribe ne savait pas lire avec exactitude les écritures archaïques et il les transcrivait au hasard. L’Ostracon a été publié une première fois, avec transcription en hiéroglyphes et traduction française, par :

G. Maspero, Les premières lignes des Mémoires de Sinouhît, restituées d’après l’Ostracon 27419 du musée de Boulaq, avec deux planches de fac-similé, dans les Mémoires de l’Institut égyptien, in-4°, t. II, p. 1-23 ; tirage à part, in-40, avec titre spécial et la mention Boulaq, 1886, reproduit dans les Études de Mythologie et d’Archéologie Égyptiennes, t. IV, p. 281-305.

Il a été décrit et fac-similé depuis lors dans le Catalogue Général du Musée du Caire, par :

G. Daressy, Ostraca, in-4°, 1901, pl. XLI et p. 46-47, où il porte le numéro nouveau 25218.

Le texte complet des Mémoires, restitué pour la première fois, il y a vingt ans, dans la seconde édition de ces Contes, a été depuis lors traduit en anglais par :

W. Flinders Petrie, Egyptian Tales, 1895, Londres, in-12°, t. I, p. 97-142 ;

F. Ll. Griffith, Egyptian Literature, dans les Specimen Pages of a Library of the World’s best Literature, 1898, New-York, in-4°, p. 5238-5249 ;

Puis en allemand par

A. Erman, Aus den Papyrus der Königlichen Museen, 1899, Berlin, in-8°, p. 14-29, qui a inséré aussi la transcription en hiéroglyphes de plusieurs passages dans son Ægyptische Grammatik, 1re édit., 1894, p. 17-18, et dans son Ægyptische Chrestomathie, 1904, p. 1-11.

A. Wiedemann, Altægyptische Sagen und Mærchen, in-8°, Leipzig, 1906, p. 34-57.

Alan H. Gardiner, die Erzählung des Sinuhe und die Hirtengeschichte, in-f°, Leipzig, 1909, p. 9-15.

Gardiner a refait, presque aussitôt après l’apparition de ce volume, une traduction anglaise, avec notes critiques et commentaire perpétuel, qu’il a donnée au Recueil de Travaux (1910, t. XXXIII, p. 1-28, 214-230, 1911, t. XXXIII, p. 67-94, etc.,) sous le titre Notes on the Story of Sinuhe, avec tirage à part, comprenant un Index, chez Champion, in-4°, Paris.

Enfin une édition critique du texte avec introduction et glossaire a été essayée par :

G. Maspero, les Mémoires de Sinouhît (forme le tome Ier de la Bibliothèque d’Étude), 1906, in-4°, le Caire, LI-184 p.

La découverte des premières lignes nous a permis de reconstituer l’itinéraire que Sinouhît suivit dans sa fuite. Il quitta le camp établi dans la région libyenne, au pays des Timihou, en d’autres termes, il partit d’un point du désert occidental, traversa le canal Maouiti, le canal des deux Vérités, c’est-à-dire la partie du Bahr-Yousouf, qui, dépassant l’entrée du Fayoum, allait rejoindre le Nil près de Terranéh en longeant la montagne. Il pénétra dans la vallée près d’une localité appelée Nouhît, le Sycomore. D’après Brugsch (Dictionnaire géographique, p. 53), Nouhît serait la Panaho des Coptes, l’Athribis des Grecs, aujourd’hui Benha-el-Assal. Cette identification tombe a priori puisque Nouhît est mentionnée au début même du voyage, c’est-à-dire sur la rive occidentale du Nil, et que Benha est sur la rive orientale. J’avais d’abord considéré le Sycomore comme une manière de désigner l’Égypte entière, mais on connaît depuis longtemps une Nouhît ou Pa-nabît-nouhît, qui paraît n’avoir été d’abord qu’un bourg voisin de Memphis, puis dont le nom s’appliqua à Memphis même (Brugsch, Dictionnaire géographique, p. 330-332). Le Sycomore est probablement ce Quartier du Sycomore consacré à Hathor comme toutes les localités où l’on rencontrait un sycomore sacré : peut-être même le nom du héros, Sinouhît, signifie-t-il le fils de la déesse Sycomore, analogue à Sihathor, le fils d’Hathor. De Nouhît le récit de la fuite le mène à Shi-Sanafrouî ou Aî-Sanafrouî. Le Lac-Sanafrouî ou l’Île-Sanafrouî n’est pas connu d’ailleurs, mais Brugsch le rapproche du nome Myekphoritès d’Hérodote (III, CLXVI), grâce à une prononciation Mouî-hik-Snofrou qu’auraient eue, dit-il, les signes dont se compose le nom (Dict. géog., p. 54). La place que ce bourg occupe dans l’itinéraire me porte à le chercher entre le désert Libyque, Memphis et le Nil, à une journée de marche environ de la ville de Nagaou, peut-être à proximité des pyramides de Gizéh ou d’Abou-Roâsh. Le soir venu, Sinouhît franchit le Nil au voisinage de Nagaou, vers Embabéh probablement, et il reprend sa route en passant à l’orient du canton d’laoukou. C’est le pays des tailleurs de pierre, toute la région des carrières qui s’étend de Tourah jusqu’au désert, le long du Gebel Ahmar, la Montagne rouge, et peut-être doit-on penser que le lieu dit Harouît-nabît-Douou-doshir, « la déesse Firmament dame de la Montagne Rouge » est plus spécialement la pointe du Gebel-Giyouchi. De là, Sinouhît se rend à pied jusqu’à l’un des postes fortifiés qui protégeaient l’Égypte de ce côté, entre Abou-Zabel et Belbéis, mais plus loin il ne mentionne plus que Pouteni et Qamouêri. Brugsch identifie Pouteni à un pays de Pât, qu’il a rencontré sur un monument d’époque saïte, et dont la ville de Belbéis indiquerait le centre (Dict. géog., p. 54-55). La grande stèle ptolémaïque découverte par M. Naville à Tell-el-Maskhouta, fournit quelques éléments pour déterminer exactement la position de Qamouêri. Elle renferme un nom, Qamouêr, que M. Naville a identifié, non sans raison, avec la Qamouêri des Mémoires de Sinouhît (The Store-City of Pithom and the Route of the Exodus, p. 21-22). Ptolémée Philadelphe construisit en cet endroit la ville qu’il appela Arsinoé d’après sa sœur, et qui devint un des entrepôts du commerce de l’Égypte avec la Mer Rouge. M. Naville place Arsinoé, et, par conséquent, Qamouêri, près d’el-Maghfâr, au fond même de l’ancien golfe de Suez. Ce site conviendrait bien à notre récit : après avoir quitté Pouteni, Sinouhît se serait enfoncé dans le désert, vers le nord-est, et il se serait perdu dans les sables, en essayant d’atteindre Qamouêri.

Au delà de ce point, les localités qu’il traverse et dans lesquelles il séjourne ont été étudiées par Maspero (Notes sur quelques points de Grammaire et d’Histoire, dans le Recueil, t. XVII, p. 142) et par Isidore Lévy (Lotanu-Lotan, dans Sphinx, t. IX, p. 76-86), qui s’accordent à les placer dans le désert sinaïtique. Tout d’abord, Sinouhît aborde deux contrées, dont le nom a été interprété de manière différente et a donné déjà lieu à des discussions nombreuses. Le premier, lu par moi avec doute Souanou, a été transcrit Kapouna par Gardiner (Eine neue Handschrift des Sinuhegedichtes, p. 7, 8 et Notes on the Story of Sinuhe dans le Recueil, t. XXXII, p. 21-23), puis identifié par lui avec la ville de Byblos : j’ai exposé (Mémoires de Sinouhît, p. XLII-XLIV) les raisons qui m’empêchent d’accepter la lecture et l’identification proposées. Le second nom, déchiffré Edimâ, Edoumâ, par Chabas, avait été identifié avec l’Idumée (les Papyrus de Berlin, p. 39, 75-76) ; aujourd’hui, on le lit Kadimâ, Kedem. L’auteur dit que c’était un canton du Tonou supérieur, et un scribe contemporain de Thoutmôsis III l’a mis à côté de Mageddo (Max Müller, Egyptological Researches, t. II, p. 81 et 82). Le Tonou devait renfermer au moins l’espace compris entre la Mer Morte et la péninsule sinaïtique, mais il ne serait pas besoin de reculer plus avant vers le nord de la Syrie, si la version Tonou était une faute pour Hatonou ; le Latonou, ainsi que Max Müller l’a dit le premier (Asien und Europa, p. 211 ; cfr. Isidore Lévy, Lotanu-Lotân, p. 72 sqq.) et qu’Alan Gardiner le maintient avec force (Eine neue Handschrift des Sinuhegedichtes, p. 8, die Erzählung des Sinuhe, p. 10, note 4), aurait été à l’origine un canton voisin de celui du Kharou, les Horites. Le prince de Tonou ou de Lotanou donne au héros égyptien un district, Aàà ou plutôt Aîa, dont le nom désignait une espèce de plante, l’Arundo-Isiaca selon Loret (Saccharum Ægyptiacum, dans Sphinx, t. VIII, p. 157-158). Max Müller l’a retrouvé à la suite de Mageddo et en avant de Qadimâ dans la liste de Thoutmôsis III (Egyptological Researches, t. II, p. 81 et 82). Est-ce l’Aiah de la Genèse (xxxvI, 24), neveu de Lotân-Lotanou, et par suite un canton du Sinaï (Maspero, Notes sur quelques points, dans le Recueil, t. XVII, p. 142) ? Sinouhît y resta des années, en rapport avec les nomades archers, Saatiou ; au retour, il fut reçu par la garnison égyptienne d’un poste-frontière, Hariou-Horou, les chemins d’Horus. Erman (die Horuswege, dans la Zeitschrift, t. XLIII, p. 72-73), a montré qu’à l’époque ptolémaïque on donnait ce nom à la marche orientale du Delta – Khont-abti, – et que c’était une désignation mythologique de la localité qui, dans la géographie politique, s’appelait Zarou. C’est un emprunt au mythe d’Horus : Horus, lancé à la poursuite de Set Typhon, aurait passé par l’Ouady-Toumilàt et lui aurait laissé son nom. Sinouhît se serait transporté d’Ismaïliah à Dahchour, où la cour résidait.

Un romancier anglais, Guy Boothby, a fait de la fuite de Sinouhît le point de départ d’une nouvelle à tendances théosophiques : elle est intitulée A professor of Egyptology.

*

* *

Le prince héréditaire, l’homme du roi, l’Ami unique[424], le chacal, administrateur des domaines du Souverain et son lieutenant chez les Bédouins, le connu du roi en vérité et qui l’aime, le serviteur Sinouhît[425], dit :

Moi, je suis le suivant qui suit son maître, le serviteur du harem royal de la princesse héréditaire, la favorite suprême, l’épouse royale de Sanouosrît dans Khnoumisouîtou, la fille royale d’Amenemhaît dans Qanofir, Nofrît[426], la dame de féauté. L’an XXX, le troisième mois d’Iakhouît[427], le 7, le dieu entra en son double horizon, le roi Sahotpiabourîya s’élança au ciel,[428] s’unissant au disque solaire, et les membres du dieu s’absorbèrent en celui qui les avait créés. Or le palais était en silence, les cœurs endeuillés ; la double Grande Porte était scellée, les courtisans restaient accroupis la tête aux genoux et le peuple se lamentait lui aussi. Or, sa majesté v. s. f. avait dépêché une armée nombreuse au pays des Timihou[429], et son fils aîné, le dieu bon, Sanouosrît, v. s. f., en était le chef. Il avait été envoyé pour frapper les pays étrangers et pour réduire les Tihonou en esclavage, et maintenant il revenait, il amenait des prisonniers vivants faits chez les Timihou et toute sorte de bestiaux sans nombre. Les Amis du Sérail, v. s. f. mandèrent des gens du côté de l’Occident, pour informer le fils du roi des affaires qui leur étaient survenues au Palais, v. s. f.[430]. Les messagers le trouvèrent en route, et ils l’atteignirent à la nuit : jamais il ne tarda moins. Le faucon s’envola avec ses serviteurs[431], sans rien faire savoir à l’armée ; on manda aux fils royaux qui étaient avec cette armée de ne l’annoncer à personne de ceux qui étaient là. Or moi, j’étais là, j’entendis sa voix tandis qu’il parlait, alors que je m’éloignais, mon cœur se fendit, les bras me tombèrent, la peur s’abattit sur tous mes membres, je me dérobai en tours et en détours pour chercher une place où me cacher[432] ; me glissant entre deux buissons, afin de m’écarter de la route battue[433], je cheminai vers le sud, mais je ne songeai pas à revenir au Palais, car j’imaginais que la guerre y avait déjà éclaté[434]. Sans dire un souhait de vie pour ce palais, je traversai le canal Maouîti au lieu dit du Sycomore[435]. J’atteignis l’Île Sanafrouî et j’y passai la journée dans un champ, puis je repartis à l’aube et je voyageai : un homme qui se tenait à l’orée du chemin me demanda merci, car il avait peur. Vers le temps du souper, j’approchai de la ville de Nagaou, je traversai l’eau sur un chaland sans gouvernail, grâce au vent d’Ouest, et je passai à l’Orient, par le canton des Carrières dans le lieu dit déesse Harouît-nabît-douou-doshir, puis faisant route à pied vers le Nord, je gagnai la Muraille du prince, qui a été construite pour repousser les Saatiou et pour écraser les Nomiou-shâîou ; je me tins courbé dans un buisson, de peur d’être vu par le gardien qui guette sur la courtine du mur en son jour. Je me mis en route à la nuit, et le lendemain à l’aube, j’atteignis Pouteni et je me reposai à l’Île Qamouêri. Alors la soif elle tomba et elle m’assaillit ; je défaillis, mon gosier râla, et je me disais déjà : « C’est le goût de la mort ! » quand je relevai mon cœur et je rassemblai mes membres ; j’entendais la voix forte d’un troupeau. Les Bédouins m’aperçurent, et un de leurs cheikhs[436] qui avait séjourné en Égypte me reconnut ; voici qu’il me donna de l’eau et me fit cuire du lait, puis j’allai avec lui dans sa tribu et ils me rendirent le service de me passer de contrée en contrée. Je partis pour Souânou, je gagnai le Kadimâi, et j’y demeurai un an et demi.

Ammouianashi, qui est le prince du Tonou supérieur[437], me manda et me dit : « Tu te trouves bien chez moi, car tu y entends le parler de l’Égypte ». Il disait cela parce qu’il savait qui j’étais et qu’il avait entendu parler de mon talent ; des Égyptiens qui se trouvaient dans le pays avec moi lui avaient rendu témoignage sur moi[438]. Voici donc ce qu’il me dit : « Qu’est-ce que la raison pourquoi tu es venu ici ? Qu’y a-t-il ? Se serait-il produit un voyage à l’horizon dans le palais du roi des deux Égyptes Sahotpiabourîya[439], sans qu’on ait su ce qui s’est passé à cette occasion ? » Je lui répondis avec astuce : « Oui certes, quand je revins de l’expédition au pays des Timihou, quelque chose me fut répété ; mon cœur se déroba, mon cœur il ne fut plus dans mon sein, mais il m’entraîna sur les voies du désert. Je n’avais pas été blâmé, personne ne m’avait craché à la face, je n’avais entendu aucune vilenie et mon nom n’avait pas été entendu dans la bouche du Héraut ! Je ne sais pas ce qui m’amena en ce pays ; ce fut comme un dessein de Dieu ! » – « Qu’en sera-t-il de cette terre d’Égypte sans ce dieu bienfaisant dont la terreur se répand chez les nations étrangères, comme Sokhît[440] en une année de peste ? » Je lui dis ma pensée et je lui répondis[441] : « Dieu nous délivre ! son fils est entré au palais et il a appris l’héritage de son père. Il est un dieu qui certes n’a point de seconds : aucun n’est devant lui. Il est un maître de sagesse, prudent en ses desseins, bienfaisant en ses décrets, sur l’ordre de qui l’on va et l’on vient. C’était déjà lui qui domptait les régions étrangères, tandis que son père restait dans l’intérieur de son palais, et il rendait compte à celui-ci de ce que celui-ci avait décidé qui se ferait. Il est le fort qui certes travaille de son glaive, un vaillant qui n’a point son semblable, quand on le voit qui s’élance contre les barbares et qui entre dans la mêlée. C’en est un qui joue de la corne et qui rend débiles les mains des ennemis : plus ne peuvent ses ennemis remettre l’ordre dans leurs rangs. Il est le châtieur qui défonce les fronts : nul n’a tenu devant lui. Il est le coureur rapide qui détruit le fuyard : il n’y a plus d’asile à atteindre pour qui lui a montré le dos. Il est le cœur ferme à l’instant du choc. Il est celui qui revient sans cesse à la charge et qui jamais n’a tourné le dos. Il est le cœur solide qui, lorsqu’il voit les multitudes, ne laisse point la lassitude entrer dans son cœur. Il est le brave qui se lance en avant, quand il voit la résistance. Il est celui qui se réjouit quand il fond sur les barbares : il saisit son bouclier, il culbute l’adversaire, il n’a jamais redoublé son coup, lorsqu’il tue, mais il n’y a personne qui puisse détourner sa lance, personne qui puisse tendre son arc ; les barbares fuient, car ses deux bras sont forts comme les âmes de la grande déesse[442]. Combattant il ne sait plus s’arrêter, il ne garde rien, il ne laisse rien subsister. Il est le bien-aimé, le très charmant, qui a conquis l’amour, et sa cité l’aime plus que soi-même ; elle se réjouit en lui plus qu’en son propre dieu, et hommes et femmes s’en vont exultant à son sujet. Il est le roi qui a gouverné dès l’œuf[443] et il a porté des diadèmes depuis sa naissance ; il est celui qui a fait multiplier ses contemporains[444], et il est l’un que le dieu nous a donné et par qui cette terre se réjouit d’être gouvernée. Il est celui qui élargit et les frontières ; il prendra les pays du Midi et il ne songe pas aux pays du Nord. Il a été créé pour frapper les Saatiou et pour écraser les Nomiou-shâîou[445]. S’il envoie ici une expédition, puisse-t-il connaître ton nom en bien et que nulle malédiction de toi n’arrive à Sa Majesté ! Car il ne cesse jamais de faire le bien à la contrée qui lui est soumise ? » Le chef de Tonou me répondit : « Certes, l’Égypte est heureuse puisqu’elle connaît la verdeur de son prince ! Quant à toi, puisque tu es ici, reste avec moi, et je te ferai du bien ! » Il me mit avant ses enfants, il me maria avec sa fille aînée, et il accorda que je choisisse pour moi, dans son pays, parmi le meilleur de ce qu’il possédait sur la frontière d’un pays voisin. C’est une terre excellente, Aîa[446] de son nom. Il y a des figues en elle et des raisins ; le vin y est en plus grande quantité que l’eau, abondant y est le miel, l’huile à plentée, et toutes sortes de fruits y sont sur ses arbres : on y a de l’orge et du froment sans limites, et toute espèce de bestiaux. Et de grands privilèges me furent conférés quand le prince vint à mon intention et qu’il m’installa prince d’une tribu du meilleur de son pays. J’eus du pain pour ordinaire et du vin pour chaque jour, de la viande bouillie, de la volaille pour rôti, plus le gibier du pays, car on le chassait pour moi et on me le présentait en outre de ce que rapportaient mes propres chiens de chasse. On me faisait beaucoup de gâteaux[447] et du lait cuit de toute manière. Je passai des années nombreuses ; mes enfants devinrent des forts, chacun maîtrisant sa tribu : Le messager qui descendait au Nord ou qui remontait au Sud vers l’Égypte, il s’arrêtait chez moi, car j’accueillais bien tout le monde, je donnais de l’eau à l’altéré, je remettais en route le voyageur égaré, je sauvais le pillé. Les Bédouins[448] qui s’enhardissaient jusqu’à résister aux princes des pays, je dirigeais leurs mouvements, car ce prince de Tonou, il accorda que je fusse pendant de longues années le général de ses soldats. Tout pays contre lequel je marchais, quand je me précipitais sur lui, on tremblait dans les pâturages aux bords de ses puits ; je prenais ses bestiaux, j’emmenais ses vassaux et j’enlevais leurs esclaves, je tuais ses hommes[449]. Par mon glaive, par mon arc, par mes marches, par mes plans bien conçus, je gagnai le cœur de mon prince et il m’aima quand il connut ma vaillance, il me fit le chef de ses enfants quand il vit la verdeur de mes bras.

Un fort de Tonou vint, il me défia dans ma tente : c’était un héros qui n’avait point de seconds, car il avait vaincu Tonou tout entier. Il disait qu’il lutterait avec moi, il se proposait de me dépouiller, il déclarait hautement qu’il prendrait mes bestiaux à l’instigation de sa tribu. Ce prince en délibéra avec moi et je dis : « Je ne le connais point, je ne suis certes pas son allié, qui ai libre accès à sa tente ; est-ce que j’ai jamais ouvert sa porte ou forcé ses clôtures ? C’est pure jalousie, parce qu’il me voit qui fais tes affaires. Dieu nous sauve, je suis tel le taureau au milieu de ses vaches, lorsque fond sur lui un jeune taureau du dehors afin de les prendre pour lui. Est-ce qu’un mendiant plaît lorsqu’il passe chef ? Il n’y a nomade qui s’associe volontiers à un fellah du Delta, car comment transplanter un fourré de joncs à la montagne ? Est-ce qu’il est un taureau amoureux de bataille, un taureau d’élite qui aime à rendre coup pour coup, et qui craint de trouver qui l’égale ? Alors, s’il a le cœur à combattre, qu’il dise l’intention de son cœur ! Dieu ignore-t-il ce qu’il a décidé à son sujet ou s’il en est ainsi, comment le savoir[450] ? » Je passai la nuit à bander mon arc, à dégager mes flèches, à donner du jeu à mon poignard, à fourbir mes armes. À l’aube, le pays de Tonou accourut ; il avait réuni ses tribus, convoqué tous les pays voisins, car il avait prévu ce combat. Quand le fort vint, je me dressai, je me mis en face de lui : tous les cœurs brûlaient pour moi, hommes et femmes poussaient des cris, tout cœur était anxieux à mon sujet, et on disait « Y a-t-il véritablement un autre champion assez fort pour pouvoir lutter contre lui ? » Voici, il prit son bouclier, sa lance, sa brassée de javelines. Quand je lui eus fait user en vain ses armes et que j’eus écarté de moi ses traits si bien qu’ils frappèrent la terre sans qu’un seul d’entre eux tombât près de l’autre, il fondit sur moi ; alors je déchargeai mon arc contre lui, et quand mon trait s’enfonça dans son cou, il s’écria et il s’abattit sur le nez. Je l’achevai avec sa propre hache, je poussai mon cri de victoire sur son dos, et tous les Asiatiques crièrent de joie ; je rendis des actions de grâces à Montou[451] tandis que ses gens se lamentaient sur lui, et ce prince, Ammouianashi[452], me serra dans ses bras. Voici donc, j’emportai les biens du vaincu, je saisis ses bestiaux, ce qu’il avait désiré me faire à moi, je le lui fis à lui : je pris ce qu’il y avait dans sa tente, je pillai son douar et je m’en enrichis, j’arrondis mon trésor et j’accrus le nombre de mes bestiaux.

Ainsi donc, le dieu s’est montré gracieux pour celui à qui on avait reproché d’avoir fui en terre étrangère, si bien qu’aujourd’hui son cœur est joyeux. Un fugitif s’était enfui en son temps, et maintenant on me rend bon témoignage à la cour d’Égypte. Un traînard se traînait péniblement mourant de faim, et maintenant je donne du pain à mon prochain. Un pauvre hère avait quitté son pays tout nu, et moi, je suis éclatant de vêtements de fin lin. Quelqu’un faisait ses courses lui-même faute d’avoir qui envoyer, et moi, je possède des serfs nombreux. Ma maison est belle, mon domaine large, on se souvient de moi au palais du roi. Ô vous tous, dieux qui m’avez prédestiné à fuir, soyez-moi gracieux, ramenez-moi au palais, par chance accordez-moi de revoir le lieu où mon cœur séjourne ! Quel bonheur, si mon corps reposait un jour au pays où je suis né[453] ! Allons, que désormais la bonne fortune me dure ; que le dieu me donne sa paix, qu’il agisse ainsi qu’il convient pour la fin de l’homme qu’il avait peiné, qu’il soit compatissant envers qui il força de vivre sur la terre étrangère. N’est-il pas aujourd’hui apaisé ? Qu’il écoute celui qui prie au loin, et qu’il se tourne vers l’homme qu’il a terrassé et vers le lieu d’où il l’a amené[454]. Que le roi de l’Égypte me soit favorable pour que je vive de ses dons, et que j’administre les biens de la régente de la Terre qui est dans son palais[455], et que j’entende les messages de ses enfants. Ah ! que mes membres se rajeunissent, car maintenant que la vieillesse vint, la faiblesse m’a envahi, mes deux yeux sont lourds, mes bras pendent, mes jambes refusent le service, mon cœur s’arrête : le trépas s’approche de moi, et bientôt on m’emmènera aux villes éternelles[456], pour que j’y suive la Dame de tout[457] ! Ah ! puisse-t-elle me dire les beautés de ses enfants, et passer l’éternité à côté de moi[458] !

Lors donc qu’on eut parlé à la majesté du roi Khopirkéourîya[459], à la voix juste[460], de ces affaires qui me concernaient, Sa Majesté daigna m’envoyer un message avec des présents de la part du roi pour mettre dans la joie le serviteur qui vous parle[461], comme ceux qu’on donne aux princes de tous les pays étrangers, et les Infants[462] qui sont dans son palais me firent tenir leurs messages.

 

COPIE DE L’ORDRE QU’ON APPORTA AU SERVITEUR
ICI PRÉSENT AU SUJET DE SON RAPPEL EN ÉGYPTE

 

« L’Horus, vie des naissances, le maître des diadèmes du Nord et du Sud, vie des naissances, le roi de la haute et de la basse Égypte, KHOPIRKÉRÎYA, fils du Soleil, AMENEMHAÎT[463], vivant à toujours et à jamais !

« Ordre du roi pour le serviteur Sinouhît ! Voici, cet ordre du roi t’est apporté pour t’instruire de sa volonté[464] :

« Tu as parcouru les pays étrangers, sortant de Kadimâ vers Tonou, et chaque pays t’a passé à l’autre, et cela rien que sur le conseil de ton cœur à toi. Qu’est-ce que tu as obtenu par là qu’on te fasse ? Tu ne peux plus maudire[465] car on ne tient aucun compte de tes paroles ; tu ne peux plus parler dans le conseil des notables, car tes discours sont mis de côté. Et pourtant cette position que ton cœur a prise elle n’est pas due à une mauvaise volonté de ma part contre toi. Car cette reine, ton ciel, qui est dans le palais, elle dure, elle est florissante encore aujourd’hui, sa tête est exaltée parmi les royautés de la terre, et ses enfants sont dans la partie réservée du palais[466]. Tu jouiras des richesses qu’ils te donneront et tu vivras de leurs largesses.

« Quand tu seras venu en Égypte et que tu verras la résidence où tu vivais, prosterne-toi face contre terre devant la Sublime Porte, et joins-toi aux Amis[467]. Car aujourd’hui, voici que tu t’es mis à vieillir ; tu as perdu la puissance virile et tu as songé au jour de l’ensevelissement, au passage à la Béatitude éternelle. On t’a assigné des nuits parmi les huiles d’embaumement et les bandelettes, par la main de la déesse Taît[468]. On t’a fait ton convoi au jour de l’enterrement, gaine dorée, tête peinte en bleu,[469] un baldaquin au-dessus de toi[470] ; mis dans le corbillard, des bœufs te tireront, des chanteurs iront devant toi, on exécutera pour toi les danses des bateleurs[471] à la porte de ta syringe ; on récitera pour toi les invocations des tables d’offrande[472], on tuera des victimes pour toi auprès de tes stèles funéraires, et ta pyramide sera bâtie en pierre blanche dans le cercle des Infants royaux[473]. Il ne sera pas que tu meures sur la terre étrangère, ni que des Asiatiques te conduisent au tombeau, et que tu sois mis dans une peau de mouton quand on fera ton caveau[474] ; mais il y aura compensation pour l’oppression que tu as « subie sur ton corps, quand tu seras revenu ici[475] ».

Quand cet ordre m’arriva, je me tenais au milieu de ma tribu. Dès qu’il me fut lu, m’étant jeté à plat ventre, je me traînai dans la poussière[476], je la répandis sur ma chevelure, je fis le tour de mon douar, me réjouissant et disant : « Comment se peut-il que pareille chose soit faite au serviteur ici présent, que son cœur a conduit aux pays étrangers, barbares ? Et certes combien c’est chose belle la compassion qui me délivre de la mort ! Car ton double va permettre que j’achève la fin de mon existence à la cour ».

 

COPIE DE L’ACCUSÉ DE RÉCEPTION DE CET ORDRE

 

Le serviteur du harem, Sinouhît, dit : « En paix excellente plus que toute chose ! Cette fuite qu’a prise le serviteur ici présent dans son inconscience, ton double la connaît, Dieu bon, maître des deux Égyptes, ami de Râ, favori de Montou le seigneur de Thèbes. Puissent Amon le seigneur de Karnak, Sovkou[477], Râ, Horus, Hâthor, Toumou[478] et sa Neuvaine de dieux, Soupdou le dieu aux belles âmes, l’Horus du pays d’Orient[479], la royale Uraeus qui enveloppe ta tête[480], les chefs qui président à l’inondation, Minou-Horus qui réside dans les contrées étrangères[481], Ouarourît dame du Pouanît[482], Nouît[483], Haroêris-Râ[484], que tous les dieux de l’Égypte et des îles de la Très Verte[485], donnent la vie et la force à ta narine ; qu’ils te fournissent de leurs largesses, qu’ils te donnent le temps sans limites, l’éternité sans mesure, si bien qu’on se répète la crainte que tu inspires sur tous les pays de plaine et de montagne, et que tu domptes tout ce que le disque du soleil entoure dans sa course ! C’est la prière que le serviteur ici présent fait pour son seigneur, qui là délivré du tombeau !

Le maître de sagesse qui connaît les hommes l’a connue en la Majesté du Souverain, quand le serviteur ici présent craignait de la dire, tant c’était chose grave de l’énoncer[486]. Mais le Dieu grand, l’image de Râ, rend habile celui qui travaille pour lui-même, et le serviteur ici présent lui est soumis, et il est sous sa volonté ; car Ta Majesté est Horus[487], et la puissance de tes bras s’étend jusque sur tous les pays !

« Or donc, que Ta Majesté donne ordre d’amener Mâki de Kadimâ, Khentiâoush de Khonti-Kaoushou[488], Menous des deux pays des Soumis[489], qui sont princes dont le nom est sans tache et qui t’aiment, sans qu’on leur ait jamais rien reproché, car Tonou est à toi comme tes chiens. Car cette fuite qu’a prise le serviteur ici présent, il ne l’a pas prise consciemment, elle n’était pas dans mes intentions ; je ne l’avais pas préméditée et je ne sais pas ce qui m’arracha du lieu où j’étais. Ce fut comme un rêve, comme lorsqu’un homme d’Athou se voit à Iabou,[490] ou un homme de la glèbe dans le désert de Nubie[491]. Je n’avais rien à redouter, nul ne me poursuivait, je n’avais entendu aucune vilenie, et mon nom n’avait jamais été dans la bouche du héraut, et pourtant mes membres tressautèrent, mes jambes s’élancèrent, mon cœur me guida, le Dieu qui me prédestinait à cette fuite me tira, car moi, je n’en suis pas un qui redresse l’échine et l’individu est craint que son propre pays connaît bien. Or Râ a donné que ta crainte règne sur la terre d’Égypte, que ta terreur soit sur toute terre étrangère. Moi donc, que je sois dans le palais ou que je sois ici, c’est toi qui peux voiler mon horizon ; le soleil se lève à ton gré, l’eau du fleuve, qui te plaît la boit, la brise du ciel, qui tu dis la respire. Moi, le serviteur ici présent je laisserai mes fonctions que moi, le serviteur ici présent, j’ai eues en cette place. Que ta Majesté fasse comme il lui plaît : car on vit de l’air que tu donnes, c’est l’amour de Râ, d’Horus, d’Hâthor, que ta narine auguste, et c’est le don de Montou, maître de Thèbes, qu’elle vive éternellement ».

Quand on fut venu me chercher moi le serviteur[492], ici présent, je célébrai un jour de fête dans Aîa pour remettre mes biens à mes enfants ; mon fils aîné fut chef de ma tribu, si bien que ma tribu et tous mes biens furent à lui, mes serfs, tous mes bestiaux, toutes mes plantations, tous mes dattiers. Moi donc, ce serviteur ici présent, je m’acheminai vers le Sud, et quand j’arrivai aux Hariou-Horou[493], le général qui est là avec les garde-frontières manda un message au palais pour en donner avis. Sa Majesté envoya un excellent directeur des paysans de la maison du roi, et, avec lui, des navires de charge pleins de cadeaux de la part du roi pour les Bédouins qui étaient venus à ma suite afin de me conduire à Hariou-Horou. Je leur dis adieu à chacun par son nom ; puis comme il y avait là des artisans de toute sorte appliqués chacun à son travail, je démarrai, je mis à la voile, et on brassa, on passa la bière[494] pour moi jusqu’à ce que j’arrivai à la ville royale de Taîtou-taoui[495]. Quand la terre s’éclaira au matin suivant, on vint m’appeler : dix hommes vinrent et dix hommes allèrent pour me mener au palais. Je touchai la terre du front entre les sphinx[496], puis, les Infants royaux qui se tenaient debout dans le corps de garde me vinrent à l’encontre, les Amis qui ont charge de mener au Salon hypostyle me conduisirent au logis du roi[497]. Je trouvai Sa Majesté sur la grande estrade dans l’embrasure de Vermeil[498], et je me jetai sur le ventre, et je perdis connaissance devant lui. Ce Dieu m’adressa des paroles aimables, mais je fus comme un individu qui est pris dans le crépuscule : mon âme défaillit, mes membres se dérobèrent, mon cœur ne fut plus dans ma poitrine, et je connus quelle différence il y a entre la vie et la mort. Sa Majesté dit à l’un de ces Amis « Lève-le et qu’il me parle ! » Sa Majesté dit : « Te voilà donc qui viens, après que tu as couru les pays étrangers et que tu as pris la fuite. L’âge t’a attaqué, tu as atteint la vieillesse, ce n’est point petite affaire que ton corps puisse désormais être enseveli, sans que les barbares t’ensevelissent. Ne récidive pas de ne point parler quand on t’interpellera ! » J’eus peur du châtiment, et je répondis par une réponse d’homme apeuré : « Que m’a dit mon maître ? Ah ! je lui réponds ceci : « Ce ne fut pas mon fait, ce fut la main de Dieu. La crainte qui est à présent dans mon sein est comme celle qui produisit la fuite fatale[499]. Me voici devant toi : tu es la vie ; que ta Majesté agisse à son plaisir ! »

On fit défiler les Infants Royaux, et Sa Majesté dit à la Reine : « Voilà Sinouhît qui vient semblable à un Asiatique, comme un Bédouin qu’il est devenu ». Elle poussa un très grand éclat de rire et les Infants royaux s’esclaffèrent tous à la fois. Ils dirent en face de Sa Majesté : « Non, il ne l’est pas en vérité, Souverain, mon maître ! » Sa Majesté dit : « Il l’est en vérité ! » Alors ils prirent leurs crotales[500], leurs sceptres[501], leurs sistres, puis voici ce qu’ils dirent à Sa Majesté : « Tes deux mains soient pour le bien, ô roi, toi sur qui posent durablement les parures de la Dame du Ciel[502] ; la déesse d’or donne la vie à ta narine, se joint à toi la Dame des astres, le diadème du Sud descend et son diadème du Nord remonte le courant, unis solidement par la bouche de ta Majesté, et l’uræus est à ton front. Tu as écarté du mal les sujets, car Râ t’est favorable, ô maître des deux pays ! On t’acclame comme on acclame la Maîtresse de tout,[503] ta corne est rude, ta flèche détruit. Donne que respire celui qui est dans l’oppression ! Accorde-nous cette faveur insigne que nous te demandons, pour ce cheikh Simihît[504], le Bédouin qui est né en Tomouri ! S’il a fui, c’est par la crainte de toi ; la face ne blêmit-elle pas qui voit ta face et l’œil n’a-t-il pas peur qui t’a contemplé ? » Sa Majesté dit : « Qu’il ne craigne plus, qu’il ne crie pas la terreur ! Il sera un Ami de ceux qui sont parmi les prudhommes, et qu’on le mette parmi les gens du cercle royal[505]. Allez avec lui au Logis Royal, lui enseignant la place qu’il doit occuper ! »

Lorsque je sortis du Logis Royal, les Infants me donnèrent la main, et nous nous rendîmes ensuite à la double grande porte[506]. On m’assigna la maison d’un Fils Royal, avec ses richesses, avec sa salle de bain, avec ses décorations célestes et son ameublement venu de la double maison blanche, étoffes de la garde-robe royale et parfums de choix ; il y avait dans chaque maison des artisans royaux choisis parmis les notables qu’il aime, chacun pratiquant son métier[507]. Éloignant les années de mes membres, je me rasai, je me peignai ma chevelure[508], je laissai la crasse aux pays étrangers et leurs vêtements aux Nomiou-shâîou[509] ; puis, je m’habillai de fin lin, je me parfumai d’essences fines, je couchai dans un lit, et je laissai le sable à ceux qui y vivent, l’huile d’arbre à ceux qui s’en frottent[510]. On me donna la maison qui convient à un propriétaire foncier et qui avait appartenu à un Ami ; beaucoup de briquetiers travaillèrent à la bâtir, toutes les charpentes en furent refaites à neuf, et l’on m’apporta des friandises du palais, trois fois, quatre fois par jour, en plus de ce que les Infants me donnaient sans jamais un instant de cesse. On me fonda une pyramide en pierre au milieu des pyramides funéraires[511] ; le chef des carriers de Sa Majesté en choisit le terrain, le chef des gens au collier en dessina la décoration, le chef des sculpteurs la sculpta, les chefs des travaux qu’on exécute dans la nécropole parcoururent la terre d’Égypte à cette intention[512]. Toute sorte de mobilier fut placé dans les magasins, et on y mit tout ce qu’il fallait. On m’institua des prêtres de double[513], on m’y fit un appareil funèbre. Je donnai le mobilier, faisant les agencements nécessaires dans la pyramide même, puis je donnai des terres et j’y instituai un domaine funéraire[514] avec des terres en avant de la ville[515], comme on fait aux Amis du premier rang ; ma statue fut lamée d’or avec une jupe de vermeil, et ce fut Sa Majesté qui la fit faire. Ce n’est pas un homme du commun à qui on en eût fait autant, mais je fus dans la faveur du roi jusqu’à ce que vînt pour moi le jour du trépas. – C’est fini du commencement jusqu’à la fin, comme ç’a été trouvé dans le livre.

LE NAUFRAGÉ

(XIIe DYNASTIE)

Le Papyrus qui nous a conservé ce conte appartient au Musée égyptien de l’Ermitage impérial, à Saint-Pétersbourg. Il a été découvert en 1880 par Woldemar Golénicheff, et signalé par lui à l’attention des savants qui prirent part au cinquième Congrès international des Orientalistes à Berlin, en 1881. Il n’en édita pas le texte, mais il en publia la traduction en français.

Sur un ancien conte égyptien. Notice lue au Congrès des Orientalistes à Berlin, par W. Golénicheff, 1881, sans nom d’éditeur, grand in-8°, 21 p. Imprimerie de Breitkopf et Härtel, à Leipzig. Elle a été insérée dans les Verhandlungen des 5ten Internationalen Orientalisten Congresses, Berlin, 1882, 2tes Theil, Erste Hælfte, Afriranische Section, p. 100-122. C’est elle que j’avais reproduite dans les deux premières éditions de cet ouvrage, en la modifiant légèrement sur quelques points, et c’est d’après elle qu’ont été exécutées la traduction russe de Wladimir Stasow, Jegipetskajaskarka otkrytaja w Petersburgskom Ermitaze (Un conte égyptien découvert à l’Ermitage de Saint-Pétersbourg), dans la revue Westnik Jewropy (les Messagers d’Europe), 1882, t. I, p. 580-602, et les deux traductions anglaises que Griffith en a données dans :

W. Flinders Petrie, Egyptian Tales, 1895, Londres, in-12°, t. I, p. 81-96.

F. Ll. Griffith, Egyptian Literature, dans Specimen Pages of a Library of the best World’s Literature, 1898, New-York, in-4°, p. 5233-5236.

Depuis lors, Golénicheff en a inséré une traduction dans son Catalogue du Musée de l’Ermitage, 1891, Saint-Pétersbourg, in-8°, p. 177-182.

Une traduction portugaise en a été esquissée, avec une étude sur le texte, par Francisco Maria Estevez Pereira, O Naufrago, Conte Egipcio, extrait de la revue O Instituto, t. XLVIII, in 4°, Coimbre, Imprensa da Universidade, 23 p.

Enfin, Golénicheff lui-même a édité une transcription hiéroglyphique du texte avec traduction française et commentaire :

W. Golénicheff, le Papyrus hiératique de Saint-Pétersbourg, dans le Recueil de Travaux, 1906, t. XXVIII, p. 73-112, tirage à part in-4°de 40 pages, chez Champion, 1906, et une édition critique en hiéroglyphes avec introduction et Glossaire, dans la Bibliothèque d’Étude de l’institut français d’Archéologie Orientale du Caire, sous le titre Le Conte du Naufragé, in-4°, Caire, 1911.

C’est d’après la transcription de Golénicheff, collationnée sur des photographies de l’original, qu’ont été imprimées une transcription hiéroglyphique et une traduction allemande d’Adolf Erman, die Geschichte des Schiffbrüchigen, dans la Zeitschrift, 1906, t. XLIII, p. 1-26, et une simple traduction allemande de A. Wiedemann, Altægyptische Sagen und Mærchen ; 1906, Leipzig, in-8°, p. 25-33.

L’examen de quelques passages difficiles a été fait et des hypothèses relatives à l’origine du conte ont été émises par Maspero, Notes sur le Conte du Naufragé, dans le Recueil, 1907, t. XXIX, p. 106-109, par Kurt Sethe, Bemerkungen zur Geschichte des Schiffbrüchigen, dans la Zeitschrift, 1907, t. XLIV, p. 80-88, et par Alan H. Gardiner, Notes on the Tale of the Shipwrecked Sailor, 1908, t. XLV, p. 60-66.

On ne sait ni où le manuscrit a été trouvé, ni comment il vint en Russie, ni à quelle époque il entra au Musée de l’Ermitage. Il n’était pas encore ouvert en 1880, et, sans la curiosité intelligente de M. Golénicheff, il attendrait encore dans les tiroirs qu’on voulût bien le dérouler. Il est de la même écriture que les Papyrus 1-4 de Berlin, et il remonte comme eux aux temps antérieurs à la XVIIIe dynastie. Il compte cent quatre-vingt-neuf colonnes verticales et lignes horizontales de texte ; il est complet du commencement et de la fin, et intact à quelques mots près. La langue en est claire, élégante, le type net et bien formé ; c’est à peine si l’on rencontre çà et là quelques termes de déchiffrement difficile ou quelques formes grammaticales ambiguës. Il est appelé à devenir classique pour l’égyptien de son temps, aussi complètement que le Conte des deux Frères l’est pour celui de la XIXe dynastie.

L’auteur a conçu son roman comme un de ces rapports que les officiers égyptiens adressaient à leur maître, et dont plusieurs ont été reproduits, entre autres, dans les tombeaux des princes d’Éléphantine de la VIe Dynastie. L’un des subordonnés de l’explorateur celui-là même peut-être qui est supposé avoir écrit le rapport, vient annoncer à son chef que le vaisseau est arrivé en Égypte, auprès de l’endroit où la cour réside, et il l’invite à prendre ses précautions avant de se présenter au Pharaon. Comme le navire sur lequel l’expédition était partie a été perdu en route, le chef, recueilli par le navire qui l’amène, sera certainement examiné de près, et condamné si l’on reconnaît que le désastre est dû à une faute grave de sa part : c’est ainsi qu’en pareil cas, nos officiers de marine sont cités devant un conseil de guerre. Le scribe, pour le rassurer sur le résultat de l’enquête, lui racontait qu’il avait su se tirer d’affaire à son avantage dans une circonstance analogue. Sethe pense que la scène se passe à Éléphantine, et par suite que la cour résidait en cet endroit (Bemerkungen, dans la Zeitschrift, 1908, t. XLIV, p. 81-82), ce qui conduit Gardiner à se demander si nous n’aurions pas ici un reste d’un cycle de contes éléphantites (Notes on the Tale of the Shipwrecked Sailor, dans la Zeitschrift, 1908, t. XLIV, p. 60, 899).

*

* *

Le Serviteur habile dit : « Sain soit ton cœur, mon chef, car voici, nous sommes arrivés au pays : on a pris le maillet, on a enfoncé le pieu, l’amarre a été mise à terre, on a poussé l’acclamation, on a adoré le dieu[516], et chacun d’embrasser son camarade, et la foule de nous crier : « Bonne venue ! » Sans qu’il nous manque de nos soldats, nous avons atteint les extrémités du pays d’Ouaouaît, nous avons passé devant Sanmouît[517], et nous, maintenant, nous voici revenus en paix, et notre pays nous y arrivons ! Écoute-moi, mon prince, car je n’exagère rien. Lave-toi, verse l’eau sur tes doigts, puis réponds quand tu seras invité à parler, parle au roi de tout ton cœur, réponds sans te déconcerter, car si la bouche de l’homme le sauve, sa parole lui fait voiler le visage[518]. Agis selon les mouvements de ton cœur, et que ce soit un apaisement ce que tu diras[519].

« Or, je te ferai le conte d’une aventure semblable qui m’est arrivée à moi-même, lorsque j’allai aux mines du Souverain, et que je descendis en mer sur un navire de cent cinquante coudées de long sur quarante coudées de large. Il portait cent cinquante matelots de l’élite du pays d’Égypte, qui avaient vu le ciel, qui avaient vu la terre, et qui étaient plus hardis de cœur que des lions[520]. Ils avaient décidé que le vent ne viendrait pas, que le désastre ne se produirait pas, mais le vent éclata tandis que nous étions au large, et, avant même que nous eussions joint la terre, la brise fraîchit et elle souleva une vague de huit coudées. Une planche, je l’arrachai ; quant au navire il périt, et de ceux qui le montaient il n’en resta pas un seul. Moi donc, j’abordai à une île et ce fut grâce à un flot de mer. Je passai trois jours seul, sans autre compagnon que mon cœur, et la nuit je me couchai dans un creux d’arbre et j’embrassai l’ombre, puis le jour j’allongeai les jambes à la recherche de quoi mettre dans ma bouche. Je trouvai là des figues et du raisin, des poireaux magnifiques, des baies et des graines, des melons à volonté, des poissons, des oiseaux ; il n’y avait chose qui ne s’y trouvât. Donc, je me rassasiai, et je laissai à terre le superflu dont mes mains étaient chargées : je fabriquai un allume-feu, j’allumai un feu[521], et je fis un holocauste aux dieux[522].

« Voici que j’entendis une voix tonnante, et je pensai : « C’est une vague de mer ! » Les arbres craquèrent, la terre trembla[523], je dévoilai ma face et je connus que c’était un serpent qui venait, long de trente coudées, avec une queue grande de deux coudées ; son corps était incrusté d’or, ses deux sourcils étaient de lapis vrai, et il était plus parfait encore de côté que de face. Il ouvrit la bouche contre moi, tandis que je restais sur le ventre devant lui, il me dit : « Qui t’a amené, qui t’a amené, vassal, qui t’a amené ? Si tu tardes à me dire qui t’a amené dans cette île, je te ferai connaître, réduit en cendres, ce que c’est que devenir invisible ». – « Tu me parles et je ne t’entends pas, je suis devant toi sans connaissance[524] ». Puis il me prit dans sa bouche, il me transporta à son gîte et il m’y déposa sans que j’eusse du mal ; j’étais sain et sauf et rien de mes membres ne m’avait été enlevé.

« Lors donc qu’il eut ouvert la bouche, tandis que je restais sur le ventre devant lui, voici qu’il me dit : « Qui t’a amené, qui t’a amené, vassal, en cette île de la mer dont les deux rives, sont baignées des flots[525] ? » Je lui répondis ceci les mains pendantes devant lui[526], et je lui dis : « C’est moi qui descendais aux mines, en mission du Souverain, sur un navire de cent cinquante coudées de long sur quarante de large ; il portait cent cinquante matelots de l’élite du pays d’Égypte, qui avaient vu le ciel, qui avaient vu la terre, et qui étaient plus hardis de cœur que des lions. Ils avaient décidé que le vent ne viendrait pas, que le désastre ne se produirait pas ; chacun d’eux était hardi de cœur et fort de bras plus que ses compagnons, et il n’y avait point de lâches parmi eux. Or le vent éclata tandis que nous étions au large, et avant que nous eussions joint la terre, la brise fraîchit, elle souleva une vague de huit coudées. Une planche, je l’arrachai ; quant au navire, il périt, et de ceux qui le montaient, il n’en resta pas un excepté moi seul, et maintenant me voici près de toi. Moi donc j’abordai dans cette île et ce fut grâce à un flot de la mer ».

« Il me dit : « Ne crains pas, ne crains pas, vassal, ne crains pas et n’attriste pas ton visage ! Si tu arrives à moi, c’est que Dieu a permis que tu vécusses, et il t’a amené à cette Ile de Double[527] où il n’y a chose qui ne se trouve, et qui est remplie de toutes les bonnes choses. Voici, tu passeras mois sur mois jusqu’à ce que tu aies séjourné quatre mois dans cette île, puis un navire viendra du pays avec des matelots que tu connais ; tu iras avec eux au pays et tu mourras dans ta ville[528]. C’est joie de raconter ce qu’on a goûté, passées les tristesses : je te ferai le conte exact de ce qu’il y a dans cette île. J’y suis avec mes frères et mes enfants, au milieu d’eux : nous sommes au nombre de soixante-quinze serpents, mes enfants et mes frères, et encore je ne mentionne pas une jeune fille qui m’a été amenée par art magique[529]. Car une étoile étant tombée[530], ceux qui étaient dans le feu avec elle en sortirent, et la jeune fille parut, sans que je fusse avec les êtres de la flamme, sans que je fusse au milieu d’eux, sans quoi je serais mort de leur fait, mais je la trouvai ensuite parmi les cadavres, seule[531]. Si tu es brave et que ton cœur soit fort, tu serreras tes enfants sur ton sein, tu embrasseras ta femme[532], tu verras ta maison, ce qui vaut mieux que tout, tu atteindras le pays et tu y seras au milieu de tes frères ! » Alors je m’allongeai sur mon ventre, je touchai le sol devant lui, et je lui dis : « Je décrirai tes âmes[533] au Souverain, je lui ferai savoir ta grandeur, et je te ferai porter du fard, du parfum d’acclamation[534], de la pommade, de la casse, de l’encens des temples, dont on se gagne la faveur de tout dieu. Je conterai ensuite ce qui m’est arrivé et ce que j’ai vu par tes âmes, et on t’adorera dans ta ville en présence des prud’hommes de la Terre-Entière : j’égorgerai pour toi des taureaux pour les passer au feu, j’étranglerai pour toi des oiseaux, et je te ferai amener des navires chargés de toutes les richesses de l’Égypte, comme on fait à un dieu, ami des hommes dans un pays lointain que les hommes ne connaissent point ». Il rit de moi pour ce que je disais, et à cause de ce qu’il avait dans son cœur, il me dit : « N’as-tu pas ici sous tes yeux beaucoup de myrrhe, et tout ce qu’il y a ici c’est de l’encens ; car, moi, je suis le souverain du pays de Pouanît[535], et j’ai de la myrrhe ; seul, ce parfum d’acclamation que tu parles de m’envoyer, il n’est pas abondant en cette île. Mais il adviendra que, sitôt éloigné de cette place, plus jamais tu ne reverras cette île, qui se transformera en flots[536] ».

« Et voilà, le navire vint ainsi qu’il avait prédit d’avance ; j’allai donc, je me juchai sur un arbre élevé et je reconnus ceux qui y étaient[537]. J’allai ensuite lui communiquer cette nouvelle, mais je trouvai qu’il la savait déjà, car il me dit : « Bonne chance, bonne chance, vassal, vers ta demeure, vois tes enfants et que ton nom soit bon dans ta ville ; voilà mes souhaits pour toi ! » Lors je m’allongeai sur le ventre, les mains pendantes devant lui, et lui, il me donna des cadeaux de myrrhe, de parfum d’acclamation, de pommade, de casse, de poivre, de fard, de poudre d’antimoine, de cyprès, une quantité d’encens, de queues d’hippopotames, de dents d’éléphants, de lévriers, de cynocéphales, de girafes, de toutes les richesses excellentes[538]. « Je chargeai le tout sur ce navire, puis je m’étendis sur le ventre et j’adorai le serpent. Il me dit : « Voici que tu arriveras au pays, en deux mois, tu presseras tes enfants sur ton sein et, par la suite, tu iras te rajeunir dans ton tombeau ». Et voici, je descendis au rivage à l’endroit où était ce navire et j’appelai les soldats qui se trouvaient dans ce navire. Je rendis des actions de grâces sur le rivage au maître de cette île, et ceux du navire en firent autant.

« Nous revînmes au Nord, à la résidence du Souverain, nous arrivâmes au palais le deuxième mois, conformément à tout ce que le serpent avait dit. J’entrai devant le Souverain et je lui présentai ces cadeaux que j’avais apportés de cette île, et il m’adora en présence des prud’hommes de la Terre-Entière. Voici qu’on fit de moi un serviteur et que j’eus comme récompense de beaux esclaves. Abaisse ton regard sur moi, maintenant que j’ai rejoint la terre d’Égypte ; après que j’ai vu et que j’ai goûté ces épreuves. Écoute-moi, car voici, il est bon aux hommes d’écouter[539] » Le prince me dit : « Ne fais pas le malin, mon ami ! Qui donc donne de l’eau à une oie la veille du jour où on doit l’égorger ? » – C’est fini, du commencement jusqu’à la fin, ainsi qu’il a été trouvé en écrit. Qui l’a écrit, c’est le scribe aux doigts habiles Amâouni-Amanâou, v. s. f.

COMMENT THOUTÎYI PRIT LA VILLE DE JOPPÉ

(XXe DYNASTIE)

Les restes de ce conte couvrent les trois premières pages subsistantes du Papyrus Harris n° 500, où ils précèdent immédiatement le Conte du Prince prédestiné. Comme le Conte du Prince prédestiné, ils furent découverts en 1874 par Goodwin, qui les prit pour les débris d’un récit historique, et qui fit part de sa découverte à là Société d’Archéologie biblique (séance du 3 mars 1874)

Goodwin, Translation of a Fragment of an historical Narrative relating to the reign of Thotmes the Third, dans les Transactions of the Society of Biblical Archæology, 1874, t. III, p. 340-348.

Il a été publié pour la première fois, avec transcription en hiéroglyphes et traduction, par :

Maspero, comment Thoutîi prit la ville de Joppé (Journal asiatique, 1878, sans les trois planches de fac-similé), et dans les Études égyptiennes, 1879, t. I, p. 49-72, avec les planches de fac-similé. Une traduction anglaise s’en trouve dans Flinders Petrie ; Egyptian Tales ; t. II, p. 1-12, et une traduction allemande dans A. Wiedemann, Altægyptische Sagen und Mœrchen, petit in-8°, Leipzig, 1906, p. 112-117.

Le début manque. Au point où nous prenons le récit, trois personnages sont en scène : un officier égyptien appelé Thoutîyi, le prince d’une ville syrienne et son écuyer. Goodwin avait lu Imou ; et identifié avec les Émîm de la Bible (Gen., XIV ; 5 ; Deut., II, 10,11) le nom du pays où se passe la partie de l’action qui nous a été conservée. La forme réelle est Jôpou, ou, avec l’orthographe grecque, Joppé. Cette lecture a été contestée à son tour (Wiedemann, Ægyptische Geschichte, p. 69-70) : elle est cependant certaine, malgré les lacunes du papyrus et la forme cursive de l’écriture (Maspero, Notes sur quelques points de grammaire, dans la Zeitschrift, 1883, p. 90).

Birch, sans repousser entièrement l’authenticité du récit, suggéra qu’il pourrait bien n’être qu’un fragment de conte (Egypt from the earliest Times to B. C. 300, p. 103-104). J’en ai restitué le commencement en partant de l’idée que la ruse de Thoutîyi, outre l’épisode des vases qui rappelle l’histoire d’Ali-Baba dans les Mille et une nuits, était une variante du stratagème que la légende persane attribuait à Zopyre (cf. Introduction, II). Ici, comme dans les restitutions antérieures, je me suis attaché à n’employer que des expressions empruntées à d’autres contes ou à des monuments de bonne époque. Je n’ai pas eu, du reste, la prétention de refaire la partie perdue de l’œuvre ; j’ai voulu simplement esquisser une action vraisemblable, qui permît aux lecteurs étrangers à l’égyptologie de mieux comprendre la valeur du fragment.

*

* *

Il y avait une fois dans la terre d’Égypte un général d’infanterie, Thoutîyi était son nom. Il suivait le roi Manakhpirîya[540], v. s. f., dans toutes ses marches vers les pays du Midi et du Nord[541] ; il se battait à la tête de ses soldats, il connaissait toutes les ruses qu’on emploie à la guerre, et il recevait chaque jour l’or de la vaillance,[542] car c’était un excellent général d’infanterie, et il n’avait point son pareil en la Terre-Entière : voilà ce qu’il faisait.

Et beaucoup de jours après cela, un messager vint du pays de Kharou[543], et on le conduisit en présence de Sa Majesté, v. s. f., et Sa Majesté lui dit : « Qui t’a envoyé vers Ma Majesté ? Pourquoi t’es-tu mis en chemin ? »

Le messager répondit à Sa Majesté, v. s. f. : « C’est le gouverneur du pays du Nord qui m’a envoyé vers toi, disant : Le vaincu de Jôpou[544] s’est révolté contre Sa Majesté, v. s. f., et il a massacré les fantassins de Sa Majesté, v. s. f., aussi ses gens de char, et personne ne peut tenir contre lui ».

Quand le roi Manakhpirîya, v. s. f., entendit toutes les paroles que le messager lui avait dites, il entra en fureur comme un guépard du Midi[545]. « Par ma vie, par la faveur de Râ, par l’amour qu’a pour moi mon père Amon, je détruirai la cité du vaincu de Jôpou, je lui ferai sentir le poids de mon bras ». Il appela ses nobles, ses chefs de guerre, aussi ses scribes magiciens, et il leur répéta le message que le gouverneur des pays du Nord lui avait envoyé. Voici, ils se turent d’une seule bouche, et ils ne surent que répondre ni en bien ni en mal. Et alors Thoutîyi dit à Sa Majesté, v. s. f. : « Ô toi à qui la Terre-Entière rend hommage, commande qu’on me donne la grande canne du roi Manakhpirîya v. s. f., dont le nom est… Tioutnofrît[546] ; commande aussi qu’on me donne des fantassins de Sa Majesté, v. s. f., aussi des gens de char de la fleur des braves du pays d’Égypte, et je tuerai le vaincu de Jôpou, je prendrai sa ville ». Sa Majesté, v. s. f., dit : « C’est excellent, excellent, ce que nous avons dit ». Et on lui donna la grande canne du roi Manakhpirîya v. s. f., et on lui donna les fantassins, aussi les gens de char qu’il avait demandés.

Et beaucoup de jours après cela, Thoutîyi était au pays de Kharou avec ses hommes. Il fit préparer un grand sac de peau où l’on pouvait enfermer un homme, il fit forger des fers pour les pieds et pour les mains, il fit fabriquer une grande paire de fers de quatre anneaux, et beaucoup d’entraves et de colliers en bois, et quatre cents grandes jarres. Quand tout fut terminé, il envoya dire au vaincu de Jôpou : « Je suis Thoutîyi, le général d’infanterie du pays d’Égypte, et j’ai suivi Sa Majesté, v. s. f., dans toutes ses marches vers les pays du Nord et les pays du Sud. Alors, voici, le roi Manakhpirîya, v. s. f., a été jaloux de moi parce que j’étais brave, et il a voulu me tuer ; mais moi je me suis sauvé devant lui, et j’ai emporté la grande canne du roi Manakhpirîya, v. s. f., et je l’ai cachée dans les mannes de fourrage de mes chevaux, et, si tu veux, je te la donnerai, et je serai avec toi, moi et les gens qui sont avec moi de la fleur des braves de l’armée d’Égypte ». Quand le vaincu de Jôpou l’entendit, il se réjouit beaucoup, beaucoup, des paroles que Thoutîyi avait dites, car il savait que Thoutîyi était un brave qui n’avait point son pareil dans la Terre-Entière. Il envoya à Thoutîyi, disant : « Viens avec moi, et je serai pour toi comme un frère, et je te donnerai un territoire choisi dans ce qu’il y a de meilleur au pays de Jôpou[547] ».

Le vaincu de Jôpou sortit de sa ville avec son écuyer et avec les femmes et les enfants de sa cité, et il vint au-devant de Thoutîyi. Il le prit par la main et il l’embrassa et il le fit entrer dans son camp ; mais il ne fit pas entrer les compagnons de Thoutîyi et leurs chevaux avec lui. Il lui donna du pain, il mangea et il but avec lui, il lui dit en manière de conversation : « La grande canne du roi Manakhpirîya[548], comment est-elle ? » Or, Thoutîyi, avant d’entrer dans le camp de la ville de Jôpou, avait pris la grande canne du roi Manakhpirîya, v. s. f. : il l’avait cachée dans le fourrage, et il avait mis le fourrage dans[549] les mannes, et il les avait disposées comme on fait les mannes de fourrage de la charrerie d’Égypte. Or, tandis que le vaincu de Jôpou buvait avec Thoutîyi, les gens qui étaient avec lui s’entretenaient avec les fantassins de Pharaon, v. s. f., et ils buvaient avec eux. Et après qu’ils eurent passé leur heure à boire, Thoutîyi dit au vaincu de Jôpou : « S’il te plaît ! tandis que je demeure avec les femmes et les enfants de ta cité à toi, qu’on fasse entrer mes compagnons avec leurs chevaux pour leur donner la provende, ou bien qu’un Apourou[550] coure à l’endroit où ils sont ! » On les fit entrer ; on entrava les chevaux, on leur donna la provende, on trouva la grande canne du roi Manakhpirîya, v. s. f., on l’alla dire à Thoutîyi.

Et après cela le vaincu de Jôpou dit à Thoutîyi : « Mon désir est de contempler la grande canne du roi Manakhpirîya, v. s. f., dont le nom est… tiout-nofrît. Par le double[551] du roi Manakhpirîya, v. s. f., puisqu’elle est avec toi en ce jour cette grande canne excellente, toi, apporte-la moi ». Thoutîyi fit comme on lui disait ; il apporta la canne du roi Manakhpirîya, v. s. f. Il saisit le vaincu de Jôpou par son vêtement et il se dressa tout debout en disant : « Regarde ici, ô vaincu de Jôpou, la grande canne du roi Manakhpirîya, v. s. f., le lion redoutable, le fils de Sokhît[552], à qui donne Amon son père la force et la puissance ! » Il leva sa main, il frappa à la tempe le vaincu de Jôpou, et celui-ci tomba sans connaissance devant lui. Il le mit dans le grand sac qu’il avait fait préparer avec des peaux. Il saisit les gens qui étaient avec lui, il fit apporter la paire de fers qu’il avait préparée, il en serra les mains du vaincu de Jôpou, et on lui mit aux pieds la paire de fers de quatre anneaux[553]. Il fit apporter les quatre cents jarres qu’il avait fait fabriquer, il y introduisit deux cents soldats ; puis on remplit la panse des trois cents autres de cordes et d’entraves en bois, on les scella du sceau, on les revêtit de leur banne et de l’appareil de cordes nécessaires à les porter, on les chargea sur autant de forts soldats, en tout cinq cents hommes, et on leur dit : « Quand vous entrerez dans la ville, vous ouvrirez les jarres de vos compagnons ; vous vous emparerez de tous les habitants qui sont dans la ville, et vous leur mettrez les liens sur-le-champ ». On sortit pour dire à l’écuyer du vaincu de Jôpou : « Ton maître est tombé ! Va dire à ta souveraine[554] : « Joie ! car Soutekhou[555] nous a livré Thoutîyi avec sa femme et ses enfants ». Voici, on a déguisé sous le nom de butin fait sur eux les deux cents jarres qui sont remplies de gens, de colliers de bois et de liens[556] ».

L’écuyer s’en alla à la tête de ces gens-là pour réjouir le cœur de sa souveraine en disant : « Nous sommes maîtres de Thoutîyi ! » On ouvrit les fermetures de la ville pour livrer passage aux porteurs ; ils entrèrent dans la ville, ils ouvrirent les jarres de leurs compagnons, ils s’emparèrent de toute la ville, petits et grands, ils mirent aux gens qui l’habitaient les liens et les colliers sur le champ. Quand l’armée de Pharaon, v. s. f., se fut emparée de la ville, Thoutîyi se reposa et envoya un message en Égypte au roi Manakhpirîya, v. s. f., son maître, pour dire : « Réjouis-toi ! Amon, ton père, t’a donné le vaincu de Jôpou avec tous ses sujets et aussi sa ville. Viennent des gens pour les prendre en captivité, que tu remplisses la maison de ton père Amourâ, roi des dieux, d’esclaves et de servantes qui soient sous tes deux pieds pour toujours et à jamais ». – Il est fini heureusement ce récit, par l’office du scribe instruit dans les récits, le scribe…

LE CYCLE DE SATNI-KHÂMOÎS

I

L’AVENTURE DE SATNI-KHÂMOÎS AVEC LES MOMIES


Le dernier feuillet de ce conte porte une date de l’an XV d’un roi dont le nom n’a jamais été écrit, mais qui ne peut être que l’un des Ptolémées. Deux manuscrits au moins en existent dont les fragments se trouvent actuellement au Musée du Caire. Le premier a été découvert et publié par Mariette, Les Papyrus du Musée de Boulaq, 1871, t. I, pl. 29-32, d’après un fac-similé d’Émile Brugsch, puis par Krall, Demotische Lesestücke 1897, in-f°, pl. 29-32, d’après l’édition de Mariette collationnée sur l’original. Il se composait de six pages numérotées de 1 à 6 : les deux premières sont perdues et le commencement de toutes les lignes de la troisième fait défaut. Le second manuscrit a été découvert par Spiegelberg parmi des feuillets détachés provenant du Fayoum, et il a été publié par lui dans notre Catalogue, Demotische Denkmäler, 2e partie, die Demotische Papyri, in-4°, 1906, Texte, p. 112-145. Il est fort mutilé et c’est au plus si l’on y distingue quelques phrases suivies, se rapportant aux incidents qui accompagnent la descente de Satni au tombeau de Nénoferképhtah. Le texte du premier manuscrit a été traduit par :

H. Brugsch, Le Roman de Setnau contenu dans un papyrus démotique du Musée égyptien à Boulaq, dans la Revue archéologique, 2e série, t. XVI (sept. 1867), p. 161-179.

Lepage-Renouf, The Tale of Setnau (from the version of Dr Heinrich Brugsch-Bey), dans les Records or the Past, 1875, 1re série, t. IV, p. 129-148.

E. Révillout, Le Roman de Setna, Étude philologique et critique avec traduction mot à mot du texte démotique, introduction historique et commentaire grammatical, Paris, Leroux, 1817-1880, 45, 48, 224 p. in-8°.

G. Maspero, Une page du Roman de Satni, transcrite en hiéroglyphes, dans la Zeitschrift fur Ægyptische Sprache and Atterthumskunde, 1877, p. 132-146, 1878, p. 15-22.

G. Maspero, traduction du conte entier, moins les huit premières lignes du premier feuillet restant, dans le Nouveau fragment de commentaire sur le second livre d’Hérodote, Paris, Chamerot, 1879, in-8°, de la page 22 à la page 46. Lu à l’Association pour l’encouragement des études grecques en France, en mai-juin 1878, publié dans l’Annuaire pour 1878.

H. Brugsch, Setna, ein Altægyptischer Roman, von H. Brugsch-Bey, Kairo-Sendschreiben an D. Heinrich Sachs-Bey zu Kairo, dans la Deutsche Revue, III (1 novembre 1878), p. 1-21.

E. Révillout, Le Roman de Setna, dans la Revue archéologique, 1879. Tirage à part chez Didier, n-8°, 24 p. et 1 planche.

Jean-Jacques Hess, Der demotische Roman von Stne Ha-m-us, Text, Uebersetzung, Commentar und Glossar, 1888, Leipzig, J.-C. Hinrichs’sche Buchhandlung, 18-205 p.

Flinders Petrie, Egyptian Tales, 1895, Londres, in-12°, t. II, p. 87-141.

F. Ll. Griffith, the Story of Setna, dans les Specimen Pages of the World’s best Literature, 1898, New-York, in-4°, p. 5262-5274.

F. Ll. Griffith, Stories of the High-Priests of Memphis, the Sethon of Herodotus and the Demotic tales of Khamuas, 1900, Oxford, at the Clarendon Press, in-8°, p. x-208.

A. Wiedemam, Altægyptische Sagen und Mærchen, pet. in-8°, 1906, Leipzig, p. 118-146.

Révillout, le Roman dit du Satme Khaemouas, dans la Revue Égyptologique, t. XII, p. 110-112, t. XIII p. 38-43, etc.

La première traduction de Révillout a été popularisée par Rosny, Taboubou, 1892, Paris, in-32, dans la petite collection Guillaume, et l’une des données maîtresses de l’histoire, le retour d’une princesse égyptienne sur la terre pour se venger d’un ennemi, a été utilisée par la romancière anglaise Marie Corelli dans un de ses livres les plus étranges, Ziska Charmezel.

Le nom du scribe qui a écrit notre manuscrit a été signalé par :

J. Krall, Der Name des Schreibers der Chamois-Sage, dans le volume des Études dédiées à M. le professeur Leemans, Leyde, Brill, 1886, in-f°, et lu par lui Ziharpto, mais cette lecture est peu certaine.

Tout le début, jusqu’au point où nous rencontrons le texte du premier manuscrit, est rétabli, autant que possible, avec les formules mêmes employées dans le reste du récit ; j’y ai introduit tant bien que mal l’analyse des détails que Spiegelberg a réussi à extraire du second manuscrit. Une note indique où finit la restitution et où commence ce qui subsiste du conte original.

*

* *

Il y avait une fois un roi, nommé Ousimarès, v. s. f. [557], et ce roi avait un fils nommé Satni-Khâmoîs et le frère de lait[558] de Satni-Khâmoîs s’appelait Inarôs de son nom. Et Satni-Khâmoîs était fort instruit en toutes choses. Il passait son temps à courir la nécropole de Memphis pour y lire les livres en écriture sacrée, et les livres de la Double maison de vie[559], et les ouvrages qui sont gravés sur les stèles et sur les murs des temples ; il connaissait les vertus des amulettes et des talismans, il s’entendait à les composer et à rédiger des écrits puissants, car c’était un magicien qui n’avait point son pareil en la terre d’Égypte[560].

Or, un jour qu’il se promenait sur le parvis du temple de Phtah lisant les inscriptions, voici, un homme de noble allure qui se trouvait là se prit à rire. Satni lui dit « Pourquoi te ris-tu de moi ? » Le noble dit : « Je ne ris point de toi ; mais puis-je m’empêcher de rire quand tu déchiffres ici des écrits qui n’ont aucune puissance ? Si vraiment tu désires lire un écrit efficace, viens avec moi ; je te ferai aller au lieu où est ce livre que Thot a écrit de sa main lui-même, et qui te mettra immédiatement au-dessous des dieux. Les deux formules qui y sont écrites, si tu en récites la première, tu charmeras le ciel, la terre, le monde de la nuit, les montagnes, les eaux ; tu comprendras ce que les oiseaux du ciel et les reptiles disent tous quand ils sont ; tu verras les poissons, car une force divine les fera monter à la surface de l’eau. Si tu lis la seconde formule, encore que tu sois dans la tombe, tu reprendras la forme que tu avais sur la terre ; même tu verras le soleil se levant au ciel, et son cycle de dieux, la lune en la forme qu’elle à lorsqu’elle paraît ». Satni dit : « Par la vie ! qu’on me dise ce que tu souhaites et je te le ferai donner ; mais mène-moi au lieu où est le livre ! » Le noble dit à Satni : « Le livre en question n’est pas mien. Il est au milieu de la nécropole, dans la tombe de Nénoferképhtah, fils du roi Mérénephthis[561], v. s. f. Garde-toi bien de lui enlever ce livre, car il te le ferait rapporter, une fourche et un bâton à la main, un brasier allumé sur la tête ». Sur l’heure que le noble parla à Satni, celui-ci ne sut plus en quel endroit du monde il se trouvait ; il alla devant le roi, et il dit devant le roi toutes les paroles que le noble lui avait dites. Le roi lui dit : « Que désires-tu ? » Il lui dit : « Permets que je descende dans le tombeau de Nénoferképhtah, fils du roi Mérénéphthis v. s. f. Je prendrai Inarôs, mon frère de lait, avec moi, et je rapporterai ce livre ». Il se rendit à la nécropole de Memphis, avec Inarôs, son frère de lait. Ils passèrent trois jours et trois nuits à chercher parmi les tombes qui sont dans la nécropole de Memphis, lisant les stèles de la Double maison de vie, récitant les inscriptions qu’elles portaient ; le troisième jour ; ils connurent l’endroit où reposait Nénoferképhtah. Lorsqu’ils eurent reconnu l’endroit où reposait Nénoferképhtah ; Satni récita sur lui un écrit et, un vide se fit dans la terre, et Satni descendit vers le lieu où était le livre[562].

Ce qu’il y aperçut de prime abord, nous ne le savons point. Il semble d’après le fragment découvert avec Spiegelberg que l’homme rencontré sur le parvis du temple de Phtah n’était autre que Nénoferképhtah lui-même. Celui-ci n’avait sa femme et son fils avec lui dans son tombeau qu’à titre temporaire, mais il désirait les y établir définitivement et il comptait se servir de Satni pour transporter leurs momies de Coptos, où elles étaient enterrées ; dans la nécropole memphite. Satni, trop pressé de descendre dans l’hypogée, n’avait pas accompli tous les rites nécessaires et n’avait pas pu forcer la porte : Nénoferképhtah lui apparut et lui indiqua les sacrifices expiatoires que les Mânes exigeaient. Des corbeaux et des vautours le menèrent en sécurité à l’endroit voulu : au point même où ils se posèrent, une pierre se trouva que Satni souleva aussitôt et qui masquait l’entrée du tombeau[563]. Lorsqu’il y pénétra, voici, il était clair comme si le soleil y entrait, car la lumière sortait du livre et elle éclairait tout alentour[564]. Et Nénoferképhtah n’était pas seul dans la tombe, mais sa femme Ahouri et Maîhêt[565], son fils, étaient avec lui ; car, bien que leurs corps reposassent à Coptos, leur double[566] était avec lui par la vertu du livre de Thot. Et, quand Satni pénétra dans la tombe, Ahouri se dressa et lui dit « Toi, qui es-tu ? » Il dit : « Je suis Satni-Khâmoîs, fils du roi Ousimarès, v. s. f. : je suis venu pour avoir ce livre de Thot, que j’aperçois entre toi et Nénoferképhtah. Donne-le moi, sinon, je te le prendrai de force ». Ahouri dit : « Je t’en prie, ne t’emporte point, mais écoute plutôt tous les malheurs qui me sont arrivés à cause de ce livre dont tu dis : « Qu’on me le donne ! » Ne dis point cela, car à cause de lui, on nous a pris le temps que nous avions à rester sur terre.

« Je m’appelle Ahouri, fille du roi Mérénephthis, v. s. f., et celui que tu vois là, à côté de moi, est mon frère Nénoferképhtah. Nous sommes nés d’un même père et d’une même mère, et nos parents n’avaient point d’autres enfants que nous. Quand vint l’âge de me marier, on m’amena devant le roi au moment de se divertir devant le roi[567] : j’étais très parée, et l’on me trouva belle. Le roi dit : « Voici qu’Ahouri, notre fille, est déjà grande, et le temps est venu de la marier. Avec qui marierons nous Ahouri, notre fille ? » Or, j’aimais Nénoferképhtah mon frère, extrêmement, et je ne désirais d’autre mari que lui[568]. Je le dis à ma mère, elle alla trouver le roi Mérénéphthis, elle lui dit : « Ahouri, notre fille, aime Nénoferképhtah, son frère aîné : marions-les ensemble, comme c’est la coutume ». Quand le roi entendit toutes les paroles que, ma mère avait dites, il dit : « Tu n’as eu que deux enfants, et tu veux les marier l’un avec l’autre ? Ne vaut-il pas mieux marier Ahouri avec le fils d’un général d’infanterie et Nénoferképhtah avec la fille d’un autre général d’infanterie ? » Elle dit : « C’est toi qui me querelles[569] ? Même si je n’ai pas d’enfants après ces deux enfants-là n’est-ce pas la loi de les marier l’un à l’autre ? – Je marierai Nénoferképhtah avec la fille d’un chef de troupes, et Ahouri avec le fils d’un autre chef de troupes, et puisse cela tourner à bien pour notre famille ! » Quand ce fut le moment de faire fête devant Pharaon, voici, on vint me chercher, on m’amena à la fête ; j’étais très troublée et je n’avais plus ma mine de la veille. Or Pharaon me dit : « Est-ce pas toi qui as envoyé vers moi ces sottes paroles : « Marie-moi avec Nénoferképhtah mon frère aîné ? » Je lui dis : « Eh bien ! qu’on me marie avec le fils d’un général d’infanterie, et qu’on marie Nénoferképhtah avec la fille d’un autre général d’infanterie, et puisse cela tourner à bien pour notre famille ! » – Je ris, Pharaon rit, Pharaon dit au chef de la maison royale : « Qu’on emmène Ahouri à la maison de Nénoferképhtah cette nuit même. Qu’on emporte toute sorte de beaux cadeaux avec elle ». Ils m’emmenèrent comme épouse à la maison de Nénoferképhtah, et Pharaon ordonna qu’on m’apportât un grand douaire en or et en argent et tous les gens de la maison royale me les présentèrent. Nénoferképhtah passa un jour heureux avec moi ; il reçut tous les gens de la maison royale, et il dormit avec moi cette nuit même, et il me trouva vierge, et il me connut encore et encore, car chacun de nous aimait l’autre. Quand vint le temps de mes purifications, voici, je n’eus pas de purifications à faire. On l’alla annoncer à Pharaon, et son cœur s’en réjouit beaucoup, et il fit prendre toute sorte d’objets précieux sur les biens de la maison royale, et il me fit apporter de très beaux cadeaux en or, en argent, en étoffes de fin lin. Quand vint pour moi le temps d’enfanter, j’enfantai ce petit enfant qui est devant toi. On lui donna le nom de Maîhêt, et on l’inscrivit sur les registres de la Double maison de vie[570].

« Et beaucoup de jours après cela, Nénoferképhtah, mon frère, semblait n’être sur terre que pour se promener dans la nécropole de Memphis, récitant les écrits qui sont dans les tombeaux des Pharaons, et les stèles des scribes de la Double maison de vie[571], ainsi que les écrits qui sont tracés sur elles, car il s’intéressait aux écrits extrêmement. Après cela, il y eut une procession en l’honneur du dieu Phtah, et Nénoferképhtah entra au temple pour prier. Or tandis qu’il marchait derrière la procession, déchiffrant les écrits qui sont sur les chapelles des dieux, un vieillard l’aperçut et rit. Nénoferképhtah lui dit : « Pourquoi te ris-tu de moi ? » Le prêtre dit : « Je ne me ris point de toi ; mais puis-je m’empêcher de rire, quand tu lis ici des écrits qui n’ont aucune puissance ? Si vraiment tu désires lire un écrit, viens à moi, je te ferai aller au lieu où est ce livre que Thot écrivit de sa main[572], lui-même, lorsqu’il vint ici bas à la suite des dieux. Les deux formules qui y sont écrites, si tu récites la première, tu charmeras le ciel, la terre, le monde de la nuit, les montagnes, les eaux ; tu comprendras ce que les oiseaux du ciel et les reptiles disent, tous quants ils sont ; tu verras les poissons de l’abîme, car une force divine posera sur l’eau au-dessus d’eux. Si tu lis la seconde formule, encore que tu sois dans la tombe, tu reprendras la forme que tu avais sur terre ; même tu verras le soleil se levant au ciel avec son cycle de dieux, et la lune en la forme qu’elle a lorsqu’elle paraît[573] ». Nénoferképhtah dit au prêtre « Par la vie du roi ! qu’on me dise ce que tu souhaites de bon, et je te le ferai donner si tu me mènes au lieu où est ce livre ». Le prêtre dit à Nénoferképhtah : « Si tu désires que je t’envoie au lieu où est ce livre, tu me donneras cent pièces d’argent[574] pour ma sépulture, et tu me feras faire deux cercueils[575] de prêtre riche ».

« Nénoferképhtah appela un page et il commanda qu’on donnât les cent pièces d’argent au prêtre puis il lui fit faire les deux cercueils qu’il désirait ; bref, il accomplit tout ce que le prêtre avait dit. Le prêtre dit à Nénoferképhtah : « Le livre en question est au milieu de la mer de Coptos[576], dans un coffret de fer. Le coffret de fer est dans un coffret de bronze ; le coffret de bronze est dans un coffret de bois de cannelier[577] ; le coffret de bois de cannelier est dans un coffret d’ivoire et d’ébène ; le coffret d’ivoire et d’ébène est dans un coffret d’argent ; le coffret d’argent est dans un coffret d’or, et le livre est dans celui-ci[578]. Et il y a un schœne[579] de serpents, de scorpions et de toute sorte de reptiles autour du coffret dans lequel est le livre, et il y a un serpent immortel[580] enroulé autour du coffret en question ».

« Sur l’heure que le prêtre parla à Nénoferképhtah, celui-ci ne sut plus en quel endroit du monde il se trouvait. Il sortit du temple, il s’entretint avec moi de tout ce qui lui était arrivé, il me dit : « Je vais à Coptos, j’en rapporterai ce livre, puis je ne m’écarterai plus du pays du Nord ». Or, je m’élevai contre le prêtre, disant « Prends garde à Amon pour toi-même, à cause de ce que tu as dit à Nénoferképhtah. Car tu m’as amené la querelle, tu m’as apporté la guerre, et le pays de Thébaïde, je le trouve hostile à mon bonheur[581] ». Je levai ma main vers Nénoferképhtah pour qu’il n’allât pas à Coptos, mais il ne m’écouta pas, il alla devant Pharaon, et il dit devant Pharaon toutes les paroles que le prêtre lui avait dites. Pharaon lui dit : « Quel est le désir de ton cœur ? » Il lui dit : « Qu’on me donne la cange royale tout équipée. Je prendrai Ahouri, ma sœur, et Maîhêt, son petit enfant, au midi, avec moi ; j’apporterai ce livre et je ne m’écarterai plus d’ici ». On lui donna la cange tout équipée, nous nous embarquâmes sur elle, nous fîmes le voyage, nous arrivâmes à Coptos. Quand on l’annonça aux prêtres d’Isis de Coptos et au supérieur des prêtres d’Isis, voici qu’ils descendirent devant nous : ils se rendirent sans tarder au-devant de Nénoferképhtah, et leurs femmes descendirent au-devant de moi[582].

« Nous débarquâmes et nous allâmes au temple d’Isis et d’Harpocrate. Nénoferképhtah fit venir un taureau, une oie, du vin, il présenta une offrande et une libation devant Isis de Coptos et Harpocrate ; puis on nous emmena dans une maison, qui était fort belle et pleine de toute sorte de bonnes choses. Nénoferképhtah passa cinq jours à se divertir avec les prêtres d’Isis de Coptos, tandis que les femmes des prêtres d’Isis de Coptos se divertissaient avec moi[583]. Arrivé le matin de notre jour suivant, Nénoferképhtah fit apporter de la cire pure en grande quantité devant lui : il en fabriqua une barque[584] remplie de ses rameurs et de ses matelots, il récita un grimoire sur eux, il les anima ; il leur donna la respiration ; il les jeta à l’eau[585]. Il remplit la cange royale de sable, il prit congé de moi[586], il s’embarqua et je m’installai moi-même sur la mer de Coptos, disant : « Je saurai ce qu’il lui arrive ! »

« Il dit : « Rameurs, ramez pour moi jusques au lieu où est ce livre », et ils ramèrent pour lui, la nuit comme le jour. Quand il y fut arrivé en trois jours, il jeta du sable devant lui et un vide se produisit dans le fleuve. Lorsqu’il eut trouvé un schœne de serpents, de scorpions et de toute sorte de reptiles autour du coffret où se trouvait le livre, et qu’il eut reconnu un serpent éternel autour du coffret lui-même, il récita un grimoire sur le schœne de serpents, de scorpions et de reptiles qui était autour du coffret et il les rendit immobiles[587]. Il vint à l’endroit où le serpent éternel se trouvait, il fit assaut avec lui, il le tua : le serpent revint à la vie et reprit sa forme de nouveau. Il fit assaut avec le serpent une seconde fois, il le tua : le serpent revint encore à la vie. Il fit assaut avec le serpent une troisième fois, il le coupa en deux morceaux, il mit du sable entre morceau et morceau : le serpent mourut, et il ne reprit point sa forme d’auparavant[588]. Nénoferképhtah alla au lieu où était le coffret, et il reconnut que c’était un coffret de fer. Il l’ouvrit, et il trouva un coffret de bronze. Il l’ouvrit, et il trouva un coffret en bois de cannelier. Il l’ouvrit, et il trouva un coffret d’ivoire et d’ébène. Il l’ouvrit, et il trouva un coffret d’argent. Il l’ouvrit, et il trouva un coffret d’or. Il l’ouvrit, et il reconnut que le livre était dedans. Il tira le livre en question hors le coffret d’or et il récita une formule de ce qui y était écrit : il enchanta le ciel, la terre, le monde de la nuit, les montagnes, les eaux ; il comprit tout ce que disaient les oiseaux du ciel, les poissons de l’eau, les quadrupèdes de la montagne. Il récita l’autre formule de l’écrit et il vit le soleil qui montait au ciel avec son cycle de dieux, la lune levante, les étoiles en leur forme ; il vit les poissons de l’abîme, car une force divine posait sur l’eau au-dessus d’eux. Il récita un grimoire sur l’eau et il lui fit reprendre sa forme première. Il s’embarqua de nouveau ; il dit aux rameurs : « Ramez pour moi jusques au lieu où est Ahouri ». Ils ramèrent pour lui, la nuit comme le jour. Quand il fut arrivé à l’endroit où j’étais, en trois jours, il me trouva assise près la mer de Coptos : je ne buvais ni ne mangeais, je ne faisais chose du monde, j’étais comme une personne arrivée à la Bonne Demeure[589]. Je dis à Nénoferképhtah : « Par la vie du roi ! donne que je voie ce livre, pour lequel nous avons pris toutes ces peines ». Il me mit le livre en main. Je lus une formule de l’écrit qui y était : j’enchantai le ciel, la terre, le monde de la nuit, les montagnes, les eaux ; je compris tout ce que disaient les oiseaux du ciel, les poissons de l’abîme, les quadrupèdes. Je récitai l’autre formule de l’écrit : je vis le soleil qui apparaissait au ciel avec son cycle de dieux, je vis la lune levante et toutes les étoiles du ciel en leur forme. Je vis les poissons de l’eau, car il y avait une force divine qui posait sur l’eau au-dessus d’eux. Comme je ne savais pas écrire, je le dis à Nénoferképhtah, mon frère aîné, qui était un scribe accompli et un homme fort savant ; il se fit apporter un morceau de papyrus vierge, il y écrivit toutes les paroles qu’il y avait dans le livre, il l’imbiba de bière, il fit dissoudre le tout dans de l’eau. Quand il reconnut que le tout était dissous, il but et il sut tout ce qu’il y avait dans l’écrit[590].

« Nous retournâmes à Coptos le jour même, et nous nous divertîmes devant Isis de Coptos et Harpocrate. Nous nous embarquâmes, nous partîmes, nous parvînmes au nord de Coptos, la distance d’un schœne. Or voici, Thot avait appris tout ce qui était arrivé à Nénoferképhtah au sujet de ce livre, et Thot ne tarda pas à plaider par devant Râ, disant : « Sache que mon droit et ma loi sont avec Nénoferképhtah, fils du roi Mérénephthis, v. s. f. Il a pénétré dans mon logis, il l’a pillé, il a pris mon coffret avec mon livre d’incantations, il a tué mon gardien qui veillait sur le coffret. ». On[591] lui dit : « Il est à toi, lui et tous les siens, tous ». On fit descendre du ciel une force divine, disant : « Que Nénoferképhtah n’arrive pas sain et sauf à Memphis, lui et quiconque est avec lui ». À cette heure même, Maîhêt, le jeune enfant, sortit de dessous le tendelet de la cange de Pharaon[592] il tomba au fleuve, et, tandis qu’il louait Râ[593], quiconque était à bord poussa un cri. Nénoferképhtah sortit de dessous la cabine ; il récita un grimoire sur l’enfant et il le fit remonter, car il y eut une force divine qui se posa sur l’eau au-dessus de lui. Il récita un grimoire sur lui, il lui fit raconter tout ce qui lui était arrivé, et l’accusation que Thot avait portée devant Râ. Nous retournâmes à Coptos avec lui, nous le fîmes conduire à la Bonne Demeure, nous veillâmes à ce qu’on prît soin de lui, nous le fîmes embaumer comme il convenait à un grand, nous le déposâmes, dans son cercueil, au cimetière de Coptos. Nénoferképhtah, mon frère, dit : « Partons, ne tardons pas de revenir avant que le roi entende ce qui nous est arrivé, et que son cœur soit troublé à ce sujet ». Nous nous embarquâmes, nous partîmes, nous ne tardâmes pas à arriver au nord de Coptos, la distance d’un schœne, à l’endroit où le petit enfant Maîhêt était tombé au fleuve. Je sortis de dessous le tendelet de la cange de Pharaon, je tombai au fleuve, et, tandis que je louai Râ, quiconque était à bord poussa un cri. On le dit à Nénoferképhtah et il sortit de dessous le tendelet de la cange de Pharaon. Il récita un grimoire sur moi et il me fit monter, car il y eut une force divine qui se posa sur l’eau au-dessus de moi. Il me fit retirer du fleuve, il lut un grimoire sur moi, il me fit raconter tout ce qui m’était arrivé et l’accusation que Thot avait portée devant Râ. Il retourna à Coptos avec moi, il me fit conduire à la Bonne Demeure, il veilla à ce qu’on prît soin de moi, il me fit embaumer comme il convenait à quelqu’un de très grand, il me fit déposer dans le tombeau où était déjà déposé Maihêt, le petit enfant. Il s’embarqua, il partit, il ne tarda pas à arriver au nord de Coptes, la distance d’un schœne, à l’endroit où nous étions tombés au fleuve. Il s’entretint avec son cœur, disant : « Ne vaudrait-il pas mieux aller à Coptos et m’y établir avec eux ? Si, au contraire, je retourne à Memphis sur l’heure et que Pharaon m’interroge au sujet de ses enfants, que lui dirai-je ? Pourrai-je lui dire ceci : « J’ai pris tes enfants avec moi vers le nome de Thèbes, je les ai tués et je vis, je reviens à Memphis vivant encore ». Il se fit apporter une pièce de fin lin royal qui lui appartenait, il en façonna une bande magique, il en lia le livre, il le mit sur sa poitrine et il l’y fixa solidement[594]. Nénoferképhtah sortit de dessous le tendelet de la cange de Pharaon, il tomba à l’eau, et, tandis qu’il louait Râ, quiconque était à bord poussa un cri disant : « Ô quel grand deuil, quel deuil lamentable ! N’est-il point parti le scribe excellent, le savant qui n’avait point d’égal ! »

« La cange de Pharaon fit son voyage, avant que personne au monde sût en quel endroit était Nénoferképhtah. Quand on arriva à Memphis, on l’annonça à Pharaon et Pharaon descendit au-devant de la cange : il était en manteau de deuil, et la garnison de Memphis était tout entière en manteaux de deuil, ainsi que les prêtres de Phtah, le grand prêtre de Phtah et tous les gens de l’entourage de Pharaon[595]. Et voici, ils aperçurent Nénoferképhtah qui était accroché aux rames gouvernail de la cange de Pharaon, par sa science de scribe excellent[596] ; on l’enleva, on vit le livre sur sa poitrine, et Pharaon dit : « Qu’on ôte ce livre qui est sur sa poitrine ». Les gens de l’entourage de Pharaon ainsi que les prêtres de Phtah et le grand prêtre de Phtah dirent devant le roi : « Ô notre grand maître – puisse-il avoir la durée de Râ ! – c’est un scribe excellent, un homme très savant que Nénoferképhtah[597] ». Pharaon le fit introduire dans la Bonne Demeure[598] l’espace de seize jours, revêtir d’étoffes l’espace de trente-cinq jours, ensevelir l’espace de soixante-dix jours ; puis on le fit déposer dans sa tombe parmi les demeures de repos.

« Je t’ai conté tous les malheurs qui nous sont arrivés à cause de ce livre dont tu dis : « Qu’on me le donne ! » Tu n’as aucun droit sur lui, car, à cause de lui, on nous a pris le temps que nous avions à rester sur la terre ». Satni dit : « Ahouri, donne-moi ce livre que j’aperçois entre toi et Nénoferképhtah, sinon je te le prends par force ». Nénoferképhtah se dressa sur le lit et dit « N’es-tu pas Satni à qui cette femme a conté tous ces malheurs que tu n’as pas éprouvés ? Ce livre en question, es-tu capable de t’en emparer par pouvoir de scribe excellent[599] ou par ton habileté à jouer contre moi ? Jouons-le à nous deux[600] ». Satni dit : « Je tiens ». Voici qu’on apporta la brette devant eux[601] avec ses chiens, et ils jouèrent à eux deux. Nénoferképhtah gagna une partie à Satni, il récita son grimoire sur lui, il plaça sur lui la brette à jouer qui était devant lui, et il le fit entrer dans le sol jusqu’aux jambes[602]. Il agit de même à la seconde partie, il la gagna à Satni et il le fit entrer dans le sol jusqu’à l’aine. Il agit de même à la troisième partie, et il fit entrer Satni dans le sol jusqu’aux oreilles. Après cela, Satni attaqua Nénoferképhtah de sa main, Satni appela Inarôs, son frère de lait, disant : « Ne tarde pas à remonter sur la terre, raconte tout ce qui m’arrive par devant Pharaon, et apporte-moi les talismans de mon père Phtah[603] ainsi que mes livres de magie ». Il remonta sans tarder sur la terre, il raconta devant Pharaon tout ce qui arrivait à Satni, et Pharaon dit : « Apporte lui les talismans de Phtah, son père, ainsi que ses livres d’incantations ». Inarôs descendit sans tarder dans la tombe ; il mit les talismans sur le corps de Satni et celui-ci s’éleva de terre à l’heure même. Satni porta la main vers le livre et il le saisit ; et quand Satni remonta hors de la tombe, la lumière marcha devant lui et l’obscurité marcha derrière lui[604]. Ahouri pleura après lui, disant : « Gloire à toi, ô l’obscurité ! Gloire à toi, ô la lumière ! Tout s’en est allé, tout ce qu’il y avait dans notre tombeau[605] ». Nénoferképhtah dit à Ahouri : « Ne te tourmente point. Je lui ferai rapporter ce livre par la suite, un bâton fourchu à la main, un brasier allumé sur la tête[606] ». Satni remonta hors du tombeau et il le referma derrière lui, comme il était auparavant. Satni alla par devant Pharaon et il raconta à Pharaon tout ce qui lui était arrivé au sujet du livre. Pharaon dit à Satni « Remets ce livre au tombeau de Nénoferképhtah en homme sage ; sinon il te le fera rapporter, un bâton fourchu à la main, un brasier allumé sur la tête ». Mais Satni ne l’écoutât point ; il n’eut plus d’occupation au monde que de déployer le rouleau, et de lire par devant n’importe qui[607].

*

* *

Après cela, il arriva, un jour que Satni se promenait sur le parvis du temple de Phtah, il vit une femme, fort belle, car il n’y avait femme qui l’égalât en beauté[608] ; elle avait beaucoup d’or sur elle, et il y avait des jeunes filles qui marchaient derrière elle, et il y avait des domestiques au nombre de cinquante-deux avec elle[609]. L’heure que la vit Satni, il ne sut plus l’endroit du monde où il était. Satni appela son page[610], disant : « Ne tarde pas d’aller à l’endroit où est cette femme, et sache quelle est sa condition ». Point ne tarda le jeune page d’aller à l’endroit où était la femme. Il interpella la suivante qui marchait derrière elle, et il l’interrogea, disant : « Quelle personne est-ce ? » Elle lui dit : « C’est Thoubouî, fille du prophète de Bastît, dame d’Ankhoutaoui[611], qui s’en va maintenant pour faire sa prière devant Phtah, le dieu grand ». Quand le jeune homme fut revenu vers Satni, il raconta toutes les paroles qu’elle lui avait dites sans exception. Satni dit au jeune homme : « Va-t’en dire à la suivante ceci : Satni-Khâmoîs, fils du Pharaon Ousimarès, est qui m’envoie, disant : « Je te donnerai dix pièces d’or pour que tu passes une heure avec moi[612]. S’il y a nécessité de recourir à la violence, il le fera et il t’entraînera dans un endroit caché où personne au monde ne te trouvera ». Quand le jeune homme fut revenu à l’endroit où était Thoubouî, il interpella la servante et il parla avec elle : elle s’exclama contre ses paroles, comme si c’était insulte de les dire. Thoubouî dit au jeune homme : « Cesse de parler à cette vilaine fille ; viens et me parle ». Le jeune homme approcha de l’endroit où était Thoubouî, il lui dit : « Je te donnerai dix pièces d’or pour que tu passes une heure avec Satni-Khâmoîs, le fils du Pharaon Ousimarès. S’il y a nécessité de recourir à la violence, il le fera et il t’entraînera dans un endroit caché où personne au monde ne te trouvera ». Thoubouî dit : « Va dire à Satni : « Je suis une hiérodule, je ne suis pas une personne vile. S’il est que tu désires avoir ton plaisir de moi, tu viendras à Bubaste[613] dans ma maison. Tout y sera prêt, et tu feras ton plaisir de moi, sans que personne au monde me devine, et sans que je fasse action d’une fille de la rue ». Quand le page fut revenu auprès de Satni, il lui répéta toutes les paroles qu’elle avait dites sans exception, et celui-ci dit : « Voici qui me satisfait », mais quiconque était avec Satni se mit à jurer.

Satni se fit amener un bateau, il s’y embarqua et il ne tarda pas d’arriver à Bubaste. Il alla à l’occident de la ville, jusqu’à ce qu’il rencontrât une maison qui était fort haute : il y avait un mur tout à l’entour, il y avait un jardin du côté du nord, il y avait un perron sur le devant. Satni s’informa, disant : « Cette maison, la maison de qui est-ce ? » On lui dit : « C’est la maison de Thoubouî ». Satni pénétra dans l’enceinte et il s’émerveilla du pavillon situé dans le jardin[614], tandis qu’on prévenait Thoubouî ; elle descendit, elle prit la main de Satni et elle lui dit « Par la vie ! le voyage à la maison du prêtre de Bastît, dame d’Ankhoutaoui, à laquelle te voici arrivé, m’est fort agréable. Viens en haut avec moi ». Satni se rendit en haut, par l’escalier de la maison ; avec Thoubouî. Il trouva l’étage supérieur de la maison sablé et poudré d’un sable et d’une poudre de lapis-lazuli vrai et de turquoise vraie[615] ; il y avait là plusieurs lits, tendus d’étoffes de lin royal, aussi de nombreuses coupes en or sur le guéridon. On remplit de vin une coupe d’or, on la mit dans la main de Satni, et Thoubouî lui dit : « Te plaise faire ton repas ». Il lui dit : « Ce n’est pas là ce que je veux faire ». Ils mirent du bois parfumé sur le feu, ils apportèrent des odeurs du genre de celles dont on approvisionne Pharaon, et Satni fit un jour heureux avec Thoubouî, car il n’avait jamais encore vu sa pareille. Alors Satni dit à Thoubouî « Accomplissons ce pourquoi nous sommes venus ici ». Elle lui dit : « Tu arriveras à ta maison, celle où tu es. Mais moi, je suis une hiérodule[616], je ne suis pas une personne vile. S’il est que tu désires avoir ton plaisir de moi, tu me feras un acte de nourriture et un acte d’argent sur toutes les choses et sur tous les biens qui sont à toi[617] ». Il lui dit : « Qu’on amène le scribe de l’école ». On l’amena sur l’instant, et Satni fit faire au bénéfice de Thoubouî un acte pour son entretien et il lui constitua par écrit un douaire de toutes les choses, tous les biens qui étaient à lui. Une heure passée, on vint annoncer ceci à Satni : « Tes enfants sont en bas ». Il dit : « Qu’on les fasse monter ». Thoubouî se leva, elle revêtit une robe de lin fin[618] et Satni vit tous ses membres au travers, et son désir alla croissant plus encore qu’auparavant. Satni dit à Thoubouî : « Que j’accomplisse ce pourquoi je suis venu à présent ». Elle lui dit : « Tu arriveras à ta maison, celle où tu es. Mais moi, je suis une hiérodule, je ne suis pas une personne vile. S’il est que tu désires avoir ton plaisir de moi, tu feras souscrire tes enfants à mon écrit, afin qu’ils ne cherchent point querelle à mes enfants au sujet de tes biens ». Satni fit amener ses enfants et il les fit souscrire à l’écrit. Satni dit à Thoubouî : « Que j’accomplisse ce pourquoi je suis venu à présent ». Elle lui dit : « Tu arriveras à ta maison, celle où tu es. Mais moi, je suis une hiérodule, je ne suis pas une personne vile. S’il est que tu désires avoir ton plaisir de moi, tu feras tuer tes enfants, afin qu’ils ne cherchent point querelle à mes enfants au sujet de tes biens ». Satni dit : « Qu’on commette sur eux le crime dont le désir t’est entré au cœur ». Elle fit tuer les enfants de Satni devant lui, elle les fit jeter en bas de la fenêtre aux chiens et aux chats[619], et ceux-ci en mangèrent les chairs, et il les entendit pendant qu’il buvait avec Thoubouî. Satni dit à Thoubouî : « Accomplissons ce pourquoi nous sommes venus ici, car tout ce que tu as dit devant moi, on l’a fait pour toi ». Elle lui dit « Rends-toi dans cette chambre ». Satni entra dans la chambre, il se coucha sur un lit d’ivoire et d’ébène, afin que son amour reçût récompense, et Thoubouî se coucha aux côtés de Satni. Il allongea sa main pour la toucher elle ouvrit sa bouche largement et elle poussa un grand cri.[620]

Lorsque Satni revint à lui, il était dans une chambre de four sans aucun vêtement sur le dos[621]. Une heure passée, Satni aperçut un homme très grand[622], monté sur une estrade, avec nombre de gens sous ses pieds, car il avait la semblance d’un Pharaon. Satni alla pour se lever, mais il ne put se lever de honte, car il n’avait point de vêtement sur le dos. Le Pharaon dit : « Satni, qu’est-ce que cet état dans lequel tu es ? » Il dit : « C’est Nénoferképhtah qui m’a fait faire tout cela ». Le Pharaon dit : « Va à Memphis. Tes enfants, voici qu’ils te désirent, voici qu’ils se tiennent devant Pharaon ». Satni dit devant le Pharaon : « Mon grand maître, le roi, – puisse-t-il avoir la durée de Râ ! – quel moyen d’arriver à Memphis, si je n’ai aucun vêtement du monde sur mon dos ? » Pharaon appela un page qui se tenait à côté de lui, et il lui commanda de donner un vêtement à Satni. Pharaon dit « Satni, va à Memphis. Tes enfants, voici qu’ils vivent, voici qu’ils se tiennent devant le roi[623] ». Satni alla à Memphis ; il embrassa avec joie ses enfants, car ils étaient en vie[624]. Pharaon dit : « Est-ce point l’ivresse qui t’a fait faire tout cela ? » Satni conta tout ce qui lui était arrivé avec Thoubouî et Nénoferképhtah. Pharaon dit : « Satni, je suis déjà venu à ton aide, disant : « On te tuera, à moins que tu ne rapportes ce livre au lieu d’où tu l’as apporté pour toi » ; mais tu ne m’as pas écouté jusqu’à cette heure. Maintenant rapporte le livre à Nénoferképhtah, un bâton fourchu dans ta main, un brasier allumé sur ta tête ». Satni sortit de devant Pharaon, une fourche et un bâton dans la main, un brasier allumé sur sa tête, et il descendit dans la tombe où était Nénoferképhtah. Ahouri lui dit : « Satni, c’est Phtah, le dieu grand, qui t’amène ici sain et sauf ![625] » Nénoferképhtah rit, disant : « C’est bien ce que je t’avais dit auparavant. » Satni se mit causer avec Nénoferképhtah, et il s’aperçut que, tandis qu’ils parlaient, le soleil était dans la tombe entière[626]. Ahouri et Nénoferképhtah causèrent avec Satni beaucoup. Satni dit : « Nénoferképhtah, n’est-ce pas quelque chose d’humiliant que tu demandes ? » Nénoferképhtah dit : « Satni, tu sais ceci, à savoir, Ahouri et Maîhêt, son enfant, sont à Coptos et aussi dans cette tombe, par art de scribe habile. Qu’il te soit ordonné de prendre peine, d’aller à Coptos et de les rapporter ici[627] ».

Satni remonta hors de la tombe ; il alla devant Pharaon, il conta devant Pharaon tout ce que lui avait dit Nénoferképhtah. Pharaon dit : « Satni, va à Coptos et rapporte Ahouri et Maîhêt, son enfant ». Il dit devant Pharaon : « Qu’on me donne le cange de Pharaon et son équipement ». On lui donna la cange de Pharaon et son équipement, il s’embarqua, il partit, il ne tarda pas d’arriver à Coptos. On en informa les prêtres d’Isis de Coptos et le grand prêtre d’Isis : voici qu’ils descendirent au-devant de lui, ils descendirent au rivage. Il débarqua, il alla au temple d’Isis de Coptos et d’Harpocrate. Il fit venir un taureau, des oies, du vin, il fit un holocauste et une libation devant Isis de Coptos et Harpocrate. Il alla au cimetière de Coptos avec les prêtres d’Isis et le grand prêtre d’Isis. Ils passèrent trois jours et trois nuits à chercher parmi les tombes qui sont dans la nécropole de Coptos, remuant les stèles des scribes de la double maison de vie, récitant les inscriptions qu’elles portaient ; ils ne trouvèrent pas les chambres où reposaient Ahouri et Maîhêt, son enfant. Nénoferképhtah le sut qu’ils ne trouvaient point les chambres où reposaient Ahouri et Maîhêt, son enfant. Il se manifesta sous la forme d’un vieillard, un prêtre très avancé en âge, et il se présenta au-devant de Satni[628]. Satni le vit, Satni dit au vieillard : « Tu as semblance d’homme avancé en âge. Ne connais-tu pas les maisons où reposent Ahouri et Maîhêt, son enfant ? » Le vieillard dit à Satni : « Le père du père de mon père a dit au père de mon père, disant : « Le père du père de mon père a dit au père de mon père : « Les chambres où reposent Ahouri et Maîhêt, son enfant, sont sous l’angle méridional de la maison du prêtre…[629] ». Satni dit au vieillard : « Peut-être le prêtre… t’a-t-il fait injure et c’est pour cela que tu veux détruire sa maison ?[630] » Le vieillard dit à Satni : « Qu’on fasse bonne garde sur moi, puis qu’on rase la maison du prêtre…, et, s’il arrive qu’on ne trouve point Ahouri et Maîhêt, son enfant, sous l’angle méridional de la maison du prêtre…, qu’on me traite en criminel ». On fit bonne garde sur le vieillard, on trouva la chambre où reposaient Ahouri et Maîhêt, son enfant, sous l’angle méridional de la maison du prêtre… Satni fit transporter ces grands personnages dans la cange de Pharaon, puis il fit reconstruire la maison du prêtre…, telle qu’elle était auparavant[631]. Nénoferképhtah fit connaître à Satni que c’était lui qui était venu à Coptos, pour lui découvrir la chambre où reposaient Ahouri et Maîhêt, son enfant.

Satni s’embarqua sur la cange de Pharaon. Il fit le voyage, il ne tarda pas d’arriver à Memphis et toute l’escorte qui était avec lui. On l’annonça à Pharaon et Pharaon descendit au-devant de la cange de Pharaon ; il fit porter les grands personnages dans la tombe où était Nénoferképhtah et il en fit sceller la chambre supérieure tout aussitôt. – Cet écrit complet, où est contée l’histoire de Satni Khâmoîs et de Nénoferképhtah, ainsi que d’Ahouri, sa femme, et de Maîhêt, son fils, a été écrit par le scribe Ziharpto ? l’an 15, au mois de Tybi.

II

L’HISTOIRE VÉRIDIQUE DE SATNI KHÂMOÎS ET DE SON FILS SÉNOSIRIS

L’histoire véridique de Satni Khâmoîs et de son fils Sénosiris fut découverte sur le Papyrus DCIV du Musée Britannique, et publiée, transcrite, traduite en anglais par :

F. Ll. Griffith, Stories of the High-Priests of Memphis, the Sethon of Herodotus and the Demotic Tales of Khamuas, Oxford, Clarendon Press, 1909, in-8°, p. 41-46, 142-207, et atlas in-f° de XIV planches, puis analysée, commentée et traduite partiellement en français par :

G. Maspero, Contes relatifs aux grands-prêtres de Memphis, dans le Journal des Savants, 1901, p. 473-504, enfin transcrite en hiéroglyphes, puis traduite en français par Revillout, le Roman du Satme, Second roman du Satme Khaemouas, dans la Revue Égyptologique, t. XII, p. 107-109, t. XIII, p. 29-38.

Elle est écrite au revers de deux recueils de pièces officielles rédigées en grec et datées de l’an VII de Claude César, 46-47 après J.-C. Les deux rouleaux de papyrus, passés à la condition de vieux papiers, furent collés bout à bout, et l’on y transcrivit le roman aux parties libres du verso ; dans son état actuel, il est incomplet à la droite sur une longueur indéterminée et le début de l’histoire a disparu. L’écriture semble indiquer, pour l’époque de la copie, la seconde moitié du deuxième siècle après notre ère. Elle est grande et frêle, à la fois soignée et maladroite, mais d’un déchiffrement aisé malgré quelques bizarreries. La langue est simple, claire, plus pauvre que celle du conte précédent. La première page manque complètement, ainsi qu’un long fragment de la seconde page, mais on peut rétablir l’exposition du sujet avec assez de vraisemblance ; la suite du texte est entrecoupée de fortes lacunes qui en rendent l’intelligence parfois laborieuse. L’étude minutieuse et patiente à laquelle M. Griffith a soumis le tout nous permet de saisir le sens général, et d’en restituer le détail exactement dans beaucoup d’endroits. Selon mon habitude, j’ai rétabli sommairement les portions manquantes, en prenant soin d’indiquer le point juste où le texte authentique commence.

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* *

Il y avait une fois un roi nommé Ousimarès, v. s. f., et il avait parmi ses enfants un fils nommé Satmi[632], lequel était un scribe, habile de ses doigts et fort instruit en toutes choses : il était plus qu’homme au monde expert aux arts où les scribes d’Égypte excellent, et il n’y avait savant qui lui comparât dans la Terre-Entière. Et après cela, il arrivait que les chefs des pays étrangers envoyaient un message à Pharaon pour lui dire : « Voici ce que mon maître dit : « Qui d’ici pourra faire telle ou telle chose qu’a devisée mon maître, dans telle ou telle condition ? S’il la fait comme il convient je proclamerai l’infériorité de mon pays à l’Égypte. Mais s’il arrive qu’il n’y ait bon scribe, ni homme sage en Égypte qui puisse la faire, je proclamerai l’infériorité de l’Égypte à mon pays ». Or, quand il avait parlé ainsi, le roi Ousimarès, v. s. f., appelait son fils Satmi et il lui répétait toutes les choses que le messager lui avait dites, et son fils Satmi lui donnait aussitôt la bonne réponse que le chef du pays étranger avait devisée, et celui-ci était obligé de proclamer l’infériorité de son pays au pays d’Égypte. Et nul des chefs qui avaient envoyé des messagers n’avait pu triompher de lui, tant la sagesse de Satmi était grande, si bien qu’il ne se trouvait plus chef au monde qui osât envoyer des messagers à Pharaon[633].

Et après cela, il arriva que Satmi n’eut pas d’enfant mâle de sa femme Mahîtouaskhît, et il s’en affligeait beaucoup dans son cœur et sa femme Mahîtouaskhît s’en affligeait beaucoup avec lui. Or un jour qu’il en était triste plus que de coutume, sa femme Mahîtouaskhît se rendit au temple d’Imouthès, fils de Phtah, et elle pria devant lui, disant : « Tourne ta face vers moi, monseigneur Imouthès, fils de Phtah ; c’est toi qui accomplis les miracles, et qui es bienfaisant dans tous tes actes ; c’est toi qui donneras un fils à qui n’en a pas. Entends ma plainte et rends-moi enceinte d’un enfant mâle[634] ». Mahîtouaskhît, la femme de Satmi, coucha donc dans le temple et elle rêva un songe cette nuit même[635]. On lui parlait, lui disant : « Es-tu pas Mahîtouaskhît, la femme de Satmi, qui dors dans le temple pour recevoir un remède de ta stérilité des mains du dieu ? Quand le lendemain matin sera venu, va-t-en à la fontaine de Satmi[636], ton mari, et tu y trouveras un pied de colocase qui y pousse. La colocase que tu rencontreras, tu l’arracheras avec ses feuilles, tu en fabriqueras un remède que tu donneras à ton mari, puis tu te coucheras près de lui et tu concevras de lui la nuit même ». Lorsque Mahîtouaskhît s’éveilla de son rêve après avoir vu ces choses, elle agit en tout selon ce qu’on lui avait dit en son rêve, puis elle se coucha près de Satmi, son mari, et elle conçut de lui. Quand son temps vint, elle eut les signes des femmes enceintes et Satmi l’annonça devant Pharaon, car son cœur s’en réjouissait beaucoup ; il lui lia un amulette et il récita un grimoire sur elle. Or, Satmi se coucha une nuit et il rêva un rêve. On lui parlait, disant : « Mahîtouaskhît, ta femme, qui a conçu de toi, le petit enfant dont elle accouchera on l’appellera Sénosiris, et ils seront nombreux les miracles qu’il accomplira dans la terre d’Égypte ». Lorsque Satmi s’éveilla de son rêve après avoir vu ces choses, son cœur se réjouit beaucoup. Accomplis les mois de la grossesse, lorsque son temps d’accoucher fut venu, Mahîtouaskhît mit au monde un enfant mâle. On le fit savoir à Satmi et il appela l’enfant Sénosiris, selon ce qu’on lui avait dit dans son rêve. On le mit au sein de Mahîtouaskhît, sa mère, sitôt qu’elle fut délivrée des restes de sa grossesse, et on le lui fit nourrir. Et il arriva, quand le petit enfant Sénosiris eut un an, on aurait dit : « Il a deux ans » ; quand il en eut deux, on aurait dit : « Il a trois ans », tant il était vigoureux en tous ses membres. Il arriva donc que Satmi ne pouvait demeurer une heure sans voir le petit enfant Sénosiris ; si fort était l’amour qu’il lui portait. Lorsqu’il fut grand et robuste, on le mit à l’école ; en peu de temps il en sut plus que le scribe qu’on lui avait donné pour maître. Le petit enfant Sénosiris commença à lire les grimoires avec les scribes de la Double maison de Vie du temple de Phtah[637], et tous ceux qui l’entendaient étaient plongés dans l’étonnement ; Satmi se plaisait à le mener à la fête par-devant Pharaon, pour que tous les magiciens de Pharaon luttassent contre lui et qu’il leur tint tête à tous.

Et après cela, il arriva, un jour que Satmi se lavait pour la fête sur la terrasse de ses appartements, et que le petit garçon Sénosiris se lavait devant lui pour aller aussi à la fête, à cette heure-là, voici, Satmi entendit une voix de lamentation qui s’élevait très forte : il regarda de la terrasse de ses appartements, et voici, il vit un riche qu’on menait ensevelir dans la montagne à force lamentations et plentée d’honneurs. Il regarda une seconde fois à ses pieds, et voici, il aperçut un pauvre qu’on menait hors de Memphis, roulé dans une natte, seul et sans homme au monde qui marchât derrière lui. Satmi dit : « Par la vie d’Osiris, le seigneur de l’Amentît, puisse m’être fait dans l’Amentît comme à ces riches qui ont grande lamentation, et non comme à ces pauvres qu’on porte à la montagne sans pompe ni honneurs ! » Sénosiris, son petit enfant, lui dit : « Te soit fait dans l’Amentît ce qu’on fait à ce pauvre homme dans l’Amentît, et ne te soit pas fait dans l’Amentît ce qu’on fait à ce riche dans l’Amentît ». Lorsque Satmi entendit les paroles que Sénosiris, son petit enfant, lui avait dites, son cœur s’en affligea extrêmement, et il dit : « Ce que j’entends est-ce bien la voix d’un fils qui aime son père ? » Sénosiris, son petit enfant, lui dit : « S’il te plaît, je te montrerai, chacun en sa place, le pauvre qu’on ne pleure pas et le riche sur lequel on se lamente ». Satmi demanda : « Et comment pourras-tu faire cela, mon fils Sénosiris ? » Et après cela, Sénosiris, le petit enfant, récita ses grimoires. Il prit son père Satmi par la main et il le conduisit à une place que celui-ci ignorait dans la montagne de Memphis. Elle contenait sept grandes salles[638] et en elles des hommes de toutes les conditions. Ils traversèrent trois des salles, les trois premières, sans que personne leur fît obstacle[639]. En entrant dans la quatrième, Satmi aperçut des gens qui couraient et qui s’agitaient tandis que les ânes mangeaient derrière eux[640] ; d’autres avaient leur nourriture, eau et pain, suspendue au-dessus d’eux, et ils s’élançaient pour la mener bas, tandis que d’autres creusaient des trous à leurs pieds pour les empêcher de l’atteindre. Lorsqu’ils arrivèrent à la cinquième salle, Satmi aperçut les mânes vénérables qui se trouvaient chacun en sa place propre, mais ceux qui étaient inculpés de crimes se tenaient à la porte, suppliants, et le pivot de la porte de la cinquième salle était établi sur le seul œil droit d’un homme qui priait et qui poussait de grands cris[641].

Lorsqu’ils arrivèrent à la sixième salle, Satmi aperçut les dieux du conseil des gens de l’Amentît qui se tenaient chacun en sa place propre, tandis que les huissiers de l’Amentît appelaient les causes. Lorsqu’ils arrivèrent à la sixième salle, Satmi aperçut l’image d’Osiris, le dieu grand, assis sur son trône d’or fin, et couronné du diadème aux deux plumes[642], Anubis le dieu grand, à sa gauche, le dieu grand Thot à sa droite, les dieux du conseil des gens de l’Amentît à sa gauche et à sa droite, la balance dressée au milieu en face d’eux, où ils pesaient les méfaits contre les mérites, tandis que Thot le dieu grand remplissait le rôle d’écrivain et qu’Anubis leur adressait la parole[643] : celui dont ils trouveront les méfaits plus nombreux que les mérites ils le livreront à Amaît, la chienne du maître de l’Amentît[644], ils détruiront son âme et son corps et ils ne lui permettront plus de respirer jamais ; celui dont ils trouveront les mérites plus nombreux que les méfaits, ils l’amènent parmi les dieux du conseil du maître de l’Amentît et son âme va au ciel parmi les mânes vénérables ; celui dont ils trouveront les mérites équivalents aux fautes, ils le placent parmi les mânes munis d’amulettes qui servent Sokarosiris.

Lors, Satmi aperçut un personnage de distinction, revêtu d’étoffes de fin lin, et qui était proche l’endroit où Osiris se tenait, dans un rang très relevé. Tandis que Satmi s’émerveillait de ce qu’il voyait dans l’Amentît, Sénosiris se mit devant lui, disant : « Mon père Satmi, vois-tu pas ce haut personnage revêtu de vêtements de fin lin et qui est près de l’endroit où Osiris se tient ? Ce pauvre homme que tu vis qu’on emmenait hors de Memphis, sans que personne l’accompagnât, et qui était roulé dans une natte, c’est lui ! On le conduisit à l’Hadès, on pesa ses méfaits contre ses mérites qu’il eut étant sur terre, on trouva ses mérites plus nombreux que ses méfaits. Donné qu’au temps de vie que Thot inscrivit à son compte ne correspondit pas une somme de bonheur suffisante tandis qu’il était sur terre, on ordonna par-devant Osiris de transférer le trousseau funèbre de ce riche que tu vis emmener hors de Memphis avec force honneurs, à ce pauvre homme que voici, puis de le remettre parmi les mânes vénérables, féaux de Sokarosiris, proche l’endroit où Osiris se tient. Ce riche que tu vis, on le conduisit à l’Hadès, on pesa ses méfaits contre ses mérites, on lui trouva ses méfaits nombreux plus que ses mérites qu’il eut sur terre, on ordonna de le rétribuer dans l’Amentît, et c’est lui que tu as vu, le pivot de la porte d’Amentît planté sur son œil droit et roulant sur cet œil, soit qu’on ferme ou qu’on ouvre, tandis que sa bouche pousse de grands cris. Par la vie d’Osiris, le dieu grand, maître de l’Amentît, si je t’ai dit sur terre : « Te soit fait ainsi qu’on fait à ce pauvre homme, mais ne te soit pas fait ainsi qu’il est fait à ce riche ! » c’est que je savais ce qui allait arriver à celui-ci ». Satmi dit : « Mon fils Sénosiris, nombreuses sont les merveilles que j’ai vues dans l’Amentît ! Maintenant donc, puissé-je apprendre ce qu’il en est de ces gens qui courent et s’agitent, tandis que des ânes mangent derrière eux, ainsi que de ces autres qui ont leur nourriture, pain et eau, suspendue au-dessus d’eux, et qui s’élancent afin de la mener bas, tandis que d’autres creusent des trous à leurs pieds pour les empêcher de l’atteindre ? ». Sénosiris reprit : « En vérité, je te le dis, mon père Satmi, ces gens que tu vis, qui courent et s’agitent tandis que des ânes mangent derrière eux, c’est l’image des gens de cette terre qui sont sous la malédiction du Dieu et qui travaillent nuit et jour pour leur subsistance, mais, comme leurs femmes la leur volent par derrière, ils n’ont pas de pain à manger. Revenus à l’Amentît, on trouve que leurs méfaits sont plus nombreux que leurs mérites, et ils éprouvent que ce qu’il en était d’eux sur terre, il en est d’eux encore dans l’Amentît, d’eux comme aussi de ceux que tu as vus, leur nourriture, eau et pain, suspendue au-dessus d’eux et qui s’élancent pour la mener bas tandis que d’autres creusent des trous à leurs pieds pour les empêcher de l’atteindre ; ceux-ci, c’est l’image des gens de cette terre qui ont leur subsistance devant eux, mais le dieu creuse des trous devant eux pour les empêcher de la trouver. Revenus à l’Amentît, voici, ce qu’il en était d’eux sur cette terre, il en est d’eux encore dans l’Amentît ; à être reçue leur âme dans l’Amentît, ils éprouvent, s’il te plait, mon père Satmi, que celui qui fait le bien sur terre on lui fait le bien dans l’Amentît, mais que celui qui fait le mal on lui fait le mal. Elles ont été établies pour toujours et elles ne changeront jamais ces choses que tu vois dans l’Hadès de Memphis, et elles se produisent dans les quarante-deux nomes où sont les dieux du conseil d’Osiris[645] ».

Lorsque Sénosiris eut terminé ces paroles qu’il disait devant Satmi, son père, il remonta à la montagne de Memphis, tenant son père embrassé et sa main dans sa main. Satmi l’interrogea disant : « Mon fils Sénosiris, elle diffère la place par où l’on descend de celle par où nous sommes remontés ? » Sénosiris ne répondit à Satmi parole du monde, et Satmi s’émerveilla des discours qu’il lui avait tenus, disant : « Il sera capable de devenir un mâne véritable et un serviteur du dieu, et j’irai à l’Hadès avec lui disant : « Celui-ci est mon fils ![646] » Satmi récita une formule du livre d’exorciser les mânes, et il demeura dans le plus grand étonnement du monde à cause des choses qu’il avait vues dans l’Amentît, mais elles lui pesaient sur le cœur beaucoup ; pour ne pouvoir les révéler à homme au monde. Quand le petit garçon Sénosiris eut douze ans, il n’y eut scribe ni magicien dans Memphis qui l’égalât en la lecture des grimoires.

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Après cela, il advint, un jour que Pharaon Ousimarès était assis en la cour d’audience du palais de Pharaon à Memphis, tandis que l’assemblée des princes, des chefs militaires, des principaux de l’Égypte, se tenait debout devant lui, chacun à son rang dans la cour, on vint dire à Sa Majesté : « Voici le discours que fait une peste d’Éthiopien[647], à savoir, qu’il apporte sur lui une lettre scellée ». Sitôt qu’on l’eut rapporté devant Pharaon, voici qu’on amena l’homme dans la cour. Il salua disant : « Qui d’ici pourra lire cette lettre que j’apporte en Égypte devant Pharaon, mais sans gâter le sceau, de façon à lire l’écrit qui est en elle sans l’ouvrir ? S’il arrive qu’il n’y ait bon scribe, ni savant en Égypte qui puisse la lire sans l’ouvrir, je rapporterai l’infériorité de l’Égypte à la terre des Nègres, mon pays ». Au moment que Pharaon et ses princes entendirent ces paroles ils ne surent plus le lieu de la terre où ils étaient, et ils dirent : « Par la vie de Phtah, le dieu grand, est-il force de bon scribe ou de magicien, habile à lire des écrits dont il voit la teneur, qui puisse lire une lettre sans l’ouvrir ? » Pharaon dit : « Qu’on m’appelle Satmi Khâmois, mon fils ! » On courut, on le lui amena à l’instant, il s’inclina jusqu’à terre, il adora Pharaon, puis il se releva et il se tint debout, bénissant et acclamant Pharaon. Pharaon lui dit : « Mon fils Satmi, as-tu entendu les paroles que cette peste d’Éthiopien a dites devant moi, disant : « Y a-t-il a un bon scribe ou un homme instruit en Égypte qui puisse lire la lettre qui est en ma main sans briser le sceau, et qui sache ce qu’il y a d’écrit en elle sans l’ouvrir ? » L’instant que Satmi entendit ces paroles, il ne sut plus l’endroit du monde où il était, il dit : « Mon grand seigneur qui est-ce qui serait capable de lire une lettre sans l’ouvrir ? Maintenant donc qu’on me donne dix jours de répit, que je puisse voir ce que je suis capable de faire, pour éviter que l’infériorité de l’Égypte soit rapportée au pays des Nègres mangeurs de gomme[648] ». Pharaon dit : « Ils sont donnés à mon fils Satmi ». On assigna des appartements où se retirer à l’Éthiopien, on lui prépara des saletés à la mode d’Éthiopie[649], puis Pharaon se leva en la cour, son cœur triste excessivement, et il se coucha sans boire ni manger.

Satmi rentra dans ses appartements sans plus savoir la place du monde où il allait. Il se serra dans ses vêtements de la tête aux pieds, et il se coucha sans plus savoir l’endroit du monde où il était. On le manda à Mahîtouaskhît, sa femme ; elle vint à l’endroit où était Satmi, elle passa la main sous ses vêtements. Elle lui dit : « Mon frère Satmi, point de fièvre au sein, souplesse des membres maladie, tristesse de cœur[650] ! » Il lui dit : « Laisse-moi, ma sœur Mahîtouaskhît ! L’affaire pour laquelle mon cœur se trouble, n’est pas une affaire qu’il soit bon de découvrir à une femme ! » Le petit garçon Sénosiris entra ensuite, il se pencha sur Satmi, son père, et il lui dit « Mon père Satmi, pourquoi es-tu couché, le cœur troublé ? Les affaires que tu enfermes en ton mur dis-les moi que je les écarte ». Il répondit : « Laisse-moi, mon enfant Sénosiris ! les affaires qui sont en mon cœur, tu es d’âge trop tendre pour t’en occuper ». Sénosiris dit « Dis-les moi, que je rende ton cœur calme à leur propos ». Satmi lui dit : « Mon fils Sénosiris, c’est une peste d’Éthiopie qui est venue en Égypte, apportant sur son corps une lettre scellée et disant : « Est-il ici celui qui la lira sans l’ouvrir ? S’il arrive qu’il n’y ait ni bon scribe ni savant en Égypte qui soit capable de la lire, je rapporterai l’infériorité de l’Égypte à la terre des Nègres, mon pays ». Je me suis couché, le cœur troublé à ce propos, mon fils Sénosiris ». L’heure que Sénosiris entendit ces paroles, il éclata de rire longuement. Satmi lui dit : « Pourquoi ris-tu ? » Il dit : « Je ris de te voir couché ainsi, le cœur troublé pour cause d’affaire si petite. Lève-toi, mon père Satmi, car je lirai sans l’ouvrir la lettre qu’on a apportée en Égypte, si bien que je trouverai ce qui est écrit en elle sans briser le sceau ». L’heure que Satmi entendit ces paroles, il se leva soudain et il dit : « Quelle est la garantie des paroles que tu as dites, mon enfant Sénosiris ? » Il lui dit : « Mon père Satmi, va, aux chambres du rez-de-chaussée de ton logis, et chaque livre que tu tireras de son vase[651], je te dirai quel livre c’est, je le lirai sans le voir, me tenant en avant de toi dans les chambres du rez-de-chaussée ». Satmi se leva, il se tint debout, et tout ce que Sénosiris avait dit, Sénosiris le fit complètement : Sénosiris lut tous les livres que Satmi son père prit en avant de lui, sans les ouvrir. Satmi remonta des chambres du rez-de-chaussée, joyeux plus que personne au monde. Il ne tarda point d’aller à l’endroit où Pharaon était, il raconta devant lui toutes les choses que l’enfant Sénosiris lui avait dites, entièrement, et le cœur de Pharaon s’en réjouit extrêmement. Pharaon se leva pour faire fête en son temps avec Satmi, et il se fit amener Sénosiris à la fête devant lui ils burent, ils passèrent un jour heureux. Arrivé le lendemain au matin, Pharaon sortit dans la cour d’audience au milieu de ses nobles ; Pharaon envoya chercher la peste d’Éthiopien et celui-ci fut amené dans la cour avec la lettre scellée sur son corps, et il se tint debout au milieu de la cour. L’enfant Sénosiris vint au milieu également, il se tint au côté de la peste d’Éthiopien, il parla contre elle disant : « Malédiction, Éthiopien, ennemi contre qui s’irrite Amon, ton dieu[652] ! C’est donc toi qui es monté en Égypte, le doux verger d’Osiris, le siège de Râ-Harmakhis, le bel horizon de l’Agathodémon[653], disant « Je rapporterai l’infériorité de l’Égypte à la terre des Nègres » ; l’hostilité d’Amon, ton Dieu, tombe sur toi ! Les paroles que je ferai défiler devant toi et qui sont écrites sur la lettre, ne dis rien d’elles qui soit faux devant Pharaon, ton souverain ! » L’heure que la peste d’Éthiopien vit le petit garçon Sénosiris debout dans la cour, il toucha la terre de sa tête et il parla, disant : « Toutes les paroles que tu prononceras, je ne dirai rien d’elles qui soit faux ! »

Commencement des récits que fit Sénosiris, les disant au milieu de la cour devant Pharaon et devant ses nobles, le peuple d’Égypte écoutant sa voix, tandis qu’il lisait ce qu’il y avait d’écrit sur la lettre de la peste d’Éthiopien qui se tenait debout au milieu de la cour, à savoir :

« Il arriva, un jour, au temps de Pharaon Manakhphrê Siamânou[654], – c’était un roi bienfaisant de la terre entière, l’Égypte regorgeait de toutes les bonnes choses en son temps, et nombreux étaient ses dons et ses travaux dans les grands temples de l’Égypte, – il arriva donc, un jour que le roi du pays des Nègres faisait la sieste dans le kiosque de plaisance d’Amon, il entendit la voix de trois pestes d’Éthiopiens qui causaient dans la maison de derrière. L’un d’eux parlait à voix haute, disant entre autres choses. « S’il plaisait Amon me garder d’accident, de sorte que le roi d’Égypte ne pût me maltraiter, je jetterais mes charmes sur l’Égypte, si bien que je ferais le peuple d’Égypte passer trois jours et trois nuits sans voir la lumière après les ténèbres ». Le second dit entre autres choses : « S’il plaisait Amon me garder d’accident, de sorte que le roi d’Égypte ne pût me maltraiter, je jetterais mes charmes sur l’Égypte, si bien que je ferais transporter le Pharaon d’Égypte au pays des Nègres, puis lui administrer une volée de courbache, cinq cents coups, en public, par devant le roi, et enfin le remporter en Égypte dans six heures de temps, sans plus ». Le troisième dit entre autres choses[655] : « S’il plaisait Amon me garder d’accident, de sorte que le roi d’Égypte ne pût me maltraiter, je jetterais mes charmes sur l’Égypte, si bien que j’empêcherais les champs de produire pendant trois ans ». L’heure que le roi d’Éthiopie entendit les discours et la voix des trois pestes d’Éthiopiens, il se les fit amener devant lui et il leur dit : « Qui d’entre vous a dit : « Je jetterai mes charmes sur l’Égypte, et je ne permettrai pas aux Égyptiens de voir la lumière trois jours et trois nuits ? » Ils dirent : « C’est Horus, le fils de Trîrît[656] ». Il dit : « Qui d’entre vous a dit : « Je jetterai mes charmes sur l’Égypte, j’apporterai Pharaon au pays des Nègres, et je lui ferai administrer une volée de courbache, cinq cents coups, en public, par devant le roi, puis je le ferai remporter en Égypte, dans six heures de temps, sans plus ? » Ils dirent : « C’est Horus, le fils de Tnahsît[657] ». Il dit : « Qui d’entre vous a dit : « Je jetterai mes charmes sur l’Égypte, et j’empêcherai les champs de produire pendant trois ans ? » Ils dirent : « C’est Horus, le fils de Triphît[658] ». Le roi dit donc à Horus ;, le fils de Tnahsît. « Exécute-la ton action magique par grimoire, et, comme vit Amon, le taureau de Méroé, mon dieu, si ta main accomplit ce qui convient, je te ferai du bien à plentée ».

Horus, le fils de Tnahsît, fabriqua un brancard en cire à quatre porteurs, il récita un grimoire sur eux, il souffla sur eux violemment, il leur donna de vivre, il leur commanda, disant : « Vous monterez en Égypte, vous apporterez le Pharaon d’Égypte à l’endroit où est le roi ; on lui administrera une volée de courbache, cinq cents coups, en public, par devant le roi, puis vous le remporterez en Égypte, le tout dans six heures de temps, pas plus ». Ils dirent : « Certes, nous n’omettrons rien ». Les sorcelleries de l’Éthiopien filèrent donc vers l’Égypte, elles se firent maîtresses de la nuit[659], elles se firent maîtresses de Pharaon Manakhphrê Siamânou, elles l’apportèrent à la terre des Nègres au lieu où le roi était, elles lui administrèrent une volée de courbache, cinq cents coups, en public, par devant le roi, puis elles le remportèrent en Égypte, le tout dans six heures de temps, sans plus ».

Ces récits donc Sénosiris les fit, les contant au milieu de la cour, devant Pharaon et devant ses nobles, et le peuple d’Égypte écoutant sa voix tandis qu’il disait : « L’hostilité d’Amon, ton dieu, tombe sur toi ! Les paroles que je fais défiler devant toi sont-elles bien celles qui sont écrites sur la lettre qui est dans ta main ? » La peste d’Éthiopien dit : « Continue de lire, car toutes tes paroles sont des paroles vraies, quantes elles sont ».

Sénosiris dit devant Pharaon : « Après donc que ces choses furent arrivées, on rapporta Pharaon Siamânou en Égypte, les reins moulus de coups excessivement, et il se coucha dans la chapelle de la ville de l’Horus[660], les reins moulus de coups excessivement. Arrivé le lendemain, au matin, Pharaon dit à ses courtisans : « Qu’est-il donc arrivé à l’Égypte que j’aie dû la quitter ? » Honteux de leurs pensées, les courtisans se dirent : « Peut-être la pensée de Pharaon s’est-elle éclipsée[661] ! » Puis ils dirent-: « Tu es sain, tu es sain, Pharaon, notre grand maître, et Isis, la grande déesse, calmera tes afflictions ! Mais quelle est la signification des paroles que tu as dites devant nous, Pharaon, notre grand seigneur ? Puisque tu dors dans la chapelle de la ville de l’Horus, les dieux te protègent ». Pharaon se leva, il montra aux courtisans son dos moulu de coups excessivement, disant « Par la vie de Phtah, le dieu grand, on m’a porté au pays des Nègres pendant la nuit ; on m’a administré une volée de courbache, cinq cents coups, en public, devant le roi, puis on m’a rapporté en Égypte, le tout dans six heures de temps sans plus ». L’heure qu’ils virent les reins de Pharaon moulus de coups excessivement, ils ouvrirent la bouche pour de grands cris. Or Manakhhrô Siamânou avait un chef du secret des livres, de son nom Horus, le fils de Panishi, qui était savant extrêmement. Quand il vint à la place où le roi était, il poussa un grand cri, disant : « Monseigneur, ce sont là les sorcelleries des Éthiopiens. Par la vie de ta maison, je les ferai venir à ta maison de torture et d’exécution ». Pharaon lui dit « Fais vite, que je ne sois emmené au pays des Nègres une autre nuit ».

Le chef du secret, Horus, le fils de Panishi, alla à l’instant, il prit ses livres avec ses amulettes à la place où Pharaon était, il lui lut une formule, il lui lia un amulette pour empêcher les sorcelleries des Éthiopiens de s’emparer de lui, puis il s’en alla de devant Pharaon, il prit ses boules de parfums et ses vases à libations, il s’embarqua sur un bateau, et il se rendit sans tarder à Khmounou[662]. Il entra dans le temple de Khmounou, il offrit l’encens et l’eau devant Thot neuf fois grand[663], le seigneur d’Hermopolis, le dieu grand, et il pria devant lui, disant : « Tourne ta face vers moi, monseigneur Thot, si bien que les Éthiopiens ne rapportent pas l’infériorité de l’Égypte à la terre des Nègres ! C’est toi qui as créé la magie par grimoire, toi qui as suspendu le ciel, établi la terre et l’Hadès, mis les dieux avec les étoiles ; puissé-je connaître le moyen de sauver Pharaon des sorcelleries des Éthiopiens ! » Horus, le fils de Panishi, se coucha dans le temple et il rêva un songe cette nuit même. La figure du grand dieu Thot lui parla, disant : « Es-tu pas Horus, le fils de Panishi, le chef du secret de Pharaon Manakhphrè Siamânou ? Donc, au matin de demain, entre dans la salle des livres du temple de Khmounou ; tu y découvriras un naos clos et scellé, tu l’ouvriras et tu y trouveras une boîte qui renferme un livre, celui-là même que j’écrivis de ma propre main. Tire-le, prends-en copie, puis remets-le à sa place, car c’est le grimoire même qui me protège contre les mauvais, et c’est lui qui protégera Pharaon, c’est lui qui le sauvera des sorcelleries des Éthiopiens ».

Lors donc qu’Horus, le fils de Panishi, s’éveilla de son rêve après avoir vu ces choses, il trouva que ce qui lui venait d’arriver lui arrivait par un acte divin, et il agit en tout selon ce qui lui avait été dit en son rêve[664]. Il ne tarda pas d’aller à l’endroit où Pharaon était, et il lui fabriqua un charme écrit contre les sorcelleries. Quand le second jour fut, les sorcelleries d’Horus, le fils de Tnahsît, retournèrent en Égypte pendant la nuit, à l’endroit où Pharaon était, puis elles revinrent à l’endroit où était le roi en cette heure, car elles ne purent maîtriser Pharaon, à cause des charmes et des sorcelleries que le chef du secret, Horus, le fils de Panishi, avait liés sur lui. Le matin du lendemain, Pharaon conta devant le chef du secret, Horus, le fils de Panishi, tout ce qu’il avait vu pendant la nuit, et comment les sorcelleries des Éthiopiens s’en étaient allées, sans avoir pu le maîtriser. Horus, le fils de Panishi, se fit apporter de la cire pure en quantité, il en fit un brancard à quatre porteurs, il récita un grimoire sur eux, il souffla sur eux violemment, il leur donna de vivre, il leur commanda, disant : « Vous irez au pays des Nègres, cette nuit, vous apporterez le roi en Égypte à l’endroit où est Pharaon ; on lui administrera une volée de courbache, cinq cents coups, en public, par devant Pharaon, puis vous le remporterez au pays des Nègres, le tout dans six heures de temps, sans plus ». Ils dirent : « Certes, nous n’omettrons rien ». Les sorcelleries d’Horus, le fils de Panishi, filèrent sur les nuages du ciel, et elles ne tardèrent pas d’aller au pays des Nègres pendant la nuit. Elles s’emparèrent du roi, elles l’emportèrent en Égypte on lui administra une volée de courbache, cinq cents coups, en public, par-devant le roi, puis elles le remportèrent au pays des Nègres, le tout dans six heures de temps, sans plus ».

Ces récits donc Sénosiris les fit, les contant au milieu de la cour, devant Pharaon et devant ses nobles, le peuple d’Égypte écoutant sa voix, tandis qu’il disait : « L’hostilité d’Amon, ton Dieu, tombe sur toi, méchant Éthiopien ! Les paroles que je dis sont-elles celles qui sont écrites sur cette lettre ? » L’Éthiopien dit, la tête baissée vers le sol : « Continue de lire, car toutes les paroles que tu dis sont celles qui sont écrites sur cette lettre ».

Sénosiris dit : « Après donc que ces choses furent arrivées, qu’on eut rapporté le roi au pays des Nègres en six heures, sans plus, et qu’on l’eut déposé en sa place, il se coucha et il se leva au matin, moulu excessivement des coups qui lui avaient été donnés en Égypte. Il dit à ses courtisans : « Ce que mes sorcelleries avaient fait à Pharaon, les sorcelleries de Pharaon me l’ont fait à mon tour. Elles m’ont porté en Égypte pendant la nuit[665] on m’a administré une volée de courbache, cinq cents coups, devant Pharaon d’Égypte, puis elles m’ont rapporté au pays des Nègres ». Il tourna le dos à ses courtisans, et ils ouvrirent la bouche pour de grands cris. Le roi fit chercher Horus, le fils de Tnahsît, et dit : « Prends garde pour toi-même à Amon, le taureau de Méroé, mon Dieu ! Puisque c’est toi qui es allé chez le peuple d’Égypte, allons voir comment tu me sauveras des sorcelleries d’Horus, le fils de Panishi. Il fabriqua ses sorcelleries, il les lia sur le roi pour le sauver des sorcelleries d’Horus, le fils de Panishi. Quand ce fut la nuit du second jour, les sorcelleries d’Horus, le fils de Panishi, se transportèrent au pays des Nègres et elles emmenèrent le roi en Égypte ; on lui administra une volée de courbache, cinq cents coups, en public, devant Pharaon, puis elles le rapportèrent au pays des Nègres, le tout en six heures de temps, sans plus. Ce traitement advint au roi trois jours durant, sans que les sorcelleries des Éthiopiens fussent capables de sauver le roi de la main d’Horus, le fils de Panishi, et le roi s’affligea excessivement, et il se fit amener Horus, le fils de Tnahsît, et il lui dit : « Malheur à toi, ennemi de l’Éthiopie, après m’avoir humilié par la main des Égyptiens, tu n’as pas pu me sauver de leurs mains ! Par la vie d’Amon, le taureau de Méroé, mon Dieu, s’il arrive que tu ne saches comment me sauver des barques magiques des Égyptiens, je te livrerai à une mort mauvaise et qui sera lente pour toi ! » Il dit : « Monseigneur le roi, qu’on m’envoie en Égypte afin que je puisse voir celui des Égyptiens qui fabrique les sorcelleries, que je puisse faire œuvre de magie contre lui, et que je lui inflige le châtiment que je médite contre ses mains ». On envoya donc Horus, le fils de Tnahsît, de par-devant le roi, et il alla d’abord à l’endroit où sa mère Tnahsît était. Elle lui dit : « Quel est ton dessein, mon fils Horus ? » Il lui dit : « Les sorcelleries d’Horus, le fils de Panishi, ont maîtrisé mes sorcelleries. Elles ont transporté par trois fois le roi en Égypte, à l’endroit où est Pharaon, on lui a administré une volée de courbache, cinq cents coups, en public, par-devant Pharaon, puis elles l’ont rapporté à la terre des Nègres, le tout en six heures de temps, sans plus, et mes sorcelleries n’ont pu le sauver de leurs mains. Et maintenant le roi est irrité contre moi excessivement, et, pour éviter qu’il me livre à la mort mauvaise et lente, je veux aller en Égypte afin de voir celui qui fabrique les sorcelleries et de lui infliger le châtiment que je médite contre ses mains ». Elle dit : « Sois sage, ô mon fils Horus, et ne va pas au lieu où est Horus, le fils de Panishi[666]. Si tu vas en Égypte pour y conjurer, garde toi contre les hommes d’Égypte, car tu ne peux pas lutter contre eux ni les vaincre, si bien que tu ne reviendras pas au pays des Nègres, jamais. Il lui dit : « Ce ne m’est rien les discours que tu me tiens ; je ne puis pas ne pas aller en Égypte, pour y jeter mes sortilèges ». Tnahsît, sa mère, lui dit : « Puis donc qu’il faut que tu te rendes en Égypte, établis des signes entre toi et moi : s’il arrive que tu sois vaincu, je viendrai vers toi pour voir si je puis te sauver ». Il lui dit : « Si je suis vaincu, lorsque tu boiras ou que tu mangeras, l’eau deviendra couleur de sang devant toi, les provisions deviendront couleur de sang devant toi, le ciel deviendra couleur de sang devant toi[667] ».

Quand Horus, le fils de Tnahsît, eut établi des signes entre lui et sa mère, il fila vers l’Égypte, ayant mangé les sorcelleries,[668] il voyagea depuis ce qu’Amon fit[669] jusqu’à Memphis et jusqu’au lieu où Pharaon se tenait dépistant[670] qui faisait magie de grimoire en Égypte. Lorsqu’il arriva dans la cour d’audience par-devant Pharaon, il parla d’une voix haute, disant : « Holà, qui est-ce qui fait sorcellerie contre moi dans la cour d’audience, à la place où se tient le Pharaon, au vu du peuple d’Égypte ? Les deux scribes de la Maison de Vie, ou seulement le scribe de la Maison de Vie qui a ensorcelé le roi, l’amenant en Égypte malgré moi ? » Après qu’il eut parlé de la sorte, Horus, le fils de Panishi, qui se tenait dans la cour d’audience par-devant Pharaon, dit : « Holà, l’ennemi éthiopien, n’es-tu pas Horus, le fils de Tnahsît ? N’es-tu pas celui qui pour me fasciner dans les vergers de Râ, ayant avec toi ton compagnon éthiopien, t’es plongé avec lui dans l’eau, et t’es laissé couler avec lui sous la montagne, à l’est d’Héliopolis[671] ? N’est-ce pas toi qui t’es plu à faire voyager Pharaon, ton maître, et qui l’as fait rouer de coups, à l’endroit où le roi d’Éthiopie se trouvait, puis qui viens vers l’Égypte, disant « N’y a-t-il pas ici qui fait sorcellerie contre moi ? Par la vie d’Atoumou, le maître d’Héliopolis, les dieux de l’Égypte t’ont ramené ici pour te rétribuer dans leur pays. Prends ton courage, car je viens à toi ! » L’heure que dit ces mots Horus, le fils de Panishi, Horus, le fils de Tnahsît, lui répondit, disant : « Est-ce pas celui à qui j’enseignai le discours du chacal[672] qui fait sorcellerie contre moi ? » La peste d’Éthiopien fit une opération de magie par grimoire ; elle fit jaillir la flamme dans la cour d’audience, et Pharaon, ainsi que les principaux de l’Égypte, poussa un grand cri, disant : « Accours à nous, chef des écrits, Horus, le fils de Panishi ! » Horus, le fils de Panishi, fit une formule de grimoire ; il fit se produire au ciel une pluie du midi[673] au-dessus de la flamme, et celle-ci fut éteinte en un instant. L’Éthiopien fit une autre opération de magie par grimoire ; il fit paraître une nuée immense sur la cour d’audience, si bien que personne n’aperçut plus son frère ni son compagnon. Horus, le fils de Panishi, récita un écrit vers le ciel, et il déblaya celui-ci, si bien qu’il se rasséréna du vent mauvais qui soufflait en lui. Horus, le fils de Tnahsît, fit une autre opération de magie par grimoire ; il fit paraître une voûte énorme de pierre, longue de deux cents coudées et large de cinquante, au-dessus de Pharaon ainsi que de ses princes, et cela afin de séparer l’Égypte de son roi, la terre de son souverain. Pharaon regarda en haut, il aperçut la voûte de pierre au-dessus de lui, il ouvrit sa bouche d’un grand cri, lui et le peuple qui était dans la cour d’audience. Horus, le fils de Panishi, récita une formule de grimoire ; il fit paraître un canot de papyrus, il le fit se charger de la voûte de pierre, et le canot s’en alla avec celle-ci au bassin immense[674], la grande eau de l’Égypte !

La peste d’Éthiopien le sut qu’il était incapable de lutter contre le sorcier d’Égypte ; il fit une opération de magie par grimoire, si bien que personne ne le vît plus dans la cour d’audience, et cela avec l’intention de s’en aller à la Terre des Nègres, son pays. Mais Horus, le fils de Panishi, récita un écrit sur lui, il dévoila les sorcelleries de l’Éthiopien, il fit que Pharaon le vit, ainsi que les peuples d’Égypte qui se tenaient dans la cour d’audience, si bien qu’il sembla un vilain oison prêt à partir. Horus, le fils de Panishi, récita un écrit sur lui ; il le renversa sur le dos, avec un oiseleur debout au-dessus de lui, un couteau pointu à la main, sur le point de lui faire un mauvais parti. Tandis que tout cela s’accomplissait, les signes dont Horus, le fils de Tnahsît, était convenu entre lui et sa mère[675], se produisaient tous par-devant elle ; elle n’hésita pas à monter vers l’Égypte en la forme de l’oie, et elle s’arrêta au-dessus du palais de Pharaon, elle claironna à toute sa voix vers son fils, qui avait la forme d’un vilain oiseau menacé par l’oiseleur. Horus, le fils de Panishi, regarda au ciel, il vit Tnahsît sous la forme en laquelle elle était, et il reconnut que c’était Tnahsît l’Éthiopienne ; il récita un grimoire contre elle, il la renversa sur le dos avec un oiseleur debout au-dessus d’elle, dont le couteau allait lui donner la mort. Elle se mua de la forme en laquelle elle était, elle prit la forme d’une femme éthiopienne, et elle le supplia, disant : « Ne viens pas contre nous, Horus, le fils de Panishi, mais pardonne-nous cet acte criminel ! Si tant est que tu nous donnes un bateau, nous ne reviendrons plus en Égypte une autre fois ! » Horus, le fils de Panishi, jura par Pharaon ainsi que par les dieux de l’Égypte, à savoir : « Je ne suspendrai pas mon opération de magie par grimoire, si vous ne me prêtez serment de ne jamais revenir en Égypte sous aucun prétexte ». Tnahsît leva la main en foi qu’elle ne viendrait en Égypte à toujours et à jamais. Horus, le fils de Tnahsît, jura, disant : « Je ne reviendrai pas en Égypte avant quinze cents ans ! » Horus, le fils de Panishi, renversa son opération de grimoire ; il donna un bateau à Horus, le fils de Tnahsît, ainsi qu’à Tnahsît, sa mère, et ils filèrent vers la Terre des Nègres, leur pays ».

Ces discours, Sénosiris les tint par-devant Pharaon, tandis que le peuple entendait sa voix, que Satmi, son père, voyait tout, que la peste d’Éthiopien était prosternée le front contre terre, puis il dit : « Par la vie de ta face, mon grand Seigneur, l’homme que voici devant toi, c’est Horus, le fils de Tnahsît, celui-là même de qui je raconte les actes, qui ne s’est pas repenti de ce qu’il fit auparavant, mais qui est revenu en Égypte après quinze cents ans pour y jeter ses sortilèges. Par la vie d’Osiris, le dieu grand, maître de l’Amentît, devant qui je vais reposer, je suis Horus, le fils de Panishi, moi qui me tiens ici devant Pharaon. Lorsque j’appris dans l’Amentît que cet ennemi d’Éthiopien allait jeter ses sacrilèges contre l’Égypte, comme il n’y avait plus en Égypte ni bon scribe, ni savant qui pût lutter contre lui, je suppliai Osiris dans l’Amentît qu’il me permît de paraître sur terre de nouveau, pour empêcher celui-ci d’apporter l’infériorité de l’Égypte à la Terre des Nègres. On commanda par-devant Osiris de me ramener à la terre et je ressuscitai, je montai en germe jusqu’à ce que je rencontrai Satmi, le fils de Pharaon, sur la montagne d’Héliopolis ou de Memphis ; je crûs en ce plant de colocase afin de rentrer dans un corps et de renaître à la terre, pour faire sorcellerie contre cet ennemi d’Éthiopien qui est là dans la cour d’audience ». Horus, le fils de Panishi, fit une opération de magie par grimoire, en la figure de Sénosiris, contre la peste d’Éthiopien ; il l’enveloppa d’un feu qui le consuma dans le milieu de la cour, au vu de Pharaon ainsi que de ses nobles et du peuple d’Égypte, puis Sénosiris s’évanouit comme une ombre d’auprès de Pharaon et de son père Satmi, si bien qu’ils ne le virent plus.

Pharaon s’émerveilla plus que tout au monde, ainsi que ses nobles, des choses qu’ils avaient vues sur la cour d’audience, disant : « Il n’y eut jamais bon scribe, ni savant pareil à Horus, le fils de Panishi, et il n’y en aura plus de la sorte après lui de nouveau ». Satmi ouvrit sa bouche d’un grand cri pour ce que Sénosiris s’était évanoui comme une ombre et qu’il ne le voyait plus. Pharaon se leva de la cour d’audience, le cœur très affligé de ce qu’il avait vu ; Pharaon commanda qu’on fit des préparatifs en présence de Satmi pour le bien accueillir à cause de son fils Sénosiris et pour lui réconforter le cœur. Le soir venu, Satmi s’en alla à ses appartements, le cœur troublé grandement, et sa femme Mahîtouaskhît se coucha près de lui elle conçut de lui la nuit même, elle ne tarda pas à mettre au monde un enfant mâle, qu’on nomma Ousimanthor.

Toutefois, il arriva que jamais Satmi n’interrompit de faire des offrandes et des libations par-devant le génie d’Horus, le fils de Panishi, en tout temps. C’est ici la fin de ce livre qu’a écrit…

III

COMMENT SATNI-KHÂMOÎS TRIOMPHA DES ASSYRIENS

Il y a longtemps qu’on a reconnu le caractère romanesque du récit qu’Hérodote nous a conservé, au livre deuxième et au chapitre CXLI de ses histoires, sur le compte du prêtre de Vulcain Séthon, qui triompha des Assyriens et de leur roi Sennachérib. On convenait volontiers que c’était une version égyptienne des faits racontés dans la Bible aux Livres des Rois (II, XIX, 35-36), mais on ne savait qui était le Séthon au compte de qui l’imagination populaire avait inscrit ce miracle. Le roi Zêt, que l’Africain ajoute aux listes de Manéthon vers la fin de la XXIIIe Dynastie, n’est peut-être qu’un doublet un peu défiguré du Séthon d’Hérodote, et les monuments de l’époque assyrienne ou éthiopienne ne nous ont rendu jusqu’à présent aucun nom de souverain qui puisse correspondre exactement au nom grec.

Krall, le premier, rapprocha Séthon du Satni, fils de Ramsès II, qui est le héros des deux contes précédents (Ein neuer historicher Roman, dans les Mitteilungen aus den Sammlungen der papyrus des Erzherzogs Reiner, t. VI, p. 1, note 3), mais il le fit en passant, sans insister, et son opinion trouva peu de créance, auprès des égyptologues. Elle fut reprise et développée tout au long par Griffith, dans la préface de son édition des deux contes (Stories of the High-Priests of Memphis, p. 1-12), et, après avoir examiné de près la question, il me paraît difficile de ne pas admettre au moins provisoirement qu’elle est très vraisemblable. Hérodote nous aurait transmis de la sorte le thème principal d’un des contes relatifs à Satni-Khâmoîs, le plus ancien de ceux qui nous sont parvenus. Satni n’a pas occasion d’y exercer les pouvoirs surnaturels dont la tradition postérieure l’arme surabondamment : c’est sa piété qui lui assure la victoire. Le conte n’appartient donc pas au cycle magique. Il rentre dans un ensemble de récits destinés à justifier l’opposition que la classe sacerdotale faisait à la classe militaire depuis la chute des Ramessides, et à montrer la supériorité du gouvernement théocratique sur les autres gouvernements. L’aristocratie féodale a beau y refuser son aide au prêtre-roi : la protection du dieu suffit pour assurer à une armée de petits bourgeois ou d’artisans dévots la victoire sur une armée de métier, et c’est elle seule qui délivre l’Égypte de l’invasion.

*

* *

Après Anysis, régna le prêtre d’Hépæstos qui a nom Séthon. Il traita avec mépris les hommes d’armes égyptiens, pensant n’avoir jamais besoin d’eux ; il leur infligea divers outrages, et, entre autres, il leur enleva les fiefs composés de douze aroures de terre que les rois antérieurs avaient constitués à chacun d’eux.

Or, par la suite, Sanacharibos, le roi des Arabes et des Assyriens, conduisit une grande armée contre l’Égypte ; mais alors les hommes d’armes égyptiens refusèrent de marcher et le prêtre, réduit à l’impuissance, entra dans le temple et se répandit en plaintes devant la statue à l’idée des malheurs qui le menaçaient. Tandis qu’il se lamentait, le sommeil le surprit ; il lui sembla que le dieu, lui apparaissant, l’exhortait à prendre courage et l’assurait que rien ne lui arriverait de fâcheux dans sa campagne contre l’armée des Arabes, car lui-même il lui enverrait du secours[676].

Confiant en son rêve, il rassembla ceux des Égyptiens qui consentirent à le suivre, et il alla camper à Péluse, car c’est par là qu’on pénètre en Égypte : aucun des hommes d’armes ne le suivit, mais seulement des marchands, des artisans, des gens de la rue. Lors donc que les ennemis se présentèrent pour assiéger la ville, des rats campagnols se répandirent de nuit dans leur camp et leur rongèrent tous les carquois, puis tous les arcs, jusqu’aux attaches des boucliers, si bien que le lendemain ils durent s’enfuir désarmés et qu’il en périt beaucoup.

Et maintenant l’image en pierre de ce roi est debout dans le temple d’Héphæstos. Elle tient un rat à la main, et elle dit dans l’inscription qui est tracée sur elle : « Quiconque me regarde, qu’il respecte le dieu ! »

LE CYCLE DE RAMSÈS II

I

LA FILLE DU PRINCE DE BAKHTAN ET L’ESPRIT POSSESSEUR


Le monument qui nous a conservé ce curieux récit est une stèle découverte par Champollion dans le temple de Khonsou à Thèbes, enlevée en 1846 par Prisse d’Avenue et donnée par lui à la Bibliothèque Nationale de Paris. Il a été publié par :

Prisse d’Avenue, Choix de monuments égyptiens, in f°, Paris, 1847, Pl. XXIV et p. 5.

Champollion, Monuments de l’Égypte et de la Nubie, in-4°, Paris, 1846-1874. Texte, t. II, p. 280-290.

Champollion avait étudié cette inscription et il en a cité plusieurs phrases dans ses ouvrages. Elle fut traduite et reproduite avec luxe sur une feuille de papier isolée, composée à l’Imprimerie Impériale pour l’Exposition universelle de 1855, sous la surveillance d’Emmanuel de Rougé. Deux traductions en parurent presque simultanément :

Birch, Notes upon an Egyptian Inscription in the Bibliothèque Impériale of Paris (from the Transactions of the Royal Society of Literature, New Series, t. IV), Londres, in-8°, 46 p.

E. de Rougé, Étude sur une stèle égyptienne appartenant à la Bibliothèque Impériale (Extrait du Journal Asiatique, cahiers d’Août 1856, Août 1857, Juin et Août-Septembre 1858), Paris, in-8°, 222 p. et la planche composée pour l’Exposition de 1855.

Les travaux postérieurs n’ajoutèrent d’abord que peu de chose aux résultats obtenus par E. de Rougé. Ils furent acceptés entièrement par :

H. Brugsch, Histoire d’Égypte, in-4°, Leipzig, 1859, p. 206-210,

H. Brugsch, Geschichte Ægyptens, in-8°, Leipzig, Hinrichs, 1877, p. 627-641.

Le récit a partout l’allure d’un document officiel. Il débute par un protocole royal au nom d’un souverain qui a les mêmes nom et prénoms que Ramsès II-Sésostris. Viennent ensuite des dates échelonnées tout le long du texte ; les détails du culte et du cérémonial pharaonique sont mis en scène avec un soin scrupuleux, et l’ensemble présente un caractère de vraisemblance tel qu’on a pendant longtemps considéré notre inscription comme étant un document historique. Le Ramsès qu’elle nomme fut inséré dans la XXe dynastie, au douzième rang, et l’on s’obstina à chercher sur la carte le pays de Bakhtan qui avait fourni une reine à l’Égypte. Erman a reconnu avec beaucoup de sagacité qu’il y avait là un véritable faux, commis par les prêtres de Khonsou, dans l’intention de rehausser la gloire du dieu et d’assurer au temple la possession de certains avantages matériels.

A. Erman, Die Bentreschstele, dans la Zeitschrift für Ægyptische Sprache, 1883, p. 54-60.

Il a démontré que les faussaires avaient eu l’intention de mettre au compte de Ramsès II l’histoire de l’esprit possesseur, et il nous a rendu le service de nous débarrasser d’un Pharaon imaginaire. Il a fait descendre la rédaction jusqu’aux environs de l’époque ptolémaïque ; je crois pouvoir l’attribuer aux temps moyens des invasions éthiopiennes. Elle fut composée au moment où la charge de grand-prêtre d’Amon venait de tomber en déshérence, et où les sacerdoces qui subsistaient encore devaient chercher à s’approprier, par tous les moyens, la haute influence qu’avait exercée le sacerdoce disparu.

Depuis lors, le texte a été traduit, en anglais par Breasted, Ancient Records of Egypt, t. III, pp. 429-447, en allemand par A. Wiedemann, Altægyptische Sagen und Mærchen, in-8°, Leipzig, 1906, p. 86-93.

Le récit renferme un thème fréquent dans les littératures populaires : un esprit, entré au corps d’une princesse, lutte avec succès contre les exorcistes chargés de l’expulser, et il ne s’en va qu’à de certaines conditions. La rédaction égyptienne nous fournit la forme la plus simple et la plus ancienne de ce récit. Une rédaction différente, adaptée aux croyances chrétiennes, a été signalée par :

O. de Lemm, die Geschichte von der Prinzessin Bentresch und die Geschichte von Kaiser Zeno und seinen zwei Töchtern, dans les Mélanges Asiatiques tirés du Bulletin de t’Académie des Sciences de Saint-Pétersbourg, t. II, p. 599-603, et dans le Bulletin, t. XXXII, p. 473-476.

Un égyptologue moderne a repris la donnée de notre texte pour en faire le sujet d’une petite nouvelle :

H. Brugsch-Bey, Des Priesters Rache, Eine historisch beglaubigte Erzählung aus der Ægyptische Geschichte des zwölften Jahrhunderts vor Chr., dans la Deutsche Revue, t. V, p. 15-41.

Erman a signalé dans notre document une recherche d’archaïsme et des fautes de grammaire assez graves. On comprend que les prêtres de Khonsou aient cherché à imiter le langage de l’époque à laquelle ils attribuaient le monument. On comprend également qu’ils n’aient pas pu soutenir partout avec autant de fidélité le ton vieillot et qu’ils aient pris parfois l’incorrection pour l’archaïsme. Leurs propositions sont gauchement construites, l’expression de leur idée vient mal, leur phrase est courte et sans relief. Enfin, ils ont prêté à un roi de la XIXe dynastie des procédés de gouvernement qui appartiennent surtout aux souverains de la XXe. Ramsès II, dévot qu’il était, ne se croyait pas obligé de soumettre à l’approbation des dieux toutes les affaires de l’État : ce sont les derniers successeurs de Ramsès III qui introduisirent l’usage de consulter la statue d’Amon en toute circonstance. Ces réserves faites, on peut avouer que le texte ne présente plus de difficultés à l’interprétation et qu’il se laisse traduire sans peine, avec un peu d’attention : comme le Conte des deux Frères, on peut le placer avec avantage entre les mains des débutants en égyptologie.

La stèle est surmontée d’un tableau où l’une des scènes du conte est mise en action sous nos yeux. À gauche, la bari de Khonsou, le bon conseiller, arrive portée sur les épaules de huit individus et suivie de deux prêtres qui lisent des prières : le roi, debout devant elle, lui présente l’encens. À droite, la bari de Khonsou, qui règle les destinées en Thèbes, est figurée, tenue par quatre hommes seulement, car elle est plus petite que la précédente : le prêtre qui lui offre l’encens est le prophète de Khonsou, qui règle les destinées en Thèbes, Khonsouhânoutirnabit. C’est probablement le retour du second dieu à Thèbes qui est illustré de la sorte : Khonsou le premier vient recevoir Khonsou le second, et le prêtre et le roi rendent un hommage égal chacun à sa divinité.

*

* *

L’Horus, taureau vigoureux, chargé de diadèmes et établi aussi solidement en ses royautés que le dieu Atoumou ; l’Horus vainqueur, puissant par le glaive et destructeur des Barbares, les rois des deux Égyptes Ouasimarîya-satpanrîya, fils du Soleil, Rîyamasâsou Maîamânou, aimé d’Amonrâ maître de Karnak et du cycle des dieux seigneurs de Thèbes ; le dieu bon, fils d’Amon, né de Maout, engendré par Harmakhis, l’enfant glorieux du Seigneur universel, engendré par le Dieu mari de sa propre mère, roi de l’Égypte, prince des tribus du désert, souverain qui régit les barbares, à peine sorti du sein maternel il dirigeait les guerres, et il commandait à la vaillance encore dans l’œuf, ainsi qu’un taureau qui pousse en avant, – car c’est un taureau que ce roi, un dieu qui sort, au jour des combats, comme Montou, et qui est très vaillant comme le fils de Nouît[677].

Or, comme Sa Majesté était en Naharaina[678] selon sa règle de chaque année, que les princes de toute terre venaient, courbés sous le poids des offrandes qu’ils apportaient aux âmes de Sa Majesté[679], et que les forteresses apportaient leurs tributs, l’or, l’argent, le lapis-lazuli, la malachite[680], tous les bois odorants de l’Arabie, sur leur échine et marchant en file l’une derrière l’autre, voici, le prince de Bakhtan fit apporter ses tributs et mit sa fille aînée en tête du cortège, pour saluer Sa Majesté et pour lui demander la vie. Parce qu’elle était une femme très belle, plaisante à Sa Majesté plus que toute chose, voici, il lui assigna comme titre celui de Grande épouse royale, Nafrourîya, et, quand il fut de retour en Égypte, elle remplit tous les rites de l’épouse royale[681].

Et il arriva en l’an XV, le 22 du mois de Payni, comme Sa Majesté était à Thèbes la forte, la reine des cités, occupé à faire ce pourquoi il plaît à son père Amonrâ, maître de Karnak, en sa belle fête de Thèbes méridionale[682], le séjour favori où le dieu est depuis la création, voici qu’on vint dire à Sa Majesté : « Il y a là un messager du prince de Bakhtan, qui vient avec beaucoup de cadeaux pour l’épouse royale ». Amené devant Sa Majesté avec ses cadeaux, il dit en saluant Sa Majesté : « Gloire à toi, Soleil des peuples étrangers, toi par qui nous vivons », et, quand il eut dit son adoration devant Sa Majesté, il se reprit à parler à Sa Majesté : « Je viens à toi, Sire, mon maître, au sujet de Bintrashît[683], la sœur cadette de la royale épouse Nafrourîya, car un mal pénètre ses membres. Que ta Majesté fasse partir un savant pour la voir ». Lors, le roi dit : « Amenez-moi les scribes de la double maison de vie qui sont attachés au palais[684] ». Dès qu’ils furent venus, Sa Majesté dit : « Voici, je vous ai fait appeler pour que vous entendissiez cette parole : « Amenez-moi d’entre vous un habile en son cœur, un scribe savant de ses doigts ». Quand le scribe royal Thotimhabi fut venu en présence de Sa Majesté, Sa Majesté lui ordonna de se rendre au Bakhtan avec ce messager. Dès que le savant fut arrivé au Bakhtan, il trouva Bintrashît en l’état d’une possédée, et il trouva le revenant qui la possédait un ennemi rude à combattre[685]. Le prince de Bakhtan envoya donc un second message à Sa Majesté, disant : « Sire, mon maître, que ta Majesté ordonne d’amener un dieu pour combattre le revenant ».

Quand le messager arriva auprès de Sa Majesté, en l’an XXIII, le 1er de Pakhons le jour de la fête d’Amon, tandis que Sa Majesté était à Thèbes, voici que Sa Majesté parla de nouveau en présence de Khonsou en Thèbes, dieu de bon conseil[686], disant : « Excellent seigneur, me voici de nouveau devant toi, au sujet de la fille du prince de Bakhtan ». Alors, Khonsou en Thèbes, dieu de bon conseil, fut transporté vers Khonsou qui règle les destinées, le dieu grand qui chasse les étrangers, et Sa Majesté dit en face de Khonsou en Thèbes, dieu de bon conseil : « Excellent seigneur, s’il te plait tourner ta face à Khonsou qui règle les destinées, dieu grand qui chasse les étrangers, on le fera aller au Bakhtan ». Et le dieu approuva de la tête fortement par deux fois[687]. Alors Sa Majesté dit : « Donne-lui ta vertu que je fasse aller la Majesté de ce dieu au Bakhtan, pour délivrer la fille du prince de Bakhtan ». Et Khonsou en Thèbes, dieu de bon conseil, approuva de la tête fortement, par deux fois, et il fit la transmission de vertu magique à Khonsou qui règle les destinées en Thèbes, par quatre fois.[688] Sa Majesté ordonna qu’on fît partir Khonsou qui règle les destinées en Thèbes, sur une barque grande, escortée de cinq nacelles, de chars et de chevaux nombreux qui marchaient, de droite et de gauche. Quand ce Dieu fut arrivé au Bakhtan en l’espace d’un an et cinq mois, voici que le prince de Bakhtan vint avec ses soldats et ses généraux au-devant de Khonsou, qui règle les destinées, et il se mit à plat ventre, disant : « Tu viens à nous, tu te rejoins à nous, selon les ordres du roi des deux Égyptes Ouasimarîya-satpanrîya ». Voici, dès que ce Dieu fut allé au lieu où était Bintrashît et qu’il eut fait les passes magiques à la fille du prince de Bakhtan, elle se trouva bien sur-le-champ et le revenant qui était avec elle dit en présence de Khonsou, qui règle les destinées en Thèbes :

« Viens en paix, dieu grand qui chasses les étrangers, Bakhtan est ta ville, ses gens sont tes esclaves et moi même je suis ton esclave. Je m’en irai donc au lieu d’où je suis venu, afin de donner à ton cœur satisfaction au sujet de l’affaire qui t’amène, mais ordonne Ta Majesté qu’on célèbre un jour de fête pour moi et pour le prince de Bakhtan ». Le Dieu fit à son prophète un signe de tête approbateur pour dire : « Que le prince de Bakhtan fasse une grande offrande devant ce revenant ». Or, tandis que cela se passait entre Khonsou qui règle les destinées en Thèbes et entre ce revenant, le prince de Bakhtan était là avec son armée frappé de terreur. Et, quand on eut fait une grande offrande par-devant Khonsou qui règle les destinées en Thèbes, et par-devant le revenant du prince de Bakhtan, en célébrant un jour de fête en leur honneur, le revenant s’en alla en paix au lieu qu’il lui plut, selon l’ordre de Khonsou qui règle les destinées en Thèbes.

Le prince de Bakhtan se réjouit grandement ainsi que tous les gens de Bakhtan, et il s’entretint avec son cœur, disant : « Puisque ce Dieu a été donné au Bakhtan, je ne le renverrai pas en Égypte ». Or, après que ce Dieu fut resté trois ans et neuf mois au Bakhtan, comme le prince de Bakhtan était couché sur son lit, il vit en songe ce Dieu sortant de sa châsse, en forme d’un épervier d’or qui s’envolait vers l’Égypte ; quand il s’éveilla, il était tout frissonnant. Alors il dit au prophète de Khonsou qui règle les destinées en Thèbes : « Ce Dieu qui était demeuré avec nous, il retourne en Égypte : que son char aille en Égypte ! » Le prince de Bakhtan accorda que ce Dieu partît pour l’Égypte, et il lui donna de nombreux cadeaux de toutes bonnes choses, ainsi qu’une forte escorte de soldats et de chevaux. Lorsqu’ils furent arrivés à Thèbes, Khonsou qui règle les destinées en Thèbes se rendit au temple de Khonsou en Thèbes, le bon conseiller : il mit les cadeaux que le prince de Bakhtan lui avait donnés de toutes bonnes choses en présence de Khonsou en Thèbes, le bon conseiller, il ne garda rien pour son propre compte. Or, Khonsou, le bon conseiller en Thèbes, rentra dans son temple en paix, l’an XXXIII, le 19 Méchir, du roi Ouasimarîya-satpanrîya, vivant à toujours, comme le Soleil.

II

LA GESTE DE SÉSÔSTRIS

(Époque persane.)

Comme il a été dit dans l’Introduction générale de ces contes (au chapitre III), Ramsès II s’est divisé dans la tradition et il a donné naissance à deux personnages différents, dont l’un se nomme Sésôstris, d’après le sobriquet populaire ; Sésousrîya qu’on rencontre sur quelques monuments, tandis que l’autre est appelé Osimandouas-Osimandyas, du prénom Ouasimarîya. La forme Sésôstris et la légende qui s’y rattache est d’origine memphite, ainsi que j’ai eu l’occasion de l’exposer ailleurs (la Geste de Sésôstris, dans le Journal des Savants, 1901, p. 599-600, 603). Elle était née, ou du moins, elle s’était localisée autour d’un groupe de six statues dressées en avant du temple de Phtah à Memphis, et que les sacristains firent admirer à Hérodote, en lui assurant qu’elles représentaient le conquérant égyptien, sa femme, et ses quatre fils (II, CX). En l’insérant dans ses histoires, il ne fit que transcrire sans s’en douter un roman populaire, où les données d’apparence authentique ne servaient qu’à introduire un certain nombre d’épisodes de pure imagination. Si en effet nous recherchons quelle est la proportion des parties dans la Geste, une fois éliminés les commentaires qu’Hérodote y ajouta de son crû, on reconnaît que les plus développées sont celles qui parlent du traitement des peuples vaincus et de la manière dont le héros, revenu en Égypte, échappa à la mort près de Péluse : l’une occupe plus de la moitié du chapitre CII, l’autre le chapitre CVII tout entier. La façon dont le retour au pays est exposée, ainsi que les circonstances qui l’accompagnent, porte même à croire que c’était là le thème principal. Sans insister davantage sur ce point, je dirai que la proportion des parties dans l’original égyptien devait être sensiblement la même que dans le résumé grec : Hérodote n’a pas reproduit tous les détails qu’il avait entendus, mais l’abrégé qu’il a rédigé de l’ensemble nous met très suffisamment au courant de l’action et des ressorts principaux. L’idée première semble avoir été d’expliquer l’origine des canaux et de la législation foncière en vigueur dans le pays, et le peuple, incapable de suivre la longue évolution qui avait amené les choses au point où elles étaient, avait recouru à la conception simpliste du souverain qui, à lui seul, en quelques années, avait accompli l’œuvre de beaucoup de siècles. La guerre pouvant seule lui procurer les bras nécessaires on l’envoya à la conquête du monde, et l’on cousit sur ce canevas des données préexistantes, la description des stèles commémoratives et l’incendie de Daphnæ. Le thème du banquet périlleux était un thème courant de la fantaisie égyptienne et nous en connaissons deux autres exemples jusqu’à présent, celui dans lequel Set-Typhon assassine son frère Osiris, revenu de ses conquêtes comme Sésôstris, et celui que Nitocris donne aux meurtriers de son père (Hérodote, II, C). Il y a là les éléments de plusieurs contes que l’imagination des drogmans fondit en une même Geste qu’ils débitaient aux visiteurs du temple de Phtah.

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Le roi Sésôstris, en premier lieu, cingla hors du golfe Arabique avec des navires de haut bord, et il réduisit les peuples qui habitent le long de la Mer Érythrée, jusqu’à ce que, poussant toujours avant, il arriva au point où des bas-fonds rendent la mer impraticable. Lors donc qu’il fut revenu en Égypte, prenant avec lui une armée nombreuse, il parcourut la terre ferme, soumettant tous les peuples qu’il rencontra. Ceux d’entre eux qui se montraient braves contre lui et qui luttaient obstinément pour la liberté, il leur élevait dans leur pays des stèles, sur lesquelles étaient inscrits leur nom, celui de leur patrie, et comme quoi il les avait soumis à sa puissance ; ceux, au contraire, dont il avait pris les villes sans combat et comme en courant, il écrivit sur leurs stèles les mêmes renseignements que pour les peuples qui avaient donné preuve de courage, mais, il y ajouta en plus l’image des parties honteuses de la femme, voulant témoigner à tous qu’ils avaient été lâches. Ainsi faisant, il parcourut la terre ferme, jusqu’à ce qu’ayant traversé d’Asie en Europe, il soumit et Scythes et les Thraces[689]. Ensuite, ayant rebroussé, il revint en arrière[690].

Or, ce Sésôstris qui revenait en son pays et qui ramenait avec soi beaucoup d’hommes des peuples qu’il avait soumis, lorsqu’il fut de retour à Daphnæ, au voisinage de Péluse, son frère, à qui il avait confié le gouvernement de l’Égypte, l’invita à une fête et avec lui ses enfants, entoura la maison de bois au dehors, puis, après l’avoir entourée, y mit le feu. Lui donc, sitôt qu’il l’apprit, il en délibéra soudain avec sa femme, – car il avait emmené sa femme avec lui, – et celle-ci lui conseilla, de six enfants qu’ils avaient, d’en coucher deux à travers la fournaise, puis de la franchir sur leur corps et de se sauver ainsi. Sésôstris le fit, et deux des enfants furent brûlés de la sorte, mais les autres furent sauvés avec le père. Sésôstris, étant entré en Égypte et ayant châtié son frère, employa aux besognes suivantes la foule des prisonniers qu’il ramenait des pays qu’il avait soumis : ils traînèrent les blocs de taille énorme que ce roi transportait au temple d’Héphæstos, ils creusèrent par force tous les canaux qu’il y a maintenant en Égypte ; ils rendirent à contre-cœur l’Égypte, qui auparavant avait été tout entière praticable aux chevaux et aux chars, impraticable par ces moyens, car, c’est depuis ce temps que l’Égypte n’a plus eu de chevaux ni de chars. Il partagea le sol entre tous les Égyptiens, donnant à chacun, par le sort, un lot quadrangulaire de superficie égale, et c’est là-dessus qu’il établit l’assiette de l’impôt, ordonnant qu’on payât l’impôt annuellement. Et si le fleuve enlevait à quelqu’un une parcelle de son lot, l’individu, venant devant le roi, déclarait l’accident ; lui donc envoyait les gens chargés d’examiner et de mesurer la perte que le bien avait subie, pour que le contribuable ne payât plus sur le reste qu’une part proportionnelle de l’impôt primitif[691].

Ce roi fut le seul des rois d’Égypte qui régna sur l’Éthiopie[692].

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Diodore de Sicile (I, LIII-LVIII) a donné une version du conte recueilli par Hérodote, mais augmentée et assagie par les historiens qui avaient répété avant lui la fable de Sésôstris. C’est ainsi que, dans l’épisode du banquet de Péluse, il supprimait, probablement comme étant trop barbare, le sacrifice que le conquérant avait fait de deux de ses fils pour se sauver lui-même avec le reste de sa famille le roi, « levant alors les mains, implora les dieux pour le salut de ses enfants et de sa femme, et traversa les flammes (I, LVII). Diodore, ou plutôt l’écrivain alexandrin qu’il copie, a substitué à la forme Sésousriya-Sésôstris des drogmans d’Hérodote, la variante abrégée Sésousi-Sésoôsis.

III

LA GESTE D’OSIMANDYAS

(Époque ptolémaïque.)

Les versions thébaines de la légende de Ramsès II s’étaient attachées au temple funéraire que ce prince s’était bâti sur la rive gauche, au Ramesséum , et comme l’un des noms de ce temple était tà haît Ouasimârîya Maîamanou, « le Château d’Ouasimarîya Maîamanou », et par abréviation « le Château d’Ouasimârîya », le prénom Ouasimarîya fit oublier le nom propre Ramsès : transcrit Osimandouas en grec, ainsi que je l’ai dit dans l’Introduction, (au chapitre II), il est passé dans Hécatée d’Abdère et dans Artémidore, puis, de chez eux dans Diodore, comme le nom d’un roi différent de Sésôstris-Sésoôsis. Ce qui nous a été conservé de sa Geste n’est que la description du Ramesséum et des sculptures qui en décoraient les diverses parties. On reconnaît pourtant qu’elle renfermait, comme la Geste de Sésôstris, une partie importante de batailles en Asie, contre les Bactriens. Osimandouas assiégeait une forteresse entourée d’un fleuve, et il s’exposait aux coups des ennemis, en compagnie d’un lion qui l’aidait terriblement dans les combats. Les drogmans de l’âge ptolémaïque n’étaient pas d’accord sur ce dernier point : les uns disaient que l’animal figuré sur les murs était un lion véritable, apprivoisé et nourri des mains du roi, et qui mettait par sa force les ennemis en fuite ; les autres, le prenant pour une métaphore réalisée, prétendaient que le roi, étant excessivement vaillant et robuste, avait voulu indiquer ces qualités par l’image d’un lion. Une moitié seulement subsiste de l’édifice dont les Grecs et les Romains admirèrent l’ordonnance, et par suite, un certain nombre des sculptures dont Diodore de Sicile indique sommairement le sujet a disparu, mais nous savons que. Ramsès III avait copié presque servilement les dispositions prises par son grand ancêtre, et, comme son temple de Médinet-Habore a moins souffert, on y retrouve, en seconde édition pour ainsi dire, ce qu’il y avait en première au Ramesséum , ainsi le défilé des prisonniers, les trophées de mains et de phallus qui constataient la prouesse des soldats égyptiens, le sacrifice du bœuf et la procession du dieu Minou que les drogmans interprétaient comme le retour triomphal du Pharaon. La fameuse bibliothèque « pharmacie de l’âme » n’était sans doute que l’officine d’où sortirent, sous la XIXe et sous la XXe dynastie, quantité d’ouvrages, les classiques de l’âge thébain. Enfin, les salles et chapelles accessoires sont probablement identiques à l’une ou l’autre de celles dont le déblaiement récent de la ville et des magasins a ramené les arasements au jour.

Il serait hardi de vouloir rétablir la Geste d’Osimandyas dans sa forme primitive ; à l’aide des extraits que Diodore nous en a donnés de troisième ou de quatrième main. On devine seulement qu’elle était très vraisemblablement parallèle par son développement à celle de Sésoôsis-Sésôstris. Elle débutait sans doute par une exposition des conquêtes du roi, qui lui avaient fourni les ressources nécessaires à construire ce que-les Grecs croyaient être son tombeau, mais qui est en vérité la chapelle du tombeau qu’il s’était creusé dans la Vallée funéraire. La description des merveilles que le monument contenait occupait la seconde moitié, et l’on jugera du ton qu’elle pouvait avoir par la version, courante alors, de l’inscription gravée sur la base du colosse de granit rose : « Je suis Osimandouas, le roi des rois, et si quelqu’un veut savoir qui je suis ; et où je repose ; qu’il surpasse une de mes œuvres. »

En résumé on devait trouver une version de la guerre contre les khâti, tournée à la façon dont les auteurs des Emprises du trône et de la cuirasse ont arrangé les luttes intestines des barons égyptiens entre eux à l’époque assyrienne. Il est fâcheux que les auteurs alexandrins à qui nous en devons la connaissance ne nous l’aient pas transmise à peu près complète, comme Hérodote avait fait pour la Geste de Sésôstris.

LE PRINCE PRÉDESTINÉ

(XXe DYNASTIE)

Le Conte du Prince prédestiné est l’un des ouvrages que renferme le Papyrus Harris n° 500 du British Museum. Il a été découvert et traduit en anglais par Goodwin, dans les Transactions of the Society of Biblical Archælogy, t. III, p. 349-356, et dans les Records of the Past, t. II, p. 153-160, puis analysé rapidement par Chabas, d’après la traduction de Goodwin. Sur quelques Contes égyptiens, dans les Comptes rendus de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, 1875, p. 118-120. Le texte égyptien a été publié, transcrit et traduit en français par Maspero, dans le Journal asiatique, 1877-1878, et dans les Études égyptiennes, t. I, p. 1-47 ; la collation sur l’original en a été faite par H. O. Lange, Notes sur le texte du Conte prédestiné, dans le Recueil de Travaux, t. XXI, p. 23-24, puis il a été reproduit, en hiératique seulement, par G. Mœller, Hieratische Lesestücke, petit in-folio, Leipzig, 1910, p. 21-24. Ebers l’a rendu en allemand et complété avec son habileté ordinaire, Das alte Ægyptische Märchen vom verwunschenen Prinzen, nacherzählt und zu Ende geführt, dans le numéro d’octobre 1881 des Westermann’s Monatshefte, p. 96-103. Depuis lors il a été traduit en anglais par W. Flinders Petrie, Egyptian Tales, 1895, Londres, in-12, t. II, p. 13-35, et par F. Ll. Griffith, dans les Specimen Pages of the World’s best Literature, 1898, New-York, in-4°, p. 5250-5253, en allemand par A. Wiedemann, Altægyptische Sagen und Mærchen, petit in 8°, Leipzig, 1906, p. 78-85.

On dit que le manuscrit était intact au moment de la découverte ; il aurait été mutilé, quelques années plus tard, par l’explosion d’une poudrière qui renversa en partie la maison où il était en dépôt, à Alexandrie d’Égypte. On pense qu’une copie, dessinée par M. Harris avant le désastre, a conservé les portions détruites dans l’original, mais personne ne connaît, pour le moment, l’endroit ou se trouve cette copie. Dans son état actuel, le Conte du Prince prédestiné couvre quatre pages et demie. La dernière ligne de la première, de la seconde et de la troisième page, la première ligne de la seconde, de la troisième et de la quatrième page, ont disparu. Toute la moitié de droite de la quatrième page, à partir de la ligne 8 jusqu’à la ligne 14, est effacée ou détruite presque entièrement. Enfin la cinquième page, outre quelques déchirures de peu d’importance, a perdu sur la gauche le tiers environ de toutes ses lignes. Néanmoins, le ton est si simple et l’enchaînement des idées si facile à suivre, qu’on peut combler la plupart des lacunes et restituer la lettre même du texte. La fin se devine, grâce aux indications que fournissent les contes de même nature qu’on rencontre dans d’autres pays.

Il est difficile de déterminer au juste l’époque à laquelle remonte ce récit. Le lieu de la scène est alternativement l’Égypte et la Syrie du nord, dont le nom est orthographié Naharinna, comme dans le Papyrus Anastasi N° IV, pl. XV, l. 4. On ne saurait donc placer la rédaction du morceau plus tôt que la XVIIIe dynastie, c’est-à-dire que le dix-septième siècle avant notre ère, et Mœller Hieratische Lesestücke, t. II, p. 21) pense que notre exemplaire a été copié au début de la XIXe dynastie. À mon avis pourtant, la forme des lettres, l’usage de certaines ligatures, l’apparition de certaines tournures grammaticales nouvelles, rappellent invinciblement les papyrus thébains contemporains des derniers Ramsès. J’inclinerai donc à placer, sinon la rédaction première du conte, au moins la version que nous en fournit le Papyrus Harris et l’écriture du manuscrit, vers la fin ou vers le milieu de la XXe dynastie au plus tôt.

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* *

Il y avait une fois un roi[693] à qui il ne naissait pas d’enfant mâle. Son cœur en fut tout attristé ; il demanda un garçon aux dieux de son temps et ils décrétèrent de lui en faire naître un. Il coucha avec sa femme pendant la nuit, et alors elle conçut ; accomplis les mois de la naissance, voici que naquit un enfant mâle. Quand les Hathors[694] vinrent pour lui destiner un destin, elles dirent : « Qu’il meure par le crocodile, ou par le serpent, voire par le chien ! » Quand les gens qui étaient avec l’enfant l’entendirent, ils l’allèrent dire à Sa Majesté, v. s. f., et Sa Majesté, v. s. f., en eut le cœur tout attristé. Sa Majesté, v. s. f., lui fit construire une maison de pierre sur la montagne, garnie d’hommes, et de toutes les bonnes choses du logis du roi, v. s. f., car l’enfant n’en sortait pas. Et quand l’enfant fut grand, il monta sur la terrasse[695] de sa maison, et il aperçut un lévrier qui marchait derrière un homme qui allait sur la route. Il dit à son page qui était avec lui « Qu’est-ce qui marche derrière l’homme qui chemine sur la route ? » Le page lui dit : « C’est un lévrier ! » L’enfant lui dit : « Qu’on m’en apporte un tout pareil ! » Le page l’alla redire à Sa Majesté, v. s. f., et Sa Majesté, v. s. f., dit : « Qu’on lui amène un jeune chien courant, de peur que son cœur ne s’afflige ! » Et, voici, on lui amena le lévrier.

Et, après que les jours eurent passé là-dessus, quand l’enfant eut pris de l’âge en tous ses membres, il envoya un message à son père, disant : « Allons ! pourquoi être comme les fainéants ? Puisque je suis destiné à trois destinées fâcheuses, quand même j’agirais selon ma volonté, Dieu n’en fera pas moins ce qui lui tient au cœur ! » On écouta tout ce qu’il disait, on lui donna, toute sorte d’armes, on lui donna aussi son lévrier pour le suivre, on le transporta à la côté orientale[696], on lui dit : « Ah ! va où tu le désires ! » Son lévrier était avec lui ; il s’en alla donc, selon son caprice, à travers le pays, vivant des prémices de tout le gibier du pays. Arrivé pour s’envoler[697] vers le prince de Naharinna[698], voici, il n’était point né d’enfant au prince de Naharinna, mais seulement une fille. Or, lui ayant construit une maison dont les soixante-dix fenêtres étaient éloignées du sol de soixante-dix coudées, il se fit amener tous les enfants des princes du pays de Kharou[699], et il leur dit : « Celui qui atteindra la fenêtre de ma fille, elle lui sera donnée pour femme ! »

Or, beaucoup de jours après que ces événements furent accomplis, tandis que les princes de Syrie étaient à leur occupation de chaque jour, le prince d’Égypte étant venu à passer à l’endroit où ils étaient, ils conduisirent le prince à leur maison, ils le mirent au bain, ils donnèrent la provende à ses chevaux, ils firent toutes sortes de choses pour le prince : ils le parfumèrent, ils lui oignirent les pieds, ils lui donnèrent de leurs pains, ils lui dirent en manière de conversation : « D’où viens-tu, bon jeune homme ? » Il leur dit : « Moi, je suis fils d’un soldat des chars[700] du pays d’Égypte. Ma mère mourut, mon père prit une autre femme. Quand survinrent des enfants, elle se mit à me haïr, et je me suis enfui devant elle ». Ils le serrèrent dans leurs bras, ils le couvrirent de baisers. Or, après que beaucoup de jours eurent passé là-dessus, il dit aux princes : « Que faites-vous donc ici ? » Ils lui dirent « Nous passons notre temps à faire ceci : nous nous envolons, et celui qui atteindra la fenêtre de la fille du prince de Naharinna, on la lui donnera pour femme ». Il leur dit : « S’il vous plaît, je conjurerai mes jambes et j’irai m’envoler avec vous ». Ils allèrent s’envoler comme c’était leur occupation de chaque jour, et le prince se tint éloigné pour voir, et la figure de la fille du chef de Naharinna se tourna vers lui. Or, après que les jours eurent passé là-dessus, le prince s’en alla pour s’envoler avec les enfants des chefs, et il s’envola, et il atteignit la fenêtre de la fille du chef de Naharinna ; elle le baisa et elle l’embrassa dans tous ses membres.

On s’en alla pour réjouir le cœur du père de la princesse, et on lui dit : « Un homme a atteint la fenêtre de ta fille ». Le prince interrogea le messager, disant : « Le fils duquel des princes ? » On lui dit : « Le fils d’un soldat des chars, venu en fugitif du pays d’Égypte pour échapper à sa belle-mère, quand elle eut des enfants ». Le prince de Naharinna se mit très fort en colère. Il dit : « Est-ce que moi je donnerai ma fille au transfuge du pays d’Égypte ? Qu’il s’en retourne ! » On alla dire au prince : « Retourne t-en au lieu d’où tu es venu ». Mais la princesse le saisit, et elle jura par Dieu, disant : « Par la vie de Phrâ Harmakhis[701] ! si on me l’arrache, je ne mangerai plus, je ne boirai plus, je mourrai sur l’heure ». Le messager alla pour répéter tous les discours qu’elle avait tenus à son père ; et le prince envoya des gens pour tuer le jeune homme, tandis qu’il était dans sa maison. La princesse leur dit : « Par la vie de Phrâ ! si on le tue, au coucher du soleil, je serai morte ; je ne passerai pas une heure de vie, plutôt que de rester séparée de lui ! » On l’alla dire à son père. Le prince fit amener le jeune homme avec la princesse. Le jeune homme fut saisi de terreur, quand il vint devant le prince, mais celui-ci l’embrassa, il le couvrit de baisers, il lui dit : « Conte-moi qui tu es, car voici, tu es pour moi un fils ! » Le jeune homme dit : « Moi, je suis l’enfant d’un soldat des chars du pays d’Égypte. Ma mère mourut, mon père prit une autre femme. Elle se mit à me haïr, et moi je me suis enfui devant elle ». Le chef lui donna sa fille pour femme ; il lui donna une maison, des vassaux, des champs, aussi des bestiaux, et toute sorte de bonnes choses[702].

Or, après que les jours eurent passé là-dessus, le jeune homme dit à sa femme : « Je suis prédestiné à trois destins, le crocodile, le serpent, le chien. » Elle lui dit « Qu’on tue le chien qui court devant toi. » Il lui dit « S’il te plaît, je ne tuerai pas mon chien que j’ai élevé quand il était petit ! » Elle craignit pour son mari beaucoup, beaucoup, et elle ne le laissa plus sortir seul. Or, il arriva qu’on désira voyager : on conduisit le prince vers la terre d’Égypte, pour s’y promener à travers le pays[703]. Or voici, le crocodile du fleuve sortit du fleuve[704], et il vint au milieu du bourg où était le prince. On l’enferma dans un logis où il y avait un géant. Le géant ne laissait point sortir le crocodile, mais quand le crocodile dormait, le géant sortait pour se promener ; puis quand le soleil se levait, le géant rentrait dans le logis, et cela tous les jours, pendant un intervalle de deux mois de jours[705]. Et, après que les jours eurent passé là-dessus, le prince resta pour se divertir dans sa maison. Quand la nuit vint, le prince se coucha sur son lit et le sommeil s’empara de ses membres. Sa femme emplit un vase de lait et le plaça à côté d’elle. Quand un serpent sortit de son trou pour mordre le prince, voici, sa femme se mit à veiller sur son mari minutieusement. Alors les servantes donnèrent du lait au serpent[706] ; il en but, il s’enivra, il resta couché le ventre en l’air, et la femme le mit en pièces avec des coups de sa hache. On éveilla le mari, qui fut saisi d’étonnement, et elle lui dit : « Vois ! ton dieu t’a donné un de tes sorts entre tes mains ; il te donnera les autres ». Il présenta des offrandes au dieu, il l’adora et il exalta sa puissance tous les jours de sa vie.

Et, après que les jours eurent passé là-dessus, le prince sortit pour se promener dans le voisinage de son domaine ; et comme il ne sortait jamais seul, voici son chien était derrière lui. Son chien prit le champ pour poursuivre du gibier, et lui il se mit à courir derrière son chien. Quand il fut arrivé au fleuve, il descendit vers le bord du fleuve à la suite de son chien, et alors sortit le crocodile et l’entraîna vers l’endroit où était le géant. Celui-ci sortit et sauva le prince, alors le crocodile, il dit au prince : « Ah, moi, je suis ton destin qui te poursuit ; quoi, que tu fasses, tu seras ramené sur mon chemin (?) à moi, toi et le géant. Or, vois, je vais te laisser aller : si le… tu sauras que mes enchantements ont triomphé et que le géant est tué ; et si tu vois que le géant est tué, tu verras ta mort[707] ! »

Et quand la terre se fut éclairée et qu’un second jour fut, lorsque vint…

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* *

La prophétie du crocodile est trop mutilée pour que je puisse-en garantir le sens exact. On devine seulement que le monstre pose à son adversaire une sorte de dilemme fatal : ou le prince remplira une certaine condition et alors il vaincra le crocodile, ou il ne la remplira pas et alors « il verra sa mort » M. Ebers a restitué cet épisode d’une manière assez différente[708]. Il a supposé que le géant n’avait pas pu délivrer le prince, mais que le crocodile proposait à celui-ci de lui faire grâce sous de certaines conditions.

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« Tu vas me jurer de tuer le géant ; si tu t’y refuses, tu verras la mort ». Et quand la terre se fut éclairée et qu’un second jour fut, le chien survint et vit que son maître était au pouvoir du crocodile. Le crocodile dit de nouveau : « Veux-tu me jurer de tuer le géant ? » Le prince lui répondit : « Pourquoi tuerais-je celui qui a veillé sur moi ? » Le crocodile lui dit : « Alors que ton destin s’accomplisse ! Si, au coucher du Soleil, tu ne me prêtes point le serment que j’exige, tu verras ta mort ». Le chien ayant entendu ces paroles, courut à la maison et il trouva la fille du prince de Naharinna dans les larmes, car son mari n’avait pas reparu depuis la veille. Quand elle vit le chien seul, sans son maître, elle pleura à haute voix et elle se déchira la poitrine, mais le chien la saisit par la robe et il l’attira vers la porte comme pour l’inviter à sortir. Elle se leva, elle prit la hache avec laquelle elle avait tué le serpent, et elle suivit le chien jusqu’à l’endroit de la rive où se tenait le géant. Alors elle se cacha dans les roseaux et elle ne but ni ne mangea, mais elle ne fit que prier les dieux pour son mari. Quand le soir fut arrivé, le crocodile dit de nouveau : « Veux-tu me jurer de tuer le géant, sinon je te porte à la rive et tu verras ta mort ». Et il répondit : « Pourquoi tuerais-je celui qui a veillé sur moi ? » Alors le crocodile l’emmena vers l’endroit où se tenait la femme, et elle sortit des roseaux, et, voici, comme le crocodile ouvrait la gueule, elle le frappa de sa hache et le géant se jeta sur lui et l’acheva. Alors elle embrassa le prince et elle lui dit : « Vois, ton dieu t’a donné le second de tes sorts entre tes mains ; il te donnera le troisième ». Il présenta des offrandes au dieu, il l’adora et il exalta sa puissance tous les jours de sa vie.

Et après que les jours eurent passé là-dessus, les ennemis pénétrèrent dans le pays. Car les fils des princes du pays de Kharou, furieux de voir la princesse aux mains d’un aventurier, avaient rassemblé leurs fantassins et leurs chars, ils avaient anéanti l’armée du chef de Naharinna, et ils avaient fait le chef prisonnier. Comme ils ne trouvaient pas la princesse et son mari, ils dirent au vieux chef : « Où est ta fille et ce fils d’un soldat des chars du pays d’Égypte à qui tu l’as donnée pour femme ? » Il leur répondit : « Il est parti avec elle pour chasser les bêtes du pays, comment saurais-je où ils sont ? » Alors ils délibérèrent et ils se dirent les uns aux autres : « Partageons-nous en petites bandes et allons de çà et de là par le monde entier, et celui qui les trouvera, qu’il tue le jeune homme et qu’il fasse de la femme ce qu’il lui plaira ». Et ils s’en allèrent les uns à l’Est, les autres à l’Ouest, au Nord, au Sud, et ceux qui étaient allés au Sud parvinrent au pays d’Égypte, à la même ville où le jeune homme était avec la fille du chef de Naharinna. Mais le géant les vit, il courut vers le jeune homme et il lui dit « Voici, sept fils des princes du pays de Kharou approchent pour te chercher. S’ils te trouvent, ils te tueront et ils feront de ta femme ce qu’il leur plaira. Ils sont trop nombreux pour qu’on puisse leur résister : fuis devant eux, et moi, je retournerai chez mes frères ». Alors le prince appela sa femme, il prit son chien avec lui, et tous ils se cachèrent dans une grotte de la montagne. Ils y étaient depuis deux jours et deux nuits, quand les fils des princes de Kharou arrivèrent avec beaucoup de soldats et ils passèrent devant la bouche de la caverne, sans qu’aucun d’eux aperçût le prince ; mais comme le dernier d’entre eux approchait, le chien sortit contre lui et il se mit à aboyer. Les fils des princes, de Kharou le reconnurent, et ils revinrent sur leurs pas pour pénétrer dans la caverne. La femme se jeta devant son mari pour le protéger, mais voici, une lance la frappa et elle tomba morte devant lui. Et le jeune homme tua l’un des princes de son épée, et le chien en tua un autre de ses dents, mais ceux qui restaient les frappèrent de leurs lances et ils tombèrent à terre sans connaissance. Alors les princes traînèrent les corps hors de la caverne et ils les laissèrent étendus sur le sol pour être mangés des bêtes sauvages et des oiseaux de proie, et ils partirent pour aller rejoindre leurs compagnons et, pour partager avec eux les terres du chef de Naharinna.

Et voici, quand le dernier des princes se fut retiré, le jeune homme ouvrit les yeux et il vit sa femme étendue par terre, à côté de lui, comme morte, et le cadavre de son chien. Alors il gémit et il dit : « En vérité les dieux accomplissent immuablement ce qu’ils ont décrété par avance. Les Hathors avaient décidé, dès mon enfance, que je périrais par le chien, et voici, leur arrêt a été exécuté, car c’est le chien qui m’a livré à mes ennemis. Je suis prêt à mourir, car, sans ces deux êtres qui gisent à côté de moi, la vie m’est insupportable ». Et il leva les mains au ciel et s’écria : « Je n’ai point péché contre vous, ô dieux ! C’est pourquoi accordez-moi une sépulture heureuse en ce monde et la voix juste devant les juges de l’Amentît ». Il retomba comme mort, mais les dieux avaient entendu sa voix, et la neuvaine des dieux vint vers lui et Râ-Harmakhis dit à ses compagnons : « Le destin s’est accompli, maintenant donnons une vie nouvelle à ces deux époux, car il convient de récompenser dignement le dévouement dont ils ont fait preuve l’un pour l’autre ». Et la mère des dieux approuva de la tête les paroles de Râ-Harmakhis et elle dit : « Un tel dévouement mérite une très grande récompense ». Les autres dieux en dirent autant, puis les sept Hathors s’avancèrent et elles dirent : « Le destin est accompli : maintenant qu’ils reviennent à la vie ! » Et ils revinrent à la vie sur l’heure.

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En terminant, M. Ebers raconte que le prince révèle à la fille du chef de Naharinna son origine réelle et qu’il rentre en Égypte où son père l’accueille avec joie. Il repart bientôt pour le Naharinna, bat ses meurtriers, et rétablit le vieux chef sur son trône. Au retour, il consacre le butin à Amonra, et il passe le restant de ses jours en pleine félicité.

Rien n’est mieux imaginé que ce dénouement : je ne crois pas cependant que le vieux conteur égyptien eût pour ses héros la compassion ingénieuse que leur témoigne le moderne. La destinée ne se laisse pas fléchir dans l’Orient ancien et elle ne permet pas qu’on élude ses arrêts : elle en suspend parfois l’exécution, elle ne les annule jamais. Si Cambyse est condamné à mourir près d’Ecbatane, c’est en vain qu’il fuira l’Ecbatane de Médie : au four fixé pour l’exécution, il trouvera en Syrie l’Ecbatane dont les dieux le menaçaient. Quand un enfant est prédestiné à périr violemment vers sa vingtième année, son père aura beau l’enfermer dans une île déserte, au fond d’un souterrain : le sort a déjà amené sur les lieux Sindbad le marin, qui tuera par mégarde la victime fatale. Je crois que le héros de notre conte n’échappait pas à cette loi. Il triomphait encore du crocodile, mais le chien, dans l’ardeur de la lutte, blessait mortellement son maître et il accomplissait, sans le vouloir la prédiction des Hathors.

LE CONTE DE RHAMPSINITE

(ÉPOQUE SAÏTE)

La forme la plus anciennement connue de ce conte nous a été conservée par Hérodote, au livre II de ses histoires (ch. CXXI). On le retrouve chez la plupart des peuples de l’Orient et de l’Occident, et l’on a souvent débattu la question de savoir quelle en était l’origine : j’ai donné dans l’introduction de ce volume les raisons qui m’inclinent à penser que, s’il n’est pas égyptien d’invention, il était Égyptianisé depuis longtemps quand Hérodote le recueillit. J’ajouterai ici que le nom de Rhampsinite était donné en Égypte au héros de plusieurs aventures merveilleuses. « Les prêtres racontent que ce roi descendit vivant dans la région que les Grecs nomment Hadès, et qu’il y joua aux dés avec la déesse Déméter, tantôt la battant, tantôt battu par elle, puis qu’il en revint, emportant comme don de la déesse une serviette d’or » (Hérodote, II, CXXII). C’est en quelques lignes le résumé d’un conte égyptien, dont les deux scènes principales devaient rappeler singulièrement la partie engagée entre Satni et Nénoferképhtah d’une part (cf. L’aventure de Satni-Khâmoîs avec les momies) et d’autre part la descente de Satni dans l’Hadès par l’intervention de Sénosiris (cfr. L’histoire véridique de Satni Khâmoîs et de son fils Sénosiris).

La traduction que j’ai adoptée est celle de Pierre Saliat, légèrement retouchée. Par un singulier retour des choses d’ici-bas, elle a servi à introduire de nouveau le conte dans la littérature populaire de l’Égypte méridionale. J’avais donné, en 1884, un exemplaire de la première édition de ce volume à M. Nicolas Odescalchi, alors maître d’école à Thèbes, et qui est mort en 1892. Il en raconta les parties principales à quelques-uns de ses élèves, qui eux-mêmes les racontèrent à d’autres. Dès 1885, j’avais, recueilli deux transcriptions de cette version nouvelle, dont une seule a été publiée dans le Journal Asiatique, 1885, t. VI, p. 149-159, texte en arabe et en traduction française, puis reproduite dans les Études Égyptiennes, t. I, p. 301-311. Le récit n’a pas été trop altéré : pourtant un des épisodes a disparu, celui dans lequel Chéops prostituait sa fille. On conçoit qu’un maître d’école, parlant à des enfants, n’ait pas tenu à leur conter l’histoire dans toute sa crudité native.

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Le roi Rhampsinite[709] possédait un trésor si grand que nul de ses successeurs non seulement ne l’a surmonté, mais davantage n’a su en approcher. Pour le tenir en sûreté, il fit bâtir un cabinet de pierre de taille et voulut que l’une des murailles sortît hors l’œuvre et hors l’enclos de l’hôtel ; mais le maçon tailla et assit une pierre si proprement, que deux hommes, voire un seul, la pouvaient tirer et mouvoir de sa place[710]. Le cabinet achevé, le roi y amassa tous ses trésors, et, quelque temps après, le maçon-architecte, sentant approcher la fin de sa vie, appela ses enfants, qui étaient deux fils, et leur déclara comment il avait pourvu à leurs affaires, et l’artifice dont il avait usé bâtissant le cabinet du roi, afin qu’ils pussent vivre plantureusement. Et après leur avoir clairement donné à entendre le moyen d’ôter la pierre, il leur bailla certaines mesures, les avisant que, si bien les gardaient, ils seraient les grands trésoriers du roi : et sur ce alla de vie à trépas.

Adonc ses enfants guère ne tardèrent à entamer besogne : ils vinrent de nuit au palais du roi, et, la pierre trouvée aisément, la tirèrent de son lieu et emportèrent grande somme d’argent. Mais quand fortune voulut que le roi vint ouvrir son cabinet, il se trouva fort étonné, voyant ses coffres fort diminués et ne sachant qui accuser ou soupçonner, attendu qu’il trouvait les marques par lui : apposées saines et entières, et le cabinet très bien clos et fermé. Et, après y être retourné deux ou trois fois voir si les coffres toujours diminuaient, enfin pour garder que les larrons plus si franchement ne retournassent chez eux, il commanda faire certains pièges et les asseoir près les coffres où étaient les trésors. Les larrons retournèrent selon leur coutume, et passa l’un dans le cabinet ; mais, soudain qu’il approcha d’un coffre, il se trouva pris au piège. Alors connaissant le danger où il était, appela vitement son frère et lui remontra l’état où il se trouvait, lui conseillant qu’il entrât vers lui et lui tranchât la tête, afin qu’il ne fût cause de se perdre avec soi s’il était reconnu. Le frère pensa qu’il parlait sagement, et par ce exécuta ainsi qu’il lui suadait ; et ayant remis la pierre, sen retourna chez lui avec la tête de son frère.

Quand il fut jour, le roi entra en son cabinet ; mais, voyant le corps du larron pris au piège et sans tête, fut fort effrayé, connu qu’il n’y avait apparence d’entrée ni de sortie. Et étant en doute comment il pourrait besogner en telle aventure, il avisa pour expédient faire pendre le corps du mort sur la muraille de la ville[711], et donner charge à certains gardes d’appréhender et lui amener celui ou celle qu’ils verraient pleurer et prendre pitié au pendu. Le corps ainsi troussé haut et court, la mère, pour la douleur grande qu’elle sentait, s’adressa à son autre fils et lui commanda, comment que fût, qu’il eût à lui apporter le corps de son frère, le menaçant, s’il était refusant de ce faire, d’aller vers le roi et lui déclarer qu’il avait ses trésors. Connaissant le fils que sa mère ainsi prenait les matières à cœur, et que, pour remontrance qu’il lui fît, rien ne profitait, il excogita cette ruse. Il fit bâter certains ânes et les chargea de peaux de chèvres pleines de vin[712], puis les chassa, devant lui. Arrivé à la part où étaient les gardes, c’est-à-dire à l’endroit du pendu, il délia deux ou trois de ses peaux de chèvres, et, voyant le vin couler par terre, commença à se battre la tête en faisant grandes exclamations, comme ne sachant auquel de ses ânes il se devait tourner pour le premier. Les gardes, voyant que grande quantité de vin se répandait, ils coururent celle part avec vaisseaux, estimant autant gagné pour eux s’ils recueillaient ce vin répandu. Le marchand se prit à leur dire des injures et faire semblant de se courroucer bien fort. Adonc les gardes furent courtois, et lui, avec le temps, s’apaisa et modéra sa colère, détournant en la parfin ses ânes du chemin pour les racoutrer et recharger : se tenant néanmoins plusieurs petits propos d’une part et d’autre, tant que l’un des gardes jeta un lardon au marchand dont il ne fit que rire, mêmement leur donna un parsus encore une chèvre de vin. Et lors ils avisèrent de s’asseoir comme on se trouvait et boire d’autant, priant le marchand de demeurer et leur tenir compagnie à boire, ce qu’il leur accorda : et voyant qu’ils le traitaient doucement quant à la façon de boire, il leur donna le demeurant de ses chèvres de vin. Quand ils eurent si bien bu qu’ils étaient tous morts-ivres, le sommeil les prit et s’endormirent au lieu même. Le marchand attendit bien avant en la nuit, puis alla dépendre le corps de son frère, et, se moquant des gardes, leur rasa à tous la barbe de la joue droite[713]. Si chargea le corps de son frère sur ses ânes et les rechassa au logis, ayant exécuté le commandement de sa mère.

Le lendemain, quand le roi fut averti que le corps du larron avait été dérobé subtilement, il fut grandement marri, et, voulant par tous moyens trouver celui qui avait joué telle finesse, il fit chose laquelle, quant à moi, je ne puis croire : il ouvrit la maison de sa fille, lui enjoignant de recevoir indifféremment quiconque viendrait vers elle pour prendre son plaisir, mais toutefois, avant que se laisser toucher, de contraindre chacun à lui dire ce qu’il avait fait en sa vie le plus prudemment et le plus méchamment ; que celui qui lui raconterait le tour du larron fût par elle saisi sans le laisser partir de sa chambre[714]. L’infante obéit au commandement de son père ; mais le larron, entendant à quelle fin la chose se faisait, voulut venir à chef de toutes les finesses du roi et le contremina en cette façon. Il coupa le bras d’un nouveau-mort, et le cachant sous sa robe, il s’achemina vers la fille. Entré qu’il fut, elle l’interroge comme elle avait fait les autres, et il lui conte que le crime plus énorme par lui commis fut quand il trancha la tête de son frère pris au piège dans le trésor du roi. Pareillement, que la chose plus avisée qu’il avait onques faite, fut quand il dépendait celui sien frère après avoir enivré les gardes. Soudain qu’elle l’entendit elle ne fit faute de le saisir ; mais le larron, par le moyen de l’obscurité qui était en la chambre, lui tendit la main morte qu’il tenait cachée, laquelle elle empoigna, cuidant que ce fût la main de celui qui parlait ; mais elle se trouva trompée, car le larron eut loisir de sortir et fuir.

La chose rapportée au roi, il s’étonna merveilleusement de l’astuce et hardiesse de tel homme. Enfin il manda qu’on fit publier par toutes les villes de son royaume qu’il pardonnait à ce personnage, et que, s’il voulait venir se présenter à lui, il lui ferait grands biens. Le larron ajouta foi à la publication faite de par le roi, et s’en vint vers lui. Quand le roi le vit, il lui fut à grand merveille : toutefois, il lui donna sa fille en mariage comme au plus capable des hommes, et qui avait affiné les Égyptiens, lesquels affinent toutes nations.

LE VOYAGE D’OUNAMOUNOU AUX CÔTES DE SYRIE

Le manuscrit qui nous a conservé ce conte a été trouvé vers l’automne de 1891 dans les environs du village d’El-Hibéh, presque en face de Fechn, et les principaux des fragments qui en subsistent furent acquis peu après par Golénicheff. Ils comprenaient le premier quart et la deuxième moitié de la première page, la seconde presque entière, et quelques lignes assez mutilées que Golénicheff attribua à la troisième page. En 1892, Henri Brugsch découvrit, dans un lot de papyrus qu’il venait d’acquérir un morceau qui compléta la deuxième page. Depuis lors, aucun fragment n’a reparu, et il est à craindre que le manuscrit ne demeure incomplet pour toujours.

Golénicheff inséra, en 1898, une traduction russe accompagnée d’une phototypie comprenant les vingt et une premières lignes, dans le Recueil de mémoires offert à M. de Rosen par ses élèves de l’Université de Saint-Pétersbourg à l’occasion de son jubilé. L’année d’après, il publia le texte transcrit en hiéroglyphes et une traduction complète, fort bonne dans l’ensemble.

Golénicheff, Papyrus hiératique de la collection W. Golénicheff, contenant la description du Voyage de l’Égyptien Ounou-Amon en Phénicie, dans le Recueil de Travaux, 1899, t. XXI, p. 74-104 (tirage à part, chez Bouillon, 1889, 24 p., in 4°).

Le texte fut presque aussitôt repris et traduit en allemand par :

W. Max Müller, Studien zur vorderasiatischen GeschichteII. Die Urheimat der Philister. Der Papyrus Golénischeff. Die Chronologie der Philistereinwanderung (dans les Mitteilungen der vorderasiatischen Gesellschaft, 1900, 1), 1900, Berlin, in 8°, p. 14-29, puis par :

A. Erman, eine Reise nach Phönizien im 11. Jahrhundert vor Christ, dans la Zeitschrift, 1900, t. XXXVIII, p. 1-14.

Erman reconnut que le fragment considéré par Golénicheff comme appartenant à la page III du manuscrit appartenait en réalité à la première page, et il rétablit la suite des événements plus exactement qu’on ne l’avait fait jusqu’alors ; il admit d’ailleurs que le document est historique. Lange donna ensuite une traduction danoise dans laquelle il suivit l’ordre indiqué par Erman :

H. O. Lange, Wen-Amons beretning om hans rejse tel Phönizien, dans la Nordiste Tidskrift, 1902, p. 515-526 (tirage à part de 11 p., in-8°, sans pagination spéciale).

Enfin on lit une traduction allemande nouvelle dans le charmant petit ouvrage de A. Wiedemann, Altægyptische Sagen und Mærchen, in 8° Leipzig, 1906, p. 94-113, ainsi qu’une courte analyse avec traduction en anglais dans Breasted, Ancient Record's of Egypt, t. IV p. 274-287, qui tient encore pour l’historicité du morceau.

Tous les savants qui se sont occupés de ce papyrus ont admis, plus ou moins, aisément, que l’écrit qu’il contient est un rapport officiel adressé à Hrihorou par Ounamounou au retour de sa mission en Phénicie. La tournure générale du morceau, le ton emphatique qui y prédomine, l’importance qui y est attribuée tout du long à l’idole Amon-du-Chemin, me portent à croire, et Wiedemann est également de cet avis ; que nous avons là un document du genre de celui qui nous est parvenu sur la stèle de Bakhtan (cf. La fille du prince de Bakhtan et l’esprit possesseur). Il s’agissait sans doute de donner la vogue à une forme d’Amon qui portait ce nom et qui devait protéger les voyageurs en pays étranger. La relation d’Ounamounou montrait comment elle avait sauvé un envoyé égyptien à Byblos et probablement aussi en Alasia. C’était une pièce du chartrier officiel de cet Amon et le rédacteur lui a imprimé les allures historiques qui sont nécessaires pour prêter de la vraisemblance aux documents de ce genre. Peut-être avait-il en mains des actes authentiques qui lui permirent de dater exactement son histoire. Si on pouvait le croire avec certitude, il en résulterait des conséquences importantes pour l’histoire des Ramessides. On verrait en effet que, dès l’an V de son règne, le dernier d’entre eux n’avait plus que l’apparence du pouvoir : le grand-prêtre Hrihorou exerçait le pouvoir, au Sud, Smendès l’exerçait au Nord, et d’autres princes florissaient ailleurs. Smendès avait à côté de lui une femme, que son nom de Tantamânou rattache à la famille thébaine, et qui semble avoir eu des droits au moins égaux aux siens, puisqu’on ne le cite guère sans la mentionner avec lui : c’était à elle peut-être qu’il dut de régner par la suite.

Les renseignements que notre manuscrit nous apporte sur l’état de la côte syrienne ne sont pas moins précieux. Un siècle après Ramsès III, les Zakkala, ces alliés des Philistins qu’il avait établis entre le Carmel et l’Égypte, formaient encore une population distincte qui gardait son vieux nom : un de ses princes résidait à Dora, ses matelots couraient en nombre la mer Syrienne et ils menaçaient des villes telles que Byblos. Ils étaient placés encore sous l’influence de l’Égypte, mais ils ne relevaient plus d’elle directement, et le prince de Dora ne se gênait pas pour faire parade de son indépendance devant Ounamounou. La côte phénicienne de Tyr à Byblos demeurait elle aussi en rapports avec l’Égypte : l’égyptien y était compris communément, au moins par les personnages de haut rang, et les princes de chaque cité entretenaient des sentiments de respect presque craintif pour Pharaon. C’était un souvenir de la longue domination exercée durant quatre ou cinq siècles par les rois Thébains, mais il ne suffisait plus toujours à procurer une réception pacifique aux envoyés égyptiens. Notre conte parle des légats de Khâmoîs qui auraient été retenus prisonniers par Zikarbal, prince de Byblos, et qui, morts après dix-sept ans de captivité, auraient été enterrés au voisinage de la ville. Deux des Pharaons de la XXe dynastie portèrent ce prénom de Khâmoîs, et la momie de l’un d’eux est conservée au musée du Caire (n° 1196) ; comme l’expédition d’Ounamounou date de l’an V du second d’entre eux, Ramsès XI, le Khâmois qui envoya les pauvres diables à leur perte est nécessairement le premier, Ramsès IX. Malgré tout, le nom de Thèbes exerçait encore un prestige étonnant sur ces anciens vassaux de l’Égypte. Le prince de Bybos se défendait d’être le serviteur de Pharaon et il niait que ses pères l’eussent été jamais. Il fouillait même ses archives pour démontrer qu’ils avaient toujours échangé leur bois contre des cadeaux de valeur égale, qu’ils ne l’avaient jamais cédé pour rien. Lorsqu’il avait bien exhalé sa mauvaise humeur en discours violents, il faisait abattre des arbres au Liban pour le compte d’Amon et il les livrait en se contentant de présents très médiocres. Chacun aura remarqué la ressemblance qu’il y a entre notre récit et ce que la Bible raconte des négociations de David et de Salomon avec le roi de Tyr, afin d’obtenir de ce dernier les bois nécessaires à la charpente des palais et du temple de Jérusalem. Comme notre Zikarbal de Byblos, Hiram le Tyrien n’est pas satisfait du prix qu’il reçoit de ses fournitures ; il se plaint de la pauvreté des villages et du territoire dont Salomon lui octroie la suzeraineté, mais il les accepte et il ne se risque pas à pousser trop loin la réclamation.

Au sortir de Byblos, Ounamounou est jeté en Alasia par les vents, et là il se trouve hors de l’attraction de l’Égypte. Que l’Alasia soit, comme je le crois, le massif montagneux situé à l’embouchure de l’Oronte, ou, comme d’autres l’aiment mieux ainsi, la grande île de Cypre, il importe peu : il n’avait jamais été soumis à l’Égypte de manière durable, et l’Égyptien n’était pas compris vulgairement par son peuple comme il l’était dans les cités de la Phénicie. Ounamounou y courait de nombreux dangers, auxquels la vertu secrète de l’Amon-du-Chemin l’arrachait, nous ne savons comment. Le conte s’arrête à l’instant critique, et il y a peu de chances que nous retrouvions jamais les feuillets qui en contenaient la fin. Je n’ai essayé ni de deviner sur quelles péripéties il s’achevait, ni de rétablir les incidents qui remplissaient la très longue lacune de la première page : j’ai introduit entre les fragments quelques phrases qui les relient tant bien que mal. J’ai tenté de reproduire dans ma traduction le style tramant et diffus, parfois embarrassé du conteur, et d’expliquer de mon mieux le sens des périodes ampoulées qu’il met dans la bouche de ses personnages. On relèvera çà et là des ébauches de description pittoresque et des images heureuses : l’auteur, quel qu’il soit, avait ce que nous appellerions fait de bonnes études, et il excellait à bien présenter les histoires qu’il racontait.

*

* *

L’an V, le troisième mois de la Moisson, le 16, ce jour-là, partit Ounamounou le doyen de la salle[715] du temple d’Amonrâ, roi des dieux, seigneur de Karnak, afin de quérir le bois pour la barque très auguste d’Amonrâ, roi des dieux, qui se trouve sur le Nil, Amânousihaît[716].

Le jour que j’arrivai à Tannis, l’endroit où sont Smendès et Tantamânou, je leur mis en main les rescrits d’Amonrâ, roi des dieux[717]. Ils les firent lire en leur présence, et ils dirent : « Qu’on agisse, qu’on agisse, selon ce qu’a dit Amonrâ, le roi des dieux, notre maître ! » Je demeurai jusqu’au quatrième mois de la Moisson dans Tanis, puis Smendès et Tantamânou me dépêchèrent avec le capitaine de navire Mângabouti, et je m’embarquai sur la grande mer de Syrie le quatrième mois de la Moisson, le 1er. J’arrivai à Dora, ville du Zakkala, et Badîlou, son prince, me fit apporter dix mille pains, une amphore de vin, une cuisse de bœuf. Un homme de mon navire déserta, emportant un vase d’or du poids de cinq tabonou[718], cinq vases d’argent de vingt tabonou, et un petit sac d’argent de onze tabonou, ce qui fait un total de cinq tabonou d’or et de trente et un tabonou d’argent. Je me levai de bon matin, j’allai à l’endroit où le prince était, je lui dis : « On m’a volé dans ton port. Or, c’est toi le prince de ce pays, c’est toi son inquisiteur, cherche mon argent ! Las, cet argent, il appartient à Amonrâ, le roi des dieux, le maître des contrées, il appartient à Smendès, il appartient à Hrihorou, mon maître, et aux autres nobles de l’Égypte, il est à toi, il appartient à Ouaradi, il appartient à Makamarou, il appartient à Zikarbal, le prince de Byblos[719] ». Il me dit : « À ta colère et à ta bienveillante[720]. Mais, vois, je ne sais rien de cette histoire que tu me dis. Si donc le voleur est de mon pays qui est descendu dans ton navire et qui t’a volé ton argent, je te le rembourserai de mon trésor, jusqu’à ce qu’on trouve le voleur lui-même ; mais si le voleur qui t’a volé il est à toi, et s’il appartient à ton navire, demeure quelques jours auprès de moi que je le cherche ! »

Je fus neuf jours abordé dans son port, puis j’allai près de lui, et je lui dis : « Ainsi, tu ne trouves pas mon argent. Je partirai donc ainsi que le capitaine du navire avec ceux qui vont au port de Tyr. Si tu trouves mon argent, garde-le près de toi et quand je rentrerai en Égypte, je m’arrêterai chez toi et je le prendrai. ». Il y consentit, et le quatrième mois de la Moisson, le 10, je m’embarquai de nouveau sur la grande mer de Syrie. J’arrivai au port de Tyr, je contai mon histoire au prince de Tyr et je me plaignis du prince de Dora qui n’avait pas trouvé les voleurs et qui ne m’avait pas rendu mon argent, mais le prince de Tyr était l’ami de celui de Dora. Il me dit : « Tais-toi, ou il t’arrivera malheur ! » Je sortis de Tyr, dès le matin, et je descendis sur la grande mer de Syrie pour aller à l’endroit où était Zikarbal, le prince de Byblos. Or il y avait des Zakkala avec un coffre sur le navire : j’ouvris le coffre, j’y trouvai de l’argent, trente tabonou, je m’en emparai. Je leur dis « Voici, je prends votre argent et il restera avec moi jusqu’à ce que vous ayez trouvé mon argent à moi. Si vous dites : « Nous ne connaissons celui qui l’a volé, nous ne l’avons pas pris », je le prendrai quand même ». Quand ils virent que je tenais ferme, ils s’en allèrent, et moi j’arrivai au port de Byblos. Je descendis du bateau, je pris le naos qui contenait la statue d’Amon, le dieu du Chemin[721], j’y mis à l’intérieur le matériel du dieu. Le prince de Byblos me fit dire : « Va-t-en de mon port ! » Je lui envoyai dire : « Pourquoi me chasses-tu ? Est-ce que les Zakkala t’ont dit que j’avais pris leur argent ? mais voici, l’argent qu’ils avaient était mon argent à moi, qui m’avait été volé tandis que j’étais dans le port de Dora. Or, moi, je suis le messager d’Amon, que Hrihorou, mon maître, a envoyé vers toi pour se procurer les bois nécessaires à la barque d’Amon, et le navire que Smendès et Tantamânou m’avaient donné est reparti aussitôt. Si tu veux que je m’en aille de ton port, donne un ordre à un des capitaines de tes navires pour que, lorsqu’on prendra le large, je sois emmené en Égypte ! » Je passai dix-neuf jours dans son port, et il prenait le temps de m’envoyer dire chaque jour : « Va-t-en de mon port[722] ! »

Or, comme il sacrifiait à ses dieux, le dieu saisit un grand page d’entre les pages, et il le fit tomber en convulsions[723]. Il dit : « Apporte le dieu à la lumière ! « Amène le messager d’Amon qui est avec lui ! Renvoie-le, fais-le partir ! » Tandis que le convulsionnaire était en convulsions, cette nuit-là, j’avais trouvé un navire à destination d’Égypte, j’y avais chargé tout ce qui était à moi, et je contemplais l’obscurité, disant : « Qu’elle descende pour que j’embarque le dieu si bien que nul œil ne l’aperçoive que le mien ! » quand le commandant du port vint à moi. Il me dit : « Reste jusqu’à demain au gré du prince ». Je lui dis : « N’es-tu pas celui qui prenais le temps de venir à moi chaque jour, disant : « Va-t-en de mon port » et ne me dis-tu pas maintenant : « Reste ici ! » afin que parte le navire que j’ai trouvé, après quoi tu viendras et tu me diras de nouveau : « Sauve-toi vite ! » Il tourna le dos, il alla, il dit cela au prince, et le prince envoya dire au capitaine du navire : « Reste jusqu’à demain matin, au gré du prince ! » Lorsqu’il fut matin, il m’envoya prendre en haut, tandis que le sacrifice avait lieu, dans le château où il réside au bord de la mer. Je le trouvai assis dans sa chambre haute, le dos appuyé à un balcon, tandis que les vagues de la grande mer syrienne battaient derrière lui. Je lui dis : « À la grâce d’Amon ! » Il me dit : « Combien y a-t-il jusqu’aujourd’hui que tu as quitté l’endroit où est Amon ? » Je lui répondis : « Cinq mois et un jour jusqu’aujourd’hui ! » Il me dit : « Allons, toi, sois vrai. Où sont-ils les rescrits d’Amon qui devraient être dans ta main ? Où est-elle la lettre de ce grand-prêtre d’Amon qui devrait être dans ta main ? » Je lui dis : « Je les ai donnés à Smendès et à Tantamânou ». Il se mit fort en colère, il me dit : « Ainsi donc, il n’y a plus rescrits, ni lettres en ta main ! Et où est-il ce navire en bois d’acacia que t’avait donné Smendès ? Où est-il son équipage de Syriens ? Ne serait-ce pas qu’il t’avait remis à ce capitaine de vaisseau, lors du départ, pour qu’il te fît tuer et qu’on te jetât à la mer ? S’il en est ainsi, de la part de qui chercherait-on le dieu, et toi aussi, de la part de qui chercherait-on[724] ? » Ainsi me dit-il. Je lui dis : « N’était-ce pas un navire d’Égypte et n’était-ce pas un équipage d’Égypte qui navigue au compte de Smendès ? car il n’y a pas avec lui d’équipages syriens ? » Il me dit : « N’y a-t-il pas vingt vaisseaux actuellement dans mon port qui sont en association avec Smendès ? Et cette Sidon, cette autre ville que tu veux atteindre, n’y a-t-il pas chez elle dix mille autres navires qui sont en association avec Ourakatîlou[725] et « qui voyagent vers sa maison[726] ? »

Je me tus en cette heure grave. Il reprit, il me dit « Tu es venu ici pour remplir quelle mission ? » Je lui dis « Je suis venu pour la charpente de la barque très auguste d’Amonrâ, le roi des dieux. Ce que fit ton père, ce que fit le père de ton père, fais-le aussi ! » Ainsi lui parlé-je. Il me dit : « Eux, ce qu’ils firent et que tu me donnes à faire, je le ferai. Autrefois les miens exécutèrent cette mission, parce que Pharaon, vie, santé, force, leur fit mener six navires chargés de marchandises d’Égypte qu’on déchargeait dans leurs entrepôts. Toi donc, fais m’en amener à moi aussi ! » Il fit apporter les journaux de ses pères et il les fit lire en ma présence, et on trouva qu’en tout mille tabonou d’argent[727] étaient inscrits sur son registre. Il me dit « Si le souverain de l’Égypte était mon maître et que je fusse, moi, son serviteur, il n’aurait pas à faire apporter de l’argent et de l’or, disant : « Exécute la mission d’Amon ». Ce n’était pas un ordre royal que l’on apportait à mon père. Or moi, certes, moi, je ne suis pas, moi, ton serviteur ; je ne suis pas, moi, le serviteur de celui qui t’a envoyé. Je crie à voix forte aux arbres du Liban, et le ciel s’ouvre, et les bois demeurent étendus sur le sol au bord de la mer[728] ; mais qu’on me montre les voiles que tu apportes pour conduire tes bateaux chargés de tes bois en Égypte ! Qu’on me montre les câbles que tu apportes afin de lier les poutres que je te couperai pour t’en faire des cadeaux ! Si moi je ne te fais pas les câbles, si je ne te fais pas les voiles de tes navires, les façons de l’avant et de l’arrière sont lourdes, elles se briseront[729] et tu mourras au milieu de la mer[730] ; car Amon tonne et il déchaîne Soutekhou en son temps[731]. Or Amon veille sur tous les pays ; s’il les régit, il régit la terre d’Égypte d’où tu viens, avant tous, et la perfection sort d’elle pour atteindre celui où je suis. Qu’est-ce donc que ces courses folles qu’on te fait faire[732] ? »

Je lui dis : « Mensonge ! Il n’y a point de course folle pour ceux à qui j’appartiens ! Il n’y a navires sur le Nil qui ne soient d’Amon ; c’est à lui la mer, et c’est à lui ces arbres du Liban de qui tu dis : « Ils sont miens ! » mais qui sont le domaine de la barque Amânousihaît, la reine des barques. Las ! il a parlé Amonrâ, le roi des dieux, disant à Hrihorou, mon maître : « Envoie-moi ! »[733] et il m’a envoyé avec ce dieu grand. Or, vois, tu as fait demeurer ce dieu grand pendant vingt-neuf jours depuis qu’il a abordé à ton port, sans que tu susses s’il était là ou non ; et n’est-ce pas lui qui est là, tandis que tu marchandes des cèdres du Liban avec Amon, leur maître ? Et quand tu dis : « Les rois d’auparavant ont envoyé de l’argent et de l’or ! » oui-da, s’ils avaient envoyé la vie et la santé, ils n’auraient pas envoyé les présents matériels ; or ils ont envoyé des présents matériels au lieu de la vie et de la santé à tes pères. Mais Amonrâ, le roi des dieux, c’est lui le maître de la vie et de la santé, c’est lui le maître de tes pères, et ils passaient leur temps de vie à sacrifier à Amon. Toi-même, toi, tu es bon serviteur d’Amon. Si tu dis : « Je le ferai, je le ferai ! » à Amon et que tu exécutes son ordre, tu vivras, tu seras sauf, tu seras en santé, tu seras un bienfait pour ton pays tout entier et pour ton peuple. Mais ne convoite pas la chose d’Amonrâ, le roi des dieux, car le lion il aime son bien[734] ! « Et maintenant, fais-moi venir mon scribe que je l’envoie à Smendès et à Tantamânou, les protecteurs qu’Amon a mis au nord de son pays, et pour qu’ils te fassent apporter tout ce de quoi je leur mande : « Que cela soit apporté ! » en attendant que je retourne au Sud et que je t’expédie ton misérable reste, tout, tout ! » Ainsi lui parlé-je. Il remit ma lettre à son messager ; il chargea sur un navire, la passerelle, la tête d’avant, la tête d’arrière[735] et quatre autres poutres équarries à la hache, en tout sept pièces, et il les expédia en Égypte.

Son messager alla en Égypte, et il revint vers moi en Syrie au premier mois de l’hiver. Smendès et Tantamânou expédièrent quatre cruches et un bassin d’or, cinq cruches d’argent, dix pièces de lin royal pour dix manteaux, cinq cents rouleaux de papyrus fin, cinq cents peaux de bœufs, cinq cents câbles, vingt sacs de lentilles, trente couffes de poisson sec ; et Tantamânou m’expédia cinq pièces de lin royal pour cinq manteaux, un sac de lentilles, cinq couffes de poisson sec. Le prince se réjouit, il leva trois cents hommes, trois cents bœufs, et il mit des officiers à leur tête pour faire abattre les arbres : ils les abattirent et les bois passèrent l’hiver gisant sur le sol, puis le troisième mois de la Moisson on les traîna au rivage de la mer. Le prince sortit, il se tint auprès d’eux, il me fit dire : « Viens ! » Comme je passai près de lui, l’ombre de son ombrelle[736] tomba sur moi, et Penamânou, un des familiers qui étaient à lui, se mit entre le prince et moi, disant : « L’ombre de Pharaon, v. s. f., ton maître, tombe sur toi[737] ! » mais le prince s’irrita contre lui et lui dit : « Toi, laisse-le ! » Je passai jusqu’auprès de lui et il m’interpella disant : « Vois, la mission qu’exécutèrent mes pères auparavant, je l’ai exécutée moi aussi, quand même tu ne m’as pas fait ce que tes pères m’avaient fait. Or, toi, vois ! jusqu’au dernier de tes bois est arrivé et il est là ; agis maintenant selon ton cœur et viens pour les charger, car ne te les a-t-on pas donnés ? Toutefois ne viens pas pour contempler les terreurs de la mer, ou si tu contemples les terreurs de la mer, contemple aussi la mienne à moi[738]. Las ! je ne t’ai pas fait ce qu’on fit aux envoyés de Khâmoîs[739] qui demeurèrent dix-sept ans en ce pays et qui y moururent ». Il dit à son familier : « Mène-le qu’il voie leur tombe dans laquelle ils sont couchés ». Je dis : « Ne me la fais pas voir. Khâmoîs, les gens qu’il t’envoya comme ambassadeurs c’étaient des gens de sa domesticité ; ce n’était pas un dieu l’un de ses ambassadeurs. Toi pourtant, tu me dis : « Cours, vois tes pairs[740] ». Que ne te réjouis-tu plutôt et ne fais-tu pas dresser une stèle sur laquelle tu dirais : « AMONRA, LE ROI DES DIEUX, M’ENVOYA L’AMON-DU-CHEMIN COMME SON AMBASSADEUR DIVIN AVEC OUNAMOUNOU COMME SON AMBASSADEUR HUMAIN POUR LES BOIS DE LA BARQUE TRÈS AUGUSTE D’AMONRA, LE ROI DES DIEUX. JE LES COUPAI, JE LES CHARGEAI, JE LUI FOURNIS MES NAVIRES ET MES ÉQUIPAGES ET JE LES EXPÉDIAI EN ÉGYPTE, AFIN D’OBTENIR DIX MILLE ANNÉES DE VIE D’AMON EN PLUS DE CE QUI M’ÉTAIT DESTINÉ : IL EN SOIT AINSI ! » Quand, après d’autres jours, un messager viendra de la terre d’Égypte qui connaîtra l’écriture et qu’il lira ton nom sur la stèle, tu recevras l’eau de l’Amentît, comme les dieux qui y demeurent[741] ! » Il dit : « C’est un grand thème à discours ce que tu m’as dit ! » Je lui dis : « Les nombreuses paroles que tu m’as dites, quand je serai arrivé à l’endroit où est ce premier prophète d’Amon, et qu’il aura vu comme tu as exécuté sa mission, il te fera amener des dons ! »

J’allai au bord de la mer à l’endroit où les bois restaient, et j’aperçus onze navires qui venaient du large et qui appartenaient aux Zakkala avec cette mission : « Qu’on l’emprisonne et qu’il n’y ait bateau de lui qui aille au pays d’Égypte ! » Je m’assis, je pleurai, le secrétaire du prince sortit vers moi, et il me dit : « Qu’as-tu ? » Je lui dis : « Ne vois-tu pas les hérons qui redescendent vers l’Égypte ? Vois-les, ils reviennent aux eaux fraîches, mais las, jusques à quand resterai-je abandonné ? Car ne vois-tu pas ceux-là qui viennent pour m’emprisonner encore ? » Il alla, il le dit au prince ; le prince se mit à pleurer à cause des paroles qu’on lui disait si tristes, il fit sortir son secrétaire qui m’apporta deux amphores de vin et un mouton, et il me fit amener Tantanouît, une chanteuse d’Égypte qu’il avait avec lui, disant : « Chante lui, que son cœur se fasse des idées douces ! » Et il m’envoya dire : « Mange, bois, que ton cœur ne se fasse des idées ! tu entendras tout ce que j’ai à dire demain matin ! » Quand il fut matin, il fit appeler ses gens sur sa jetée, il se tint au milieu d’eux, et il dit aux Zakkala « Qu’est-ce que votre manière de venir ? » Ils lui dirent « Nous sommes venus à la poursuite de ces navires tout brisés que tu expédies en Égypte avec nos maudits camarades ! » Il leur dit : « Je ne puis pas emprisonner le messager d’Amon dans mon pays. Laissez que je l’expédie et puis vous courrez après lui pour l’emprisonner ».

Il m’embarqua, il m’expédia ; je m’éloignai du port de la mer et le vent me jeta au pays d’Alasia[742]. Ceux de la ville sortirent contre moi pour me tuer et je fus traîné au milieu d’eux, à l’endroit où était Hatibi, la princesse de la ville. Je la trouvai qui sortait d’une de ses habitations et qui entrait dans l’autre, je l’implorai disant aux gens qui se tenaient auprès d’elle : « N’y a-t-il pas quelqu’un d’entre vous qui entende le langage de l’Égypte ? » L’un d’eux dit : « Je l’entends ». Je lui dis : « Dis à ma dame : « J’ai entendu dire jusque dans la ville de Thèbes et dans l’endroit où est Amon : « Si on agit injustement en toute ville, on agit justement au pays d’Alasia », et voici qu’on y agit injustement chaque jour ! » Elle dit : « Las ! Qu’est-ce que tu dis là ? » Je lui dis : « Maintenant que la mer s’est mise en fureur et que le vent m’a jeté au pays où tu es, ne permets-tu pas qu’ils me prennent devant toi pour me tuer ? Comme, moi, je suis un messager d’Amon, certes, vois, moi, on me cherchera jusqu’à la fin des temps[743]. Et quant à cet équipage du prince de Byblos qu’on cherche à tuer, si leur seigneur trouve plus tard dix de tes équipages, ne les tuera-t-il pas en représailles ? » Elle fit convoquer son peuple ; on les arrêta et elle me dit : « Va reposer ».

LE CYCLE DE PÉTOUBASTIS

I

L’EMPRISE DE LA CUIRASSE


Ainsi que je l’ai dit dans l’Introduction (chapitre III), nous possédons actuellement deux romans qui appartiennent au cycle de Pétoubastis. Le premier des deux, celui que j’ai appelé l’Emprise de la Cuirasse, est conservé dans un des manuscrits de l’Archiduc Régnier ; les fragments en étaient perdus dans une masse de débris achetés par les agents de M. Graf à Diméh, au Fayoum, vers la pointe nord-est du Birket-Kéroun. Parmi les mille documents originaires de cette localité et qui couvrent un espace d’environ trois cents ans, du IIe siècle avant au IIe siècle après J.-C., quarante-quatre morceaux de taille différente étaient épars, appartenant à un même papyrus démotique. Krall y devina du premier coup les éléments d’une composition littéraire, d’un roman historique selon les apparences, et ce lui fut un motif pressant de les étudier, toute affaire cessante. Plusieurs d’entre eux demeurèrent rebelles à la classification, mais la plupart finirent par s’assembler en trois grandes pièces, dont la première mesurait 1 m. 88 de longueur, la seconde 0 m. 79 et la troisième 0 m. 66 sur 0 m. 28 de hauteur. La première de ces pièces, qui est composée de huit morceaux, contenait les restes de huit colonnes de 32, 33, 34, 36 et 38 lignes chacune ; la seconde et la troisième comprenaient cinq et quatre colonnes plus ou moins mutilées. Les vingt-trois fragments plus petits semblaient se ranger dans cinq colonnes diverses, si bien que le volume entier devait consister à l’origine de vingt-deux colonnes au moins, comportant plus de sept cents lignes et se déployant sur une longueur d’environ six mètres. Aucun des contes connus jusqu’alors n’atteignait des dimensions pareilles, et pourtant l’œuvre demeurait incomplète : nous en possédions la seconde moitié sans lacunes trop fortes, mais une portion notable du début manquait encore. Krall, arrivé à ce point, crut que le moment était venu d’annoncer sa découverte. Il le fit à Genève, au mois de septembre 1894, dans une séance du Congrès des Orientalistes, mais trois années s’écoulèrent avant qu’un mémoire imprimé vint confirmer les espérances que sa communication verbale avait soulevées. Il le publia sous le titre de :

Ein neuer historischer Roman in Demotischer Schrift, von Jakob Krall, dans les Mitteilungen aus der Sammlung der Papyrus Erzherzog Rainer, 1897, in-4°, t. VI, p. 19-80 (avec un tirage à part de 62 pages).

Ce n’était à proprement parler qu’une analyse détaillée du texte, accompagnée de notes nombreuses où étaient reproduites les phrases qui présentaient des difficultés d’interprétation. Tel qu’il était, ce premier mémoire suffisait à nous montrer l’originalité de l’œuvre. C’était une vraie chanson de geste, la Geste de l’émou le petit, qui nous offrait une peinture vivante des mœurs de la féodalité égyptienne aux temps des invasions assyriennes, et les principaux points en furent discutés par :

G. Maspero, Un Nouveau Conte égyptien, dans le Journal des Savants, 1898, p. 649-659 et 717-731.

Cependant, en triant les fragments moindres de la collection de l’Archiduc, Krall y avait découvert beaucoup d’autres menues pièces qui avaient été détachées du manuscrit original, et qui finirent par porter à quatre-vingt-deux le nombre des petits fragments. Il se décida donc à publier les grands fragments.

J. Krall, Demotische Lesestücke, 2e partie. 1903, pl. 10-22, puis à donner une traduction, provisoire sur certains points, mais complète, de tous les fragments grands et petits.

J. Krall, Der demotische Roman aus der Zeit des Königs Petubastis, dans la Wiener Zeitschrift für die Kunde des Morgenlandes, 1902, in-8°, t. XVII, (tirage à part de 36 pages in-8°).

La découverte des petits morceaux n’a pas modifié sensiblement la première restauration que Krall avait donnée de l’ensemble du roman. L’ordre des trois grands fragments avait été rétabli exactement, mais les menues pièces ont dû être réparties entre neuf colonnes au lieu de cinq, et un assez grand nombre d’entre elles proviennent des premières pages ; beaucoup même sont inédites. Ce texte de Krall, le seul que nous ayons à notre disposition, a fourni à M. Révillout la matière d’une leçon d’ouverture et d’une traduction à demi publiée seulement :

E. Révillout, Le Roi Petibastît II et le roman qui porte son nom, dans la Revue Égyptologique, 1900, t. XI, p. 115-173, et 1908, t. XII, p. 8-59.

On en trouvera la transcription en caractères romains etla traduction allemande dans :

W. Spiegelberg, der Sagenkreis des Kônigs Petubastis, in-4°, Leipzig, 1910, p. 43-75.

La traduction que je donne a été faite d’après le texte même pour les parties publiées, d’après la seconde traduction de Krall pour les parties qui sont inédites. La langue de l’auteur est simple, claire, très semblable à celle du premier roman de Satni-Khâmoîs, et formée de phrases courtes en général : c’est un bon ouvrage à mettre entre les mains des débutants. On y distingue un certain mouvement et une certaine chaleur de style, une entente notable de la description et une habileté assez grande à dépeindre le caractère des héros principaux en quelques traits. Le début manque, mais on peut en reconstituer la donnée sans trop de peine. Au temps où le Pharaon Pétoubastis régnait à Tanis, le pays entier était partagé entre deux factions rivales, dont l’une avait pour chef le Seigneur grand d’Amon dans Thèbes, peut-être ici la Thèbes du Delta, aujourd’hui Ibchân, avec laquelle l’auteur confond volontairement ou non la Tèbes du Saîd, et dont l’autre obéissait au roi-prêtre d’Héliopolis Ierharerôou-Inarôs, ainsi qu’à son allié Pakrourou, prince de Pisapdi, le grand chef de l’Est. Le Seigneur grand d’Amon dans Thèbes n’était soutenu que par quatre nomes au centre du Delta, mais les quatre nomes les plus pesants, ainsi que le texte le dit, ceux de Tanis, de Mendès, de Taihaît, de Sébennytos ; Inarôs au contraire avait réussi à établir ses enfants ou ses parents dans la plupart des autres nomes, et de plus il possédait une sorte de talisman, une cuirasse à laquelle il tenait beaucoup, peut-être une de ces cuirasses de fer ou d’airain qui jouent un rôle dans la légende saïte et memphite de la Dodécarchie (Hérodote, II, CLII). Lorsqu’il mourut, le Seigneur grand d’Amon dans Thèbes profita du trouble que le deuil avait jeté parmi les Héliopolitains pour s’emparer de la cuirasse et pour la déposer dans une de ses forteresses. Dès que le prince Pémou, l’héritier d’Inarôs, l’apprit, il dépêcha un messager au voleur pour le sommer de lui restituer le talisman. Le Seigneur grand d’Amon dans Thèbes refusa, et c’est sur la scène du refus que la partie conservée du roman commence.

J’ai suivi le texte d’aussi près qu’il m’a été possible le faire dans l’état de mutilation où le manuscrit nous est parvenu : quand la restitution des mots ou des membres de phrase perdus venait naturelle, je n’ai pas hésité à l’accepter, mais très souvent, lorsque les lacunes étaient fortes, j’ai résumé en deux ou trois phrases la matière de plusieurs lignes. C’est donc moins une traduction littérale qu’une adaptation, et le lecteur trouvera dans bien des endroits le sens général plutôt que la lettre même du récit égyptien : je n’ai pu faire davantage pour le moment.

*

* *

« Je ne suis pas le premier qui vient à lui à ce sujet. C’est lui qui l’a emportée dans la forteresse de Zaouîphrê[744], sa ville, tout d’abord, après qu’il eût pris l’armure de leurs mains et qu’il l’eût transportée hors, de leurs maisons sans que nulle personne au monde s’en a aperçût. Il l’a donc prise en sa propre ville, que je lui ai donnée dans le district, près du surintendant des troupeaux de Sakhmi »[745]. Toutes les paroles que son jeune serviteur avait dites devant lui, il les répéta devant Pharaon, et il employa deux jours à les raconter devant Pétoubastis, sans que parole au monde y manquât. Pémou lui dit : « Malheur du cœur soit pour Zaouîphrê ! Cette cuirasse ne l’as-tu pas emportée chez toi ? N’as-tu pas allongé la main vers la cuirasse du prince Inarôs[746], afin de l’emporter à Zaouiphrê, ta ville, et ne l’y as-tu pas cachée afin de ne plus la remettre en sa place première ? « As-tu pas agi de la sorte à cause de ta confiance en ta force, ou bien à cause que ta famille est versée dans la leçon du soldat[747] ? » Le grand seigneur d’Amon dans Thèbes lui dit : « Par Horus ! Je ne te rendrai pas la cuirasse sans combat. Ma famille ne connaît-elle pas la leçon du soldat ? » Ils s’éloignèrent pour préparer la guerre, chacun de son côté[748], puis Pémou le petit s’embarqua sur son yacht et, ayant navigué sur le fleuve pendant la nuit, il arriva à Tanis afin de notifier au roi ce que le Grand Seigneur d’Amon dans Thèbes avait fait.

Pharaon Pétoubastis les fit mander devant lui, le prince de l’Est, Pakrour, et Pémou le petit, disant : « Qu’ils se prosternent sur le ventre en notre présence, et qu’ils se traînent ainsi devant nous ». Les sergents et les huissiers et les maîtres des cérémonies dirent : « Qu’ils viennent au pavillon d’audience » Le prince de l’Est, Pakrour, dit : « Est-ce bien beau ce qu’a fait le grand seigneur d’Amon de Thèbes de couvrir d’injures le prince Inarôs, tandis que celui-ci avait la face tournée vers ses serviteurs ? » Après que Pharaon eût entendu sa voix, Pharaon dit : « Chefs de l’Est, Pakrour et Pémou le petit, ne vous troublez pas en vos cœurs, à cause des paroles qu’il a proférées. Par la vie d’Amonrâ, le seigneur de Diospolis, le roi des dieux, le grand dieu de Tanis, je te le répète, je ferai donner au prince Inarôs une sépulture grande et belle ». L’instant que Pémou entendit ces paroles, il dit : « Pharaon, mon grand maître, les paroles que tu as prononcées sont comme du baume pour les gens de Mendès, qui échapperaient à ma vengeance ! Par Atoumou, le maître d’Héliopolis, par Râ-Horus Khoproui-Marouîti, le dieu grand, mon dieu, qu’il rassemble les hommes d’Égypte qui dépendent de lui, et je lui rendrai le coup qu’il m’a porté ![749] » Pharaon dit : « Mon fils Pémou, ne quitte pas les voies de la sagesse, si bien que des désastres se produisent de mon temps en Égypte ! » Pénien inclina la tête et sa face s’attrista. Le roi dit : « Ô scribe, que l’on envoie des messagers dans tous les nomes de l’Égypte, depuis Éléphantine jusqu’à Souânou[750], afin de dire aux princes des nomes : « Amenez votre lecteur[751], et vos taricheutes de la maison divine, vos bandelettes funéraires, vos parfums à la ville de Busiris-Mendès, afin que l’on fasse ce qui est prescrit pour Hapis, pour Mnévis, pour Pharaon le roi des dieux, célébrant tous les rites en l’honneur du prince Inarôs, selon ce que Sa Majesté a commandé. » Et, quand les temps furent accomplis, les pays du Sud s’empressèrent, les pays du Nord se hâtèrent, l’Ouest et l’Est accoururent, et tous ils se rendirent à Busiris-Mendès. Alors le grand chef de l’Est, Pakrour, dit : « Mon fils Pémou, vois les gens des nomes de l’Est, qu’ils préparent leurs bandelettes funéraires, leurs parfums, leurs taricheutes de la maison divine, leurs chefs-magiciens et leurs aides qui viennent au laboratoire ; qu’ils se rendent à Busiris, qu’ils introduisent le corps du défunt roi Inarôs dans la salle de l’embaumement, qu’ils l’embaument et l’ensevelissent de l’ensevelissement le plus considérable et le plus beau, tel que celui qu’on fait pour Hapis et pour Pharaon le roi des dieux ! Qu’on le traite ainsi, puis qu’on le dépose dans sa tombe sur le parvis de Busiris-Mendès[752] ! » Après quoi, Pharaon renvoya l’ost d’Égypte dans ses nomes et dans ses villes.

Alors Pémou dit au grand prince de l’Est, Pakrour :

« Mon père, puis-je donc retourner à Héliopolis, mon nome, et y célébrer une fête, tandis que la cuirasse de mon père Inarôs reste dans l’île de Mendès, à Zaouîphré ? » Le grand prince de l’Est, Pakrour, dit : « Ce furent de grandes paroles, ô Soupdîti, dieu de l’Est[753], les tiennes quand tu dis : « Tu vas contre la volonté de mon prophète Inarôs, si tu peux rentrer à Héliopolis sans que nous y rapportions la cuirasse avec nous ». Les deux seigneurs s’embarquèrent sur un yacht, ils voyagèrent jusqu’à ce qu’ils arrivassent à Tanis, ils coururent au pavillon d’audience devant le roi. L’heure que le roi aperçut les princes de l’Est, Pakrour et Pémou, et leur ost, son cœur en fut troublé, et il leur dit : « Qu’est-ce là, mes seigneurs ? Ne vous ai-je donc pas envoyés vers vos nomes, vers vos cités et vers vos nobles hommes, pour qu’ils célébrassent en l’honneur de mon prophète Inarôs des funérailles grandes et belles ? Qu’est-ce donc que cette conduite fâcheuse de votre part ? » Le grand chef de l’Est, Pakrour dit : « Mon seigneur grand, pouvons-nous donc retourner à Héliopolis sans rapporter avec nous, dans nos nomes et dans nos cités, la cuirasse du prince Inarôs, ce qui est une honte pour nous dans toute l’Égypte ? Pouvons-nous célébrer pour lui les fêtes des funérailles tant que sa cuirasse est dans la forteresse de Zaouîphré, et que nous ne l’avons pas rapportée à sa place première dans Héliopolis ? » Pharaon dit : « Ô scribe, porte le message de mon ordre à la forteresse de Zaouîphré, au grand seigneur d’Amon dans Thèbes, disant : « Ne tarde pas de venir à Tanis pour certaine chose que je désire que tu fasses ? » Le scribe ferma la lettre, il la scella, il la remit aux mains d’un homme de couleur. Celui-ci ne tarda pas d’aller à Zaouîphré ; il mit la dépêche aux mains du grand seigneur d’Amon dans Thèbes, qui la lut et qui ne tarda pas de se rendre à Tanis, à l’endroit où Pharaon était. Pharaon dit : « Grand seigneur d’Amon dans Thèbes, vois, la cuirasse de l’Osiris, le roi Inarôs, qu’elle soit renvoyée à sa place première, qu’elle soit rapportée à Héliopolis, dans la maison de Pémou, aux lieux où tu l’as prise ». L’instant que le grand seigneur d’Amon dans Thèbes l’entendit, il baissa la tête et son visage s’assombrit : Pharaon l’interpella trois fois mais il ne répondit mot.

Alors Pémou s’avança en face de Pharaon et il dit : « Nègre, Éthiopien, mangeur de gomme[754], est-ce ton dessein par confiance en ta force de te battre avec moi devant Pharaon ? » Lorsque l’armée d’Égypte entendit ces paroles, elle dit : « Le grand seigneur d’Amon dans Thèbes désire la guerre ! » Pémou dit : « Par Atoumou, le seigneur d’Héliopolis, le dieu grand, mon dieu, n’était l’ordre donné[755] et le respect dû au roi qui te protège, je t’infligerais sur l’heure la mauvaise couleur ![756] ». Le grand seigneur d’Amon dans Thèbes dit : « Par la vie de Mendès, le dieu grand, la lutte qui éclatera dans le nome, la guerre qui éclatera dans la cité, soulèvera clan contre clan, fera marcher homme contre homme, au sujet de la cuirasse, avant qu’on l’arrache de la forteresse de Zaouîphré ». Le grand chef de l’Est, Pakrour, dit devant Pharaon : « Est-ce bien beau ce que le grand seigneur d’Amon dans Thèbes a fait et les paroles qu’il a prononcées : Pharaon verra qui de nous est le plus fort ? » Je ferai retomber sur le grand seigneur d’Amon dans Thèbes et sur le nome de Mendès la honte de leurs actes et de leurs paroles, celles qu’ils ont prononcées parlant de guerres civiles : je les rassasierai de guerre, et je m’évertuerai à ce que la bataille et la guerre ne surgissent pas en Égypte aux jours de Pharaon. Mais si on m’y autorise, je montrerai à Pharaon la guerre entre gens de deux écussons[757]. Tu seras alors témoin de ce qui arrivera ! Tu verras la montagne tressauter jusqu’au ciel qui s’étend au-dessus de la terre et celle-ci trembler ; tu verras les taureaux de Pisapdi, les lions de Métélis et leur façon de combattre, le fer se tremper après que nous l’aurons chauffé dans le sang. » Pharaon dit : « Non, ô notre père, grand chef de l’Est, Pakrour, prends patience et ne t’inquiète pas non plus. Et maintenant allez chacun à vos nomes et à vos villes, et je ferai prendre la cuirasse du défunt roi Inarôs et la rapporter en Héliopolis à l’endroit d’où elle fut enlevée, la joie devant elle, l’amour derrière elle. Si tu doutais de cela une grande guerre éclatera : donc fais qu’il n’y ait aucune guerre chez nous. Si cela vous plaît, accordez-moi cinq jours, et, par la vie d’Amonrâ, le maître, le roi des dieux, mon grand dieu, après que vous serez rentrés dans vos nomes et dans vos cités, je ferai rapporter la cuirasse à sa place première ». Pharaon se tut, il se leva, il s’avança, et Pémou le petit alla devant Pharaon et dit : « Mon grand Seigneur, par Atoumou le dieu grand, si l’on me donne la cuirasse et que je la prenne à Héliopolis, sans l’avoir enlevée de force, alors, les lances reposeront en Égypte, à cause de cela. Mais quand même l’armée du pays Entier retournerait dans ses foyers, je marcherais au nom de mon prophète Inarôs et je rapporterais sa cuirasse à Héliopolis ».

Le grand seigneur d’Amon dans Thèbes dit : « Pharaon, notre maître grand, puisses-tu parvenir à la longue vie de Ra, puisse Pharaon ordonner au scribe de porter ma voix dans mes nomes et dans mes villes, à mes frères, à mes compagnons, à mes charriers, qui sont de mon clan, afin qu’ils m’entendent ». Pharaon dit : « Allons, qu’on m’amène un scribe ». Quand il fut venu, d’ordre de Pharaon, il écrivit aux gens du nome de Mendès[758], ainsi qu’à Takhôs, le chef des milices du nome et à Phramoonî, le fils d’Ankhhorou, disant : « Faites vos préparatifs vous et vos gens. Qu’il leur soit donné des provisions, des vêtements, de l’argent de la maison du roi et qu’ils reçoivent leurs ordres de départ ; et qui n’a point d’armes et de fourniment qu’on les leur donne de l’argent de mon trésor, puis qu’ils viennent avec moi à l’étang de la Gazelle[759], qui sera le lieu d’abordage des princes, des archontes, des chefs de milices en vue de la lutte de ville contre ville, nome contre nome, clan contre clan, qui va s’engager. De plus qu’on envoie aux maisons d’Ankhhorou, fils de Harbîsa, le prince du canton de Palakhîtit. Qu’on envoie également aux maisons de Teniponi le fils d’Ouzakaou, le prince de… ». Alors les princes de Tanis, ceux de Mendès, ceux de Tahaît, ceux de Sébennytos, envoyèrent chercher leurs armées, et Ankhhorou, le fils de Pharaon, envoya à ses villes et à ses frères, les enfants de Pharaon, et ils se rangèrent devant le pavillon de Pharaon, chacun selon ses nomes et de ses villes. Ainsi fut fait. L’heure que Pémou le petit entendit le nom des princes et des armées des nomes et des villes auxquelles le grand seigneur d’Amon dans Thèbes avait envoyé, il pleura comme un petit enfant. Le grand chef de l’Est, Pakrour, le regarda et il vit que sa face était trouble et qu’il était triste en son cœur, et il dit : « Mon fils, chef des milices, Pémou le petit, ne te trouble pas ! Quand ils entendront ce qui arrive, tes alliés à toi te rejoindront eux aussi ». Le grand chef de l’Est, Pakrour, dit à Pharaon : « Fais venir Sounisi, le fils d’Ouazhor, le scribe, afin qu’il écrive un ordre à nos nomes et à nos villes, à nos frères, à nos hommes ». Pharaon dit : « Scribe, fais tout ce qui te sera commandé ! » Le grand chef de l’Est, Pakrour, dit : « Scribe ! » Celui-ci lui dit : « À tes ordres, mon grand maître ! » Le grand chef de l’Est, Pakrour, dit : « Fais une dépêche pour Harouî, fils de Pétékhonsou, le greffier des quartiers de ma ville et des affaires des gens qui y habitent, disant : « Fais tes préparatifs avec l’ost du nome de l’Est. Qu’il leur soit donné des provisions, des vêtements, et à celui qui n’a point d’armes et de fourniment qu’on les lui donne de mon trésor[760], et qu’ils partent en campagne, mais qu’ils s’abstiennent de tout acte de violence jusqu’à ce que je mouille au Lac de la Gazelle pour la lutte qui va s’engager de nome à nome et de clan à clan, au sujet de Pémou le petit, le fils d’Inarôs, et de la cuirasse du prophète, le défunt prince Inarôs, car Pémou le petit va se battre avec le grand seigneur d’Amon dans Thèbes, à propos de la cuirasse d’Inarôs que celui-ci a emportée dans la forteresse de Zaouîphrê, laquelle est dans l’île du nome de Mendès ! »

« Fais une autre dépêche pour le nome de l’Est, pour la ville de Pisapdi, pour le chef des soldats, Pétékhonsou, disant : « Fais tes préparatifs ainsi que ton ost, tes chevaux, ton bétail, ton yacht, et les hommes de l’Est qui doivent te suivre tous, et ce, au sujet de la cuirasse du prophète, le défunt prince Inarôs, que le grand seigneur d’Amon dans Thèbes a emportée dans la forteresse de Zaouîphré. Je te rejoindrai au lac de la Gazelle, à cause de la querelle qui vient d’éclater ».

« Fais une autre dépêche pour Phrâmoonî, le fils de Zinoufi, le prince de Pimankhi[761], dans les termes indiqués ci-dessus.

« Fais une autre dépêche pour le prince Mînnemêî, le fils d’Inarôs, d’Éléphantine, ainsi que pour ses trente-trois hommes d’armes, ses écuyers, ses chapelains, ses mercenaires éthiopiens, ses fantassins, ses chevaux, son bétail.

« Fais une autre dépêche à Pémou, le fils d’Inarôs le petit, au poing fort, disant : Fais tes préparatifs ainsi que ton ost, tes hommes d’armes, tes sept chapelains », dans les termes indiqués ci-dessus.

« Fais une autre dépêche à Busiris, pour Bakloulou, le fils d’Inarôs, disant : « Fais tes préparatifs avec ton ost » dans les termes indiqués ci-dessus.

« Fais une autre dépêche à l’île d’Héracléopolis, à Ankhhorou le manchot, disant : « Fais tes préparatifs avec ton ost ainsi que tes hommes d’armes », et fais un autre ordre pour Mendès, le fils de Pétékhonsou et pour ses chapelains, dans les termes indiqués ci-dessus.

« Fais une autre dépêche à Athribis pour Soukhôtês, le fils de Zinoufi, disant : « Fais tes préparatifs ainsi que ton ost et tes hommes d’armes ».

« Fais une autre dépêche à Ouilouhni, le fils d’Ankhhorou, le prince de la forteresse de Méitoum, disant « Fais tes préparatifs ainsi que ton ost, tes mercenaires, tes chevaux, ton bétail ! »

« Fais enfin une autre dépêche au grand chef de l’Est, Pakrour, à ses nomes et à ses villes, disant : « Faites vos préparatifs pour le lac de la Gazelle ! »

Or, après cela, le grand chef de l’Est, Pakrour, dit « Mon fils Pémou, écoute les paroles que le scribe a dites pour toi dans tes dépêches à tes nomes et à tes villes. Va-t’en vite, préviens le grand seigneur d’Amon dans Thèbes et sois le premier en force sur les lieux, à la tête de tes frères qui sont de ton clan, si bien qu’ils t’y trouvent tout rendu, car, s’ils ne t’y trouvaient pas, ils retourneraient à leurs nomes et à leurs villes. Moi-même je m’en irai à Pisapdi et j’encouragerai l’ost afin qu’il ne faiblisse pas, et je le ferai aller à l’endroit où tu seras ». Pémou le petit dit : « Mon cœur est content de ce que tu as dit ». Après cela, les hauts personnages se rendirent à leurs nomes et à leurs villes. Pémou le petit partit, il monta sur une galée neuve qui était fournie de toute sorte de bonnes choses : sa galée descendit le courant, et, après un certain temps, Pémou arriva au lac de la Gazelle, et on lui indiqua une place pour s’y installer en son privé.

Or, tandis que tout cela s’accomplissait, on vint l’annoncer devant le chef des milices, le grand seigneur d’Amon dans Thèbes, disant : « Pémou le petit vient d’aborder au lac de la Gazelle ; il s’y est établi en son privé et il est là seul avec Zinoufi, son jeune écuyer. Fais donc tes préparatifs ainsi que ton ost, et que celui-ci se hâte de s’armer. Que les gens de Tanis, de Mendès, de Tahait et de Sébennytos partent avec toi, et qu’ils se concertent bien avec toi afin de livrer bataille à Pémou le petit. Car celui-ci t’a précédé, et ils ne sont là que deux faibles. Les nomes et les villes qui sont avec toi, ordonne-leur de se rendre au champ de bataille, et de l’attaquer au Sud, au Nord, à l’Est, à l’Ouest ; ils ne cesseront point les attaques qu’ils n’aient détruit sa vie. Quand ses frères viendront et qu’ils sauront sa mort tragique, leur cœur en sera brisé en eux et leur force en sera amoindrie ; ils retourneront à leurs villes et à leurs nomes, sans que rien ne retienne leurs pieds, et la cuirasse d’Inarôs ne sortira jamais de tes maisons ». Il dit « Par la vie de Mendès, le dieu grand ! C’est bien à cette intention que j’ai convoqué Mendès et les quatre nomes qui sont avec moi ! Qu’on m’arme une galée ! » On la lui arma à l’instant, et le grand seigneur d’Amon dans Thèbes s’embarqua avec son ost et ses hommes d’armes. Or il arriva que l’ost et les hommes d’armes de sa ville étaient prêts et ils partirent avec les bandes de l’ost des quatre nomes. En peu de temps le grand seigneur d’Amon dans Thèbes parvint au lac de la Gazelle ; il s’informa aussitôt, et il apprit que Pémou le petit y était venu avant lui.

Quand le grand seigneur d’Amon dans Thèbes eut amené les siens au lieu où Pémou se trouvait au lac de la Gazelle, il dit : « Battons-nous en duel une heure durant, jusqu’à ce que l’un de nous deux ait vaincu l’autre. » L’heure que Pémou le petit entendit ces paroles, son cœur se troubla sur le champ, et il pensa : « Je m’étais dit qu’il n’y aurait pas de bataille avant que mes frères m’eussent rejoint, car ma défaite découragerait l’ost des nomes de l’Égypte lorsqu’il arriverait ici ». Toutefois la réponse de Pémou fut : « Je suis prêt au combat ! » Zinoufi, son jeune écuyer, se mit à pleurer et dit : « Te protège mon Dieu, que ton bras soit heureux, et puisse Dieu t’être pitoyable ! Tu sais bien qu’un seul au milieu d’une multitude est en mauvaise posture et qu’un nome est perdu s’il est seul. Dois-je te nommer les bandes qui sont ici avec le grand seigneur d’Amon thébain, celles de Tanis, celles de Mendès, celles de Tahaît, celles de Sébennytos, ainsi que les hauts personnages qui sont avec lui ? Vois, tu entres en lice contre lui, sans qu’un seul de notre clan soit avec toi. Hélas, s’il s’attaque à toi, sans que nul de tes hommes d’armes soit auprès de toi ! Par Atoumou, toute une armée s’approche pour toi du champ de bataille et elle te sauvera la vie, une grande vie : ne la jette pas à la destruction par témérité ! » Pémou dit : « Mon frère Zinoufi, tous les mots que tu as dits, je les ai pensés moi-même. Mais puisque les choses sont telles qu’il ne peut plus ne pas y avoir de bataille jusqu’à ce que mes frères m’aient rejoint, j’abattrai les gens de Mendès, j’humilierai Tanis, Tahaît et Sébennytos qui ne me comptent point parmi les vaillants. Puisqu’il en est ainsi, mon frère Zinoufi, aie bon courage et qu’on m’apporte l’armure d’un hoplite ! » On la lui apporta sur le champ et on l’étendit devant lui sur une natte de roseaux frais. Pémou allongea sa main et il saisit une chemise faite de byssus multicolore, et sur le devant de laquelle étaient brodées des figures en argent, tandis que douze palmes d’argent et d’or décoraient le dos. Il allongea ensuite sa main vers une seconde chemise en toile de Byblos et en byssus de la ville de Panamhou, brochée d’or, et il l’endossa. Il allongea ensuite sa main vers une cotte teinte, longue de trois coudées et demie de laine fine, dont la doublure était en byssus de Zalchel, et il l’endossa. Il allongea ensuite sa main vers son corselet de cuivre, qui était décoré d’épis d’or et de quatre figures mâles et de quatre figures féminines représentant les dieux du combat, et il l’endossa. Il allongea sa main vers une grève d’or fondu et il l’emboîta à sa jambe, puis il saisit de sa main la seconde grève d’or et il l’emboîta à sa jambe. Il attacha ensuite les courroies, puis il posa son casque sur la tête et il se rendit à l’endroit où était le grand seigneur d’Amon dans Thèbes[762].

Celui-ci dit à son écuyer : « Par Mendès, mon jeune écuyer, apporte-moi mon armure ! » On la lui apporta sur le champ, il l’endossa, et il ne tarda pas aller à l’endroit où devait avoir lieu la bataille. Il dit à Pémou « Si tu es prêt, battons-nous l’un contre l’autre ! » Pémou accepta et la bataille s’engagea, mais bientôt le grand seigneur d’Amon dans Thèbes eut l’avantage[763]. Quand Pémou s’en aperçut, son cœur en fut troublé. Il fit un signe avec la main et il dit à Zinoufi, son jeune écuyer « N’hésite pas à courir au port, afin de voir si nos amis et nos compagnons n’arrivent pas avec leur ost ». Zinoufi se mit en branle[764], et il n’hésita pas à courir au port ; il attendit une heure, il observa pendant un temps du haut de la berge. Enfin il leva son visage et il aperçut un yacht peint en noir avec un bordage blanc, tout garni de gabiers et de rameurs, tout chargé de gens d’armes, et il reconnut qu’il y avait des boucliers d’or sur les bordages, qu’il y avait un haut éperon d’or à la proue, qu’il y avait une image d’or à sa poupe, et que des escouades de matelots manœuvraient aux agrès ; derrière lui suivaient deux galères ; cinq cents flûtes, quarante baris et soixante petits bateaux avec leurs rameurs, si bien que le fleuve était trop étroit pour ce qu’il y avait de vaisseaux, et la berge était trop étroite pour la cavalerie, pour les chariots, pour les machines de guerre, pour les fantassins. Un chef était debout dans le yacht. Zinoufi appela à voix haute et il cria bien fort, disant : « Ô vous gens de la flotte blanche, gens de la flotte verte, gens de la flotte bariolée, qui de vos bateaux aidera la race de Pémou le petit, le fils d’Inarôs ? Accourez vers lui à la lice, car il est seul dans la bataille. Il n’y a ni calasiris[765], ni piétons, ni cavaliers, ni chars avec lui contre le grand seigneur d’Amon dans Thèbes. Les gens de Tanis, ceux de Mendès, ceux de Tahaît, ceux de Sébennytos, ils aident le grand seigneur d’Amon dans Thèbes, leur dieu, qui réside dans la forteresse de Zaouîphrê. Ses frères, ses alliés, ses gens d’armes le soutiennent tous ». Sur l’heure que les gens du yacht l’entendirent, un calasiris se leva sur la proue disant : « Malheur terrible, celui que nous annoncent tes lèvres, en nous révèlant que Pémou et son clan se battent contre le grand seigneur d’Amon dans Thèbes ». Zinoufi revint pour porter la nouvelle. Il tourna ses pas vers l’endroit où était Pémou, et il le trouva engagé contre le grand Seigneur d’Amon dans Thèbes : son cheval avait été tué et gisait à terre. Zinouli s’écria : « Combats, mon dieu Pémou, tes frères, les enfants d’Inarôs, ils accourent vers toi ! »

Lorsque le grand seigneur d’Amon dans Thèbes, vit que Zinoufi revenait, il commanda aux gens de Tanis, à ceux de Mendès, à ceux de Tahaît, à ceux de Sébennytos, de redoubler d’efforts contre Pémou[766]. Zinoufi, le jeune écuyer, trouva Pémou le cœur troublé, le visage inondé de larmes, à cause de son cheval, disant : « T’ont-ils donc tuée, ma bonne bête ? » Quand il entendit Zinoufi, il releva son visage et il aperçut un yacht garni de gabiers et de rameurs, chargé de gens d’armes et de matelots qui chantaient au vent et qui accouraient à la bataille. Il cria d’une voix haute à son petit écuyer Zinoufi : « Frère, qui sont ces gens-là ? » – « C’est le clan d’Inarôs, qui accourt à l’aide de Pémou le petit, le fils d’Inarôs ». Pétékhonsou, le frère de Pémou, qui était à leur tête, défia Ankhhorou, le fils de Pharaon : lors, la mêlée générale fut suspendue d’un commun accord et ils s’armèrent pour un combat singulier. Lors un messager ne tarda pas d’aller au lieu où le Pharaon Pétoubastis était pour lui raconter ce qui s’était passé entre Pétékhonsou et Ankhhorou, l’enfant du roi. Lorsque Sa Majesté l’apprit, elle devint furieuse : « Qu’est-ce que cette mauvaise action ? voici-t-il pas que malgré mes ordres, Aukhhorou, l’enfant du Pharaon, se bat avec le taureau dangereux des gens de l’Est ! Par Amonrâ, le roi des dieux, mon dieu grand, malheur à l’ost de Pisapdi ! Honte aux gens d’Athribis, à Post du nome de Mendès, qui écrasent les bandes de Sébennytos en lutte à propos du clan des hauts personnages, princes, fils du prophète Inarôs ! La bannière du prince Inarôs est abaissée jusqu’à ce que leurs alliés arrivent[767]. Qu’on se prépare pour la lice, pour le cercle du champ clos. On a répété des mensonges au prince Pétékhonsou, pour qu’il ne joute pas avec Ankhhorou, l’infant royal, mon fils, et qu’il ne lève pas son fanion avant que toutes les bandes n’aient débarqué et qu’on ait érigé les étendards[768] devant Pharaon pour le cercle du champ clos ». L’ost des deux sceptres et les gens des deux boucliers[769] se mirent donc en chemin. Quand Pharaon arriva à l’endroit où Pétékhonsou était, il aperçut les pages de Pétékhonsou et Pétékhonsou lui-même qui endossait une cuirasse de fer solide. Pharaon s’avança et dit : « N’aie pas le mauvais œil mon enfant, chef des milices, Pétékhonsou ; n’engage pas la guerre, ne combats pas jusqu’à ce que tes frères soient arrivés, ne lève pas ta bannière jusqu’à ce que ton clan soit venu ! » Pétékhonsou vit que le Pharaon Pétoubastis se posait la couronne sur la tête : Pétékhonsou le loua et lui adressa la prière usuelle, et il n’engagea pas la bataille ce jour-là. Pharaon fit inscrire sur une stèle de pierre un rescrit en l’honneur du prince Pétékhonsou[770].

Or, tandis que tout cela arrivait, le yacht du grand chef de l’Est, Pakrour, aborda au lac de la Gazelle, et les transports de Pétékhonsou et des gens d’Athribis poussèrent plus au Nord : on assigna un appontement à leurs transports et on attribua un appontement aux transports d’Ankhhorou le fils de Panemka. On attribua un appontement aux transports des gens d’Héliopolis et aux transports des gens de Sais. On attribua un appontement aux transports de Mînnémêî le prince d’Éléphantine. On attribua un appontement aux transports de Phrâmoonî, le fils de Zinouti, et à l’ost de Pimankhi. On attribua un appontement à Pebrekhaf, le fils d’Inarôs, et à l’ost du nome de Sais. On attribua un appontement au yacht du chef Bakloulou, le fils d’Inarôs, et à l’ost du nome de Busiris. On attribua un appontement au yacht d’Ouilouhni, le fils d’Ankhhorou, et à l’ost de Méitoum. On attribua un appontement à Ouohsounefgamoul, fils d’Inarôs. On attribua un appontement au yacht de Pémou le petit, au poing vigoureux, et aux autres fils du prince d’Inarôs, ainsi qu’aux frères du chef des soldats Pétékhonsou, et à ceux du clan du prophète Inarôs. Qui voit l’étang et ses oiseaux, le fleuve et ses poissons, il voit le lac de la Gazelle avec la faction d’Inarôs. Ils mugissaient à la façon des taureaux, ils étaient imbus de force comme des lions, ils faisaient rage ainsi que des lionnes. On vint donc l’annoncer à Pharaon disant : « Les deux factions sont arrivées ; elles semblent des lions pour leurs cuirasses et des taureaux pour leurs armes ». On dressa alors une estrade élevée pour le roi Pétoubastis, et on dressa une autre estrade pour le grand chef de l’Est, Pakrour, en face de celle-là. On dressa une estrade pour Takhôs, le fils d’Ankhhorou, et on en dressa une autre pour Pétékhonsou en face de celle-là. On dressa une estrade pour Ouilouhni, le commandant des soldats de Méitoum, et on en dressa une autre pour le fils royal Anoukhhorou, le fils de Pharaon Pétoubastis, en face de celle-là. On dressa une estrade pour Psintalês, le fils de Zaouîrânamhaî, le prince du grand cercle de Hanoufi, et on en dressa une autre pour Phrâmoonî, le fils de Zinoufi, le prince de Pimankhi, en face de celle-là. On dressa une estrade pour Ankhhorou, le fils de Harbîsa, le prince du canton de Pilakhîti, et on en dressa une autre pour Pétékhonsou de Mendès en face de celle-là. On dressa une estrade pour Ankhhophis, le fils de Phrâmoonî, le prince de Pzoéis, et on en dressa une autre pour Soukhôtès, le fils de Tafnakhti d’Athribis, en face de celle-là. L’ost des quatre nomes était rangé derrière le grand Seigneur d’Amon dans Thèbes, et l’est du nome d’Héliopolis derrière Pémou le petit.

Alors Pharaon dit : « Ô grand chef de l’Est, Pakrour, je vois qu’il n’y a personne qui puisse empêcher les deux boucliers de se choquer, nome contre nome et chaque ville contre sa voisine ». Le grand chef de l’Est sortit revêtu d’une cotte lamée de bon fer et de bronze coulé, ceint d’une épée de combat en bon fer coulé, et de son poignard à la mode des gens de l’Est, coulé en une seule pièce de sa poignée à sa pointe affilée. Il saisit une lance en bois d’Arabie pour un tiers, en or pour un autre tiers, et dont un tiers était de fer, et il prit à la main un bouclier d’or. Le grand chef de l’Est, Pakrour, se tint au milieu des bandes de l’Égypte, entre les deux sceptres et les deux boucliers, et il interpella à haute voix ses chèvetaines, disant : « Sus, toi, chef des milices, Grand seigneur d’Amon dans Thèbes ! C’est à toi qu’il appartient de combattre Pémou, le chef des soldats, le petit, le fils d’Inarôs, avec qui marchent les sept gens d’armes qui étaient dans le camp du fils divin, du prince Inarôs et vous, gens du nome d’Héliopolis placez-vous en face des bandes nombreuses du nome de Mendès. Sus toi, chef des soldats, Pétékhonsou ! C’est à toi qu’il appartient de combattre Ankhhorou, l’infant royal, le fils de Pharaon. Pétoubastis Sus, vous Psittouêris, fils de Pakrour, Phrâmoonî, fils d’Ankhhorou, Pétékhonsou, fils de Bocchoris, et toi, sus, ost de Pisapdi. C’est à vous qu’il appartient de combattre l’ost du nome de Sébennytos. Sus, vous, Phrâmoonî, fils de Zinoufi, et ost de Pimankhî ! C’est à vous qu’il appartient de combattre l’ost du nome de Tanis. Sus toi, Soukhôtés, le fils de Zinoufi, le chef de l’ost du nome d’Athribis ! C’est à toi qu’il appartient de combattre, ainsi qu’à Ankhhorou, le fils de Hârbisa, le prince de Tiôme, le chef des troupeaux de Sakhmi ! » Il les appareilla homme contre homme, et grande était leur prouesse, grande leur ardeur meurtrière !

Or, après cela, il arriva que le grand chef de l’Est, Pakrour, se détourna au milieu de la mêlée, et qu’il aperçut un calasiris de haute taille et de belle mine, qui se tenait debout sur le brancard d’un chariot neuf et bien décoré. Il était couvert de son armure et de toutes ses armes, et il avait quarante gens d’armes avec lui, fermes et droits sur leurs quarante chevaux, et quatre mille fantassins marchaient à sa suite, armés de pied en cap, et quatre mille autres soldats étaient derrière lui bien équipés. Il leva la main devant le grand chef de l’Est, Pakrour[771], disant : « Sois-moi favorable, ô Baal, grand dieu, mon Dieu ! Qu’as-tu donc que tu ne m’as pas donné une place au combat, afin de me ranger parmi mes frères, les fils du prince Inarôs, mon père. » Le prince de l’Est, Pakrour, lui dit : « Lequel es-tu des hommes de notre clan ? » Le calasiris lui dit : « En vérité, mon père, prince de l’Est, Pakrour, je suis Montoubaal, le fils d’Inarôs, qui avait été envoyé contre le pays de Khoîris[772]. Par ta prouesse, mon père, prince de l’Est, Pakrour, j’étais énervé et je ne pouvais dormir dans ma chambre, quand je songeai un songe. Une chanteuse des paroles divines se tenait près de moi[773] et me disait : « Montoubaal, fils d’Inarôs, mon fils, cours autant que tu peux courir ! Ne tarde pas plus longtemps, mais monte en Égypte, car j’irai avec toi au lac de la Gazelle, à cause de la bataille et de la guerre que mènent l’ost de Mendès et le clan de Harnakhouîti, le fils de Smendès, contre tes frères et contre ton clan, à cause de la cuirasse qu’on a emportée dans la forteresse de Zaouîphrê. » Ô mon père, prince de l’Est, Pakrour, qu’on m’assigne une place dans la lice ; car si on ne me la donne, que deviendrai-je, mon père, prince de l’Est, Pakrour ? » Le prince de l’Est, Pakrour, lui dit : « Salut à toi, salut à toi, Montoubaal ! Tu arrives avec tes bandes lorsque tout est déjà disposé ; toutefois, puisque tu me demandes un ordre, voici l’ordre que je te donne. Reste sur ton yacht et n’envoie aucun de tes gens à la bataille, car je ne te donnerai pas le signal du combat avant que les bandes des nomes n’attaquent nos vaisseaux : alors, ne les laisse pas faire rage sur le fleuve ! » Montoubaal lui dit : « Ô mon père, prince de l’Est, Pakrour, je resterai sur mon yacht ! » Pakrour lui montra le poste où il devait se placer et il monta sur son estrade pour suivre les péripéties de la bataille[774].

Les deux factions se battirent donc depuis la quatrième heure du matin jusqu’à la neuvième heure du soir, sans que les gens d’armes cessassent de frapper l’un sur l’autre. Enfin Ankhhorou, fils de Harbisa, le prince de Tiômé, se leva pour délivrer un autre héros des bandes de Sébennytos et ils coururent vers le fleuve. Or, Montoubaal était au fleuve sur son yacht ; il entendit la forte plainte qui s’élevait de l’ost et le hennissement des chevaux, et on lui dit : « C’est l’ost du nome de Sébennytos qui fuit devant tes frères ». Il dit : « Sois avec moi, ô Baal, le Dieu grand, mon dieu ! Voici, il est déjà la neuvième heure et mon cœur est ému, pour ce que je n’ai pris part à la bataille et à la guerre ! » Il endossa sa cotte et il saisit ses armes de guerre, et il s’élança à l’encontre de l’ost du nome de Sébennytos, des bandes de Mendès et de la forteresse de Zaouîphrê, de Tahaît, des forces du Grand Seigneur d’Amon dans Thèbes. Il répandit la défaite et le carnage parmi eux, telle Sokhît en son heure de fureur, lorsque sa colère s’enflamme dans les herbes sèches. L’ost se dispersa devant lui, et l’on répandit la défaite sous leurs yeux, le carnage parmi elles ; on ne se lassa pas de semer la mort au milieu d’elles. On le rapporta à Pharaon Pétoubastis et il ouvrit la bouche pour un grand cri, il se jeta à bas de son estrade élevée. Pharaon dit : « Grand chef de l’Est, Pakrour, rends-toi parmi les soldats. On m’a rapporté que Montoubaal, le fils d’Inarôs, répand la défaite et le carnage parmi l’ost des quatre nomes. Qu’il cesse d’anéantir mon ost ! » Le grand chef de l’Est dit : « Plaise Pharaon se rendre avec moi à l’endroit où Montoubaal est ; je ferai qu’il cesse d’égorger l’ost de l’Égypte ! » Pakrour endossa sa cotte, il monta dans une litière avec Pharaon Pétoubastis. Ils rencontrèrent Montoubaal, le fils d’Inarôs, sur le champ de bataille, et le grand chef de l’Est, Pakrour, dit : « Mon fils Montoubaal, retire-toi de la lice du combat. Est-ce beau de répandre la défaite et la ruine parmi tes frères, l’ost d’Égypte ? » Montoubaal dit : « Est-ce beau ce que ces gens-là ont fait d’emporter la cuirasse de mon père Inarôs dans la forteresse de Zaouiphrê, par ruse, sans que tu aies fait tout ce qu’il fallait pour qu’ils nous la rendissent ? » Le roi dit : « Retiens ta main, ô mon fils Montoubaal, et sur l’heure ce que tu as demandé se produira. Je ferai rapporter la cuirasse à Héliopolis au lieu où elle se trouvait auparavant, et la joie marchera devant elle, la jubilation derrière elle ! » Montoubaal fit sonner le clairon dans son armée. On se retira hors de la lice et ce fut comme si personne ne s’était battu.

Ils revinrent donc, Pharaon et Pakrour, avec Montoubaal, à la bataille, à l’endroit où Pémou était, et ils le trouvèrent engagé avec le Grand Seigneur d’Amon dans Thèbes. Pémou avait renversé à demi son adversaire sous son bouclier de joncs tressés : il lança un coup de pied, il fit tomber le bouclier à terre et il leva sa main et son épée comme pour tuer. Montoubaal dit : « Non, mon frère Pémou, ne pousse pas ta main jusqu’au point de te venger de ces gens-là, car l’homme n’est pas, comme un roseau qui, lorsqu’on le coupe, il repousse. Puisque Pakrour, mon père, et Pharaon Pétoubastis ont commandé qu’il n’y ait pas la guerre, qu’on fasse tout ce que Pharaon a dit au sujet de la cuirasse, pour la rapporter à sa place première, et que le Grand Seigneur d’Amon dans Thèbes s’en aille, et qu’il rentre à sa maison. » Ils se séparèrent donc l’un de l’autre, mais il arriva ensuite que le chef des troupes, Pétékhonsou, engagea Ankhhorou, l’infant royal, et qu’il lui poussa une botte par manière de plaisanterie. Pétékhonsou sauta derrière lui d’un bond et il administra à Ankhhorou, l’infant royal, une botte plus dure que la pierre, plus brûlante que le feu, plus légère qu’un souffle d’haleine, plus rapide que le vent. Ankhhorou n’en put saisir ni l’exécution, ni la parade : et Pétékhonsou le tint, renversé à demi devant lui, sous son bouclier de joncs tressés ; Pétékhonsou le jeta à terre, il leva son bras, il brandit sa harpé[775], et une plainte forte ainsi qu’une lamentation profonde s’élevèrent parmi l’armée de l’Égypte, au sujet d’Ankhhoron, l’infant royal. La nouvelle n’en demeura pas cachée à l’endroit où était Pharaon, à savoir : « Pétékhonsou a renversé Ankhhorou, ton fils, à terre, et il lève son bras et sa harpé sur lui pour l’anéantir ». Le roi Pharaon en conçut une grande angoisse. Il dit : « Sois-moi pitoyable, Amonrâ, seigneur roi de Diospolis, le dieu grand, mon dieu ! J’ai agi de mon mieux pour empêcher qu’il y eût bataille et guerre, mais on ne m’a pas écouté ! » Lorsqu’il eut dit ces choses, il se hâta et il saisit le bras de Pétékhonsou. Le roi dit : « Mon fils Pétékhonsou, conserve-lui la vie, détourne ton bras de mon fils, de peur, si tu le tuais, que ne vînt l’heure de mes représailles. Votre vengeance, vous l’avez prise, et vous avez vaincu dans votre guerre, et votre bras est fort par toute l’Égypte ! » Le grand chef de l’Est, Pakrour, dit « Détourne ton bras d’Ankhhorou, à cause de Pharaon, son père, car il est la vie[776] de celui-ci. » Il se sépara donc d’Ankhhorou, l’infant royal. Pharaon dit : « Par Amonrâ, le roi de Diospolis, le dieu grand, mon Dieu, c’en est fait de l’ost du nome de Mendès, et le Grand Seigneur d’Amon dans Thèbes est à terre, et Pétékhonsou l’a vaincu, ainsi que l’ost des quatre nomes a qui étaient les plus pesants de l’Égypte ; il n’y a plus qu’à faire cesser le carnage[777]. »

Or, tandis qu’il en arrivait ainsi, Minnemêî s’avança sur le fleuve avec ses quarante sergents d’armes, ses neuf mille Éthiopiens de Méroé, avec ses écuyers de Syène ; avec ses chapelains, avec ses chiens de Khazirou[778], et les gens d’armes du nome de Thèbes marchaient derrière lui, et le fleuve était trop étroit pour les gens des yachts et la berge trop étroite pour la cavalerie. Quand il arriva au lac de la Gazelle, on assigna un appontement au taureau des milices, Minnemêî, le fils d’Inarôs, le prince de ceux d’Éléphantine, auprès du yacht de Takhôs, le chef des soldats du nome de Mendès, et près de sa galère de combat, et il arriva que la cuirasse du prince Inarôs se trouvait sur cette galère. Minnemêî s’écria : « Par Khnoumou[779], le seigneur d’Éléphantine, le dieu grand, mon Dieu ! Voici donc ce pourquoi je t’ai invoqué, de voir la cuirasse de mon, père, l’Osiris Inarôs, afin que je devienne l’instrument de sa reprise ! » Mînnemêî endossa sa cotte et ses armes de guerre et l’ost qui était avec lui le suivit. Il alla à la galère de Takhôs, le fils d’Ankhhorou, et il rencontra neuf mille gens d’armes qui gardaient la cuirasse de l’Osiris Inarôs. Mînnemêî se précipita au milieu d’eux. Celui qui se tenait là, prêt au combat, sa place de bataille lui devint un lieu de sommeil ; celui qui se tenait là, prêt à la lutte, il accueillit la lutte à son poste, et celui qui aimait le carnage, il en eut son saoul, car Mînnemêî répandit la défaite et le carnage parmi eux. Ensuite, il installa des sergents d’armes, à bord de la galère de Takhôs, fils d’Ankhhorou, pour empêcher qu’homme au monde y montât. Takhôs résista de son mieux, mais il plia enfin, et Mînnemêî le poursuivit avec ses Éthiopiens et ses chiens de Khazirou. Les enfants d’Inarôs se précipitèrent avec lui et ils saisirent la cuirasse[780].

Après cela, ils apportèrent à Héliopolis la cuirasse de l’Osiris du prince Inarôs et ils la déposèrent à l’endroit où elle était auparavant. Et les enfants, du prince Inarôs se réjouirent grandement, ainsi que l’ost du nome d’Héliopolis, et ils allèrent devant le roi et ils dirent : « Notre grand maître, saisis le calame et écris l’histoire de la grande guerre qui fut en Égypte au sujet de la cuirasse de l’Osiris, le prince Inarôs, ainsi que les combats que mena Pémou le petit pour la reconquérir, ce qu’il fit en Égypte, avec les princes et l’ost qui sont dans les nomes et dans les villes, puis fais-la graver sur une stèle de pierre que tu érigeras dans le temple d’Héliopolis ». Et le roi Pétoubastis fit ce qu’ils avaient dit.

II

L’EMPRISE DU TRÔNE

Ce second roman nous est parvenu dans un seul manuscrit thébain, qui date de la première moitié du Ier siècle après J.-C., et dont les fragments furent achetés chez un marchand de Gizèh en 1904 par Borchardt et par Rubensohn, en 1905 par Seymour de Ricci. La plus grande partie, celle qui fut acquise par Borchardt et par Rubensohn, passa à l’Université de Strasbourg, où Spiegelberg en découvrit le sujet : elle a été publiée, ainsi que les débris recueillis par Ricci, dans :

W. Spiegelberg, der Sagenkreis des Königs Petubastis, nach dem Strassburger Demotischen Papyrus sowie den Wiener und Pariser Bruchstücken, in-4°, Leipzig, 1910, 80 et 102 pages, et 22 planches en phototypie.

Autant qu’il est possible d’en juger actuellement, il contient une version thébaine de la donnée mise en œuvre dans le premier roman. La cuirasse y est remplacée par le trône d’Amon, probablement, ainsi que je l’ai dit dans l’Introduction (chapitre III), par le trône sacré sur lequel les prêtres posaient l’emblème de forme bizarre qui représentait un des types du dieu à l’époque gréco-romaine. Les personnages mis en scène autour de Pétoubastis sont pour la plupart identiques à ceux de l’autre récit, Pakrour, le prince de l’Est, Pémou fils d’Éierhorérôou-Inarôs, le prince d’Héliopolis, Ankhhorou le fils du Pharaon, et son fils Tâkhôs, Minnebméî, le prince d’Éléphantine ; pourtant, ainsi que Spiegelberg le fait observer justement (der Sagenkreis, p. 8), les années avaient passé depuis l’affaire de la cuirasse, et des personnages nouveaux avaient surgi, Pesnoutî le fils de Pakrour, et un jeune prophète d’Horus de-Bouto qui n’est nommé nulle part, mais dont les auxiliaires s’appellent d’une manière générale, les Améou. Ce mot, que Spiegelberg traduit littéralement par les Pasteurs et qu’il interprète les Asiatiques, lui fournit la matière d’un rapprochement fort ingénieux avec la légende d’Osarsouph le prêtre d’Héliopolis, le Moise des traditions juives, et de ses compagnons les Pasteurs ou les Impurs asiatiques : ici toutefois le terme Améou aurait été appliqué d’une manière vague et incorrecte aux Assyriens, les véritables maîtres de l’Égypte au temps où vivaient le Pétoubastis et le Pakrour de l’histoire (der Sagenkreis, p. 8-9). Un passage de notre roman parle de ces gens comme étant originaires du pays des Papyrus, et Spiegelberg, poursuivant son idée, reconnaît là une expression analogue à celle de Mer des Joncs, par laquelle les livres hébreux désignent les lacs Amers de l’isthme de Suez (der Sagenkreis, p. 86, n° 582). Il me semble que cette identification, en les rejetant au-delà du nome Arabique, le pays de l’Est sur lequel Pakrour régnait, leur assigne une situation trop éloignée de cette ville de Boutô où leur maître, le prêtre d’Horus, exerçait son sacerdoce. Je préférerais appliquer le nom de Pays des Papyrus à ces marais de la côte Nord du Delta, où, depuis Isis et Horus, plusieurs rois de la fable populaire ou de l’histoire s’étaient réfugiés. Ces districts, presque inaccessibles, étaient habités par des pêcheurs et par des bouviers à demi-sauvages, dont la bravoure et la vigueur inspiraient une terreur extrême aux fellahs de la plaine cultivée et à leurs maîtres. J’ai rappelé dans l’Introduction (chapitre III) ce qu’étaient les Boucolies : je considère le nom Amé, ou au pluriel Améou, qui signifie en copte le bouvier, comme l’original égyptien du grec Boukolos et de l’arabe Biamou, – le copte Amê avec l’article masculin, – par lequel les chroniqueurs du moyen âge désignent les habitants de ces parages.

Les fragments de Ricci sont si brefs pour la plupart que je n’en ai pas tenu compte. J’ai suivi pour ceux de Strasbourg l’excellente traduction de Spiegelberg, sauf en quelques points de peu d’importance. J’ai rétabli sommairement le début du récit, mais sans essayer d’y trouver une place pour divers incidents auxquels l’auteur faisait allusion dans plusieurs parties de son œuvre, notamment pour ceux que rappellent Pétoubastis, Pémou et Pesnoufi et qui inspirent à celui-ci des injures si pittoresques à l’adresse de son suzerain. Comme l’Emprise de la Cuirasse, l’Emprise du Trône est écrite d’un style simple, qui touche parfois à la platitude : l’intérêt romanesque en sera médiocre aux yeux du public lettré, mais les renseignements qu’elle nous apporte sur certains usages religieux ou militaires, et sur plusieurs points d’étiquette chez les Égyptiens de l’époque gréco-romaine, sont assez précieux pour qu’elle mérite d’être étudiée de près par les archéologues.

*

* *

Il y avait une fois, au temps de Pharaon Pétoubastis, un grand-prêtre d’Amon de Thèbes, qui possédait beaucoup de terres, beaucoup de bétail, beaucoup d’esclaves, et il avait dans sa maison un trône d’Amon plus beau que toute chose au monde. Quand il mourut, ses bestiaux, ses esclaves passèrent aux mains de ses enfants, mais Ankhhorou, fils du Pharaon Pétoubastis, s’empara du trône. Or il arriva que le fils aîné du grand-prêtre, qui lui-même était prêtre d’Horus à Boutô, désira l’avoir. Il rassembla ses treize hommes d’armes, qui étaient des bouviers des Boucolies, et il envoya un message au Pharaon, disant : « Si ton fils Ankhhorou ne me restitue pas le trône d’Amon qui appartenait à mon père, le grand prêtre d’Amon, je te ferai la guerre pour le lui enlever ». Arrivé que fut le message à Thèbes, Pharaon rassembla les princes, les chefs militaires, les principaux de l’Égypte, et il leur demanda de lui dire ce qu’il convenait faire ils lui conseillèrent de repousser la demande. Dès que le prêtre d’Horus l’apprit, il s’embarqua avec ses treize hommes d’armes et il remonta le fleuve jusqu’à ce qu’il atteignit Thèbes. Il y arriva tandis qu’on célébrait la grande fête annuelle d’Amon de Karnak, et, tombant à l’improviste sur la foule, il s’empara de la barque sacrée qui portait la statue du dieu. Pharaon Pétoubastis s’irrita grandement et il somma le prêtre d’Horus de rendre la barque, mais le prêtre lui déclara qu’il la garderait tant que le trône ne lui aurait pas été restitué, et, sans doute pour mieux montrer l’importance qu’il attachait à l’objet de sa réclamation, il lui vanta les mérites de la barque et il la lui décrivit partie par partie[781]. Il ajouta ensuite : Et maintenant[782], y a-t-il homme qui ait droit sur le trône plus que moi, le prophète d’Horus de Paî, dans Boutô[783], l’enfant d’Isis dans Khemmis ? C’est à moi qu’appartient ce trône, et certes mon père, certes mon père[784], le premier prophète actuel d’Amon et les prêtres d’Amon n’ont aucun droit sur lui ».

Pharaon regarda le visage du prêtre, il dit : « Avez-vous pas entendu ce que le jeune prêtre a dit ? » Les prêtres dirent devant Pharaon : « Ces paroles mêmes nous ne les avons pas entendues avant ce jour, et des lettres ne nous en sont point parvenues autrefois. » Or tandis que le jeune prêtre disait ces paroles, Amon le dieu grand était apparu, écoutant sa voix[785]. Le lecteur[786] dit donc : « S’il plaît Pharaon, que Pharaon interroge Amon le dieu grand disant : « Est-ce le jeune prêtre celui qui a droit audit trône ? » Pharaon dit : « C’est équitable ce que tu dis. » Pharaon interrogea donc Amon, disant : « Est-ce le jeune prêtre, celui qui a droit audit trône ? » Amon s’avança donc à pas rapides[787], disant : « C’est lui. » Pharaon dit : « Jeune prêtre, puisque ces choses t’étaient connues en ton cœur, pourquoi n’es-tu pas venu hier afin d’élever ta voix au sujet de ces choses mêmes, avant que j’eusse délivré un bref à leur sujet au premier prophète d’Amon ? car j’aurais obligé Ankhhorou, le fils royal, à te laisser le trône lui même. » Le jeune prêtre dit devant Pharaon : « Mon seigneur grand, j’étais venu devant Pharaon, monseigneur grand, pour en parler avec les prêtres d’Amon[788]. Car Amon, le dieu grand, étant celui qui trouva les choses pour Horus avant que celui-ci eût vengé son père Osiris, je suis venu pour recevoir le charme de la couronne d’Amon le dieu grand, celui-là même qu’il fit lorsque fut envoyé Horus, fils d’Isis, fils d’Osiris, au Saîd pour venger son père Osiris, je me suis entretenu avec lui à cause de la vengeance qu’Horus avait exercée avec son aide. » Takhôs, le fils d’Ankhhorou, dit « Puis donc que tu t’es entretenu avec lui hier, ne reviens pas aujourd’hui et ne tiens pas des discours mauvais. Ankhhorou, le fils royal, on l’a armé par-devant le diadème d’Amon, le dieu grand, il est revenu au Saîd et on l’a calmé comme au jour où il est arrivé à Thèbes[789]. » Le jeune prêtre dit : « Tais-moi ta bouche, Takhôs, fils d’Ankhhorou, et lorsqu’on t’interrogera sur ces choses de chef des milices qui te regardent, occupe-t’en. Les trônes du temple, où les as-tu mis ? Par la vie d’Horus de Paî dans Boutô, mon dieu, Amon ne reviendra point à Thèbes, en la façon ordinaire, jusqu’à ce qu’Ankhhorou, le fils royal, m’ait donné le trône qui est entre ses mains ! » Ankhhorou, le fils royal, lui dit : « Es-tu venu prendre ledit trône par action en justice, ou es-tu venu le prendre par la bataille ? » Le jeune prêtre dit : « Si on écoute ma voix, je consens à ce qu’on décide de lui par action en justice ; si on n’écoute pas ma voix, je consens qu’on décide de lui par bataille[790]. »

L’instant qu’il parla ainsi, Ankhhorou, le fils royal, s’emporta comme la mer, ses yeux lancèrent une flamme de feu, son cœur s’obscurcit de poussière comme la montagne d’Orient[791], il dit : « Par la vie d’Amonrâ, maître de Sébennytos, mon dieu, le trône que tu réclames tu ne l’auras pas ; je le renverrai au premier prophète d’Amon, à qui il appartenait au début. » Ankhhorou, le fils royal, tourna son visage vers le dais[792], il jeta à terre les vêtements de fin lin qu’il avait sur lui, ainsi que les ornements d’or dont il était paré, il se fit apporter son harnois, il alla chercher les talismans de la lice[793], il se rendit au parvis d’Amon. Lorsque le jeune prêtre eut tourné son visage vers le dais, voici il y eut un page en face de lui, qui était caché dans la foule, et qui avait une cuirasse de beau travail entre les mains ; le jeune prêtre s’approcha de lui et lui prit la cuirasse des mains, il l’endossa, il se rendit au parvis d’Amon, il marcha à l’encontre d’Ankhhorou, le fils royal, il le frappa, il se battit avec lui. Alors Takhôs, fils d’Ankhhorou, ouvrit sa bouche en protestation et les gens de bataille s’indignèrent contre l’ost, disant : « Allez-vous rester là auprès d’Amon, tandis qu’un bouvier se bat avec le fils de Pharaon, sans que vous mettiez vos armes avec celui-ci ? » L’ost d’Égypte se précipita de toute part, ceux de Tanis, ceux de Mendès, ceux de Tahaît, ceux de Sébennytos, l’ost des quatre nomes pesants de l’Égypte[794], ils vinrent, ils se rendirent à la lice pour se joindre à Ankhhorou, le fils royal. De leur côté, les treize bouviers des Boucolies[795] tombèrent sur l’ost, serrés dans leur harnois, le haume à face de taureau sur la tête[796], le bouclier au bras, la harpé à la main ; ils se rangèrent à la gauche et à la droite du jeune prêtre, et leur voix retentit disant : « Recevez notre serment que nous prêtons devant Amon le dieu grand, ici présent aujourd’hui ! Aucun d’entre vous ne fera entendre au prophète d’Horus de Pou dans Boutô une parole qui lui déplaise, sans que nous abreuvions la terre de son sang ! » L’éclat de la force du prêtre, la crainte qu’on avait des treize bouviers pour Pharaon fut telle dans l’ost que personne au monde ne se décida à parler. Le jeune prêtre se leva contre Ankhhorou, le fils royal, comme fait un lion contre un onagre, comme fait une nourrice contre son gars quand il est méchant ; il le saisit par dessous sa cuirasse, il le jeta à terre, il le lia solidement, il le poussa sur le chemin devant lui. Les treize bouviers se mirent en route derrière lui, et personne au monde ne les attaqua, tant était grande la crainte qu’ils imposaient. Ils se dirigèrent vers la barque d’Amon, ils montèrent à bord, ils déposèrent leur harnois, ils poussèrent Ankhhorou, le fils royal, dans la cale de la barque d’Amon, lié avec une courroie de Gattani[797], et ils baissèrent la trappe sur lui. Les gabiers et les rameurs descendirent sur là berge : ils posèrent leur bouclier à côté d’eux, ils se lavèrent pour une fête, ils apportèrent le pain, la viande, le vin qu’ils avaient à bord, ils le posèrent devant eux, ils burent, ils firent un jour heureux.

Or, tandis qu’ils tournaient leur visage vers la berge, dans la direction des diadèmes d’Amon, le dieu grand, qu’ils se purifiaient par le sel et par l’encens devant lui, Pharaon ouvrit sa bouche pour un grand cri, disant « Par Amon, le dieu grand, le deuil pour Pémou est parti, et la lamentation pour Pesnoufi a cessé[798] : plus de deuil ! « Mon cœur est maintenant tout préoccupé de ces bouviers, qui sont venus à bord de la barque d’Amon serrés dans leur harnois, et qui ont fait d’elle leur salle de festin. » Tachôs, le fils d’Ankhhorou, dit : « Mon seigneur grand, Amon, le dieu grand, s’est montré ; que Pharaon le consulte disant : « Est-ce ton ordre excellent, que je fasse armer l’ost de l’Égypte contre ces Bouviers, pour qu’il délivre Ankhhorou de leurs mains ! » Pharaon consulta donc les diadèmes d’Amon, disant : « Est-ce ton ordre excellent que je fasse armer l’ost de l’Égypte pour qu’il combatte contre ces bouviers ? » Amon fit le geste du refus, disant : « Non ». Pharaon dit : « Est-ce ton ordre excellent, que je fasse amener une chaise à porteurs où te poser, et que je te recouvre d’un voile de byssus, afin que tu sois avec nous, jusqu’à ce que l’affaire cesse entre nous et ces bouviers ? » Amon s’avança à pas rapides[799], et il dit « Qu’on l’amène ! » Pharaon fit donc amener une chaise à porteurs, il y posa Amon, il le recouvrit d’un voile de byssus.

Et puis après, Pharaon Pétoubastis se tint avec l’armée à la région occidentale du Saîd en face de Thèbes, et Amon le dieu grand reposa sous une tente de byssus, tandis que l’ost de l’Égypte endossa son harnois et que les treize bouviers restaient à bord de la barque d’Amon, gardant Ankhhorou, le fils royal, enchaîné dans la cale de la barque d’Amon, parce qu’ils n’avaient point la crainte de Pharaon non plus que des diadèmes dans leurs cœurs. Pharaon leva son visage, et il les aperçut sur la barque d’Amon ; Pharaon dit à Pakrour, fils de Pesnoufi « Qu’en est-il de nous au sujet de ces bouviers qui sont à bord de la barque d’Amon, et qui suscitent la révolte et la bataille devant Amon, au sujet du trône qui revenait au premier Prophète d’Horus et qui appartient maintenant à Ankhhorou, le fils royal ? Va dire au jeune prêtre : « Sus, arme-toi, revêts un vêtement de byssus, entre par-devant les talismans d’Amon, et deviens le premier prophète à la face d’Amon, quand il vient à Thèbes ». Pakrour ne tarda pas d’aller se placer en avant de la barque d’Amon, et quand il fut en présence des bouviers, il leur dit toutes les paroles que Pharaon lui avait dites. Le jeune prêtre dit : « Par Horus ! J’ai fait prisonnier Ankhhorou le fils royal, et tu viens me parler au nom de son père[800]. Va et porte ma réponse à Pharaon, disant : « N’as-tu pas dit : « Sus, à la berge, mets du byssus, et que ta main s’écarte des armes de guerre, ou bien je tournerai contre toi l’ost de l’Égypte, et je ferai qu’il t’inflige une injure très grande, très grande ! » Si Pharaon veut m’adjuger le trône, que l’on m’apporte aussi le voile de byssus avec les talismans d’or ici sur la barque d’Amon : alors je m’approcherai d’eux et je déposerai mon harnois de combat. Donc fais moi apporter à bord des diadèmes d’Amon je prendrai la gaffe de la barque[801] et je conduirai Amon à Thèbes, étant seul à bord avec lui et les treize bouviers, car je n’ai laissé homme du monde monter à bord avec nous ». Pakrour alla à l’endroit où Pharaon était, et il lui conta les paroles que le jeune prêtre lui avait dites. Pharaon lui dit : « Vie d’Amon ! Pour ce qu’il en est de ce que le jeune prêtre dit, disant : « J’ai pris Ankhhorou, le fils royal, ton fils, donc qu’on me donne les diadèmes d’Amon, je les prends à bord, et le lendemain je pars pour le Nord avec eux et je les porte à Boutô, ma ville ! » Que si c’était de l’or, de l’argent, des pierres précieuses, que le jeune prêtre m’avait demandés, je les lui aurais fait donner ; mais je ne lui donnerai pas les diadèmes pour qu’il les porte à Boutô, sa ville, et qu’il fasse un grand concert dans Thèbes[802]. »

Et puis après, vint le général, le grand Seigneur d’Amon dans Thèbes, au sud de Thèbes, pour honorer Montourâ, et quand les cérémonies furent terminées en présence de Pharaon[803], le général, grand Seigneur d’Amon dans Thèbes, se leva devant lui et dit : « Mon maître grand, les talismans sont sur moi à leur intention, et grâce à cela, les bouviers, je vais captiver ton cœur par ce qu’il va leur arriver. Ils ne pénétreront pas jusqu’ici à cause de l’héritage du prophète d’Amon, mais s’ils veulent qu’il y ait bataille entre eux et Pharaon, je la livrerai. » Il endossa son harnois, il s’alla mettre en avant de la barque d’Amon, il s’adressa au jeune prêtre, disant : « Songes-tu bien aux actes coupables qui se sont accomplis et par toi et par tes gens qui sont montés à bord de la barque d’Amon, vous qui avez endossé votre harnois et avez permis que la barque d’Amon fût au prêtre d’un autre dieu. Si vous êtes venus ici au sujet de l’héritage du prêtre d’Amon, descendez à terre et prenez le ; toi, si tu viens ici en goût de bataille, descends à terre et je t’en servirai ton saoul. » Le jeune prêtre lui dit « Je te connais, général, grand Seigneur d’Amon dans Thèbes ; tu es un homme du grand pays du Nord autant que nous, et ton nom nous est arrivé bien souvent pour les longs discours que tu as tenus. Je vais faire descendre un des bouviers à terre avec toi, afin que tu passes une heure à causer avec lui[804]. » Le jeune prêtre jeta un regard sur les treize bouviers qui étaient à bord avec lui, il se leva, il endossa son harnois, il descendit à la berge, il rencontra le général, grand Seigneur d’Amon dans Thèbes, il se leva contre lui comme fait une nourrice contre son gars lorsqu’il est méchant, il se rua sur le chef des milices, le grand Seigneur de Thèbes, il le saisit sous sa cuirasse, il le jeta à terre, il le lia, il le remit sur ses pieds, il le conduisit à bord de la barque d’Amon, il le poussa dans la cale où était déjà Ankhhorou, le fils royal, il baissa la trappe sur lui, il posa son harnois, afin de se laver pour la fête avec les prêtres ses compagnons. L’équipage alla verser la libation de vin ; on but et on célébra une fête en présence d’Amon, sous les yeux de Pharaon et sous les regards de l’ost d’Égypte.

Alors Pharaon ouvrit sa bouche pour un grand cri, et il dit : « Lorsque je cinglai vers le sud, la galée d’Ankhhorou, le fils royal, naviguait en tête de la flotte que montait Pharaon avec l’ost d’Égypte, un bouclier d’or arboré au haut de son mât, car, disait-il, « je suis le premier bouclier de l’Égypte » ; et la grande galée du grand Seigneur d’Amon de Thèbes naviguait à l’arrière de la flotte de Pharaon, car, disait-il, « je suis le grand vaisseau de l’Égypte. » Et maintenant, un jeune bouvier est venu au Sud qui a pris le premier bouclier de l’Égypte et le grand vaisseau de l’Égypte ; il fait trembler l’Égypte à l’égal d’un navire désemparé que nul pilote ne gouverne, et il est plus fort que tous ces gens ci, si bien qu’Amon, le dieu grand qui est à l’ouest du Saîd en face de Karnak, on ne lui a point permis de revenir à Karnak. » Takhôs dit : « Prends-y garde, mon maître grand, si l’ost d’Égypte ne s’arme point contre ces bouviers, ceux-ci demeureront dans l’état où ils sont maintenant, Qu’on convoque les hommes de Pharaon contre eux. » Pakrour s’adressa à Takhôs, disant « Est-ce pas démence ce que tu fais, et n’ont-ils pas succombé ceux qui provoquèrent les bouviers qui ont pris Ankhhorou, le fils royal, et le général, le Seigneur grand d’Amon de Thèbes ? L’est ne pourra pas reprendre seulement l’un d’eux. Ce que tu as dit, disant : « Que l’ost d’Égypte s’arme contre eux ! », cela ne produira-t-il pas que les bouviers y fassent un grand carnage ? Et puisqu’Amon, le dieu grand, est ici avec nous, est-il jamais arrivé que nous entreprissions quoi que ce fût au monde sans le consulter ? Que Pharaon le consulte, et s’il nous dit : « Bataille ! » nous nous battrons ; mais si c’est autre chose qu’il nous commande, nous agirons en conséquence. » Pharaon dit : « Ils sont bons les avis qui nous viennent du prince de l’Est, Pakrour. »

Quand Pharaon eut ordonné qu’on fît paraître Amon, Pharaon vint à l’encontre de lui. Oraisons et prières qu’il fit, disant : « Mon Seigneur grand, Amon, dieu grand, est-ce ton ordre excellent que je fasse armer l’ost de l’Égypte contre ces bouviers, pour qu’il leur livre bataille ? » Amon fit le geste du refus, disant : « Non ! » Pharaon dit : « Mon seigneur grand, Amon, dieu grand, est-ce ton ordre excellent que, si j’abandonne le trône qui était dans l’héritage du prophète d’Amon au jeune prêtre, celui-ci rendra la liberté à Ankhhorou, le fils royal, et au Seigneur grand d’Amon, de Thèbes ? » Amon fit le geste du refus, disant : « Non ». Pharaon dit : « Mon seigneur grand, Amon, dieu grand, ces bouviers, arracheront-ils l’Égypte de mes mains, dans l’état où ils sont ? » Amon fit le geste du refus, disant : « Non ! » Pharaon dit : « Mon maître grand, me donneras-tu la victoire sur ces bouviers, pour qu’ils abandonnent la barque » Amon s’avança à pas rapides[805], et voici qu’il dit : « Oui ! » Pharaon dit devant Amon, le dieu grand, le nom des chévetaines, des généraux de l’ost, des princes, des commandants des chars, des supérieurs des milices, des capitaines des milices, des chefs de l’arrière-ban des hommes de l’Égypte, et Amon, le dieu grand, n’approuva aucun d’entre eux, Amon approuva seulement le prince Pesnoufi, et le capitaine des milices Pémou, disant : « Ce sont ceux-là que je prends pour chasser les bouviers aux mains de qui est la barque d’Amon ; ce sont eux qui délivreront Ankhhorou, le fils royal, et le général, le Seigneur grand d’Amon dans Thèbes ; ce sont eux qui mèneront à la bataille les jeunes troupes de Thèbes ». Quand Pharaon eut fait désigner par Amon les chefs de l’emprise, Pharaon jeta un regard à Pakrour, le chef de l’Est, il lui parla et il posa devant Amon les questions qu’il posa. Le chef de l’Est dit : « S’il plait Pharaon, qu’on dépêche quelqu’un aux jeunes troupes de Thèbes, qui doivent venir au Midi, et alors ils feront tout ce que Pharaon leur aura commandé. » Pharaon dit : « Amon m’en garde ! Si je leur dépêche n’importe qui vers le Sud, ils ne viendront pas à cause de l’affront que je leur fis, quand je vins au Sud à Thèbes et que je ne les invitai pas à la fête d’Amon, le dieu grand, mon père[806]. Chef de l’Est, Pakrour, c’est à toi qu’il revient de leur dépêcher un message, au cas où quelqu’un doit leur dépêcher un message, mais ils ne viendront pas au Sud pour moi. » Le chef de l’Est, Pakrour, dit : « Mon seigneur grand, ils sont grands les affronts que tu as infligés aux jeunes troupes ; une fois après l’autre, tu n’as pas songé aux hommes de guerre, jusqu’à ce que tu les as eu réjouis de ton malheur. » Pharaon dit : « Amon, le dieu grand, me garde ! Ce n’est pas moi qui leur ai fait affront, mais ne sont-ce pas les mauvaises intrigues de Takhôs, le fils d’Ankhhorou ? C’est lui qui me les a fait laisser, si bien que je ne les ai pas amenés avec moi, car il disait : « On ne doit pas répandre la lutte et les querelles parmi l’ost d’Égypte[807]. » Et puis après, celui qui tend ses filets, ils l’enveloppent, celui qui creuse une fosse perfide, il y tombe, celui qui affile une épée, elle le frappe au cou. Voici maintenant que les frères d’armes de Takhôs, le fils d’Ankhhorou, sont dans les chaînes des bouviers, sans qu’il se soit trouvé un homme qui combatte pour eux. Et puis après, ne dispute pas sur les mots[808], mais agis ».

Le chef de l’Est, Pakrour, dépêcha un message aux jeunes braves, disant : « Viens au Sud pour ta gloire et ta puissance, car on les réclame dans l’ost de l’Égypte ! » Le chef de l’Est, Pakrour, dit : « Qu’on m’appelle Higa, le fils de Minnebmêî, mon scribe. » On courut, on revint et on le lui amena sur l’instant, et le chef de l’Est, Pakrour, lui dit : « Fais une lettre, et qu’on la porte à Pisapdi[809], à l’endroit où est le prince Pesnoufi. » En voici la copie : « Le chef de l’Est, Pakrour, fils de Pesnoufi, père des taureaux de l’Égypte, le bon pasteur des Calasiris[810], salue le prince Pesnoufi, son fils, le taureau vigoureux de ceux de Pisapdi ; le lion de ceux de l’Est, le mur d’airain que m’ont donné Isis, le pieu de fer de la dame de Tasonout, la belle barque de l’Égypte dans laquelle l’ost de l’Égypte a mis son cœur. S’il te plait, mon fils Pesnoufi, quand cette lettre te parviendra, si tu manges, mets le pain à terre, si tu bois, dépose la cruche enivrante, viens, viens, accours, accours, et qu’on s’embarque avec tes frères d’armes, tes cinquante-six hommes de l’Est, ton frère d’armes Pémou, le fils d’Inarôs, avec sa barque neuve l’Étoile[811] et ses quatre chapelains. Viens au Sud de Thèbes au sujet de certains bouviers des Boucolies, qui sont ici à Thèbes, combattant chaque jour avec Pharaon. Ils ne le laissent point passer vers Amon ni vers Karnak ; Amon demeure exilé à l’Ouest de Thèbes sous un voile de byssus, et l’ost d’Égypte tremble devant son éclat et sa rosée ! Ankhhorou, le fils royal, le fils de Pharaon Pétoubastis, et le général, le Seigneur grand d’Amon dans Thèbes, sont prisonniers des bouviers ; ils sont à bord de la barque d’Amon. Sus au Sud, livre bataille, et que l’ost de l’Égypte apprenne à connaître la crainte et l’effroi que tu inspires. » On ferma la lettre, on la scella au sceau du chef de l’Est Pakrour, on la remit aux mains d’Hakôris, et celui-ci courut vers le Nord de nuit comme de jour. Après quelques jours, il arriva à Pisapdi, il ne tarda pas d’aller à l’endroit où était Pesnoufi, il lui donna la lettre. Celui-ci la lut, il entendit chaque mot qu’elle contenait, il gronda comme la mer, il bouillit comme la résine qui brûle, il dit : « Ce pêcheur d’anguilles de Tanis, cette trappe cachée dans les roseaux de Boutô, Pétoubastis, fils d’Ankhhorou, que je n’ai jamais appelé Pharaon, quand il me rend des honneurs, c’est qu’il a besoin de moi contre l’affront qu’on lui fait ; mais quand il s’en va célébrer la fête de son dieu sans qu’il y ait guerre et bataille contre lui, il ne me dépêche pas de message. Je jure, ici, voici ce que je ferai au nom de Sapti, le chef de l’Est, mon dieu. Puisque le chef de l’Est, Pakrour, mon père, m’a écrit dans cette lettre disant : « Amon, le dieu grand dans la partie Ouest du Saîd qui est en face de Karnak, si on ne l’a pas laissé revenir à Thèbes, c’est qu’on ne veut pas se battre pour les enfants de Tahouris, la fille de Patenfi[812]. Et puis après, ni moi, ni mes frères d’armes, les cinquante-six hommes de l’Est, nous ne voulons plus connaître l’injure qu’Amon m’a faite. Nos huit chapelains se sont embarqués et ils ont endossé leur harnois, pour se rendre au sud de Thèbes. Pars, chien courant de Sapdi, serviteur du trône[813], ne tarde pas, à Héliopolis ! Parle à Pémou, le fils d’Inarôs, disant : Endosse ton harnois, arme ton navire neuf de cèdre, et tes quatre chapelains ; je te donne rendez-vous à toi et à ton équipage à Pinebôthès, le port d’Héliopolis[814] » Le serviteur du trône, il ne tarda pas de se rendre à Héliopolis : il se tint devant Pémou, et il lui récita tout ce dont Pesnoufi lui avait dit : « Fais-le ! Pesnoufi endossa son harnois avec ses cinquante-six hommes de l’Est et ses huit chapelains : il s’embarqua, il ne tarda pas de se rendre à Pinebôthès, et il y rencontra Pémou qui y était sur sa galée, avec son navire neuf nommé l’Étoile et ses quatre chapelains, et ils cinglèrent vers le sud de Thèbes.

Et puis après, comme Pharaon Pétoubastis était avec l’armée à la rive occidentale du Saîd, en face de Thèbes, et que l’ost d’Égypte se tenait tout armé, Pharaon monta sur la barque d’Amon, regardant du côté opposé à celui par où devaient venir Pesnoufi et Pémou, le fils d’Inarôs. Au bout d’une heure Pharaon aperçut une galée neuve de cèdre qui descendait le courant. Quand elle eut abordé au quai d’Amon de Thèbes, un homme d’armes s’y précipita, cuirasse au dos, qui se fit passer à la rive Ouest du Saîd et qui aborda au sud du navire de Pharaon. L’homme descendit à la rive, armé de pied en cap, semblable à un taureau cornu, il se rendit à grands pas en amont de la barque d’Amon, sans aller jusqu’à l’endroit où Pharaon était, et il parla en face de l’ost, disant : « Oh ! donne le bon Génie[815] la vie à Pharaon ! Je sais le crime que vous avez commis en abordant la barque d’Amon, la cuirasse au dos, et en le livrant à un prêtre autre que le sien ! » Le prophète, d’Horus de Paî lui dit : « Qui es-tu, toi qui parles ainsi ? Es-tu un homme de Tanis, ou bien es-tu un homme de Mendès ? » L’homme d’armes lui dit : « Je ne suis pas né en cette terre du Nord dont tu parles. Je suis Mînnebmêî, le fils d’Inarôs, le grand prince d’Éléphantine, le chef du sud de l’Égypte. » Le bouvier[816] lui dit : « Puisque tu n’es pas un homme de la terre du Nord, pourquoi Pharaon t’a-t-il remis la charge de la barque d’Amon ? Allons, viens à bord avec nous, pour faire un jour heureux devant Amon, et ce qu’il en adviendra de nous en adviendra aussi de toi. » Et puis après, Mînnebmêî lui dit : « Me garde Khnoumou le grand, le seigneur d’Éléphantine, vous ne pouvez racheter le crime que vous avez commis ! Si je me permettais de m’embarquer et de passer un jour heureux avec vous, ce serait une déclaration de guerre à l’égard de Pharaon. Or ce que je dis, je vous le fais : laissez le chemin à Amon, pour qu’il passe à Thèbes, sinon, ce que vous ferez, je vous le ferai faire par force, malgré votre répugnance. » Un des treize bouviers se leva et dit : « Je viens à toi, nègre, Éthiopien, mangeur de gommes[817], homme d’Éléphantine ! » Il endossa son harnois, il courut à la berge, il frappa, il se battit avec Mînnebmêî en amont de la barque d’Amon, du moment de la première heure du matin jusqu’au moment de la huitième heure du jour, sous les yeux de Pharaon et sous les regards de l’ost de l’Égypte, chacun d’eux montrant à l’autre sa connaissance des armes, sans que l’un d’eux pût triompher de l’autre. Pharaon dit au chef de l’Est, Pakrour, et à Takhôs, le fils d’Ankhhorou : « Vie d’Amon ! Voilà un combat qui dure dans la lice, mais après, je ne sais pas trop si notre chance se maintiendra[818] jusqu’au moment de la dixième heure du soir ! » Le bouvier parla à Mînnebmêî, disant : « Aujourd’hui nous nous sommes battus, cessons la lutte et la bataille entre nous, abattons chacun notre fanion[819] : celui qui ne reviendra pas ici sera honni ! » Mînnebmêî donna assentiment aux paroles que celui-là avait dites : ils abattirent chacun son fanion, ils sortirent de la lice, et le bouvier s’en alla à bord de la barque d’Amon.

Et puis après, lorsque Mînnebmêî revint à bord de sa galée, Pharaon se porta à sa rencontre avec le chef de l’Est Pakrour, et avec Takhôs, le fils d’Ankhhorou. Ils lui dirent : « Est-ce qu’un homme se rend à la lice et en sort, sans aller ensuite à l’endroit où est Pharaon, pour que lui soit donné le prix de son combat ? » Le Calasiris se rendit à l’endroit où Pharaon était, il ôta son casque de sa tête, il se courba à terre, il prononça le salut, puis il baisa le sol[820]. Pharaon l’aperçut, et quand il l’eut reconnu, il se rendit à l’endroit où celui-là était, il le serra dans ses bras, il lui posa la bouche sur la bouche, il le baisa longuement à la façon dont un homme salue sa fiancée[821]. Pharaon lui dit : « Salut à toi, salut à toi, Mînnebmêî, fils d’Inarôs, chef du sud de l’Égypte. C’était bien ce que j’avais demandé à Amon, le dieu grand, qu’il m’accordât de te voir sans dommage à ta force excellente et à ta santé[822]. Vie d’Amon, le dieu grand, depuis l’heure que je t’ai vu dans la lice, je dis : « Nul homme ne livrera bataille pour moi, si ce n’est un taureau, fils d’un taureau, et un lion, fils de lion, comme moi ! » Pakrour, le fils de Pesnoufi, et Takhôs, le fils d’Ankhhor, et les premiers de l’Égypte, saisirent sa main et ils lui adressèrent la parole, et Pharaon se rendit avec lui sous les draperies de sa tente. Et puis après, Mînnebmêî monta sur sa galée, et Pharaon lui fit donner des parfums et des provisions à plentée, et les grands de l’Égypte le comblèrent de cadeaux. Mînnebmêî combattit encore trois jours. Accomplis les trois jours de combat en champ clos, pendant lesquels il alla se battre avec le bouvier, et il en sortit sain et sauf sans qu’on pût rien lui faire, l’ost de l’Égypte s’entretenait disant : « Il n’y a clan de gens d’armes en Égypte qui égale le clan de l’Osiris roi Inarôs, car Ankhhorou, le fils royal, et le général, Seigneur grand d’Amon dans Thèbes, ils n’ont pu tenir un seul jour de bataille contre ces bouviers, tandis que, trois jours durant, Mînnebmêî s’est rendu constamment dans la lice, sans que personne lui pût rien faire. »

Or tandis qu’il en était ainsi, Pesnoufi et Pémou arrivèrent au Sud ; ils abordèrent avec leurs galées au sud du vaisseau de Pharaon, ils volèrent à la berge, cuirasse au dos. Quand on l’eut annoncé à Pharaon et au chef de l’Est, Pakrour, ainsi qu’à Takhôs, fils d’Ankhhorou, Pharaon se porta à leur rencontre avec ceux-ci, et il saisit la main du prince Pesnoufi…

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Après quelques lignes trop mutilées pour que j’essaie de les traduire, le manuscrit s’interrompt, sans qu’il nous soit possible de dire combien de pages il comptait encore. On devine toutefois qu’à partir du moment où Pesnoufi et Pémou arrivaient, la chance tournait en faveur de Pétoubastis : les treize bouviers périssaient ou étaient faits prisonniers ainsi que leur chef, la barque d’Amon retombait aux mains du sacerdoce thébain, et le trône d’Amon, objet de la querelle, demeurait acquis au prince Ankhhorou[823].

FRAGMENTS

Les contes qui précèdent suffisent à donner au grand public l’idée de ce qu’était la littérature romanesque des Égyptiens. J’aurais pu sans inconvénient m’arrêter après l’Emprise du trône d’Amon : aucun de mes lecteurs n’aurait réclamé la publication des fragments qui suivent. J’ai cru pourtant qu’il y avait quelque intérêt à ne pas négliger ces tristes débris : si les lettrés ne voient rien à y prendre, les savants trouveront peut-être leur compte à ne pas les ignorer complètement.

En premier lieu, leur nombre seul prouve clairement combien le genre auquel ils appartiennent était en faveur aux bords du Nil : il fournit un argument de plus à l’appui de l’hypothèse qui place en Égypte l’origine d’une partie de nos contes populaires. Puis, quelques-uns d’entre eux ne sont pas tellement mutilés qu’on ne puisse y découvrir aucun fait intéressant. Sans doute, douze ou quinze lignes de texte ne seront jamais agréables à lire pour un simple curieux ; un homme du métier y relèvera peut-être tel ou tel détail qui lui permettra d’y discerner tel incident connu d’ailleurs, ou la version hiéroglyphique d’un récit qu’on possédait déjà chez des peuples différents. Le bénéfice sera double : les égyptologues y gagneront de pouvoir reconstituer, au moins dans l’ensemble, certaines œuvres qui leur seraient restées incompréhensibles sans cela ; les autres auront la satisfaction de constater, aux temps reculés de l’histoire, l’existence d’un conte dont ils n’avaient que des rédactions de beaucoup postérieures.

J’ai donc rassemblé dans les pages qui suivent les restes de six contes d’époques diverses :

1° Une histoire fantastique dont la composition est antérieure à la dix-huitième dynastie ;

2° La querelle d’Apôpi et de Saqnounrîya ;

3° Plusieurs morceaux d’une histoire de revenant ;

4° L’histoire d’un matelot ;

5° Un petit fragment grec relatif au roi Nectanébo II ;

6° Quelques pages éparses d’une version copte du roman d’Alexandre.

Je regrette de n’avoir pu y joindre ni le roman du Musée du Caire, ni le premier conte de Saint-Pétersbourg ; le manuscrit du Caire est mutilé à n’en tirer rien de suivi et le texte de Saint-Pétersbourg est encore inédit. Peut-être réussirai-je à combler cette lacune, s’il m’est donné d’entreprendre une cinquième édition de ce livre.

FRAGMENT D’UN CONTE FANTASTIQUE ANTÉRIEUR À LA XVIIIe DYNASTIE

Le papyrus de Berlin n° 3 renferme les débris de deux ouvrages : un dialogue philosophique entre un Égyptien et son âme[824], et un conte fantastique. Il semble que le conte commençait à la ligne 156 et qu’il remplissait les trente-six dernières lignes du manuscrit actuel (l. 156-191), sans que pourtant cette évaluation de la portion qui manque au début soit bien certaine : tout ce que l’on peut dire actuellement, c’est que les lignes par lesquelles le récit s’ouvrait ont été effacées dans l’antiquité. Une seconde édition du texte a été donnée en phototypie par Alan H. Gardiner, die Erzählung des Sinuhe und die Hirtengeschichte, dans le t. IV des Hieratische Texten des Mittleren Reiches d’Erman, in-f°. Leipzig, 1909, pl. XVI-XVII. Il a été traduit, pour la première fois en français, par Maspero, Études égyptiennes, t. I, p. 73 sqq., puis en allemand par Erman, Aus den Papyrus der Königlichen Museen, 1899, p. 20-30, et par Alan H. Gardiner, die Erzählung des Sinuhe und die Hirlengeschichte, p. 14-15.

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Or voici, comme je descendais au marais qui touche à cet Ouadi, j’y vis une femme qui n’avait point l’apparence d’une mortelle : mes cheveux se hérissèrent quand j’aperçus ses tresses, pour la variété de leur couleur. Je ne pus rien faire de ce qu’elle me disait, tant sa terreur pénétra dans mes membres.

Je vous dis : « Ô taureaux, passons à gué ! Oh ! que les veaux soient transportés et que le menu bétail repose à l’entrée du marais, les bergers derrière eux, tandis que notre canot, où nous passons les taureaux et les vaches, demeure en arrière, et que ceux des bergers qui s’entendent aux choses magiques récitent un charme sur l’eau, en ces termes : « Mon double exulte, ô bergers, ô hommes, je ne m’écarterai de ce marais, pendant cette année de grand Nil où le dieu décrète ses décrets concernant la terre, et où l’on ne peut distinguer l’étang du fleuve. – Retourne dans ta maison, tandis que les vaches restent en leur place ! Viens, car ta peur se perd et ta terreur se va perdant, la fureur de la déesse Ouasrît et la peur de la Dame des deux pays ! »

Le lendemain, à l’aube, tandis qu’on faisait comme il avait dit, cette déesse le rencontra quand il se rendait à l’étang ; elle vint à lui, dénudée de ses vêtements, les cheveux épars…

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Le conte dont ce fragment révèle l’existence a été écrit avant la XVIIIe dynastie, peut-être à la XIIe si, comme c’est le cas pour le dialogue contenu aux premières lignes du manuscrit, le texte que nous en avons aujourd’hui est une copie exécutée d’après un manuscrit plus ancien. Le paysage et les scènes décrites sont empruntés à la nature et aux mœurs de l’Égypte. Nous sommes au bord d’une de ces nappes d’eau, moitié marais, moitié étangs, sur lesquelles les seigneurs de l’ancien empire aimaient à chasser les oiseaux, à poursuivre le crocodile et l’hippopotame. Des bergers s’entretiennent, et l’un d’eux raconte à l’autre qu’il a rencontré une créature mystérieuse qui vit dans une retraite inaccessible au milieu des eaux. On voit, dans le tombeau de Ti, les bergers conduisant leurs taureaux et leurs génisses à travers un canal. Hommes et bêtes ont de l’eau jusqu’à mi-jambe, même un des bouviers porte sur son dos un malheureux veau que le courant aurait emporté. Un peu plus loin, d’autres bergers, montés sur des barques légères en roseaux, convoient un second troupeau de bœufs à travers un autre canal plus profond. Deux crocodiles placés de chaque côté du tableau assistent à ce défilé, mais sans pouvoir profiter de l’occasion ; les incantations les ont rendus immobiles. Comme la légende l’explique, la face du berger est toute-puissante sur les canaux, « et ceux qui sont dans les eaux sont frappés d’aveuglement[825] ». Notre conte nous montre ceux des bouviers qui s’entendaient au métier marchant derrière leurs troupeaux et récitant les formules destinées à conjurer les périls du fleuve. Le papyrus magique de la collection Harris en renfermait plusieurs qui sont dirigées contre le crocodile et, en général, contre tous les animaux dangereux qui vivent dans l’eau[826]. Elles sont trop longues et trop compliquées pour avoir servi à l’usage journalier : les charmes usuels étaient courts et faciles à retenir.

Il n’est pas aisé de deviner avec certitude quel était le thème développé. Les auteurs arabes qui ont écrit sur l’Égypte sont pleins de récits merveilleux où une femme répondant à la description de notre conte joue le rôle principal. « L’on dit que l’esprit de la pyramide méridionale ne paroist iamais dehors qu’en forme d’une femme nue, belle au reste, et dont les manières d’agir sont telles que quand elle veut donner de l’amour à quelqu’un et lui faire perdre l’esprit, elle lui rit, et, incontinent, il s’approche d’elle et elle l’attire à elle et l’affole d’amour, de sorte qu’il perd l’esprit sur l’heure et court vagabond par le pays. Plusieurs personnes l’ont veue tournoyer autour de la pyramide sur le midy et environ soleil couchant[827] ». L’auteur de notre fragment affirme bien que l’être avec lequel il met son héros en rapport, est une déesse, – noutrît, mais c’est là une affirmation qu’il ne faut pas peut-être prendre au pied de la lettre : elle est déesse, si l’on veut, comme le sont ses cousines les nymphes des religions grecques et romaines, mais elle n’a pas droit à un culte officiel du genre de celui qu’on pratique dans les temples[828]. Disons donc qu’elle est une nymphe nue et dont la chevelure est d’une couleur changeante. Son teint était-il rose comme celui de Nitocris, que la tradition d’époque grecque logeait dans la Pyramide de Mykérinos ? Une autre légende, que je trouve chez les historiens arabes de l’Égypte, présente également de l’analogie avec l’épisode raconté dans notre fragment[829]. Les Arabes attribuent souvent la fondation d’Alexandrie à un roi Gébire et à une reine Charobe, dont les historiens occidentaux n’ont jamais entendu parler. Tandis que Gébire s’évertuait à construire la ville, son berger menait paître au bord de la mer des troupeaux qui fournissaient de lait la cuisine royale. « Un soir, comme il remettait ses bêtes entre les mains des bergers qui lui obéissaient, lui, qui était beau, de bonne mine et de belle taille, vit une belle jeune dame sortir de la mer, qui venait vers lui, et qui, s’étant approchée de lui de fort près, le salua. Il lui rendit le salut, et elle commença à parler à lui avec toute la courtoisie et civilité possible, et lui dit. « Ô jeune homme, voudriez-vous lutter contre moi pour quelque chose que je mettrai en jeu contre vous ? – Que voudriez-vous mettre en jeu ? répondit le berger. – Si vous me terrassez, dit la jeune dame, je serai à vous, et vous ferez de moi ce qu’il vous plaira ; et si je vous terrasse, j’aurai une bête de votre troupeau ». La lutte se termina par la défaite du berger. La jeune dame revint le lendemain et les jours suivants. Comment elle terrassa de nouveau le berger, comment le roi Gébire, voyant disparaitre ses brebis, entreprit de lutter avec elle et la terrassa à son tour, cela n’est-il pas écrit en l’Égypte de Murtadi, fils du Gaphiphe, de la traduction de M. Pierre Vattier, docteur en médecine, lecteur et professeur du roi en langue arabique ? Je pense que la belle femme du conteur égyptien adressait à notre berger quelque proposition du genre de celle que la jeune dame du conteur arabe faisait au sien. Le conte du Naufragé nous avait déjà montré un serpent doué de la parole et seigneur d’une île enchantée ; le fragment de Berlin nous présente une nymphe, dame d’un étang. Pour peu que le hasard favorise nos recherches, nous pouvons nous attendre à retrouver dans la littérature égyptienne tous les êtres fantastiques de la littérature arabe du moyen âge.

LA QUERELLE D’APOPI ET DE SAQNOUNRÎYA

(XIXe DYNASTIE)

Ce récit couvre ce qui reste des premières pages du papyrus Sallier n° 1. On lui a longtemps attribué la valeur d’un document historique ; le style, les expressions employées, le fond même du sujet, tout indique un roman où les rôles principaux sont tenus par des personnages empruntés aux livres d’histoire, mais dont la donnée est presque entière de l’imagination populaire.

Champollion vit deux fois le papyrus chez son premier propriétaire, M. Sallier, d’Aix en Provence, en 1828 quelques jours avant son départ pour l’Égypte, et en 1830 au retour ; les notes publiées par Salvolini prouvent qu’il avait reconnu, sinon la nature même du récit, du moins la signification historique des noms royaux qui s’y trouvent. Le manuscrit, acheté en 1839 par le British Muséum, fut publié en fac-similé dès 1841 dans les Select papyri[830] ; la notice de Hawkins, rédigée évidemment sur les indications de Birch, donne le nom de l’antagoniste d’Apôphis que Champollion n’avait pas lu, mais elle attribue le cartouche d’Apôphis au roi Phiôps de la Ve dynastie. E. de Rougé est le premier qui ait discerné vraiment ce que contenaient les premières pages du papyrus. Dès 1847, il rendit à Saqnounrîya sa place réelle sur la liste des Pharaons ; en 1854, il signala la présence du nom d’Hâouârou dans le fragment, et il inséra dans l’Athénæum Français[831] une analyse assez détaillée du document. La découverte fut popularisée en Allemagne par Brugsch, qui essaya d’établir le mot à mot des trois premières lignes[832], puis en Angleterre par Goodwin, qui crut pouvoir risquer une traduction complète[833]. Depuis lors, le texte a été souvent étudié, par Chabas[834], par Lushington,[835] par Brugsch[836], par Ebers[837]. Goodwin, après mûr examen, émit timidement l’avis qu’on pourrait bien y trouver non pas une relation exacte, mais une version romanesque des faits historiques[838]. C’est l’opinion à laquelle je me suis rallié et qui paraît avoir prévalu dans l’école. La transcription, la traduction et le commentaire du texte sont donnés tout au long dans mes Études égyptiennes[839].

Il m’a semblé que les débris subsistants permettent de rétablir les deux premières pages presque en entier. Peut-être l’essai de restitution que je propose paraîtra-t-il hardi même aux égyptologues : on verra du moins que je ne l’ai point entrepris à la légère. L’analyse minutieuse de mon texte m’a conduit aux résultats que je soumets à la critique.

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Il arriva que la terre d’Égypte fut aux Impurs,[840] et, comme il n’y avait point de seigneur v. s. f. roi ce jour-là, il arriva donc que le roi Saqnounrîya[841], v. s. f., fut souverain v. s. f. du pays du Midi, et que le fléau des villes Râ-Apôpi, v. s. f., était chef du Nord dans Hâouârou[842] ; la Terre Entière lui rendait tribut avec ses produits manufacturés et le comblait aussi de toutes les bonnes choses du Tomouri[843]. Voici que le roi Râ-Apôpi, v. s. f., se prit Soutekhou pour maître, et il ne servit plus aucun dieu qui était dans la Terre-Entière si ce n’est Soutekhou, et il construisit un temple en travail excellent et éternel à la porte du roi Râ-Apôpi, v. s. f., et il se leva chaque jour pour sacrifier des victimes quotidiennes à Soutekhou, et les chefs vassaux du souverain, v. s. f., étaient là avec des guirlandes de fleurs, exactement comme on faisait pour le temple de Phrâ Harmakhis. Et le roi Râ-Apôpi, v. s. f., songea à envoyer un message pour l’annoncer au roi Saqnounriya, v. s. f., le prince de la ville du Midi[844]. Et beaucoup de jours après cela, le roi Râ-Apôpi, v. s. f., fit appeler ses grands chefs…

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Le texte s’interrompt ici pour ne plus reprendre qu’au début de la page 2 : au moment où il reparaît, après une lacune presque complète de cinq lignes et demie, nous trouvons des phrases qui appartiennent évidemment au message du roi Apôpi. Or, des exemples nombreux, empruntés aux textes romanesques comme aux textes historiques, nous apprennent qu’un message confié à un personnage est toujours répété par lui presque mot pour mot : nous pouvons donc assurer que les deux lignes mises, à la page 2, dans la bouche de l’envoyé, figuraient déjà parmi les lignes perdue de la page 1, et de fait, le petit fragment isolé qui figure au bas du fac-similé porte des débris de signes qui répondent exactement à l’un des passages du message. Cette première version était donc mise dans la bouche des conseillers du roi ; mais qui étaient ces conseillers ? Étaient-ce les grands princes qu’il faisait appeler au point où j’ai arrêté le texte ? Non, car dans les fragments conservés de la ligne 7 on lit le nom des scribes savants, et à la ligne 2 de la page 2, il est affirmé expressément qu’Apôpi envoya à Saqnounrîya le message que lui avaient dit ses scribes savants. Il convient donc d’admettre qu’Apôpi, ayant consulté ses chefs, civils et militaires, ils lui conseillèrent de s’adresser à ses scribes. Le discours de ceux-ci commence à la fin de la ligne 7 avec l’exclamation de rigueur : Ô suzerain, notre Maître ! En résumé, pour toute cette première partie de la lacune, nous avons une délibération très semblable à celle qu’on rencontre plus bas à la cour de Saqnounrîya et dans le Conte des deux Frères, quand Pharaon veut savoir à qui appartient la boucle de cheveux qui parfumait son linge. Je reprends donc :

Et beaucoup de jours après cela, le roi Rà-Apôpi, v. s. f., fit appeler ses grands chefs, aussi ses capitaines et ses généraux avisés, mais ils ne surent pas lui donner un discours bon à envoyer au roi Saqnounrîya, v. s. f., le chef du pays du Midi. Le roi Apôpi, v. s. f., fit donc appeler ses scribes magiciens. Ils lui dirent : « Suzerain, v. s. f., notre maître… »[845] et ils donnèrent au roi Râ-Apôpi, v. s. f., le discours qu’il souhaitait : « Qu’un messager aille vers le chef de la ville du Midi pour lui dire. Le roi Râ-Apôpi, v. s. f., t’envoie dire : « Qu’on chasse sur l’étang les hippopotames qui sont dans les canaux du pays, afin qu’ils laissent venir à moi le sommeil, la nuit et le jour… »

Voilà une portion de la lacune comblée d’une manière certaine, au moins, quant au sens ; mais il reste, au bas de la page, une bonne ligne et demie, peut-être même deux lignes et plus à remplir. Ici encore, la suite du récit nous permet de rétablir le sens exact, sinon la lettre, de ce qui manque dans le texte. On voit, en effet, qu’après avoir reçu le message énoncé plus haut, le roi Saqnounrîya assemble son conseil qui demeure perplexe et ne trouve rien à répondre ; sur quoi le roi Apôpi envoie une seconde ambassade. Il est évident que l’embarras des Thébains et leur silence étaient prévus par les scribes d’Apôpi, et que la partie de leur discours, qui nous est conservée tout au haut de la page 2, renfermait la fin du second message qu’Apôpi devait envoyer, si le premier restait sans réponse. Dans les contes analogues, où il s’agit d’une chose extraordinaire que l’un des deux rois doit accomplir, on énonce toujours la peine à laquelle il devra se soumettre en cas d’insuccès. Il en était bien certainement de même dans notre conte, et je propose de restituer comme il suit :

« Il ne saura que répondre ni en bien ni en mal ! alors tu lui enverras un autre message : « Le roi Râ-Apôpi, v. s. f., t’envoie dire : « Si le chef du Midi ne peut pas répondre à mon message, qu’il ne serve d’autre dieu que Soutekhou ! Mais s’il y répond, et qu’il fasse ce que je lui dis de faire[846], alors je ne lui prendrai rien, et je ne m’inclinerai plus devant aucun autre dieu du pays d’Égypte qu’Amonrâ, roi des dieux ! »

Et beaucoup de jours après cela, le roi Râ-Apôpi, v. s. f., envoya au prince du pays du Sud le message que ses scribes magiciens lui avaient donné ; et le messager du roi Râ-Apôpi, v. s. f., arriva chez le prince du pays du Sud. Celui-ci dit au messager du roi Râ-Apôpi, v. s. f. : « Quel message apportes-tu au pays du Sud ? Pourquoi as-tu accompli ce voyage ? » Le messager lui dit : « Le roi Râ-Apôpi, v. s. f., t’envoie dire : « Qu’on chasse sur l’étang les hippopotames qui sont dans les canaux du pays afin qu’ils laissent venir à moi le sommeil de jour comme de nuit… » Le chef du pays du Midi fut frappé de stupeur et il ne sut que répondre au messager du roi Râ-Apôpi, v. s. f. Le chef du pays du Midi dit donc au messager : « Voici ce que ton maître, v. s. f., envoie pour… le chef du pays du Midi… les paroles qu’il m’a envoyées… ses biens… » Le chef du pays du Midi fit donner toute sorte de bonnes choses, de la viande, du gâteau, des…, du vin, au messager, puis il lui dit « Retourne dire à ton maître : … tout ce que tu as dit, je l’approuve… » … Le messager du roi Râ-Apôpi, v. s. f., se mit à marcher vers le lieu où était son maître, v. s. f. Voici que le chef du pays du Midi fit appeler ses grands chefs, aussi ses capitaines et ses généraux avisés et il leur répéta tout le message que lui avait envoyé le roi Râ-Apôpi, v. s. f. Voici qu’ils se turent d’une seule bouche pendant un long moment, et ils ne surent que répondre ni en bien ni en mal.

Le roi Râ-Apôpi, v. s. f., envoya au chef du pays du Sud l’autre message que lui avaient donné ses scribes magiciens…

*

* *

Il est fâcheux que le texte s’interrompe juste en cet endroit. Les trois Pharaons qui portent le nom de Saqnounrîya régnaient à une époque troublée et ils avaient du laisser des souvenirs vivaces dans l’esprit de la population thébaine. C’étaient des princes remuants et guerriers, dont le dernier avait péri de mort violente, peut-être en se battant contre les Hyksôs, peut-être par la main d’assassin. Il s’était rasé la barbe le matin même, en « se parant pour le combat comme le dieu Montou », ainsi que disaient les scribes égyptiens. Un coup de hache lui enleva une partie de la joue gauche, lui découvrit les dents, lui fendit la mâchoire, le renversa à terre étourdi ; un second coup pénétra profondément dans le crâne, une dague ou une lance courte lui creva le front vers la droite, un peu au-dessus de l’œil. Le corps fut embaumé à la hâte, dans l’état même où la mort l’avait immobilisé. Les traits respirent encore la rage et la fureur de la lutte ; une grande plaque blanchâtre de cervelle épandue couvre le front, les lèvres rétractées en cercle laissent apercevoir la mâchoire et la langue mordue entre les dents[847]. L’auteur de notre conte avait-il mené son récit jusqu’à la fin tragique de son héros ? Le scribe à qui nous devons le manuscrit Sallier n° 1 avait eu bien certainement l’intention de terminer son histoire : il en avait recopié les dernières lignes au verso d’une des pages, et il se préparait à continuer quand je ne sais quel accident l’interrompit. Peut-être le professeur, sous la dictée duquel il paraît avoir écrit, ne connaissait-il pas les dernières péripéties. J’ai déjà indiqué, dans l’Introduction, quelle était la conclusion probable : le roi Saqnounrîya, après avoir hésité longtemps, réussissait à se tirer du dilemme embarrassant où son puissant rival avait prétendu l’enfermer. Sa réponse, pour s’être fait attendre, ne devait guère être moins bizarre que le message d’Apôpi, mais rien ne nous permet de conjecturer ce qu’elle était.

FRAGMENTS D’UNE HISTOIRE DE REVENANT

(XXe DYNASTIE)

Ils nous ont été conservés sur quatre tessons de pot, dont un est aujourd’hui au Louvre et un autre au Musée de Vienne ; les deux derniers sont au Musée Égyptien de Florence.

L’Ostracon de Paris est formé de deux morceaux recollés ensemble et portant les débris de onze lignes. Il a été traduit, mais non publié, par Devéria, Catalogue des manuscrits égyptiens du Musée du Louvre, Paris, 1872, p. 208, et le cartouche qu’il renferme étudié par Lincke, Ueber einem noch nicht erklärten Königsnamen auf einem Ostracon des Louvre, dans le Recueil de Travaux relatifs à la philologie et à l’archéologie Égyptienne et Assyrienne, 1880, t. II, p. 85.89. Cinq lignes du texte ont été publiées en fac-similé cursif par Lauth, qui lit le nom royal Râ-Hap-Amh et le place dans la IVe dynastie (Manetho und der Turiner Königspapyrus ; p. 187) ; enfin l’ensemble a été donné par Spiegelberg, Varia, dans le Recueil des Travaux, t. XVI, p. 31-32. Les deux fragments de Florence portent, sur le Catalogue de Migliarini, les numéros 2616 et 2617. Ils ont été photographiés en 1876 par Golénicheff, puis transcrits d’une manière incomplète par Erman dans la Zeitschrift (1880, 3e fasc.), enfin publiés en fac-similé, transcrits et traduits par Golénicheff, Notice sur un Ostracon hiératique du Musée de Florence (avec deux planches), dans le Recueil, 1881, t. III, p. 3-7. J’ai joint au mémoire de Golénicheff une note (Recueil, t. III, p. 7) qui renferme quelques corrections sans grande importance. Les deux fragments de Florence ne donnent en réalité qu’un seul texte, car l’Ostracon 2617 paraît n’être que la copie de l’Ostracon 2616. Enfin l’Ostracon de Vienne a été découvert, publié et traduit par E. de Bergmann, dans ses Hieratische und Hieratisch-Demotische Texte der Sammlung Ægyptischer Alterthümer des Allerhöchsten Kaiserhauses, Vienne, 1886, pl. IV, p. VI. Il est brisé par le milieu et la moitié de chaque ligne a disparu.

Il est impossible de deviner quelle était la donnée principale du conte. Plusieurs personnages y jouaient un rôle, un grand-prêtre d’Amon Thébain, Khonsoumhabi, trois hommes sans nom, et un revenant qui parle en fort bons termes de sa vie d’autrefois. L’Ostracon de Paris paraît nous avoir conservé un fragment du début. Le grand-prêtre Khonsoumhabi semble préoccupé de l’idée de trouver un emplacement convenable pour son tombeau.

*

* *

Il envoya un de ses subordonnés à l’endroit où s’élevait le tombeau du roi de la Haute et de la Basse-Égypte, Râhotpou, v. s. f.[848], et avec lui des gens sous les ordres du grand-prêtre d’Amonrâ, roi des dieux, trois hommes, en tout quatre hommes : celui-ci s’embarqua avec eux, il navigua, il les amena à l’endroit indiqué, auprès du tombeau du roi Râhotpou, v. s. f. Ils s’en approchèrent avec elle, ils y pénétrèrent : elle adora vingt-cinq… dans la royale… contrée, puis, ils vinrent au rivage, et ils naviguèrent vers Khonsoumhabi, le grand-prêtre d’Amonrâ, roi des dieux, et ils le trouvèrent qui chantait les louanges du dieu dans le temple de la ville d’Amon.

Il leur dit : « Réjouissons-nous, car je suis venu et j’ai trouvé le lieu favorable pour y établir mon séjour à perpétuité ! » Les trois hommes lui dirent d’une seule bouche : « Il est trouvé le lieu favorable pour y établir ton séjour à perpétuité », et ils s’assirent devant elle, et elle passa un jour heureux, et son cœur se donna à la joie. Puis il leur dit : « Soyez prêts demain matin, quand le disque solaire sortira des deux horizons ». Il ordonna au lieutenant du temple d’Amon de loger ces gens-là, il dit à chacun d’eux ce qu’il avait à faire et il les fit revenir se coucher dans la ville, le soir. Il établit…

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* *

Dans les fragments de Florence, le grand-prêtre se trouve en tête-à-tête avec le revenant, et peut-être est-ce en faisant creuser le tombeau plus ancien, dont les hôtes se sont mis à causer avec lui, de la même façon que les momies de Nénoferképhtah avec le prince Satni-Khâmoîs. Au point où nous prenons le texte, une des momies semble raconter sa vie terrestre au premier prophète d’Amon.

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* *

« Je grandissais et je ne voyais pas les rayons du soleil, et je ne respirais pas le souffle de l’air, mais l’obscurité était devant moi chaque jour, et personne ne me venait trouver ». L’esprit lui dit : « Moi, quand j’étais encore vivant sur terre, j’étais trésorier du roi Râhotpou, v. s. f., j’étais aussi son lieutenant d’infanterie. Puis, je passai en avant des gens et à la suite des dieux[849], et je mourus en l’an XIV, pendant les mois de Shomou[850] du roi Manhapourîya[851], v. s. f. Il me fit mes quatre enveloppes et mon sarcophage en albâtre ; il fit faire pour moi tout ce qu’on fait à un homme de qualité, il me donna des offrandes… »

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* *

Tout ce qui suit est fort obscur. Le mort semble se plaindre de quelque accident qui lui serait arrivé à lui-même ou à son tombeau, mais je ne vois pas bien quel est le sujet de son mécontentement. Peut-être désirait-il simplement, comme Nénoferképhtah dans le conte de Satni-Khâmoîs, avoir à demeure auprès de lui sa femme, ses enfants, ou quelqu’une des personnes qu’il avait aimées. Son discours fini, le visiteur prend la parole à son tour.

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* *

Le premier prophète d’Amonra, roi des dieux, Khonsoumhabi, lui dit : « Ah ! donne-moi un conseil excellent sur ce qu’il convient que je fasse, et je le ferai faire pour toi, ou du moins accorde qu’on me donne cinq hommes et cinq esclaves, en tout dix personnes, pour m’apporter de l’eau, et alors je donnerai du grain chaque jour, et cela m’enrichira, et on m’apportera une libation d’eau chaque jour ». L’esprit Nouîtbousokhnou[852] lui dit « Qu’est-ce donc que tu as fait ? Si on ne laisse pas le bois au soleil, il ne restera pas desséché ; ce n’est pas la pierre vieillie qu’on fait venir… »

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Le prophète d’Amon semble, comme on voit, demander un service à l’esprit ; l’esprit de son côté ne paraît pas disposé à le lui accorder, malgré les promesses que le vivant lui fait. La conversation se prolongeait sur le même thème assez longtemps, et je crois en trouver la suite sur l’Ostracon de Vienne. Khonsoumhabi désirait savoir à quelle famille appartenait l’un de ses interlocuteurs, et celui-ci satisfaisait amplement cette curiosité bien naturelle.

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L’esprit lui dit : « X… est le nom de mon père, X… le nom du père de mon père, et X… le nom de ma mère ». Le grand-prêtre Khonsoumhabi lui dit : « Mais alors je te connais bien. Cette maison éternelle où tu es, c’est moi qui te l’ai fait faire ; c’est moi qui t’ai fait ensevelir, au jour où tu as rejoint la terre, c’est moi qui t’ai fait faire tout ce qu’on doit faire à quiconque est de haut rang. Mais moi, voici que je suis dans la misère, un mauvais vent d’hiver a soufflé la faim sur le pays, et je ne suis pas plus heureux, mon cœur ne déborde pas (de joie) comme le Nil… » Ainsi dit Khonsoumhabi, et après cela Khonsoumhabi resta là, en pleurs, pendant longtemps, sans manger, sans boire, sans…

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Le texte est criblé de tant de lacunes que je ne me flatte pas de l’avoir bien interprété partout. Il aurait été complet que la difficulté aurait été à peine moins grande. Je ne sais si la mode était chez tous les revenants égyptiens de rendre leur langage obscur à plaisir : celui-ci ne paraît pas s’être préoccupé d’être clair. Son discours est interrompu brusquement au milieu d’une phrase, et, à moins que Golénicheff ne découvre quelque autre tesson dans un musée, je ne vois guère de chances que nous en connaissions jamais la fin, non plus que la fin de l’histoire.

HISTOIRE D’UN MATELOT

(ÉPOQUE PTOLÉMAÏQUE)

Ce fragment est extrait du grand papyrus démotique de la Bibliothèque nationale. Ce document, rapporté en France au commencement du XIXe siècle par un des membres de l’expédition d’Égypte, était demeuré, jusqu’en 1873, perdu dans une liasse de papiers de famille. Offert par la librairie Maisonneuve à la Bibliothèque nationale de Paris, il fut acquis par celle-ci, sur mes instances, moyennant la faible somme de mille francs.

Il est écrit sur les deux faces et il renferme plusieurs compositions d’un caractère particulier, prophéties messianiques, dialogues à demi religieux, apologues. Le seul fragment qui ait sa place bien nettement marquée dans ce recueil est celui dont je donne la traduction dans les pages suivantes. Le mérite d’en avoir découvert et publié le texte revient à M. Eugène Révillout, qui était alors conservateur adjoint au Musée égyptien du Louvre :

Premier extrait de la Chronique Démotique de Paris : le roi Amasis et les Mercenaires, selon les données d’Hérodote et les renseignements de la Chronique dans la Revue égyptologique, t. I, p. 49-82, et planche II, in-4°, Paris, 1880, E. Leroux.

Depuis lors M. Révillout en a donné en français une traduction plus complète :

E. Révillout, Hérodote et les oracles Égyptiens, dans la Revue Égyptologique, t. IX, 1900, p. 2-3, puis une transcription en hiéroglyphes avec une traduction nouvelle en français.

E. Révillout, Amasis sur le lac et le Conte du Nautonnier, dans la Revue Égyptologique, 1908, t. XII, p. 113-116.

Le roi Amasis eut, paraît-il, le privilège d’inspirer les conteurs égyptiens. Sa basse origine, la causticité de son esprit, la hardiesse de sa politique à l’égard des Grecs soulevèrent contre lui la haine tenace des uns, si elles lui valurent l’admiration passionnée des autres. Hérodote recueillit sur son compte les renseignements les plus contradictoires, et l’Histoire du matelot nous rend, dans la forme originale, une des anecdotes qu’on racontait de lui. L’auteur prétend que le roi Amasis, s’étant enivré un soir, se réveilla, la tête lourde, le lendemain matin ; ne se sentant pas bien disposé à traiter d’affaires sérieuses, il demanda à ses courtisans si aucun d’eux ne connaissait quelque histoire amusante. Un des assistants saisit cette occasion de raconter les aventures d’un matelot. Le récit est trop tôt interrompu pour qu’on puisse juger de la tournure qu’il prenait. Rien ne nous empêche de supposer que le narrateur en tirait une morale applicable au roi lui même : toutefois il me paraît assez vraisemblable que l’épisode du début n’était qu’un prétexte à l’histoire. Sans parler du passage du livre d’Esther où Assuérus, tourmenté d’insomnie, se fait lire les annales de son règne, le premier roman égyptien de Saint-Pétersbourg commence à peu près de la même manière : le roi Sanofrouî assemble son conseil et lui demande une histoire[853]. On me permettra donc de ne pas attacher à ce récit plus d’importance que je n’en ai accordée aux récits de Sinouhît ou de Thoutîyi.

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* *

Il arriva un jour, au temps du roi Ahmasi, que le roi dit à ses grands : « Il me plaît boire du brandevin d’Égypte ! » Ils dirent : « Notre grand maître, c’est dur de boire du brandevin d’Égypte ». Il leur dit : « Est-ce que vous trouveriez à reprendre à ce que je vous dis[854] ? » Ils dirent : « Notre grand maître, ce qui plaît au roi, qu’il le fasse ». Le roi dit : « Qu’on porte du brandevin d’Égypte sur le lac ! » Ils agirent selon l’ordre du roi. Le roi se lava avec ses enfants, et il n’y eut vin du monde avec eux, si ce n’est le brandevin d’Égypte ; le roi se délecta avec ses enfants, il but du vin en très grande quantité ; à cause de l’avidité que marquait le roi pour le brandevin d’Égypte, puis le roi s’endormit sur le lac, le soir de ce jour-là, car il avait fait apporter par les matelots un lit de repos sous une treille, au bord du lac.

Le matin arrivé, le roi ne put se lever à cause de la grandeur de l’ivresse dans laquelle il était plongé. Passée une heure sans qu’il pût se lever encore, les courtisans proférèrent une plainte disant : « Est-il possible que, s’il arrive au roi de s’enivrer autant qu’homme au monde, homme au monde ne puisse plus entrer vers le roi pour a une affaire[855] ? » Les courtisans entrèrent donc au lieu où le roi était et ils dirent : « Notre grand maître, quel est le désir qui possède le roi ? » Le roi dit : « Il me plaît m’enivrer beaucoup… N’y a-t-il personne parmi vous qui puisse me conter une histoire, afin que je puisse me tenir éveillé par là ? » Or, il y avait un Frère royal[856] parmi les courtisans dont le nom était Péoun[857], et qui connaissait beaucoup d’histoires. Il s’avança devant le roi, il dit : « Notre grand maître, est-ce que le roi ignore l’aventure qui arriva à un jeune pilote à qui l’on donnait nom… ? »

Il arriva au temps du roi Psamitikou[858] qu’il y eut un pilote marié : un autre pilote, à qui on donnait nom…, se prit d’amour pour la femme du premier, à qui on donnait nom Taônkh…[859], et elle l’aimait et il l’aimait.

Il arriva qu’un jour le roi le fit venir dans la barque nommée… ce jour-là. Passée la fête, un grand désir le prit… que lui avait donné le roi ; il dit : « … », et on le fit entrer en présence du roi. Il arriva à sa maison, il se lava avec sa femme, il ne put boire comme à l’ordinaire ; arriva l’heure de se coucher tous les deux, il ne put la connaître, par l’excès de la douleur où il se trouvait. Elle lui dit : « Que t’est-il arrivé sur le fleuve ?… »

*

* *

La publication d’un fac-similé exact nous permettra peut-être un jour de traduire complètement les dernières lignes. J’essaierai, en attendant, de commenter le petit épisode du début, celui qui servait de cadre à l’histoire du Matelot.

Le roi Ahmasi, l’Amasis des Grecs, veut boire une sorte de liqueur que le texte nomme toujours Kolobi d’Égypte, sans doute par opposition aux liqueurs d’origine étrangère que le commerce importait en grandes quantités. M. Révillout conjecture que le Kolobi d’Égypte pourrait bien être le vin âpre du Fayoum ou de Maréa[860]. On pourrait penser que le Kolobi n’était pas fabriqué avec du raisin, auquel cas il y aurait lieu de le comparer à l’espèce de bière que les-Grecs nommaient Koumi[861]. Je suis assez porté à croire que ce breuvage, si dur à boire et dont l’ivresse rend le roi incapable de travail, n’était pas un vin naturel. Peut-être doit-on y reconnaître un vin singulier dont parle Pline[862] et dont le nom grec ekbolas pourrait être une assonance lointaine du terme égyptien kolobi. Peut-être encore désignait-on de la sorte des vins si chargés d’alcool qu’on pouvait les enflammer comme nous faisons l’eau-de-vie : c’est cette seconde hypothèse que j’ai admise et qui m’a décidé à choisir le terme inexact de brandevin pour rendre kolobi[863].

La scène se passe sur un lac, mais je ne crois point qu’il s’agisse ici du lac Maréotis[864] ni d’aucun des lacs naturels du Delta. Le terme shi, lac, est appliqué perpétuellement, dans les écrits égyptiens, aux pièces d’eau artificielles dont les riches particuliers aimaient à orner leur jardin[865]. On souhaite souvent au mort, comme suprême faveur, qu’il puisse se promener en paix sur les rives de la pièce d’eau qu’il s’est creusée dans son jardin, et l’on n’a point besoin d’être demeuré longtemps en Égypte pour comprendre l’opportunité d’un souhait pareil. Les peintures des tombeaux thébains nous montrent le défunt assis au bord de son étang ; plusieurs tableaux prouvent d’ailleurs que ces étangs étaient parfois placés dans le voisinage immédiat de vignes et d’arbres fruitiers. L’une des histoires magiques que le conte de Chéops renferme nous a enseigné que les palais royaux avaient leur shi, tout comme les maisons de simples particuliers. Ils étaient ordinairement de dimensions très restreintes : celui de Sanafrouî était pourtant bordé de campagnes fleuries et il présentait assez de surface pour suffire aux évolutions d’une barque montée par vingt femmes et par un pilote[866]. L’auteur du récit démotique ne fait donc que rappeler un petit fait de vie courante, lorsqu’il nous dépeint Ahmasi buvant du vin sur le lac de sa villa ou de son palais et passant la nuit sous une treille au bord de l’eau[867]. Un passage de Plutarque, où l’on raconte que Psammétique fut le premier à boire du vin[868], semble montrer qu’Ahmasi n’était pas le seul à qui l’on prêtât des habitudes de ce genre. Peut-être avait-on raconté de Psammétique les mêmes histoires d’ivresse qu’on attribue ici à l’un de ses successeurs : l’auteur à qui Plutarque empruntait son renseignement aurait connu le Conte du Matelot ou un conte de cette espèce, dans lequel Psammétique Ier tenait le personnage du Pharaon ivrogne. Les récits d’Hérodote nous prouvent du moins qu’Amasis était, à l’époque persane, celui des rois saïtes à qui l’on prêtait le rôle le plus ignoble : j’y vois la conséquence naturelle de la haine que lui portaient la classe sacerdotale et les partisans de la vieille famille saïte. Ces bruits avaient-ils quelque fondement dans la réalité, et les contes recueillis par Hérodote n’étaient-ils que l’exagération maligne d’une faiblesse du prince ? Les scribes égyptiens devenaient éloquents lorsqu’ils discouraient sur l’ivresse, et ils mettaient volontiers leurs élèves et leurs subordonnés en garde contre les maisons d’almées et les hôtels où l’on boit de la bière[869]. L’ivresse n’en était pas moins un vice fréquent chez les gens de condition élevée, même chez les femmes ; les peintres qui décoraient les tombeaux thébains n’hésitaient pas à en noter les effets avec fidélité. Si donc rien ne s’oppose à ce qu’un Pharaon comme Ahmasi ait eu du goût pour le vin, rien non plus, sur les monuments connus, ne nous autorise à affirmer qu’il ait péché par ivrognerie. Je me permettrai, jusqu’à nouvel ordre, de considérer les données que le conte démotique et les contes recueillis par Hérodote nous fournissent sur son caractère comme tout aussi peu authentiques que celles que les histoires de Sésostris ou de Chéops nous fournissent sur le caractère de Khoufouî et de Ramsès II.

L’AVENTURE DU SCULPTEUR PÉTÊSIS ET DU ROI NECTONABO

(ÉPOQUE PTOLÉMAÏQUE)

Le papyrus grec qui nous a conservé ce conte faisait primitivement partie de la collection Anastasi. Acquis par le musée de Leyde en 1829, il y fut découvert et analysé par :

Reuvens, Lettres à M. Letronne sur les Papyrus bilingues et grecs et sur quelques autres monuments gréco-égyptiens du Musée d’antiquités de Leyde, Leyde, 1830, in-4°, 76-79.

Il fut ensuite publié entièrement, traduit et commenté par :

Leemans, Papyri Graeci Musæi antiquari publici Lugduni Batavi, Lugduni Batavorum, 1833, p. 122-129.

Il a été étudié depuis lors par : (U. Wilcken, der Traum des Königs Nektonabos (extrait du volume des Mélanges Nicole, p. 579-596), in-8°, Genève, 1906, 18 p. et par St. Witkowski, In Somnium Nectanebi (Pap. Leid. U), observationes aliquot scripsit (extrait de l’Eos, t. XIV, pp. 11-18), in-8°, Léopold, 1908, 8 p.

La forme des caractères et la contexture du papyrus avaient déterminé Leemans à placer l’écriture du morceau dans la seconde moitié du deuxième siècle avant notre ère : Wilcken l’a reportée à la première moitié du même siècle, et il l’attribuerait volontiers à un personnage qui vivait alors dans le cercle des reclus du Sérapéum. La partie conservée se compose de cinq colonnes de longueur inégale. La première, fort étroite, comptait douze lignes ; quelques mots seulement y sont lisibles, qui permettent de rétablir par conjecture le titre du conte, « du sculpteur Pétêsis au roi Nectonabo. » La seconde et la quatrième comptaient vingt et une lignes chacune, la troisième vingt-quatre. La cinquième ne contient que quatre lignes, après lesquelles le récit s’interrompt brusquement au milieu d’une phrase, comme la Querelle d’Apôpi et de Saqnounrîya au Papyrus Sallier n° 1. Le scribe s’est amusé à dessiner un bonhomme contrefait au-dessous de l’écriture et il a laissé son histoire inachevée.

L’écrivain à qui nous devons ce morceau ne l’avait pas rédigé lui-même, d’après un récit qui lui en aurait été fait par un conteur de profession : les erreurs dont son texte est rempli prouvent qu’il l’avait copié, et d’après un assez mauvais manuscrit. Le prototype était-il conçu en langue égyptienne ? Les mots égyptiens qu’on trouve dans la rédaction actuelle l’indiquent suffisamment. Le sculpteur Pétêsis nous est inconnu. Le roi Nectanébo, dont le nom est vocalisé ici Nectonabo, était célèbre chez les Grecs de l’époque alexandrine, comme magicien et comme astrologue : il était donc tout indiqué pour avoir un rêve tel que celui que le conte lui prête. L’ouvrage démotique d’où j’ai extrait l’Histoire du matelot renferme de longues imprécations dirigées contre lui. Le roman d’Alexandre, écrit longtemps après par le pseudo-Callisthène, prétend qu’il fut père du conquérant Alexandre, aux lieu et place de Philippe le Macédonien. Le conte de Leyde, transcrit deux cents ans environ après sa mort, est, jusqu’à présent, le premier connu des récits plus ou moins romanesques qui coururent sur lui dans l’antiquité et pendant la durée du Moyen-Âge.

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L’an XVI, le 21 de Pharmouti, dans la nuit de pleine lune qui va au 22, le roi Nectonabo, qui présidait à Memphis, ayant fait un sacrifice et prié les dieux de lui montrer l’avenir[870], imagina qu’il voyait en songe le bateau de papyrus appelé Rhôps[871] en égyptien aborder à Memphis : il y avait sur ce bateau un grand trône, et sur le trône était assise la glorieuse, la distributrice bienfaisante des fruits de la terre, la reine des dieux, Isis, et tous les dieux de l’Égypte se tenaient debout autour d’elle, à sa droite et à sa gauche[872]. L’un d’eux s’avança au milieu de l’assemblée, dont le roi estima la hauteur à vingt coudées, celui qu’on nomme Onouris en égyptien[873], Arès en grec, et, se prosternant, il parla ainsi : « Viens à moi, déesse des dieux, toi qui as le plus de puissance sur la terre, qui commandes à tout ce qui est dans l’univers et qui préserves tous les dieux, ô Isis, sois miséricordieuse et m’écoute. Ainsi que tu l’as ordonné, j’ai gardé le pays sans faillir, et, bien que jusqu’à présent je me sois donné toute peine pour le roi Nectonabo, Samaous[874], entre les mains de qui tu as constitué l’autorité, a négligé mon temple et il s’est montré contraire à mes lois. Je suis hors de mon propre temple, et les travaux du sanctuaire appelé Phersô[875] sont à moitié inachevés par la méchanceté du souverain ». La reine des dieux, ayant ouï ce qui vient d’être dit, ne répondit rien.

Ayant vu le songe, le roi s’éveilla et il ordonna en hâte qu’on envoyât à Sébennytos de l’intérieur[876], mander le grand-prêtre et le prophète d’Onouris. Quand ils furent arrivés à la salle d’audience, le roi leur demanda : « Quels sont les travaux en suspens dans le sanctuaire appelé Phersô ? » Comme ils lui dirent : « Tout est terminé, sauf la gravure des textes hiéroglyphiques sur les murs de pierre », il ordonna en hâte qu’on écrivît aux principaux temples de l’Égypte pour mander les sculpteurs sacrés. Quand ils furent arrivés selon l’ordre, le roi leur demanda qui était parmi eux le plus habile, celui qui pourrait terminer promptement les travaux en suspens dans le sanctuaire appelé Phersô ? Cela dit, celui de la ville d’Aphrodite, du nome Aphroditopolite, le nommé Pétêsis, fils d’Ergeus, se leva et dit qu’il pourrait terminer tous les travaux en peu de jours[877]. Le roi interrogea de même tous les autres, et ils affirmèrent que Pétêsis disait vrai, et qu’il n’y avait pas dans le pays entier un homme qui l’approchât en ingéniosité. C’est pourquoi le roi lui adjugea les travaux en question, et il lui confia ensemble de grandes sommes, et il lui recommanda de s’arranger pour avoir terminé l’ouvrage en peu de jours, ainsi qu’il l’avait dit lui-même selon la volonté du dieu. Pétêsis, après avoir reçu beaucoup d’argent, se rendit à Sébennytos, et comme il était par nature biberon insigne, il résolut de se donner du bon temps avant de se mettre à l’œuvre.

Or il lui arriva, comme il se promenait dans la partie méridionale du temple, de rencontrer la fille d’un parfumeur[878], qui était la plus belle de celles qui se distinguaient par leur beauté en cet endroit…

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Le récit s’arrête au moment même où l’action s’engage. La rencontre faite par Pétêsis dans la partie méridionale du temple rappelle immédiatement à l’esprit celle que Satni avait faite sur le parvis du temple de Phtah[879]. On peut en conclure, si l’on veut, que l’auteur avait introduit dans son roman une héroïne du genre de Tboubouî. Peut-être l’intrigue reposait-elle entière sur l’engagement un peu fanfaron que l’architecte avait pris de terminer les travaux de Phersô en cent jours. Le dieu Onouris, mécontent de voir Pétêsis débuter par le plaisir dans une œuvre sainte, ou simplement désireux de lui infliger une leçon, lui dépêchait une tentatrice qui lui faisait perdre son temps et son argent. Il y a place pour bien des conjectures. Le plus sûr est de ne s’arrêter à aucune d’elles et d’avouer que rien, dans les parties conservées, ne nous permet de déterminer avec une certitude suffisante quelles étaient les péripéties du drame ou son dénoûment.

FRAGMENTS DE LA VERSION COPTE-THÉBAINE DU ROMAN D’ALEXANDRE

ÉPOQUE ARABE

Les débris du roman d’Alexandre ont été découverts parmi les manuscrits du Déîr Amba Shenoudah, acquis par mes soins en 1885-1888 pour la Bibliothèque nationale de Paris. Trois feuillets en furent publiés d’abord par :

U. Bouriant, Fragments d’un roman d’Alexandre en dialecte thébain, dans le Journal asiatique, 1887, VIIIe série, t. IX, p. 1-38, avec une planche ; tirage à part, in 8°, 36 p.

puis trois autres, quelques mois plus tard, par :

U. Bouriant, Fragments d’un roman d’Alexandre en dialecte thébain (Nouveau Mémoire) dans le Journal astatique, VIIIe série, t. X, p. 340-349 : tirage à part, in-8°, 12 p.

Plusieurs feuillets provenant du même manuscrit se retrouvèrent bientôt après dans les différentes bibliothèques de l’Europe : en 1891, un seul au British Muséum, qui fut publié par :

W. E. Crum, Another fragment of the Story of Alexander, dans les Proceedings de la Société d’Archéologie Biblique, 1892, t. XIX, p. 473-482 (tirage à part, in-8°, 10 p.) ;

Deux à Berlin, qui furent signalés, dès 1888, par L. Stern (Zeitschrift, t. XXVI, p. 56), mais qui ne furent publiés que quinze ans plus tard par :

O. de Lemm, der Alexanderroman bei der Kopter, ein Beitrag zur Geschichte der Alexandersage im Orient, gr. in-8°, Saint-Pétersbourg, 1903, t. XVIII, 161 p. et deux planches.

L’ensemble des fragments et leur disposition, la nature des épisodes conservés et la constitution du texte, ont été étudiés presque simultanément par O. de Lemm dans l’ouvrage dont je viens de citer le titre, et par :

R. Pietschmann, zu den Ueberbleibseln des Koptischen Alexanderbuches, dans les Beiträge zur Bùcherskunde und Philologie, August Wilmauns zum 25 Marz 1903 gewidmet, in-8°, Leipzig, 1903, p. 304-312, tirage à part, 12 p.

Le manuscrit était écrit sur du papier de coton, mince et lisse, et mesurait environ 0 m. 18 de hauteur sur 0 m. 125 de largeur. L’écriture en est écrasée, petite, rapide ; les lettres y sont déformées, l’orthographe y est corrompue, la grammaire parfois fautive. Il me paraît difficile d’admettre que le manuscrit soit antérieur au XIVe siècle, mais la rédaction de l’ouvrage pourrait remonter jusqu’au Xe siècle ou au XIe siècle après notre ère.

Autant qu’on peut en juger d’après le petit nombre de fragments qui nous ont été conservés, notre roman n’est pas la reproduction pure et simple de la vie d’Alexandre du Pseudo-Callisthènes. Ce qui reste des chapitres consacrés à l’empoisonnement d’Alexandre est tellement voisin du grec qu’on dirait une traduction. D’autre part, les fragments relatifs au vieillard Éléazar et à ses rapports avec Alexandre, au songe de Ménandre et au retour imprévu du héros macédonien dans son camp, ne répondent pas aux versions du Pseudo-Callisthènes publiées jusqu’à présent. Je conclus de ces observations qu’entre le moment où les rédactions que nous possédons du Pseudo-Callisthènes ont été fixées, et celui où notre traduction thébaine a été entreprise, le texte du roman s’était accru d’épisodes nouveaux, propres sans doute à l’Égypte ou à la Syrie c’est cette recension, encore inconnue, que nos fragments nous ont transmise en partie. Était-elle en copte, en grec ou en arabe ? Je crois que l’examen du texte nous permet de répondre aisément à cette question. Ce que nous avons du copte a tous les caractères d’une traduction : or, dans le récit du complot contre Alexandre, la phrase copte suit si exactement le mouvement de la phrase grecque qu’il est impossible de ne pas admettre qu’elle la transcrive. J’admettrai donc jusqu’à nouvel ordre que notre texte copte thébain a été traduit directement sur un texte grec, et, par suite, qu’on peut s’attendre à découvrir un jour une ou plusieurs versions grecques plus complètes que les versions connues actuellement. Elles auront sans doute été confinées à l’Égypte, et c’est pour cela qu’on ne trouve, dans les recensions occidentales, aucune trace de plusieurs épisodes que les feuillets du manuscrit copte nous ont révélés en partie.

L’ordre des fragments publiés ci-joint est celui que leur a donné O. de Lemm, et ma traduction a été refaite sur le texte qu’il a établi.

Les premiers feuillets conservés ont trait à une aventure qui n’est racontée dans aucune des versions orientales ou occidentales que je connais jusqu’à présent. Alexandre s’est déguisé en messager, comme le jour où il alla chez la reine d’Éthiopie[880], et il s’est rendu dans une ville où règne un de ses ennemis, probablement le roi des Lamites[881]. Là, après avoir exposé son affaire à celui-ci, il rencontre un vieillard perse[882] du nom d’Éléazar, qui l’emmène avec lui et lui apprend que le roi ne renvoie jamais les messagers des souverains étrangers, mais qu’il les garde prisonniers jusqu’à leur mort. Les messagers sont là qui se pressent pour voir le nouveau venu : au moment où le récit commence, Alexandre vient de leur être présenté et Éléazar achève de l’informer du sort qui l’attend.

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Il dit à Alexandre : « Demande à chacun de ceux-ci depuis combien de temps es-tu en ce lieu ? » Le premier d’entre eux dit : « Écoute-moi, mon frère. Je suis du pays de Thrace, et voici quarante ans que je suis venu en cet endroit, car on m’avait envoyé avec des lettres en ce pays ». Le second dit : « Quant à moi, mon frère, voici vingt-deux ans que j’ai accomplis depuis que je suis venu du pays des Lektouménos[883] ». Le troisième lui dit : « Voici soixante-six ans que je suis venu en ce lieu, car on m’avait envoyé avec des lettres de mon seigneur le roi… ês. Maintenant donc, console-toi ! » Éléazar dit à Alexandre : « … J’ai entendu que c’est le fils du roi qui est roi aujourd’hui. Quant à toi, mon frère, tu ne reverras plus ton maître, ton roi, à jamais ». Alexandre pleura amèrement, tous ceux qui le voyaient s’en admirèrent et quelques-uns de la foule dirent : « Il ne fait que d’arriver tout droit et son cœur est encore chaud en lui ! » Éléazar, le vieillard perse, il se saisit d’Alexandre, il l’emmena à sa maison. Les messagers le suivirent et ils s’assirent ; chacun parla de son pays et ils se lamentèrent sur leur famille, et ils pleurèrent sur Alexandre qui pleurait… Monseigneur… Éléazar dit…

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Je ne saurais définir exactement ce qui se passe ensuite. Dans le gros, on peut dire qu’Alexandre réussit à prendre la ville des Lamites et à délivrer les prisonniers qui s’y trouvaient. Un des feuillets conservés nous apprend ce qu’il fit à cette occasion.

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Il prit le commandement des troupes ; il les envoya avec des hommes qu’on crucifia, tandis qu’on enchaînait les femmes par groupes. Alexandre commanda à ses troupes de se tenir à la porte de la ville et de ne laisser sortir personne. Or, quand l’aube fut venue, le vieillard Éléazar fit porter un vêtement royal, et tous les messagers qui étaient là, il les chargea de la sorte, d’or, d’argent, de pierres précieuses de choix qu’on avait trouvées dans le palais en question, de sardoines, de topazes, de jaspe, d’onyx, d’agathe, d’ambre, de chrysolithe, de chrysoprase, d’améthyste ; – or, cette pierre qui est l’améthyste, c’est celle avec laquelle on essaie l’or. Puis on dépouilla les Lamites[884], et ils sortirent de la ville, et il établit Iôdaê pour la gouverner[885]. Alexandre dit : « …

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Le discours d’Alexandre manque. Il n’était pas long, mais la perte en est d’autant plus fâcheuse qu’il terminait l’épisode. Au verso du feuillet, nous sommes déjà engagés dans une aventure nouvelle dont le héros est un certain Antipater. Cet Antipater paraît avoir été le fils d’un des messagers qui se trouvaient chez les Lamites, et ce messager lui-même était roi d’une ville sur laquelle Antipater régnait présentement. Le père, délivré par Alexandre et se doutant bien que sa longue captivité l’avait fait oublier, ne voulut pas rentrer ouvertement dans ses États.

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Il prit les vêtements d’un mendiant, et il dit : « J’éprouverai tous les notables[886] qui sont dans la ville et je saurai ce qu’ils font ». Il entra donc dans la ville et il s’y assit en face la maison du roi. Le roi ne l’avait jamais vu, il savait seulement que son père était depuis soixante-dix-sept ans avec les Lamites. Il n’interpella donc pas le vieillard, car il ne savait pas qu’il était son fils, et d’autre part le vieillard ne savait pas que c’était son père, l’homme qui était là enveloppé dans un manteau. Mais, voici, une femme l’interpella et lui dit : « Antipater, pourquoi ne vas-tu pas chercher ton père ? Car j’ai entendu dire des Lamites qu’Alexandre est leur maître et qu’il a renvoyé tous les messagers ». Le jeune homme dit : « Mon père est mort, et certes depuis plus de quarante ans… Car mon père partit avant que je ne fusse au monde et ma mère m’a raconté l’histoire de mon père… »

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Les trois feuillets suivants nous transportent en Gédrosie. Alexandre est tombé, nous ne savons par quelle aventure, aux mains du roi de la contrée, et celui-ci l’a condamné à être précipité dans le Chaos[887], dans le gouffre où l’on jetait les criminels. Un des conseillers Gédrosiens, Antilochos, a essayé vainement d’adoucir la sentence : chargé de l’exécuter, il négocie avec Alexandre et il cherche un moyen de le sauver. Il semble résulter des premières lignes du fragment, qu’au moment d’entrer dans la prison, il avait entendu Alexandre qui se lamentait sur son sort et qui s’écriait : « Que ne ferais-je pas pour qui me délivrerait ? »

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Lorsqu’Antilochos l’entendit, il entra vers Alexandre sur l’heure et il lui dit : « Si je dis au roi de te relâcher, que me feras-tu ? » Alexandre lui dit : « Te verrai-je une fois que je vais libre par ma ville ? S’il en est ainsi, la moitié de mon royaume prends-la de moi dès aujourd’hui ! » Antilochos lui donna de l’encre et du papier et il écrivit ce qui suit : « Par le trône de ma royauté et par mon salut personnel, si tu me délivres, tout ce que tu me demanderas, je te le donnerai ». Antilochos envoya donc en hâte au gardien du Chaos et il lui dit : « Prends de moi trois quintaux d’or, à une condition que je te vais dire. Alexandre, le roi a commandé de le jeter dans le Chaos, mais, quand on te l’amènera, cache-le dans ta cachette et jette une pierre de sa taille dans le Chaos, que nous l’entendions, nous et ceux qui sont avec nous. Si tu agis ainsi, tu vivras et tu trouveras grâce devant moi, et quand cet homme viendra vers toi, tu trouveras beaucoup de corbeilles et il te donnera de nombreux présents ». Ils passèrent leur parole et Antilochos rentra chez lui.

Lorsque l’aube fut venue, Antilochos chargea Alexandre de liens. Alexandre suivit Antilochos jusqu’à ce qu’il arrivât au bord du Chaos et qu’il le vît de ses yeux. Alexandre, dont le pouvoir avait cessé et que sa force avait abandonné, leva ses yeux au ciel et il parla à ceux qui le tenaient : « Permettez, mes frères, que je voie le soleil ! » Alexandre pleura, disant : « Ô soleil qui donnes la lumière, te verrai-je de nouveau à l’heure du matin ? » On le fit entrer et Antilochos lui dit : « Prends du vin et du pain et mange avant que tu voies le Chaos ! » Alexandre dit : « Si c’est la dernière nourriture que je dois manger, je ne la mangerai pas ! » Mais Antilochos lui parla à voix basse, lui disant : « Mange et bois ! Ton âme, je la délivrerai, car je suis déjà convenu de ce moyen : lorsqu’on saisira la pierre et qu’on la jettera, crie d’une voix forte, si bien que ce soit toi que nous entendions ». Antilochos sortit avec dix soldats, Antilochos dit : « Sortons pour que nos yeux ne voient pas sa misère ! » On saisit la pierre, Alexandre cria d’une voix forte, Antilochos dit en pleurant à ceux qui étaient avec lui : « Ô la misère du roi Alexandre et la pauvreté des grandeurs de ce monde ! » Or Alexandre, le gardien du Chaos le reconduisit à la ville…

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La lacune qui sépare ce fragment du fragment suivant ne peut pas être bien considérable. Le gardien du Chaos, après avoir reconduit Alexandre à la ville, l’enferme dans une cachette ainsi qu’il était convenu : cependant Antilochos court de son côté rendre compte de sa mission au roi, et le bruit se répand partout qu’Alexandre est mort. L’effet produit par la nouvelle est tel que le roi lui-même en est effrayé et qu’il regrette d’avoir fait périr le héros.

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« … Alexandre est mort dans le Chaos ». Tous ceux qui l’entendirent s’écrièrent ; en les entendant, le roi s’affligea et il gémit avec la reine et avec Antilochos, et il dit : « Je me repens d’avoir précipité ce grand roi dans le Chaos, et je crains que son armée ne marche contre nous ». Antilochos lui dit : « Je me suis épuisé à te supplier : « Laisse-le partir ! » et tu ne t’es pas laissé persuader de m’écouter et tu n’as pas incliné ton visage vers moi ». Le roi dit : « Que n’as-tu trouvé un moyen de le renvoyer ? » Or, pendant la nuit, on conduisit Alexandre à la maison d’Antilochos, et on le reçut, et on le descendit dans un trou, et on lui fournit tout le nécessaire. La nouvelle se répandit dans tout le pays « Alexandre est mort », et tous ceux qui l’entendirent devinrent tous figés comme des pierres à cause de ce qui était arrivé.

Après cela, Ménandre vit un songe de cette sorte et il aperçut une vision de cette manière : il voyait un lion chargé de fers que l’on jetait dans une fosse. Et voici qu’un homme lui parla : « Ménandre, pourquoi ne descends-tu pas avec ce lion, puisque sa pourpre est tombée ? Lève-toi maintenant et saisis-le par l’encolure de sa pourpre ». En hâte il se leva et il adressa la parole à Selpharios ainsi qu’à Diatrophê, disant : « Vous dormez ? » Ils dirent : « Qu’y a-t-il donc, ô le premier des philosophes[888], Ménandre ? » Il dit en pleurant : « Le rêve que j’ai vu s’accomplira contre les ennemis d’Alexandre, car la vision de ceux qui le haïssent est passée devant moi en un songe, et j’ai été pétrifié de douleur ». Ménandre leur dit : « Le lion que j’ai vu, c’est le roi ». Tandis qu’ils échangeaient ces paroles jusqu’au matin, voici, un messager vint vers Selpharios, Ménandre et Diatrophê, criant et pleurant, et il leur dit : « Qui entendra ces paroles que j’ai entendues et se taira ? c’est une terreur de les dire, c’est une infamie de les prononcer ». Ménandre dit : « Quel est ce discours, mon fils ? Je sais déjà ce qui est a arrivé au roi Alexandre ». Le messager leur dit : « Des hommes dignes de mort ont porté la main sur mon seigneur le roi, en Gédrosie, et ils l’ont tué ». Ménandre prit son vêtement de pourpre et il le déchira ; Selpharios et Diatrophê déchirèrent leur chlamyde, ils gémirent et ils se conduisirent tout comme si la terre tremblait. Diatrophê dit : « J’irai et je rapporterai des nouvelles de mon Seigneur ». Il prit avec lui un khiliarque[889] et trois soldats, et ils allèrent en Gédrosie, ils entendirent la nouvelle, ils surent tout ce qui était arrivé et ils revinrent au camp, et ils en informèrent Ménandre, et ils le répétèrent avec gémissements et pleurs, disant : « …

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Les trois personnages mis en scène ne figurent pas d’ordinaire parmi les compagnons d’Alexandre. Deux d’entre eux, Selpharios et Diatrophê, – celui-ci un homme, malgré la tournure féminine de son nom, – sont complètement inconnus. Ménandre me paraît être le poète comique Ménandre, à qui les maximes morales tirées de ses comédies avaient valu une grande réputation dans le monde chrétien : le titre qu’il porte, premier des philosophes ou premier des amis, nous montre que la tradition lui assignait un haut rang parmi cette troupe de savants et d’écrivains qui avaient accompagné Alexandre en Orient. Il paraît, en effet, exercer une autorité considérable sur ceux qui l’entourent, car c’est lui qui prend, de concert avec Selpharios, les mesures que les circonstances ont rendues nécessaires : dans deux ou trois pages, aujourd’hui perdues, il annonçait aux troupes la nouvelle de la mort d’Alexandre, il ordonnait le deuil et il venait mettre le siège devant la ville où le crime avait été commis pour en tirer vengeance. Cependant, Antilochos, profitant des remords du roi, lui apprenait qu’Alexandre vivait encore, et l’aventure se terminait par une convention grâce à laquelle le Macédonien recouvrait la liberté, à la condition d’oublier l’injure qu’il avait reçue. Sachant que son armée le croyait mort, il voulut éprouver la fidélité de ses lieutenants et il se déguisa afin de pouvoir circuler librement parmi eux.

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Lorsque le soir fut venu, Alexandre prit un équipage de simple soldat et il sortit pour se rendre aux camps. Or Selpharios avait prescrit dans sa proclamation que personne ne bût du vin ou ne se revêtit d’habits précieux, pendant les quarante jours de deuil en l’honneur du roi Alexandre. Alexandre donc vint et il aperçut Agricolaos, le roi des Perses, étendu sur son lit, qui parlait à ses gens ; « Debout maintenant, les hommes qui ont du cœur, mangez et buvez, car un joug est tombé de vous, cet Alexandre qu’on vient de tuer. Qu’est-ce donc qu’il y a en vos cœurs ? Je ne permettrai pas que vous restiez ainsi esclaves de la Macédoine et de l’Égypte[890] » Alexandre dit à part soi : « Non certes, il ne sera pas aujourd’hui que tu manges et que tu boives, excellent homme et qui es si content de toi-même ! » Il se leva donc et il leur dit : « Pourquoi ne mangez-vous ni ne buvez-vous ? Car le voilà mort celui qui vous faisait mourir dans les guerres ; maintenant qu’on l’a fait mourir lui-même, réjouissez-vous, soyez remplis d’allégresse ! » Ils lui dirent : « Tu es fou ! » et lorsqu’ils lui eurent dit cela, ils commencèrent à lui jeter des pierres. Alexandre se tint caché jusqu’au milieu de la nuit, puis il alla à la maison d’Antilochos, il monta sur Chiron[891] et il se rendit à l’endroit où était Ménandre, car ses yeux étaient lourds de sommeil. Il dit à Ménandre, à Selpharios et à Diatrophê : « C’est vous ma force ! » Ménandre dit « Mon père, qu’y a-t-il ? C’est donc une invention que j’avais entendue à ton sujet ! » Quand ils se turent, il reprit la parole : « Je suis bien Alexandre, celui qu’ont tué ceux de Gédrosie, mais Antilochos m’a rendu la vie : Chiron, dis-leur ce qui m’est arrivé ! » Quand l’aube se fit, il s’assit sur le trône de sa royauté. Alexandre sur l’heure fit crier par le héraut, disant : « Le roi Alexandre est arrivé ». Et, sur l’heure, la multitude vint. Agricolaos vint lui-même et il dit : « Nous avons vu ta face et nous vivons ! » Le roi Alexandre lui dit « Tu t’es donc éveillé de ton ivresse de hier soir, quand tu disais : « Il a été retiré de nous le joug d’Alexandre, mangez, buvez ! » Le roi ordonna sur l’heure de lui trancher la tête avec l’épée ; le roi dit : « Prends maintenant du vinaigre au lieu du vin que tu avais bu jusqu’à en être ivre. » Puis le roi Alexandre dit : « Amenez-moi les ilarques »[892], et on les lui amena…

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Selpharios est le héros du fragment suivant, mais je ne vois rien chez le Pseudo-Callisthènes qui ressemble à ce qu’on lit dans le texte copte. Vaincu dans une première expédition contre les Perses et sur le point de repartir en guerre, il dicte son testament :

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« Ils s’en iront… ils entendront le nom de… Jérémie… ta santé… le roi, voici ce que tu feras : Celui qui t’apportera ma lettre, fais-lui grâce et délivre-le, si bien qu’il s’en aille avec tout ce qui est sien. Je salue…, le général ; je salue Jérémie et Dracontios, je salue Sergios et Philéa. Mon fils, qui posera ta bouche sur ma bouche, tes yeux sur mes yeux, mes mains sur ta chevelure ? Les oiseaux du ciel qui volent, ils emplissent leur bec des fruits des champs et ils les apportent au bec de leurs petits ; et ceux-ci, les oiselets, ils se réjouissent de la présence de leurs parents à cause de la récolte que ceux-ci ont faite pour eux, et ils battent leurs petites ailes, et c’est ainsi que les petits oiseaux manifestent leur apprivoisement. Toi même, Philéa, mon fils à moi, rappelle-toi l’heure où je sortis de… En un rêve, il a vu la ruine de notre Seigneur Alexandre… que se repose un instant Alexandre, notre roi ; songe… mon pouvoir pour toi. J’ai combattu… Okianos, et je l’ai renversé, mais je n’ai pu triompher de la vaillance des Perses, ils ont été les plus puissants et ils m’ont vaincu. Moi, Selpharios, j’ai écrit ceci de ma propre main ; quand tu seras grand, regarde-le et prends-en connaissance, et lis-le et récite-le avec des pleurs et des gémissements. J’ai écrit les lignes de mon testament avec les pleurs de mes yeux pour encre, car les endroits où je buvais sont devenus des solitudes et les endroits où je me rafraîchissais sont devenus des déserts ! Je vous salue tous un à un, mes frères ; portez-vous bien, mes aimés, et vous souvenez de moi ! »

Lorsqu’il eut écrit cela, il donna le papier à Alexandre, et Alexandre pleura et il détourna les yeux pour que Selpharios ne le vît point. Alexandre dit…

L’épisode suivant rappelle un des passages les plus curieux du Pseudo-Callisthènes, celui où Alexandre, arrivé aux confins de la Terre des Morts, y veut pénétrer et s’enfonce dans les ténèbres qui le séparent de la terre des vivants.

Il s’émerveilla de la beauté du jardin, duquel quatre fleuves s’échappaient, qui sont le Pisôn, le Gihon, le Tigre et l’Euphrate ; ils y burent de l’eau et ils se réjouirent car elle était douce. Ensuite ils aperçurent des ténèbres profondes et ils dirent : « Nous ne pouvons y pénétrer ». Ménandre dit : « Prenons des juments poulinières, montons-les et qu’on retienne leurs poulains, tandis que nous nous enfoncerons dans les ténèbres ! » Ils s’émerveillèrent, car il faisait très sombre, si bien que les gens n’apercevaient pas le visage de leurs camarades. Alexandre dit : « Venez avec moi, toi Ménandre ainsi que Selpharios et Diatrophê ! » Ils enfourchèrent quatre juments poulinières, dont les poulains demeurèrent à la lumière de telle sorte que les unes entendissent la voix des autres, et ils s’enfoncèrent dans les ténèbres. Mais ils entendirent une voix qui disait : « Alexandre et Ménandre ainsi que Selpharios et Diatrophê, tenez-vous heureux d’avoir pénétré jusqu’ici ! » Alexandre dit : « Je ne me tiendrai pas heureux, jusqu’à ce que je trouve ce que je cherche ». Il poussa en avant un petit et il s’arrêta avec les juments. La voix lui dit une seconde fois : « Tiens-toi pour heureux, ô Alexandre ! » Mais Alexandre ne voulut pas s’arrêter. Il regarda sous les pieds des chevaux et il aperçut des lumières. Alexandre dit : « Prenons ces lumières, car ce sont des pierres précieuses ». Selpharios allongea sa main et il en prit quatre, Ménandre trois, Selpharios deux ; quant à Alexandre il allongea sa main gauche et il la remplit, et il prit trois pierres de la main droite, et sur l’heure sa main gauche devint telle que sa main droite, et lorsqu’il alla à la guerre, depuis cette heure il combattit avec ses deux mains. Alexandre sentit un parfum violent, mais la voix frappa les oreilles d’Alexandre pour la troisième fois : « Tiens-toi pour content, ô Alexandre ! Lorsqu’un cheval se presse trop pour courir, il bute et tombe ! » Et la voix parla de nouveau : « Je te le demande, que veux-tu ? » Alexandre dit « Donne-moi la puissance sur la terre entière et que mes ennemis se soumettent à moi ! » La voix lui dit « Parce que tu n’as pas demandé une vie longue, mais seulement la puissance sur la terre entière, voici, la terre entière tu la verras de tes yeux et tu seras son maître ; mais quand le matin répandra sa lumière, alors…

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La voix annonçait probablement une mort immédiate, mais Alexandre réussissait par ruse ou par prière à obtenir une prolongation de vie, de laquelle il profitait pour aller visiter les Brachmanes dans leur pays. Un feuillet nous avait conservé la description de leur costume et de leurs mœurs, mais toutes les lignes en sont mutilées à tel point qu’on ne peut plus en tirer un texte suivi. On voit seulement qu’il y était question du pays des Homérites, de Kalanos dont le nom est déformé en Kalynas, de l’Inde, des lits de feuilles sur lesquels les Gymnosophistes se couchaient, de leur nudité, sans que le lien soit évident entre toutes ces notions éparses.

Le dernier des fragments que nous possédons appartenait à la fin de l’ouvrage. Il racontait, dans des termes qui rappellent beaucoup ceux que le Pseudo-Callisthènes emploie, les intrigues qui précédèrent la mort d’Alexandre, et la manière dont Antipater aurait procédé pour préparer et pour faire verser le poison dont le héros serait mort.

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Il calma la rage d’Olympias et sa rancune contre Antipater, en envoyant Kratéros en Macédoine et en Thessalie. Lorsqu’Antipater sut la colère d’Alexandre, – car il l’apprit par des hommes qui avaient été licenciés du service militaire, – Antipater complota de tuer Alexandre, afin de ne pas être soumis à de grandes tortures ; car il avait appris et il savait ce qu’Alexandre méditait contre lui, à cause de sa superbe et de ses intrigues. Or, Alexandra fit venir la troupe des archers, qui était très considérable, à Babylone. Il y avait parmi eux un fils d’Antipater, nommé Joulios, qui servait Alexandre. Antipater prépara une potion mortelle dont aucun vase ni de bronze, ni de terre, ne peut supporter la force, mais tous se brisaient dès qu’elle les touchait. Lors donc qu’il l’eut préparée, il la mit dans un récipient de fer et il la donna à Casandre, son fils, qu’il envoya comme page à Alexandre ; celui-ci devait s’entretenir avec son frère Joulios d’un entretien secret sur la façon de servir le poison à Alexandre. Quand Casandre vint à Babylone, il trouva Alexandre occupé à faire un sacrifice et à recevoir ceux qui venaient à lui. Il parla à Joulios, son frère, car celui-ci était le premier échanson d’Alexandre. Or, il était arrivé, peu de jours auparavant, qu’Alexandre avait frappé le serviteur Joulios d’un bâton sur la tête, tandis qu’il était assis, pour un motif qui provenait d’un manque de soin : c’est pourquoi le jeune homme était furieux et se déclara volontiers prêt à commettre le crime. Il prit avec lui Mésios le Thessalien, l’ami d’Alexandre, et un de ses juges qu’il avait puni pour prévarication, et ils convinrent entre eux de faire boire le poison à Alexandre.

CHAPITRE XXXIII

SUR CEUX QUI FIRENT BOIRE LA POTION DE MORT À ALEXANDRE


Qui regarde une table qui ne lui appartient pas, son existence n’est pas une vie.

*

* *

Le début de ce chapitre n’appartient pas au roman ; c’est, comme Lemm[893] l’a reconnu, une simple épigraphe empruntée à l’un des livres de l’Ancien Testament, celui de Jésus, fils de Sirach[894]. Il ne reste rien du récit même. Ici s’arrête ce que j’avais à dire sur la version thébaine du roman d’Alexandre : on peut espérer encore que des fragments nouveaux viendront enrichir notre collection et qu’ils nous permettront un jour de reconnaître plus exactement quels liens la rattachent aux versions connues jusqu’à présent. Ce qui, pour le moment, lui prête une valeur particulière, c’est qu’elle est, avec les débris du Roman de Cambyse que M. Schäfer a découverts récemment, le seul témoignage qui nous reste de l’existence réelle de ces manuscrits coptes dont les écrivains arabes nous parlent si souvent, et auxquels ils disent avoir emprunté leur histoire fabuleuse de l’Égypte antique.

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[1] Dans la Revue archéologique, 1852, t. VIII, p. 30., et dans l'Athénæum Français, t. I, 1852, p. 280-284 ; cf. Œuvres diverses, t. II, p. 303-319.

[2] Satou au lieu de Baîti. Ce fut du reste M. de Rougé lui-même qui corrigea par la suite cette erreur de lecture.

[3] C’est le premier des contes imprimés dans ce volume.

[4] Analysées par Maspero dans The Academy (août 1871), et par Brugsch, Altægyptische Lebensregeln in einem hieratischen Papyrus des vice-königlichen Museums zu Bulaq, dans la Zeitschrift, 1872, p. 49-51, traduit entièrement par E. de Rougé, Étude sur le Papyrus du Musée de Boulaq, lue à la séance du 25 août 1872, in-8°, 12 p. (Extrait des Comptes rendus de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 2e série, t. VII, p. 340-351) par Chabas, L’Égyptologie, t. I-II, Les Maximes du scribe Ani, in-4°, 1876-1877, et par Amélineau, La Morale Égyptienne, in-8°, 1890.

[5] On nomme démotique l’écriture employée aux usages de la vie civile et religieuse à partir de la XXVIe dynastie. Elle dérive de l’ancienne écriture cursive connue sous le nom de hiératique.

[6] C’est l’Aventure de Satni-Khâmoîs avec les momies, de ce volume.

[7] Transactions of the Society of Biblical Archæology, t. III, p. 349-356, annoncé par M. Chabas à l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres dans la séance du 17 avril 1874 ; cf. Comptes rendus, 1874, p. 92, 117-120, et Le prince prédestiné de ce volume.

[8] Transactions of the Society of Biblical Archæology, t. III, p. 340-348. Il est publié dans ce volume sous le titre de : Comment Thoutîyi prit la ville de Joppé.

[9] Annoncé par M. Chabas à l’Académie des Inscriptions et Belles Lettres, dans la séance du 17 avril 1875, et publié sous le titre : L’Épisode du Jardin des Fleurs, dans les Comptes rendus, 1874, p. 92, 120-124. L’examen attentif que j’ai fait de l’original m’a montré que les fragments en avaient été mal assemblés et qu’ils doivent être disposés d’une manière fort différente de celle que M. Chabas avait connue. Ils renferment, non pas un conte licencieux, mais des chants d’amour analogues à ceux du Papyrus Harris n° 500 (Maspero, Études égyptiennes, t. I, p. 219-220).

[10] Comptes rendus de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres 1874, p. 124. Ces fragments n’ont été encore ni traduits ni même étudiés.

[11] Zeitschrift für Ægyptische Sprache und Alterthumskunde, 1876, p. 107-111, sous le titre : Le Papyrus n° 1 de Saint-Pétersbourg, et Sur un ancien conte égyptien. Notice lue au Congrès des Orientalistes à Berlin, 1881, in-8°, 21 p. ; voir Le naufragé du présent volume.

[12] Voir, pour la bibliographie et pour le conte lui-même, Le roi Khoufoui et les magiciens du présent volume.

[13] La découverte fut annoncée au Congrès des Orientalistes de Genève en 1894 ; pour la bibliographie L’emprise de la cuirasse de ce volume.

[14] C'est le conte L’histoire véridique de Satni Khâmoîs et de son fils Sénosiris du présent volume.

[15] Voir le conte L’emprise du trône du présent volume.

[16] Lepsius, Denkmæler, Abth. VI, pl. 112, et Fragment d’un conte fantastique antérieur à la XVIIIe dynastie de ce volume.

[17] Deux au musée de Florence (Golénicheff, Notice sur un Ostracon hiératique, dans le Recueil, t. III, p. 3-7), un au musée du Louvre (Recueil, t. III, p. 7), un au musée de Vienne (Bergmann, Hieratische und Hieratisch-demotische Texte der Sammlung Ægyptischer Alterthümer des Alterhöchsten Kaiserhauses, pl. IV, p. VI) ; Fragments d’une histoire de revenant du présent volume.

[18] Lepsius, Denkmæler, Abth. VI, pl. 104-106 et Les mémoires de Sinouhît de ce volume.

[19] Lepsius, Denkmæler, Abth. VI, pl. 108-110, 113-114 ; pour la bibliographie, voir Les plaintes du fellah de ce volume.

[20] Papyrus Sallier I, pl. 1-3 ; pl. 2 verso ; voir La querelle d’Apopi et de Saqnounrîya de ce volume.

[21] Voir La fille du prince de Bakhtan et l’esprit possesseur du présent volume.

[22] Il est publié dans le présent volume.

[23] Voir Le roi Khoufoui et les magiciens du présent volume.

[24] Évangile selon saint Luc, XVI, 19.

[25] Maspero, Contes relatifs aux grands prêtres de Memphis, dans le Journal des Savants, 1901, p. 496.

[26] Voir L’histoire véridique de Satni Khâmoîs et de son fils Sénosiris du présent volume.

[27] Voir la première partie de Le conte des deux frères du présent volume.

[28] Voir la seconde partie de Le conte des deux frères du présent volume.

[29] C’est la donnée du Corps sans âme, qui est fréquente dans les littératures populaires. Lepage-Renouf a réuni des exemples assez nombreux de fictions analogues dans deux articles de la Zeitschrift (1871, p. 136.) et des Proceedings of the Society of Biblical Archæology (t. XI, p. 117.), reproduits dans Lepage-Renouf’s Lifework (t. I ; p. 442., et t. II, p. 311.).

[30] Hyacinthe Husson, qui a étudié d’assez près Le Conte des deux Frères (La Chaîne traditionnelle, Contes et Légendes au point de vue mythique, Paris 1874, p. 91), a rapproché avec raison la création de cette femme par Khnoumou et la création de Pandore, fabriquée Par Hephæstos sur l’ordre de Zeus. « Ces deux femmes sont gratifiées de tous les dons de la beauté ; toutes deux sont pourtant funestes, l’une à son époux, l’autre à la race humaine tout entière ».

[31] Iliade, Z, 155-210. Hyacinthe Husson avait déjà fait ce rapprochement (La Chaise traditionnelle, p. 87).

[32] Genèse, XXXIX, 6-20 (trad. Reuss).

[33] Notice sur un manuscrit égyptien, p. 7, note 5. (cf. Œuvres diverses, t. II, p. 308, note 2), mais sans insister sur les ressemblances.

[34] Ebers, Ægypten and die Bücher Moses, 1868, t. I, p. 316.

[35] Nuits 221-249, éd. de Breslau.

[36] Une version pehlévie de ce premier des deux contes mis en œuvre dans le roman conservé au Papyrus d’Orbiney a été signalée par Nöldeke, Geschichte des Artachshir i Papakân, dans les Beiträge zur Kunde der indogermanischen Sprachen, t. IV, 1879.

[37] Elles ont été recueillies et discutées par M. Emmanuel Cosquin, dans son article : Un problème historique à propos du conte égyptien des deux Frères (Extrait de la Revue des Questions historiques, octobre 1877, Tirage à part, in-8°, 15 p.). Je me suis fait un devoir scrupuleux d’indiquer à chaque fois les références que j’ai empruntées à ce beau mémoire. Lepage-Renouf a repris la plupart de ces récits dans l'article des Proceeding.

[38] Cabinet des Fées, t. XXXI, p. 233., d’après E. Cosquin.

[39] Giambattista Basile, II Pentamerone, n° 49, d’après E. Cosquin.

[40] En Hesse, J. W. Wolff, Deutsche Hausmærchen, Gottingen, 1851, p. 494.

[41] En Transylvanie, J. Haltdrich, Deutsche Volksmærchen aus dem Sachsenlande in Siebenbürgen, Berlin, 1856, n° 1, d’après E. Cosquin ; Lepage-Renouf, Life-Work, t. III, p. 319-321.

[42] O. L. B. Wolff, Die schönsten Mærchen und Sagen aller Zeiten und Völker, Leipzig, 1850, t. I, p. 229. ; Gaal et Stier, Ungarische Volksmaerchen, Pest, 1857, n° 7, d’après E. Cosquin ; Majlath, Magyarische Sagen, t. II, p. 195 ; cf. Lepage-Renouf, Life-Work, t. III, p. 321.

[43] En Lithuanie, Alex. Chodzko, Paris, 1864, p. 368, d’après E. Cosquin ; en Russie, l’ouvrage d’Alfred Rambaud, La Russie épique, Paris, 1876, p. 377-380.

[44] Franz Obert, Romænische Mærchen und Sagen aus Siebenbürgen, dans l’Ausland, 1858, p. 118 ; Arthur und Albert Schott, Walachische Mærchen, Stuttgart, 1845, n° 8, p. 322, d’après E. Cosquin ; cf. Lepage-Renouf, Life-Work, t. III, p. 319.

[45] P. d’Estournelles de Constant, La Vie de province en Grèce, Paris, 1878, p. 260-292, et le Bulletin de l’Association pour l’encouragement des études grecques en France, 1818, p. 118-123.

[46] J. G. von Hahn, Griechische und Albanesische Mærchen, Leipzig, 1864, n° 49, d’après E. Cosquin.

[47] Leo Reinisch, Das Volk der Saho, dans l’Oesterreichische Monatschrift für den Orient, 1877, n° 5.

[48] M. Frere, Old Deccan Days or Hindoo Fairy Legends, London, 1868, n° 6, d’après E. Cosquin.

[49] J. W. Wolff, Deutsche Hausmærchen, Göttingen, 1854, p. 394, d’après E. Cosquin.

[50] Rambaud, La Russie épique, p. 377-380. Une légende hongroise, citée par Cosquin (p. 5), ne présente que des différences fort légères avec le récit allemand et le récit russe.

[51] F. M. Luzel, Troisième rapport sur une mission en Bretagne, dans les Archives des missions scientifiques, IIe série, t. VII, p. 192.

[52] Benfey, Pantschatantra, I, p. 426 ; Hyacinthe Husson, La Chaîne traditionnelle, p. 88-90.

[53] Voir les exemples d’intersignes identiques ou analogues qui ont été réunis par Cosquin, aux pp. 10-12 de son mémoire, et par Lepage-Renouf, Life-Work, t. III, p. 321-323.

[54] Cf. dans le De Deâ Syriâ, 19-27, l’histoire de Combabos, où le thème de la mutilation est plus intelligemment développé que dans le Conte des Deux Frères. Baîti se mutile après l’accusation, ce qui ne prouve rien ; Combabos se mutile avant, ce qui lui permet de se disculper.

[55] Le côté mythologique de la question a été mis en lumière, avec quelque exagération, par Fr. Lenormant, dans Les Premières civilisations, t. I (édition in-8°), p. 315-401 ; H. de Charencey, Les Traditions relatives au fils de la Vierge (extrait des Annales de philosophie chrétienne), in-8°. Paris, 1881, p. 12.

[56] Ce Baîti a été signalé pour la première fois par Naville, qui rapprocha les mentions de son nom qu’il y a dans les textes des Pyramides (Pepi II, l. 1246, Mirniri l. 480 = Pepi Ier l. 267, Ounas, l. 538 = Pepi Ier, l. 229) et les représentations du dieu à double tête de taureau qu’on rencontre sur les monuments thinites (Petrie, Royal Tombs, t. I, pl. XI, l. 13 et t. II, pl. X).

[57] Le rapprochement a été fait par Alan H. Gardiner (the Hero of the Papyrus d’Orbiney, dans les Proceedings de la Société d’Archéologie biblique, 1905, t. xxvii, p. 185-186) d’après un Ostracon d’Édimbourg.

[58] Dümichen, Recueil de Monuments, t. III, pl. II, l. 57 ; cf. Brugsch. Dictionnaire géographique, p. 863. Spiegelberg en a conclu que les deux frères Anoupou et Baîti sont les deux dieux de Cynopolis, et par conséquent, que leur Conte appartiendrait à un cycle de légendes cynopolites (der Gott Bata dans la Zeitschrift, t. XLIV, 1907, p. 98-99 ; cf. Reitzenstein, Hellenistische Wundererzählungen, p. 13.)

[59] C’est Lauth qui, le premier, a reconnu l’identité du nom de Baîti avec celui de Boutés ou Bytis (Ægyptische Chronologie, 1877, p. 30-31).

[60] Virey, dans un article de la Revue des Questions historiques, 1893, pp. 337-343 et dans la Religion de l’Ancienne Égypte, 1910, p. 193., a interprété le Conte des deux Frères par le mythe Osirien.

[61] J’ai quelques raisons de croire que le nom de personne lu Anoupou d’ordinaire doit se dire Anoupouî, celui qui appartient à Anubis ; toutefois, comme je ne les ai données encore nulle part je conserverai la vieille lecture jusqu’à nouvel ordre.

[62] C’est peut-être une faute de copiste, comme le veut Borchardt (dans la Zeitschrift, 1890, t. XXVIII, p. 102), peut-être aussi une combinaison suggérée à l’auteur par le souvenir du règne commun de Sanouosrit Ier et d’Amenemhaît II. Cf. dans la suite de ce volume les Aventures de Sinouhît.

[63] W. Golénicheff, dans la Zeitschrift für Ægyptische Sprache und Alterthumskunde, 1876, p. 109-111.

[64] Le roi Khoufoui et les magiciens du présent volume.

[65] Il est le roi à qui le fellah se plaint du vol commis à son préjudice par Thotnàkhouîti ; dans Les plaintes du fellah du présent volume.

[66] Voir dans Le cycle de Satni-Khâmoîs du présent volume.

[67] Voir dans L’histoire véridique de Satni Khâmoîs et de son fils Sénosiris du présent volume. M. Legrain a en effet recueilli à Karnak, pendant notre campagne de 1904-1905, un monument d’un Thoutmôsis Manakhphré, qui me paraît être Thoutmôsis III ; le monument est de basse époque saïte ou du début de l’époque ptolémaïque.

[68] Cf. Le cycle de Pétoubastis du présent volume, les récits intitulés l’Emprise de la cuirasse et l’Emprise du Trône.

[69] La querelle d’Apopi et de Saqnounrîya du présent volume.

[70] Voir dans Hérodote, II, cxlvii-clii, xxx, une partie du roman de Psammétique, la Dodécarchie, l’arrivée des hommes de fer, la fuite des soldats. Hérodote s’inspirait d’un guide qui avait le plus grand respect pour l’oracle de Boutô et qui répétait les récits ou les interprétations des événements fournis par cet oracle. D’autres contemporains tenaient pour l’oracle de Jupiter Ammon et ils défendaient la version des mêmes événements que celui-ci avait lancés dans la circulation : nous possédons dans l’histoire de Témenthès et des coqs cariens une des traditions ammoniennes de la Dodécarchie.

[71] Voir, dans le présent volume, l’Emprise de la cuirasse, et l’Emprise du Trône, et le rôle prépondérant que Pakrour y joue à côté et presque au-dessus du Pharaon.

[72] Voir Le roi Khoufoui et les magiciens de ce volume.

[73] Voir Le cycle de Ramsès II de ce volume.

[74] Le voyage d’Ounamounou nous fournit un second exemple d’une forme secondaire de la divinité, déléguée par la divinité elle-même à la suppléer en pays étranger : l’Amon du Chemin y est l’ambassadeur divin d’Amon, comme Ounamounou est l’ambassadeur humain (Voir la note sur « le dieu du Chemin » dans Le voyage d’Ounamounou aux côtes de Syrie du présent volume).

[75] Erman, Die Bentreschstele, dans la Zeitschrift, 1884, p. 59-60. Une série de documents analogues devait exister pour un ministre divinisé d’Aménôthès III, Aménôthès fils d’Hapouî, dont nous connaissons à Thèbes un oracle et un temple funéraire. Un seul nous en est demeuré sous sa forme originale, la prétendue stèle de fondation du temple funéraire à Deîr el Médinéh que Birch a traduite le premier (Chabas, Mélanges égyptologiques, IIe série, p. 324-343) ; d’autres nous sont arrivés sous un vêtement grec.

[76] Maspero, Études Égyptiennes. t. I, p. 195-216 : la traduction complète des débris du roman : La querelle d’Apopi et de Saqnounrîya de ce volume.

[77] Ælius Dius, fragm. 2, dans Müller-Didot, Fragmenta Historicorum Græcorum, t. IV, p. 398 ; Ménandre d’Éphèse, fragm. 1, dans Müller-Didot, Fragmenta Historicorum Græcorum, t. IV, p. 446.

[78] La vie d’Ésope le Phrygien, traduite par La Fontaine (Fables de La Fontaine, édit. Lemerre, t. I, pp. 41-42, 45).

[79] Voir dans L’histoire véridique de Satni Khâmoîs et de son fils Sénosiris du présent volume.

[80] Voir dans La querelle d’Apopi et de Saqnounrîya du présent volume.

[81] Birch, Mémoire sur une patère égyptienne, dans Chabas, Œuvres diverses, t. I, p. 225-274, et le complément du mémoire de Birch dans Th. Devéria, Mémoires et fragments, t. I, p. 35-53.

[82] Polyen, Sirat., V, XI. des faits analogues qui se seraient passés en 1037 à Édesse, d’après G. Schlumberger, l’Épopée Byzantine, t. III, p. 198-199, et chez les Turcs d’Asie-Mineure, d’après Casanova, Numismatique des Danichmendites, p. 25.

[83] Les variantes ont été recueillies par M. Schiefner, dans le Bulletin de d’Académie de Saint-Pétersbourg, t. XIV, col. 299-316.

[84] Hérodote, liv. II, chap. cxi.

[85] Id., ibid., chap. cxvi.

[86] Le même phénomène de transcription d’un r-l égyptien par la combinaison nd, se rencontre dans la forme grecque Mandoulis du nom du dieu Nubien Marouli, Marouli, Malouli.

[87] Voir Fragments de la version copte-thébaine du roman d’Alexandre de ce volume. Les fragments du roman de Cambyse ont été découverts et publiés par H. Schæfer, dans les Sitzungsberichte de l’Académie des Sciences de Berlin.

[88] Voir Maspero, le Livre des Merveilles, dans le Journal des Savants, 1899, pp. 69-86, 154-172

[89] Voir L’aventure de Satni-Khâmoîs avec les momies de ce volume.

[90] Sur l’identité du nom égyptien Éiernharérôou et de la forme grecque Inanos, cf. Spiegelberg, Demotische Miscellen, dans le Recueil de Travaux, 1906, t. XXVIII, p. 19, 599.

[91] D’après Hérodote, II, cxli ; Comment Satni-Khâmoîs triompha des Assyriens de ce volume.

[92] L’Histoire véridique de Satni-Khâmoîs.

[93] Asoukhis Asychis est la forme grécisée d’un nom Ashoukhîtou, qui signifie le riche, et qui ne s’est pas rencontré encore avant les époques saïte et grecque.

[94] Ainsi le Phérôn d’Hérodote, II, cxi.

[95] le Conte de Rhampsinite, du présent volume.

[96] Manakhphrê Siamonou dans l’Histoire véridique de Satni, du présent volume.

[97] Voir Les mémoires de Sinouhît de ce volume.

[98] Dieu Bon, le Dieu bon, est une des formules par lesquelles le protocole des pharaons débute et un des titres qu’on leur donnait le plus souvent dans les textes.

[99] Voir dans Les mémoires de Sinouhît de ce volume.

[100] Voir l’Histoire d’un Matelot, de ce volume.

[101] Le roi Khoufoui et les Magiciens du présent volume.

[102] Voir Le Roi Khoufouî et les Magiciens.

[103] Cf. Diodore de Sicile (I, lxx-lxxii), qui avait emprunté le tableau de la vie des rois à l’ouvrage d’Hécatée d’Abdère sur l’Égypte.

[104] Voir les recommandations réitérées de Pétoubastis et les efforts des différents seigneurs engagés, pour que la lutte ne dégénère pas en guerre sérieuse.

[105] Voir l’épisode de Montoubaal.

[106] E. de Rougé avait démontré que Sésostris n’était autre que Ramsès II (le Véritable Sésostris, dans les Œuvres Diverses, t. III, p. 11-14) : Sethe a voulu prouver que c’était Sanouosrit III (Sésostris, 1900, 24 p.). J’ai essayé de faire voir que Rougé avait raison, et que Manéthon, en identifiant le Sésostris d’Hérodote avec un Pharaon de la XIIe dynastie, avait commis une erreur (la Geste de Sésostris au Journal des Savants, 1901, p. 593-609, 665-683).

[107] Cf. sur ce point, Daressy, dans les Annales du Service des Antiquités, t. IX, pp. 64-69.

[108] Voir L’emprise du trône.

[109] Le récit sommaire nous en a été conservé par Dion Cassius, lxxi, 4.

[110] Héliodore. Éthiopiques, I.

[111] Wilkinson, Manners and Customs of the Ancient Egyptians, First Series, vol. III, p. 320.

[112] C’est le nom de l’Oasis qui entoure les Lacs de Natron, la Scythiaca regio des géographies classiques (Dümichen, Die Oasen der Libyschen Wüste, p. 29,. ; Brugsch, Reise nach der Grossen Oase, p. 74,.).

[113] Les plaintes du fellah, du présent volume. Une stèle d’Harmhabi, malheureusement mutilée, nous enseigne à quelles mésaventures les paysans étaient exposés lorsqu’ils se déplaçaient, ceux-là même qui n’entreprenaient le voyage que pour payer l’impôt au Pharaon.

[114] Maspero, Notes sur quelques points de Grammaire et d’Histoire, dans la Zeitschrift, 1819, p. 58-63 (Cf. Mélanges de Mythologie, t. IV, p. 66-73).

[115] Gayet, le temple de Louxor, Pl. lxiii-lxvii.

[116] E. Naville, Deir el Dahari, t. II. Pl. xlii-li.

[117] Les scènes du temple d’Erment, aujourd’hui détruit, nous ont été conservées par Champollion, Monuments de l’Égypte, pl. cxlv 6e-7 e, cxlviii ter par Rosellini, Monumenti del Culto, Pl. lii-liii et par Lepsius, Denkm., IV, pl. 59c, 60a.

[118] Voir le récit de l’accouchement, dans Le roi Khoufoui et les magiciens du présent volume.

[119] Hérodote, II, cxxi et dans Le conte de Rhampsinite du présent volume. Nouveau Fragment d’un commentaire sur le second livre d’Hérodote, dans Maspero, Mélanges de Mythologie et d’Archéologie, t. III, p. 415-416.

[120] Strabon, XVII, p. 508 ; L. Borchardt, Der λίθος έξαιρέσιμος dans la Zeitschrift, t. XXXV, p. 87-89. Flinders Petrie a montré de même que la grande pyramide de Dahchour se fermait au moyen d’une pierre à pivot (the Pyramids and Temples of Gizeh, p. 145-145, 167-169, et pl. XI)

[121] Mariette, Dendérah, texte, p. 227-228. Jomard avait déjà signalé une pierre mobile de ce genre dans le temple de Déîr el Médinéh (Description spéciale de Memphis et des Pyramides dans la Description de l’Égypte, 2e éd., t. V, p. 444)

[122] Voir le conte intitulé Le Roi Khoufouî et les Magiciens, dans le présent volume.

[123] Mariette, Dendérah, planches, t. III, pl. 30, c.

[124] Voir dans Mariette, Dendérah, t. V, Supplément, la planche où sont dessinés la coupe et le mode de fermeture des cryptes.

[125] Hérodote, II, cxxi ; Le conte de Rhampsinite du présent volume.

[126] Cf. l’Herodotus de George Rawlinson, t. 11, p. 165, note 4.

[127] Une stèle de la XVIIIe dynastie nous a conservé le portrait d’un mercenaire asiatique, mort en Égypte, et qui portait toute sa barbe (Spiegelberg, dans la Zeitschrift, t. XXXVI, p. 126.127).

[128] Hérodote, II, cxxi ; Le conte de Rhampsinite du présent volume.

[129] Voir l’épisode entier dans L’aventure de Satni-Khâmoîs avec les momies du présent volume.

[130] Voir Le conte des deux frères du présent volume.

[131] Voir Le roi Khoufoui et les magiciens du présent volume.

[132] Voir Le naufragé du présent volume.

[133] Dans l’Aventure de Satni-Khâmoîs du présent volume.

[134] Dans l’histoire véridique de Satni-Khâmoîs, du présent volume.

[135] Dans le Conte du Prince Prédestiné, du présent volume.

[136] Dans le traité de morale du Papyrus Prisse, pl. X, l. 1-4. Cf. Virey, Études sur le Papyrus Prisse, p. 64-65.

[137] Dans le dialogue philosophique entre Ani et son fils Khonshotpou (Mariette, Papyrus de Boulaq, t. I, pl. XVI, l. 13-17 Chabas, L’Égyptologie, t. I, p. 65).

[138] Hérodote, II, cxi.

[139] Voir L’aventure de Satni-Khâmoîs avec les momies de ce volume.

[140] l’incubation de Mahîtouaskhît et d’Horus, le fils de Panishi, dans l’Histoire véridique de Satni, du présent volume.

[141] C’est ce qui arrive au frère de Baîti dans le Conte des deux Frères, du présent volume ; des intersignes analogues dans l’Histoire véridique de Satni-Khâmoîs, et dans le Prince Prédestiné.

[142] Voir le conte intitulé Khoufouî et les Magiciens, La tradition juive et arabe avait gardé le souvenir de ces magiciens puissants, comme le prouvent et l’histoire de Moïse, et la description que Makrizi, par exemple (Malan, A Short Story of the Copts and of their Church, p. 13-15), fait d’une réunion de sages égyptiens.

[143] Voir les trois contes ou sommaires des contes relatifs à Satni dans le présent volume (Le cycle de Satni-Khâmoîs).

[144] Même encore au temps de la Renaissance, un prince sorcier n’en était que plus estimé. On peut voir, par exemple, au Weisskunig, le jeune Maximilien d’Autriche instruit par ses précepteurs ecclésiastiques aux secrets non seulement de la Magie Blanche, mais de la Noire.

[145] L’héroïne de la seconde partie de l’Aventure de Satni-Khâmoîs.

[146] Voir dans L’aventure de Satni-Khâmoîs du présent volume, ce que l’auteur de l’Aventure dit des études magiques de ce personnage.

[147] Leurs exploits sont racontés tout au long au début de la partie conservée du Conte de Khoufouî (Le roi Khoufoui et les magiciens).

[148] Voir dans Le roi Khoufoui et les magiciens, la description de ce personnage et des prodiges qu’il exécute.

[149] Il est le héros de L’histoire véridique de Satni Khâmoîs et de son fils Sénosiris du présent volume.

[150] Celui-ci est un Éthiopien élevé aux sciences de l’Égypte par Horus, le fils de Panishi, et à celles du Soudan par sa mère Tnahsît, la Négresse ; L’histoire véridique de Satni Khâmoîs du présent volume.

[151] Le conte des deux frères.

[152] L’aventure de Satni-Khâmoîs avec les momies.

[153] Ainsi Satni-Khâmoîs ; dans L’aventure de Satni-Khâmoîs avec les momies du présent volume.

[154] Voir dans L’aventure de Satni-Khâmoîs, la lutte de Nénoferképhtah et de Satni, et la victoire que Nénoferképhtah remporte par l’entremise de Thoubouî.

[155] Le livre des Lamentations d’Isis et de Nephthys a été publié par M. de Horrack, Œuvres diverses, p. 33-53.

[156] E. Lefébure, Un Chapitre de la Chronique solaire, dans la Zeitschrift, 1883, p. 27-33 ; cf. Œuvres diverses, t. I, p. 203-213.

[157] E. Naville, La Destruction des hommes par les dieux, dans les Transactions of the Society of Biblical Archæology, t. IV, p. 1-19, t. VIII, p. 412-420.

[158] E. Naville, Le Mythe d’Horus, in-folio, Genève, 1870 ; Brugsch, Die Sage der Geflügelten Sonne, in-4°, 1871, Göttingen.

[159] De Iside et Osiride, c. 13 (édit. Parthey, p. 21-23). La confirmation du texte de Plutarque se trouve dans plusieurs passages des textes magiques ou religieux (Papyrus magique Harris, édition Chabas, pl. IX, l. 2. etc.).

[160] Papyrus Sallier IV, Pl. x, l. 8-10.

[161] Les Égyptiens divisaient les douze heures du jour, depuis le lever du soleil jusqu’à son coucher, en trois sections, ou, comme ils disaient, en trois saisons (tori) de quatre heures chacune. Les trois épithètes qu’on trouve après chaque date au Calendrier Sallier s’appliquent chacune à une des sections. Le plus souvent, le présage valait pour le jour entier : alors on trouve la note, bon, bon, bon ; hostile, hostile, hostile. Mais il pouvait arriver que, l’une des sections étant funeste, les deux autres fussent favorables. On rencontre alors la notation bon, bon, hostile, ou une notation analogue répondant à la qualité des présages observés. On remarquera qu’il n’est pas question dans ce curieux ouvrage de pronostics relatifs aux heures de la nuit. Le fait s’explique de soi dès qu’on prend connaissance des superstitions analogues qui ont existé ou qui existent encore chez d’autres peuples anciens ou modernes. Chez tous, la nuit entière est mauvaise ; c’est le temps où les esprits, les morts, les démons de toute nature à formes humaines et animales, obtiennent la plénitude de leur pouvoir et, n’ayant pas à craindre la lumière, sortent de leurs retraites. Il n’y a donc pas lieu d’indiquer pour la nuit les mêmes divisions que pour le jour.

[162] Je ne saurais dire à quel épisode des guerres osiriennes ce passage fait allusion.

[163] Pap. Sallier IV, pl. xiii, l. 6-7.

[164] Ici le Soleil, ou peut-être le feu.

[165] Le dernier membre de phrase se rapporte à la reconstruction par Isis du corps mutilé d’Osiris. La légende voulait, en effet, qu’Osiris, mis en pièces par Sîtou, recueilli lambeau à lambeau puis placé sur un lit funéraire par Isis et Nephthys, se fût reconstitué un moment et eût engendré Horus.

[166] Je ne sais pas quel est le dieu Sop-ho, ni à quel propos il mit le Delta en feu.

[167] C’était en effet un jour heureux (Pap. Sallier IV, pl. xvi, l. 4).

[168] On trouve, en effet, pour le 12 Tybi, la note suivante (Pap. Sallier IV, pl. xiv, l. 3) : « Le 12 Tybi. - Mauvais, mauvais, mauvais. - Tâche de ne voir aucun rat ; ne t’en approche pas dans ta maison ».

[169] Il est dit d’un des princes de Khâti que « sa destinée », lui donna son frère pour successeur (Traité de Ramsès II avec le prince de Khâti, l. 10-11)

[170] Voir Le tableau du jugement de l’âme au chap. 125 du Livre des Morts.

[171] C’est le chiffre donné par le Conte des deux Frères (pl. ix, l. 8), et qui est confirmé par les représentations de Déîr el Médinéh. Dans d’autres documents, au Conte du Prince prédestiné par exemple, le nombre n’en est pas limité.

[172] Champollion, Monuments de l’Égypte et de la Nubie, pl. cccxl-cccxli. Le texte reproduit par Champollion n’indique aucun nom de déesse ; les Hâthors représentées avec la reine sur le lit d’accouchement sont au nombre de neuf.

[173] Champollion, Monuments de l’Égypte et de la Nubie, pl. cxlv, 12.

[174] Naville, Deîr el Baharî, t. II, pl. xlii-li.

[175] Papyrus d’Orbiney, pl. ix, l. 5 ; dans Le conte des deux frères du présent volume.

[176] Le prince prédestiné du présent volume.

[177] Montou, dieu de Thèbes et d’Hermonthis, est un des dieux belliqueux par excellence.

[178] Manque ici le nom d’une divinité.

[179] Peut-être : « Quiconque naîtra ce jour-là mourra sur la terre étrangère »

[180] Le 14, le 20, le 23. Quiconque naît le 14 mourra par l’atteinte d’une arme tranchante (Pap. Sallier IV. p. 8, l. 3). Quiconque naît le 20 mourra de la contagion annuelle (Id., p. 8, l. 9). Quiconque naît le 23 mourra sur le fleuve (Id., p. 9, l. 12).

[181] À la date du 22 Paophi, le Papyrus Sallier IV enregistre la mention suivante : « Ne te lave dans aucune eau ce jour-là ; quiconque navigue sur le fleuve, c’est le jour d’être mis en pièces par la langue de Sovkou (le crocodile) ».

[182] Voir plus bas, dans Fragment d’un conte fantastique antérieur à la XVIIIe dynastie, ce qui est dit des conjurations que les bergers employaient pour empêcher les crocodiles d’attaquer leurs troupeaux : ce qui servait aux bêtes ne servait pas moins aux hommes, et les charmes du Papyrus magique Harris étaient utiles aux uns comme aux autres.

[183] Horapollon, Hiéroglyphiques, II, lxxxi, édit. Leemans, p. 94-95. L’hiéroglyphe dont il est question dans le texte de l’auteur grec est fréquent aux basses époques.

[184] Pap. Sallier II, p. 12, l. 6-8, et Pap. Anastasi VII, p. 9, l. 13.

[185] Voir dans ce volume, l’Histoire véridique de Satni-Khâmoîs.

[186] Chabas, Papyrus magique Harris, p. 170-174 ; Devéria, Le Papyrus judiciaire de Turin p. 124-137.

[187] Papyrus magique Harris, pl. VI, l. 8-9.

[188] Le Papyrus I 348 de Leyde, publié par Pleyte (Études égyptologiques, t. I, Leyde, 1866), est un recueil de formules dirigées contre diverses maladies.

[189] Sur l’âge de cent dix ans, voir le curieux mémoire de Goodwin dans Chabas, Mélanges égyptologiques, 2e série, p. 231-237.

[190] Le Ro Pegaît, ou Ro Pegarït, était situé dans le Ouou Pegaît, ou Ouou Pegarït, situé lui-même à l’occident d’Abydos, par derrière la partie de la nécropole thinite que les Arabes d’aujourd’hui appellent Omm-el-Gaàb. Le nom signifie littéralement Bouche de la fente, et désigne la fente, la fissure, par laquelle le soleil pénétrait dans le monde de la nuit

[191] La description de la course du soleil nocturne se trouve dans le Livre de savoir ce qu’il y a dans l’hémisphère inférieur, dont le texte, conservé sur des papyrus, sur des sarcophages et sur les parois de quelques tombeaux, peut être rétabli presque en entier dès aujourd’hui. Il donne, heure par heure, avec figures explicatives, les épisodes de la marche du soleil, le nom des salles parcourues, des génies et des dieux rencontrés, la peinture du supplice des damnés et les discours des personnages mystiques qui accueillent le soleil. On en trouvera la traduction complète et l’interprétation dans, le mémoire de Maspero sur Les Hypogées royaux de Thèbes, qui est reproduit au tome II des Mélanges de Mythologie et d’Archéologie Égyptiennes, p. 1-181.

[192] Au pays de Boqait, « l’accouchement ».

[193] Hérodote, II, cxii ; dans Le conte de Rhampsinite de ce volume.

[194] Voir le second conte de Satni, L’histoire véridique de Satni Khâmoîs de ce volume. Jules Baillet, reprenant ces données, en a conclu qu’elles avaient exercé de l’influence sur les descentes aux Enfers qui sont décrites dans les œuvres des poètes grecs et romains (Descentes aux Enfers classiques et égyptiennes, dans la Revue Universitaire du 15 mars 1902, tirage à part in-8o de 7 pages).

[195] Ce que les textes appellent Klil (Kerirt), des fours, des salles à voûte arrondie.

[196] Ainsi le tombeau de Sétouî I, de Ménéphtah, de Ramsès IV et V.

[197] C’est l’expression consacrée dès le temps des premières dynasties.

[198] le Rituel de l’embaumement dans Maspero, Mémoire sur quelques papyrus du Louvre, p. 14.

[199] C’est ce qu’on nomme l’hypocéphale. Le Livre sacré des Mormons est l’hypocéphale d’une momie égyptienne, transporté en Amérique et acheté par le prophète Joseph Smith (Devéria, Mémoires et fragments, t. I, p. 195-201).

[200] Livre des Morts, chap. xxx, lxxii.

[201] Voir le second conte de Satni, L’histoire véridique de Satni Khâmoîs et de son fils Sénosiris du présent volume.

[202] Aujourd’hui encore, un moyen employé en Égypte, comme dans tout l’Orient musulman, pour se débarrasser d’une maladie consiste à écrire certains versets du Coran à l’intérieur d’un bol de terre cuite, ou sur des morceaux de papier, à verser de l’eau et à l’agiter jusqu’à ce que l’écriture ait été complètement diluée : le patient boit avec l’eau les propriétés bienfaisantes des mots dissous (Lane, Modern Egyptians, London, 1837, t. I, p. 347-348).

[203] Publié par Golénicheff dans le Recueil de travaux relatifs à l’Archéologie égyptienne et assyrienne, 1881, t. III, p. 1. ; Fragments d’une histoire de revenant du présent volume.

[204] Dès la XIIe dynastie, on trouve des allusions aux dangers des voyages lointains (Maspero, Du genre épistolaire, p. 59-60).

[205] Le texte se trouve dans le Papyrus Anastasi n° I, pl. xviii, l. 3 – pl. xxviii, l. 6. Il a été analysé par Hincks, puis traduit et commenté par Chabas, Le Voyage d’un Égyptien, Paris, Maisonneuve, in-4°, 1866. Chabas a cru que le voyage avait été entrepris véritablement ; H. Brugsch a montré, dans un article de la Revue Critique, 1866, qu’il n’avait rien de réel, et que le récit est un simple exercice de rhétorique.

[206] Ici commence un discours des chefs étrangers, intercalé dans le texte sans aucune indication que le mouvement de la phrase.

[207] Peut-être l’une des plantes épineuses appelées aujourd’hui encore Kelbiah ou Omm el Kelb par les Arabes d’Égypte et de Syrie.

[208] Papyrus Anastasi n° I, pl. xxii, l. 1, - pl. xxv, l. 5.

[209] Voir La fille du prince de Bakhtan et l’esprit possesseur du présent volume.

[210] Voir Le prince prédestiné du présent volume.

[211] Voir Comment Thoutîyi prit la ville de Joppé du présent volume.

[212] Voir Les mémoires de Sinouhît du présent volume.

[213] Sur un ancien conte égyptien. – Notice lue au Congrès des Orientalistes à Berlin par W. Golénicheff, 1881 ; voir la bibliographie complète de Le naufragé et Comment Thoutîyi prit la ville de Joppé du présent volume. Le second a été publié, pour la première fois, sous le titre Papyrus hiératique de la Collection W. Golénicheff, contenant le voyage de l’Égyptien Ounou-Amon en Phénicie, dans le Recueil de Travaux, t. XXI, p. 74-104 ; Le voyage d’Ounamounou aux côtes de Syrie du présent volume.

[214] Voir Le voyage d’Ounamounou aux côtes de Syrie du présent volume

[215] Voir plus haut dans cette Introduction.

[216] Sous Pioupi II de la VIe dynastie (J. de Morgan, De la frontière d’Égypte à Kom-Ombo, p. 175-176) et sous Sânkhkarîya Monthotpou de la XIe (Lepsius, Denkm., II, pl. cl a).

[217] Le voyage d’Ounamounou aux côtes de Syrie du présent volume.

[218] La Grande Inscription de Beni-Hassan, dans le Recueil de Travaux relatifs à l’Archéologie égyptienne et assyrienne, t. I, p. 172 ; cf. Mélanges de Mythologie, t. III, p. 149-185.

[219] Cfr, La querelle d’Apopi et de Saqnounrîya de ce volume.

[220] Sur un ancien conte égyptien, p. 14-18.

[221] Les Merveilles de l’Inde, ouvrage arabe inédit du Xe siècle, traduit pour la première fois, avec introduction, notes, index analytique et géographique, par L. Marcel Devic. Paris, A. Lemerre, mdccclxxviii, in-12.

[222] Relation des voyages faits par les Arabes et les Persans dans l’Inde et à la Chine, dans le IXe siècle de l’ère chrétienne. Texte arabe imprimé en 1811 par les soins de feu Langlès, publié par M. Reinaud, membre de l’Institut. Paris, Imprimerie royale, 1845. 2 vol. in-18.

[223] Erman (Ægypten und Ægyptisches Leben, p. 668) et Schæfer (Kriegerauswanderung unter Psammelik und Söldneraufstand unter Apries, dans les Beiträge zur Allen Geschichte, t. IV, pl. 162 et note 1) pensent que le retour seulement eut lieu par le Nil : le héros serait parti par la Mer Rouge.

[224] la carte d’Odoardo Lopez reproduite par Maspero, dans son Histoire ancienne des peuples de l’Orient classique, t. I. p. 21.

[225] Artémidore, dans Strabon, l. XVII, p. 770 ; Vivien de Saint Martin, le Nord de l’Afrique dans l’Antiquité, p. 226-268, 318.

[226] Étienne Quatremère, Mémoires géographiques et historiques sur l’Égypte et sur quelques contrées voisines, t. II, p. 181-182, d’après Maçoudi.

[227] Hérodote, II, xxi

[228] Élisée Reclus, Nouvelle Géographie universelle, t. IX, p. 67.

[229] Erman l’appelle l’île des provisions (Zeitschrift, 1906, t. XLIII, p. 14-15) et Golénicheff l’île des génies, l’île enchantée (Recueil de Travaux, t. XXVIII, p. 98).

[230] Maspero, Études égyptiennes, t. I, p. 191-194.

[231] Pline, H. Nat. E. XXXVII, 9 : « Insula Rubri Maris ante Arabiam sita quæ Necròn vocetur, et in eâ quæ juxta gemmam topazion ferat ». H. Nat., VI, la mention de l’île Topazôn, qui est identique à l’Ophiôdès d’Artémidore (dans Strabon, l. XVI, p. 770) et d’Agatharchide dans Diodore de Sicile, III, xxxix). Pline avait emprunté probablement à Juba la mention de cette île des Morts.

[232] Chassinat, Çà et là, § III, dans le Recueil de Travaux, t. XVII, p. 53, et Maspero, Notes sur quelques points de grammaire et d’histoire dans le Recueil de Travaux, t. XVII, p. 76-78.

[233] Elle est mentionnée dans l’inscription de Hirkhouf (Schiaparelli, Una tomba egiziana, p. 21, 33, 34 ; Maspero, Histoire ancienne, t. I, p. 19-20).

[234] Maspero, Études égyptiennes, t. I, p. 121.

[235] C’est l’expression même des textes égyptiens (Maspero, Études égyptiennes, t. I, p. 135).

[236] La polygamie était permise, bien qu’elle ne fût pas toujours pratiquée par les simples particuliers. Souvent, un riche personnage, après avoir eu des enfants d’une femme légitime ou d’une concubine, la donnait en mariage à quelque subordonné qui en avait des enfants à son tour : il n’était donc pas inutile de dire, en nommant deux frères, qu’ils étaient « d’une seule mère et d’un seul père ». La préséance accordée ici à la mère sur le père était de droit commun en Égypte : nobles ou roturiers, chacun indiquait la filiation maternelle de préférence à la paternelle. On s’intitulait : « Sanouosrît, né de la dame Mankhouit », ou bien « Sésousrîya, né de la dame Ta-Amon », et on négligeait le plus souvent de citer le nom du père.

[237] Forme originelle du nom divin dont les Grecs et les Latins ont fait Anoubis, Anubis.

[238] Baîti, Bêti, Bouti, est le nom d’un Dieu très ancien à double tête de taureau (cf. Introduction, I), que la chronique indigène avait transformé en un roi des temps antérieurs à Ménès : les Grecs ont connu ce souverain mythique sous le nom de Boutès ou Boutis, Bytis.

[239] Les fellahs filent aujourd’hui encore tout en menant paître leurs bestiaux ; c’est à une habitude de ce genre que ce passage fait allusion.

[240] L’Égypte était divisée en deux moitiés (Pashoui), en deux terres (taoui), dont chacune était censée former un pays distinct, celui du nord (to-mouri) et celui du sud (to-rîsi ou To-shamâît). La réunion de ces deux contrées s’appelait tantôt Qamaît, la terre noire, tantôt Torzerouf, la Terre-Entière.

[241] Il ne faut pas prendre cette transition à la lettre. « Beaucoup de jours après cela » n’implique pas nécessairement un laps de temps considérable ; c’est une formule sans valeur certaine, dont on se servait afin d’indiquer qu’un évènement était postérieur à un autre, Pour marquer le passage d’aujourd’hui à demain, on disait : « Quand la terre s’éclaira, et qu’un second jour fut » ; pour aller au-delà du lendemain on ajoutait « Beaucoup de jours après cela ».

[242] Dans les tableaux agricoles, on voit souvent le bouvier qui pousse ses bœufs devant lui, d’où l’expression « marcher, aller derrière les bœufs », pour « conduire les bœufs ». Il porte sur les épaules une sorte de bât, analogue à la bricole de nos porteurs d’eau, et d’où pendent, tantôt des couffes remplies de foin ou d’herbe, comme c’est le cas pour Baîti, tantôt des cages qui renferment un lièvre, un hérisson, un faon de gazelle, une oie, un animal quelconque attrapé pendant la journée. De retour au logis, le bouvier déposait son faix devant le maître ; celui-ci est représenté tantôt debout, tantôt assis sur un fauteuil à côté de sa femme, comme Anoupou dans notre roman. La même expression, et quelques autres éparses au cours du récit, se retrouvent mot à mot dans les textes des peintures d’El-Kab, où sont reproduites des scènes de labourage (Lepsius, Denkmæler, III, bl. 10, et Maspero, Notes sur différents points de Grammaire et d’Histoire, dans la Zeitschrift für Ægyptische Sprache, 1879, p. 58-63).

[243] Toute cette partie n’était pas aussi invraisemblable aux Égyptiens qu’elle l’est pour nous (cf. Introduction, V). Nous verrons, dans un fragment de conte fantastique qui sera donné plus loin (Fragment d’un conte fantastique antérieur à la XVIIIe dynastie), que le bon berger devait être quelque peu magicien pour protéger ses bêtes : l’auteur du Conte des deux Frères s’est donc borné à douer Baîti d’un peu plus de science que les bouviers ordinaires n’en possédaient.

[244] C’est une allusion au retrait de l’inondation.

[245] La coiffure des Égyptiennes se composait ordinairement de petites tresses très minces et très nombreuses ; il fallait plusieurs heures pour la mettre en ordre, et, une fois faite, on ne devait la renouveler qu’après un intervalle de plusieurs jours, ou même de plusieurs mois, comme aujourd’hui encore celle des femmes nubiennes.

[246] Il s’agit probablement ici de ces huches en terre battue qui sont figurées sur les tables d’offrandes anciennes en forme de maisons paysannes, et qui sont encore d’usage dans l’Égypte entière.

[247] Les cinq mesures de grains représentent une capacité de 368 litres, c’est-à-dire une charge d’environ 276 kilogrammes. Nos forts de la halle portent une charge moyenne de 200 kilogrammes, et ils vont rarement jusqu’à 276 kilogrammes (Chabas, Recherches sur les poids, mesures et monnaies des Anciens Égyptiens, p. 9, 11). Baîti était donc d’une force peu commune et qui justifie l’admiration de la dame.

[248] Le texte donne littéralement : « Son cœur le connut en connaissance de jeune homme ».

[249] Le frère aîné, maître de la ferme, rentre directement chez lui, son travail une fois terminé. Le cadet, simple valet de ferme, doit encore se charger d’herbe et ramener les bestiaux à l’étable ; il marche donc plus lentement, et il n’arrive à la maison que longtemps après l’autre. La femme a ainsi tout le temps de raconter une fausse histoire et d’exciter son mari contre son beau-frère.

[250] Elle se frotta de graisse pour simuler les traces luisantes et les meurtrissures que les coups laissent sur la chair humaine.

[251] C’est l’expression consacrée et presque banale pour dire qu’un homme ou un souverain se met en colère : Ramsès II ou l’Éthiopien Paènékhi s’emportent comme un guépard du midi, ni plus ni moins que Baîti.

[252] Le bas de la porte égyptienne ne touchait presque jamais le seuil : dans la plupart des tableaux où une porte est représentée, on aperçoit un vide assez considérable entre le battant et la ligne de terre.

[253] Les Égyptiens nommaient le soleil Raîya, Rîya, d’où nous avons fait Râ, et, avec l’article masculin, Prâ ou Phrâ. Harmakhouîti était Horus dans les deux horizons, c’est-à-dire le Soleil dans sa course diurne, allant de l’horizon du matin à l’horizon du soir. Les deux formes de Râ et d’Harmakhouîti, différentes à l’origine, s’étaient confondues depuis longtemps à l’époque où le Conte des deux Frères fut écrit, et l’expression Phrâ-Harmakhouîti était employée comme simple variante de Phrâ ou de Râ dans le langage courant. D’Harmakhouîti, les Grecs ont fait Harmakhis ; Harmakhis était personnifié dans le grand Sphinx de Gizéh, près des Pyramides.

[254] Le nom que je traduis acacia avait été traduit cèdre pendant longtemps. Loret voulait qu’il s’agît du pin, et Spiegelberg a proposé plus récemment le sens de cyprès (Rechnungen, p. 54., et die Bauinschrift Amenophis III, dans le Recueil, t. XX, p. 52). Le Val de l’Acacia, du Cèdre, du Pin, ou du Cyprès, paraît être en rapport avec la Vallée funéraire où Amon, le dieu de Thèbes allait en visite chaque année, afin de rendre hommage à son père et à sa mère, qui passaient pour y être enterrés ; Virey même, généralisant l’hypothèse (La Religion de l’Ancienne Égypte, p. 194-197), a cru qu’il était l’autre monde, l’Amentît qui communique en effet avec l’Égypte par le Nil. Lefébure, trompé par la traduction courante Val du Cèdre, le plaçait au pays des cèdres, en Phénicie (Œuvres diverses, t. I, p. 163), ce qui lui fournissait un point de concordance nouveau entre l’histoire de Baîti et la légende gréco-égyptienne d’Osiris. En réalité, le Val était situé, comme on le verra plus tard, sur les bords du Nil (iaoumâ), sans doute près de l’endroit où le fleuve descendait du ciel dans notre monde.

[255] Selon la légende, Osiris, après avoir été coupé en morceaux par Typhon, avait été jeté au Nil ; tous les poissons avaient respecté les débris du dieu, sauf l’oxyrrhynque qui dévora le membre. Le scribe qui écrivit le Conte des deux Frères substitua le nom d’un autre poisson, celui de l’oxyrrhynque, sans doute par respect. Ce poisson, qui est représenté à plusieurs reprises sur les parois du tombeau de Ti, s’appelait nârou ; on le reconnaît aisément aux barbillons dont le pourtour de sa bouche est hérissé et à la forme convexe de sa nageoire caudale. C’est, comme le prouve la comparaison des dessins antiques avec les planches de la Description de l’Égypte (Poissons du Nil, pl. 12, fig. 1-4), le malaptère électrique ou silure trembleur (Description, t. XXIV, p. 299.).

[256] La libation d’eau fraîche est indispensable aux morts : sans elle, ils ne peuvent revivre. Encore à l’époque ptolémaïque, les Égyptiens hellénisés affirmaient, dans leurs épitaphes en langue grecque, qu’Osiris leur « avait donné sous terre l’eau fraîche ».

[257] Litt. : « Je rendrai réponse à ce qui est transgressé ».

[258] Une des marques de douleur les plus fréquentes en Égypte comme dans le reste de l’Orient ; on ramassait des poignées de poussière et de boue afin de s’en barbouiller le visage et la tête. Un tableau d’une tombe de Thèbes, reproduit par Wilkinson (Manners and Customs, 2e édit., t. III, pl. lxviii), nous montre la famille et les amis du mort se souillant de la sorte en présence de la momie.

[259] Ce même trait se retrouve dans le Conte de Satni-Khâmoîs où Thoubouî fait jeter les enfants du héros « en bas de la fenêtre aux chiens et aux chats, et ceux-ci en mangèrent les chairs ».

[260] Les dieux cosmogoniques de l’antique Égypte formaient un ensemble théorique de neuf personnes divines, qu’on appelait psit ou paouîtnoutirou, « l’Ennéade, la neuvaine des dieux », ou pour employer un terme plus vague, le Cycle des dieux. Cette Ennéade, dont chaque personne peut se décomposer en un nombre infini de formes secondaires, présidait à la création et à la durée de l’univers, telle que certaines écoles sacerdotales l’avaient conçue. D’autres textes nous apprennent que les dieux descendaient parfois sur la terre afin de s’y promener ; le 25 Paophi, par exemple, on était exposé à les rencontrer sous forme de taureau (Chabas, le Calendrier des Joues fastes et néfastes, p. 43).

[261] C’est-à-dire : « De l’Égypte ».

[262] L’épithète de « Taureau » est au moins bizarre, appliquée à un eunuque. On ne doit pas oublier cependant que Baîti est une forme populaire du dieu à double tête de taureau (cf. Introduction, I) ; sa mésaventure, tout en lui enlevant sur la terre la puissance virile, ne l’empêche pas, comme dieu, de garder ses facultés prolifiques. De même, dans une des variantes de la légende, Osiris, mort et mutilé, se réveille pour féconder Isis et devient le père d’Horus.

[263] Le nom de Khnoumou signifie le modeleur, et l’on disait que le dieu avait modelé l’œuf ou la matière du monde sur un tour à potier. Khnoumou, qui était avant tout un dieu local, celui d’Éléphantine et du pays de la première Cataracte, était donc un dieu cosmique, et l’on comprend pourquoi l’Ennéade divine le choisit afin de fabriquer une femme à Baîti : il la pétrit, la modèle du limon de la terre. Nous verrons plus loin, par le Conte de Khoufouî, qu’il assistait aux accouchements, et les tableaux bien connus des temples de Déîr-el-Baharî et de Louxor nous apprennent qu’après-la fécondation, c’était lui qui fabriquait sur son tour à potier le corps et le double de l’infant : il le modelait dans le sein de la mère, et il lui donnait la forme définitive après la naissance.

[264] Cette phrase renferme un brusque changement de personne. Dans la première partie, Phrâ s’adresse à Khnoumou et lui dit : « Fabrique une femme à Baîti » ; dans la seconde, il se tourne brusquement vers Baîti et lui dit : « Afin que tu ne sois plus seul ».

[265] Les Sept Hâthors jouent ici le même rôle qu’ont les fées marraines dans nos contes de fées. Elles reparaissent au début du Conte du Prince Prédestiné, ainsi qu’on le verra plus loin.

[266] Les Égyptiens anciens appelaient le Nil la mer (iaoumâ), comme les Égyptiens modernes (bahr) : on retrouvera l’expression dans le premier Conte de Satni-Khâmoîs.

[267] Littéralement : « il lui ouvrit son cœur en toute sa forme ».

[268] Pharaon est une forme hébraïsée, puis grécisée, du titre Paradoui « la double Grande maison », qui sert à désigner tous les rois. Si le souverain était la double grande maison et non pas simplement la grande maison, cela tient à ce que l’Égypte était divisée de temps immémorial en deux terres : comme le roi était un double roi, le roi de l’Égypte du Nord et le roi de l’Égypte du Sud, sa maison était une double maison pour répondre à chacune des deux personnes dont il se composait. V. s. f. est l’abréviation de la formule Vie, sang, force, qui suit toujours le nom d’un roi ou un titre royal.

[269] Dans les croyances des Égyptiens, comme dans celles de beaucoup d’autres peuples, toutes les parties du corps étaient si étroitement reliées par une sympathie mutuelle, qu’elles exerçaient encore leur action l’une sur l’autre, même séparées et transportées à de grandes distances. Le sorcier qui possédait un membre, des lambeaux de chair, des rognures d’ongles, surtout des cheveux, pouvait imposer sa volonté à l’homme de qui ces débris provenaient. On ne doit donc pas s’étonner si le Nil demande une boucle des cheveux de la Fille des Dieux, ni si les magiciens, en examinant cette boucle, reconnaissent immédiatement la nature de la personne à qui elle appartient.

[270] Piehl (Zeitschrift, 1886, p. 80-81) préférerait traduire : « Une femme était avec eux, elle lui donna tous les gâteaux doux d’une femme ». Max Muller, Ueber einige Hieroglyphenzeichen dans le Recueil de Travaux, t. IX, p. 170, et la réponse de Piehl, Lettre à M. le Rédacteur du Recueil, 1888, p. 1-3.

[271] On, répondant à la forme du pronom indéfini emtoutou suivie du déterminatif divin, parait désigner constamment le Pharaon. « On la salua » serait donc l’équivalent de « Pharaon la salua »

[272] C’est le lit bas, rectangulaire, l’angareb des Berbérins d’aujourd’hui, dont le cadre était monté d’ordinaire sur quatre pieds de lion.

[273] la note de Sethe, zu d’Orbiney, 14, 2-3, dans la Zeitschrift, t. XXIX, p. 57-59.

[274] Notre héros, étant une forme dit dieu à double tête de taureau (cf. Introduction, I), devient aisément un taureau, et, par conséquent, le taureau par excellence, l’Apis. Or, Apis devait avoir sur le corps un certain nombre de marques mystiques, dessinées par des poils de couleurs diverses. Il était noir, portait au front une tache blanche triangulaire, sur le dos la figure d’un vautour ou d’un aigle aux ailes éployées, sur la langue l’image d’un scarabée ; les poils de la queue étaient doubles. « Le scarabée, le vautour, et toutes celles des autres marques qui tenaient à la présence et à la disposition relative des épis, n’existaient pas réellement. Les prêtres, initiés aux mystères d’Apis, les connaissaient sans doute seuls et savaient y voir les symboles exigés de l’animal divin, à peu près comme les astronomes reconnaissaient dans certaines dispositions d’étoiles, les linéaments d’un dragon, d’une lyre et d’une ourse » (Mariette, Renseignements sur les Apis, dans le Bulletin archéologique de l’Athénæum française 1855, p. 54).

[275] Litt. : « Je rendrai réponse à ce qui est transgressé ».

[276] Il y a là un souvenir de la tradition très ancienne, d’après laquelle le mort était emporté vers le domaine et vers le palais d’Osiris par un taureau sacré ou par une vache Hather. On voit assez souvent, sur les cercueils thébains à fond jaune de la XXIe dynastie et des dynasties suivantes, une scène qui représente le maître en sa forme vivante, à califourchon sur la bête, ou couché sur le dos de celle-ci en sa forme de momie.

[277] Pendant le temps qui s’écoulait entre la mort d’un Apis et l’invention d’un autre Apis, l’Égypte entière était en deuil ; l’intronisation de l’Apis nouveau faisait cesser le deuil et était célébrée par de grandes fêtes. Le roman reproduit donc en cet endroit les habitudes de la vie réelle.

[278] Les animaux sacrés avaient libre accès à toutes les parties du temple où ils vivaient. On sait les franchises dont le bouc de Mendès jouissait et les fantaisies singulières auxquelles il se livrait parfois (Hérodote, Il, xlvi ; cf. Wiedemann, Herodots Zweites Buch, pp. 216-218). Baîti, en sa qualité de taureau sacré, pouvait pénétrer sans qu’on l’en empêchât, dans les parties du palais fermées au vulgaire et jusque dans le harem.

[279] Le perséa, d’après Schweinfurth le Mimusops Schimperi, était consacré à Osiris. Il y avait un perséa de chaque côté de l’entrée du temple de Déîr-el-Baharî, et Naville a encore trouvé des troncs d’arbres desséchés aux points où Wilkinson avait marqué sur son plan des bases d’obélisques. Spiegelberg a rapproché fort ingénieusement ce fait du passage de notre conte (Naville, Un dernier mot sur la succession de Thoutmès, dans la Zeitschrift, t. XXXVII, p. 48-52).

[280] C’est une conséquence du culte que le peuple rendait aux arbres (Maspero, Histoire Ancienne, t. I, p. 121 ; cf. V. Scheil, Cinq tombeaux thébains, dans les Mémoires de la Mission française, t. IV, pp. 578-579, et pl. iv), et dont beaucoup de traces subsistent encore aujourd’hui dans l’Égypte musulmane (Maspero, Mélanges de Mythologie, t. 11, p. 224-227).

[281] Le scribe égyptien a passé ici une ligne entière : « Sa Majesté s’assit sous un des perséas, la favorite s’assit sous l’autre perséa. Quand elle fut assise, le perséa se mit à parler avec sa femme ». C’est un véritable bourdon que le scribe a commis. Dans l’original qu’il avait sous les yeux deux lignes consécutives se terminaient par le mot perséa : il a sauté la seconde.

[282] Cf. Chabas Œuvres diverses, t. V, p. 434, et K. Sethe, Zu d’Orbiney 18, 1, dans la Zeitschrift, 907, p. 134-135.

[283] Il y a ici une allusion à un fait mythologique : chaque soir, le soleil entrait dans la bouche de la déesse Nouît, qui concevait par là même, et le lendemain matin, mettait au monde un soleil nouveau (Maspero, Études de Mythologie et d’Archéologie égyptiennes, t. II, p. 25-26).

[284] Cette charge de « remueuse » ou de « berceuse » était parfois remplie par des hommes : quelques hauts fonctionnaires de la XVIIIe dynastie en ont été investis. Le mot khnoumou, qui la désigne, signifie au propre dormir, assoupir : le khnoumou est donc au propre la personne qui endort l’enfant, la monâit celle qui lui donne le sein.

[285] Cette phrase obscure peut être interprétée de plusieurs façons. Elle signifie, ou bien que l’on commença à imposer le nom du jeune prince aux enfants qui naquirent après lui, ou plutôt, comme le veut Lefébure (L’Importance du Nom, dans Sphinx, t. I, p. 97), que le prince, ayant reçu un nom commença d’entrer en pleine possession de sa personnalité ; la personne humaine n’était complète en effet qu’après réception du nom.

[286] Un des titres des princes de la famille royale. Le fils royal de Kaoushou était, à proprement parler, le gouverneur du pays de Kaoushou, c’est-à-dire de l’Éthiopie. Dans la réalité, ce titre pouvait ne pas être simplement honorifique : le jeune prince gouvernait lui-même, et il faisait l’apprentissage de son métier de roi dans les régions du haut Nil.

[287] Un des euphémismes ordinaires du style officiel égyptien, pour dire qu’un roi est mort. On en retrouve l’équivalent au début des Mémoires de Sinouhît.

[288] Cette formule paraît avoir été d’usage courant, car on la retrouve tracée, comme exercice de plume, par un scribe qui se faisait la main, au verso du Papyrus Sallier IV, pl. 21 : « Fait par le scribe Amânouâ, le maître de cet Enseignement. Quiconque parlera contre cet Enseignement du scribe Amânouâ, que Thot lui livre duel à mort ! » Le maître du livre ou de l’Enseignement est le personnage qui en avait le droit exclusif de propriété, soit qu’il en fût l’auteur, soit qu’il en fût seulement l’éditeur ou le récitateur attitré. La menace qu’il adressait à quiconque, lecteur ou auditeur, s’en permettrait la critique, se traduirait littéralement : « Soit fait à lui Thot compagnon de combat ! » Cette expression se comprend lorsque l’on voit à Sakkarah ou à Beni-Hassan les tableaux qui représentent les exercices de gymnastique exécutés par les soldats : chacun d’eux s’appareille – fait compagnon – à un autre, de même qu’en Grèce les lutteurs ou les gladiateurs à Rome.

[289] Golénicheff, le Papyrus n° 1 de Saint-Pétersbourg, dans la Zeitschrift, 1876, p. 109-110.

[290] C’est la formule qui terminait la première histoire : le nom du magicien est entièrement détruit.

[291] Le roi Nabka n’est pas le père réel de Khoufouî, mais comme il appartenait à une dynastie antérieure et que tous les Pharaons étaient censés ne former qu’une même famille, le conteur, en parlant de l’un d’eux, l’appelle le père du souverain régnant, Khoufouî.

[292] Ankhoutaoui est, comme Brugsch l’a montré, le nom d’un des quartiers de Memphis. J’ai quelque lieu de croire qu’on peut en fixer l’emplacement près de la butte appelée aujourd’hui Kom-el Aziz.

[293] L’expression premier lecteur est une traduction par à peu près du titre Khri-habi. Le khri-habi était littéralement l’homme au rouleau, celui qui, dans une cérémonie, dirigeait la mise en scène et l’exécution, plaçait les personnages, leur soufflait les termes de la formule qu’ils devaient prononcer, leur indiquait les gestes et les actions qu’il leur fallait accomplir, récitait au besoin les prières pour eux, bref un véritable maître des cérémonies (Maspero, Études Égyptiennes, t. II, p. 51). Le khri-habi ou lecteur, qui savait par métier toutes les formules, devait donc connaître les incantations et les formules magiques aussi bien que les formules religieuses ; c’est pourquoi tous les sorciers de notre récit sont des lecteurs en chef, des premiers lecteurs (cf. Introduction, I et V). Le titre qu’ils joignent à celui-là, celui d’écrivain des livres, nous montre que leur science ne se bornait pas à réciter les charmes ; elle allait jusqu’à copier, et, au besoin, jusqu’à composer les livres de magie.

[294] Le texte égyptien donne nozesou, un petit, un homme de basse condition. Le mot vassal de notre vieille langue m’a paru répondre exactement au sens du terme égyptien.

[295] dans le Conte des deux Frères, les deux vêtements que la femme d’Anoupou promet à Baîti pour le tenter.

[296] Le Lac d’Oubaou-anir est le nom d’une propriété formé avec le nom du maître et avec le mot She, qui signifie lac, étang, bassin d’inondation. C’est un procédé de formation fréquent dans la nomenclature géographique de l’Égypte.

[297] C’est ainsi que dans le premier Conte de Satni-Khâmois, une cassette contient le livre miraculeux de Thot (L’aventure de Satni-Khâmoîs avec les momies).

[298] Tout ce début est mutilé au point qu’il n’en reste plus une phrase complète. La restitution est empruntée à l’excellente traduction d’Erman (die Maerchen des Papyrus Westcar, p. 22-26).

[299] La façon dont le texte introduit cette fin de récit, sans commentaire, semble prouver que le feu était le châtiment réservé aux femmes adultères : cette supposition est confirmée par le conte de Phéron, dans lequel le roi faisait brûler vives toutes les femmes qui, ayant eu commerce avec un autre homme qu’avec leur mari, ne pouvaient pas lui fournir le remède nécessaire à lui rendre la vue (Hérodote, II, cxi ; cf. Introduction, V). Nous savions déjà que ce supplice était appliqué à plusieurs sortes de crimes, au parricide, à la sorcellerie, à l’hérésie, au moins en Éthiopie (G. Maspero, la Stèle de l’Excommunication, dans la Revue archéologique, 1871, t. II, p. 329.), au vol ou à la destruction des temples ou des biens de main morte (Inscriptions in the hieratic and demotic characters, pl. 29, l. 8 ; cf. G. Müller, Das Dekret des Amenophis, des Sohnes des Hapu, dans les Silzungsberichte de l’Académie de Berlin, 1910, p. 936 i, note), à la rébellion contre le Pharaon. On devait le redouter d’autant plus, qu’en détruisant le corps il enlevait à l’âme et au double l’appui dont ils avaient besoin dans l’autre monde. À la fin du Conte des deux Frères, l’auteur se borne à enregistrer le châtiment de la fille des dieux, sans nous dire en quoi il consista : ce fut probablement, selon l’usage, le supplice du feu.

[300] Le texte égyptien donne, ici et dans tous les endroits où j’ai employé l’expression alléger, un verbe qui signifie rafraîchir. Le mot-à-mot serait donc : « Quelque chose qui lui rafraîchit le cœur »

[301] J’avais pensé qu’il s’agissait d’un de ces beaux filets de perles en faïence ou en verroterie, qu’on voit peints par-dessus le vêtement de certaines statues de l’âge Memphite ou de la XIIe dynastie, ainsi sur la statue A 102 du Louvre (cf. Perrot-Chipiez, Histoire de l’Art, t. I, p. 143, et J. Capart, l’Art Égyptien, t. I, pl. 42) ; ici toutefois, les vingt jeunes filles n’avaient point de vêtement d’étoffe, mais elles étaient nues sous leur résille, ce que Piehl avait admis (Sphinx, t. I, p. 73-74, t. IV, p. 118-119). Borchardt confirme le sens que j’avais donné par des exemples empruntés aux statues du Caire, mais il croit que les jeunes filles avaient passé les résilles par-dessus leurs vêtements (Zeitschrift, t. XXXVII, p. 81). Petrie pense qu’il s’agissait simplement d’une étoffe très fine (Deshasheh, p. 32).

[302] Le texte met ici un mot nikhaou, déterminé par le poisson, et qui ne se rencontre dans aucun des Dictionnaires publiés jusqu’à ce jour : je l’ai traduit d’une façon générale par le mot poisson. Il ne s’agit pas ici d’un poisson réel, mais d’un de ces talismans en forme de poissons auxquels les anciens, les Romains et les Grecs comme les peuples de l’Orient, prêtaient toute sorte de vertus merveilleuses (F. de Mély, le Poisson dans les Pierres gravées, dans la Revue archéologique, 3e série, t. XII, p. 319-332).

[303] Les jeunes filles chantaient en ramant pour rythmer la vogue, selon l’usage égyptien : celle qui avait perdu l’amulette se taisant, les autres se taisent et le mouvement s’arrête.

[304] Dadoufhorou est donné ici comme étant le fils de Khoufouî. D’autres documents font de lui le petit-fils de ce Pharaon et le fils de Menkaouriya (Livre des Morts, ch. lxiv, l. 30-32).

[305] Le nom de cette localité est formé avec celui du roi Sanafrouî ; l’emplacement n’en est pas connu. Il résulte des expressions employées dans notre texte qu’on s’y rendait, de l’endroit où Khoufouî siégeait, en remontant le fleuve. Comme cet endroit est probablement Memphis, il faut en conclure que Didou-sanafrouî était au sud de Memphis.

[306] Cent dix ans est le terme extrême de la vie égyptienne ; on souhaite aux gens qu’on aime ou qu’on respecte de vivre jusqu’à cent dix ans. Aller au delà, c’est dépasser les bornes de la longévité humaine : seuls, quelques privilégiés, comme Joseph, le mari de la Vierge, dans l’Égypte chrétienne, sont assez heureux pour atteindre l’âge de cent onze ans (Goodwin dans Chabas, Mélanges Égyptologiques, 2e série, p. 231.). Plus tard, on ne s’arrêta plus là, et Maçoudi nous parle, dans ses Prairies d’Or (trad. Barbier de Meynard, t. II, p. 372.), d’un savant copte de cent trente ans qu’Ahmed-ibn-Touloun envoya chercher pour le consulter.

[307] Litt. « laisse à terre », c’est-à-dire un lion qu’on avait détaché et dont la laisse avait été jetée à terre. Pour se faire obéir, le magicien n’avait pas besoin d’une laisse telle que les dompteurs en ont d’ordinaire c’était à l'œil et à la voix qu’il menait sa bête.

[308] La Grande Pyramide ne renferme pas une ligne d’écriture, mais les chambres ménagées dans les pyramides d’Ounas et des quatre premiers rois de la VIe dynastie sont couvertes d’hiéroglyphes : ce sont des prières et des formules qui assurent au double et à l’âme du roi mort une vie heureuse dans l’autre monde. L’auteur de notre conte, qui savait combien certains rois de l’antiquité avaient travaillé pour graver dans leurs tombes des extraits des livres sacrés, imaginait sans doute que son Khoufouî avait désiré en faire autant, mais qu’il n’avait pas réussi à se les procurer, sans doute à cause de son impiété légendaire. C’était une manière comme une autre d’expliquer pourquoi il n’y avait aucune inscription dans la Grande Pyramide.

[309] Le napéca est une sorte de jujubier, Zizyphus Spina Christi : la tige et les branches, très droites, très résistantes, peuvent former d’excellents brancards pour une litière.

[310] Voir dans Wilkinson, Manners and Customs. t. I, p. 217, ainsi que dans Lepsius, Denkin., II, pl. 43 a, III. pl. 121 a, etc., des représentations de chaises à porteurs analogues à celle que Dadoufhorou emploie dans notre conte.

[311] Probablement un angareb de ceux qu’on recueille dans les tombeaux et qui sont analogues aux angarebs des Égyptiens ou des Berbérins d’aujourd’hui.

[312] Aborder, parvenir au port, est un des nombreux euphémismes dont les Égyptiens se servaient pour exprimer l’idée de mort. Il s’explique aisément par l’idée du voyage en bateau que le mort était obligé de faire pour arriver à l’autre monde, et par le transport de la momie en barque, au delà du fleuve, le jour de l’enterrement.

[313] Le compliment est si embrouillé que je crains de ne pas l’avoir compris tout entier : je me suis inspiré pour le traduire des observations de Piehl, dans Sphinx, t. I, p. 74-75.

[314] C’est en langue antique, me hatpou, me hatpou, l’équivalent du salut bi-s-salamah qu’on entend si souvent aujourd’hui dans l’Égypte arabe.

[315] Hobs-bagaî est un personnage important, sous l’autorité de qui une partie des portes d’entrée de l’autre monde étaient placées (Erman, die Maerchen des Papyrus Westcar, p. 49) : c’est un doublet d’une des larmes d’Osiris, l’Osiris immobile dans son maillot.

[316] Cette phrase, très claire pour les lecteurs anciens, l’est moins pour les modernes. Selon les exigences de la civilité puérile et honnête du temps, Didi doit répondre au compliment par un compliment : il constate donc que Dadoufhorou, jeune qu’il est, a un poste qui le met au-dessus des vieillards, et il explique cet excès d’honneur par la science profonde de son interlocuteur. Dadoufhorou avait en effet une réputation de savant, c’est-à-dire de magicien, qui lui mérita d’être cité au Livre des Morts, comme l’inventeur du chapitre lxiv, l’un des plus importants du recueil, et au Papyrus Anastasi I (pl. x, l. 8), comme un des interprètes les plus accrédités des livres les moins compréhensibles au vulgaire.

[317] Piehl a montré que, par cette expression, l’auteur entendait l’humanité (Sphinx, t. I, p. 75) : les textes relatifs aux quatre races humaines appellent en effet les hommes le troupeau de Râ.

[318] plus haut p. 32, note 3, du présent volume. Au moment où le cou du taureau avait été tranché, le licou était tombé à terre ; la tête et le corps se rejoignent, mais le licou reste où il était tombé.

[319] Onou est Héliopolis, la Ville du Soleil. Chaque chambre de temple avait son nom particulier, qui était inscrit souvent sur la porte principale, et qui était dérivé, soit de l’aspect de la décoration, la Chambre d’Or, soit de la nature des objets qu’on y conservait, la Chambre des Parfums, la Chambre de l’Eau, soit du sens des cérémonies qu’on y accomplissait. Le bloc mentionné ici est probablement un bloc mobile, comme celui du Conte de Rhampsinite, et il servait à cacher l’entrée de la crypte où Thot avait déposé ses livres.

[320] Le. scribe a passé ici la fin de la réponse de Didi et le commencement d’une nouvelle question du roi (Erman, die Mærchen des Papyrus Westcar, p. 55) ; j’ai rétabli, d’après le contexte, ce qui manque au manuscrit.

[321] Euphémisme pour désigner la royauté. Sur le sens de l’expression la Terre-Entière, voir la note dans Le conte des deux frères.

[322] Cette phrase est rédigée en style d’oracle, comme il convient à une réponse de magicien. Elle paraît être destinée à rassurer le roi, en lui affirmant que l’avènement des trois enfants de Râ n’est pas proche, mais que son fils à lui règnera, puis le fils de son fils, avant que les destinées s’accomplissent. Les listes royales mettent, après Khoufouî, d’abord Didoufriya, puis Khâfriya, puis Menkaouriya, puis Shopseskaf, avant Ousirkaf, le premier des trois rois de la Ve dynastie dont notre conte annonce la grandeur future. L’auteur de notre conte a omis Didoufrîya et Shopseskaf dont le peuple n’avait gardé aucun souvenir (Erman, die Marchen des Papyrus Westcar, p. 19).

[323] Les résolutions du roi sont exprimées en termes qui nous paraissent peu clairs, sans doute parce que nous n’avons pas la fin du récit. Le roi ne songe plus à tuer les enfants après ce que le magicien lui a dit, mais il ne renonce pas pour cela à lutter contre le destin, et d’abord il demande quel jour Roudîtdidît accouchera. Didi sait déjà le jour, le 15 de Tybi, grâce à cette intuition surprenante que possèdent souvent les héros des contes égyptiens (Le conte des deux frères, où les magiciens ont l’air de savoir déjà que la fille des dieux est au Val de l’Acacia). Si le roi lui pose cette question, c’est sans doute afin de faire tirer l’horoscope des enfants et de voir si les astres confirment la prédiction du sorcier. Il se demande un moment s’il n’ira pas à Sakhîbou étudier ce qui se passe dans le temple de Râ, mais l’état du canal ne lui permet pas de donner suite à son projet, bien que le magicien lui promette de jeter quatre coudées d’eau sur les bas-fonds afin que sa barque navigue sans peine. Le canal des Deux-Poissons était le canal qui traversait le nome Létopolite (Brugsch, Dictionnaire Géographique, p. 621).

[324] Maskhonouît est la déesse du Maskhonou, c’est-à-dire du berceau, et, en cette qualité, elle assiste à l’accouchement : elle réunit en elle Shait et Ranénit, c’est-à-dire la déesse qui règle la destinée, et celle qui allaite (ranounou) l’enfant et lui donne son nom (rinou), par suite, sa personnalité (Maspero, Études égyptiennes, t. I, p. 27).

[325] Hiqaît, qui est nommée avec Khnoumou l’un des premiers berceaux d’Abydos (Louvre C 3), c’est-à-dire l’une des divinités qui ont présidé à la fondation de la ville, est la déesse Grenouille ou à tête de grenouille, une des déesses cosmiques qui avaient agi lors de la naissance du monde. Sa présence est donc naturelle auprès d’une accouchée.

[326] Le texte dit : « comme porte-coffret, porte-sac ». Khnoumou prend le rôle du domestique qui accompagne les almées, porte leurs bagages, et, au besoin, fait sa partie vocale et instrumentale dans le concert. L’un des petits personnages en bois trouvés à Méir et qui sont au Musée du Caire porte un coffret et me parait définir nettement ce qu’un hri-qani pouvait être (Maspero, Guide du Visiteur au musée du Caire, 1910, 5e édit. anglaise, p. 500, n° 155).

[327] Il déployait le linge destiné à l’accouchement.

[328] Nous rencontrerons plus bas, dans les Mémoires de Sinouhît, une scène de famille analogue, mais où les acteurs sont les princes de la maison de Pharaon.

[329] Pour comprendre la position que prennent les déesses par rapport à l’accouchée, il faut se rappeler que les femmes égyptiennes en travail ne choisissaient pas comme les nôtres la position horizontale. Elles se tenaient, ainsi que le prouvent certains tableaux, soit accroupies sur une natte ou sur un lit, les jambes repliées sous elles, soit assises sur une chaise qui ne parait différer en rien des chaises ordinaires. Les femmes accourues pour les aider se répartissaient la besogne : l’une se plaçait derrière la patiente et la serrait à bras le corps, pendant les douleurs, pour lui servir de point d’appui et pour favoriser l’expulsion, l’autre se mettait devant elle, agenouillée ou accroupie, afin de recevoir l’enfant dans ses mains et d’empêcher qu’il ne tombât à terre brutalement. Les deux déesses Isis et Nephthys, venues pour accoucher Roudîtdidît, n’agissent pas autrement que les sages-femmes ordinaires, et Hiqait précipite la délivrance par des massages opérés sur le sein maternel, ainsi que les sages-femmes égyptiennes le font aujourd’hui encore.

[330] Selon une habitude fréquente non seulement en Égypte, mais dans l’Orient entier, la sage-femme, en donnant à l’enfant le nom qu’il portera, fait un calembour plus ou moins intelligible sur le sens des mots dont ce nom se compose. Ici l’enfant s’appelle Ousir-rof, Ousir-raf, ce qui est, pour le sens, une variante du nom Ousirkaf que portait le premier roi de la Ve dynastie. Ousir-raf signifie celui dont la bouche est forte, Ousirkaf est celui dont le double est fort, aussi la déesse emploie-t-elle le verbe ousirou dans la première partie de la phrase : « Ne sois pas fort (ousirou) dans son ventre, - probablement, ne meurtris pas le ventre de la mère, – en ton nom de celui dont la bouche est forte ». C’est le même procédé par lequel les historiens Hébreux expliquaient le nom des enfants de Jacob (Genèse, xxix, 32-xxx, 24).

[331] C’est la taille normale des enfants nouveau-nés dans les textes égyptiens (Erman, die Mærchen des Papyrus Westcar, p. 62).

[332] Le texte dit littéralement que « la couleur de ses membres était d’or et sa perruque de lapis-lazuli vrai », en d’autres termes que ses membres étaient précieux comme l’or, sa chevelure bleue comme le lapis-lazuli. Y a-t-il calembour entre noubou, l’or, et noubou, modeler, fondre, que les textes, emploient souvent pour exprimer la création des membres d’un homme par les dieux ? En tout cas, la coiffure des têtes humaines dont les cercueils de momie sont décorés est presque toujours teinte en bleu, si bien que l’expression de notre texte répond exactement à un détail d’art ou d’industrie égyptienne. Somme toute, ce n’est pas un enfant naturel que notre auteur décrit, mais une statuette de divinité, avec ses incrustations d’or et avec sa coiffure.

[333] Maskhonouît étant, comme j’ai dit, la destinée humaine, on l’appelle pour rendre l’arrêt de vie de l’enfant. Khnoumou, le modeleur, complète l'œuvre des déesses : il masse le corps du nouveau-né et il lui infuse ainsi la santé.

[334] Le calembour roule ici sur le mot Sâhou, qui entre dans le nom du roi Sâhourîya. Sâhou signifie s’approcher de…, voyager… La déesse dit à l’enfant de ne pas circuler plus longtemps dans le sein de sa mère, et cela parce qu’il s’appelle Sâhourîya, celui qui voyage au ciel comme le Soleil.

[335] Le troisième roi de la Ve dynastie, Naferarkerîya, s’appelle aussi Kakaouî, et nous ne savons pas quel était le sens de ce nom. Pour obtenir le jeu de mots sur kakaoui, les ténèbres, le scribe a été forcé d’altérer l’orthographe traditionnelle.

[336] Le manuscrit original change ici la succession des opérations : je les ai remises chacune dans l’ordre adopté lors de la naissance des deux premiers enfants.

[337] Cfr., pour le sens de ce dernier membre de phrase, Bissing, Zu papyrus Westcar XI, 8, dans la Zeitschrift, 1905, t. xliv, p. 90.

[338] Leur père désigne ici non pas Râousir, le mari de Roudîtdidît, qui ne connaît pas l’origine divine des trois enfants, mais le dieu Râ de Sakhibou, le père réel, qui a en effet envoyé les déesses au secours de sa maîtresse.

[339] Cfr., sur ce point, la note de Sethe, Zu Westcar 11, 13, dans la Zeitschrift, 1891, t. xxix, p. 84.

[340] Il ne faut pas oublier que les déesses se sont déguisées en almées. Elles prient donc les gens de la maison de leur garder le blé en dépôt, jusqu’à ce qu’elles aient fini leur tournée dans le pays du sud et qu’elles reviennent au nord une seconde fois.

[341] Le texte dit : « sauf les vases », et comme Erman l’a bien vu (die Mærchen des Papyrus Westcar, p. 67), le mot vase doit désigner ici une boisson : vase aura pris le même sens que cup, verre, pichet, litre, dans nos langues modernes, le contenant pour le contenu. Comme il faut, pour préparer ces vases, le grain qui a été donné aux déesses, je crois qu’il s’agit ici de la bouza, la bière douce des anciens Égyptiens comme des Égyptiens modernes.

[342] L’appartement des femmes est à l’étage supérieur : la servante doit descendre pour aller chercher le grain.

[343] C’est le mot qui sert à désigner, en arabe, une sorte de cri suraigu que les femmes poussent en chœur, dans les fêtes, pour témoigner leur joie. Elles le produisent en appuyant la pointe de la langue contre les dents d’en haut et en la faisant vibrer rapidement.

[344] Un auteur arabe raconte qu’il y avait dans la grande Pyramide une chambre fermée d’où sortait un bourdonnement d’une force incroyable (Carra de Vaux, l’Abrégé des Merveilles, p. 214) ; c’était évidemment ce que nous appelons le serdab, et qui contenait les statues du roi. Notre texte explique la légende arabe et il nous montre qu’elle a une origine antique : les visiteurs de la grande Pyramide croyaient entendre le même bruit de fête royale que Roudîtdidît et sa servante entendirent dans la huche qui renfermait les couronnes des trois enfants.

[345] Le texte est assez embrouillé à cet endroit. Je crois comprendre que Roudîtdidît prend la huche en terre où les dieux ont enfermé leur blé, qu’elle la met dans une caisse de bois qu’elle recouvre de cuir et sur laquelle elle appose un sceau, puis qu’elle l’enferme dans son cellier, afin d’empêcher que personne n’entendît le bruit mystérieux.

[346] Le crocodile. ou l’hippopotame sont assez souvent en Égypte les ministres de la vengeance divine : Ménès est enlevé par un hippopotame, et Akhthoès, le premier roi de la IXe dynastie, par un crocodile (Manéthon, édit. Unger, p. 78, 107). La servante, battue par son frère, court au canal le plus voisin, afin d’y puiser un peu d’eau pour se panser et pour se rafraîchir : le crocodile, envoyé par Râ, l’emporte et la noie.

[347] La Plaine du Sel est le pays de l’Ouady-Natroun, à l’ouest du Delta et au nord-ouest de Hnès.

[348] Le nom de la femme est mutilé du début : si les deux signes qui en restent sont bien un r et un t, il y a quelque vraisemblance qu’on peut le lire Nofrît ou Nofrét.

[349] Il ne faut pas prendre ce mot au pied de la lettre et s’imaginer que notre homme compte rapporter une charge de pain. Le mot aîkou était pris par les Égyptiens anciens de la même manière que êche en pareil cas par les Égyptiens modernes, afin de désigner toute espèce de denrées pouvant servir à la nourriture d’une famille.

[350] Le rapprochement s’explique lorsque l’on connaît les procédés que les Égyptiens employaient à la fabrication de la bière : ils se servaient de mie de pain rassis en guise de levure. Les scènes reproduites en bas-relief ou en poupées de bois, dans les tombeaux du premier empire thébain ou de l’empire memphite, réunissent toujours la boulangerie et la brasserie sur les mêmes tableaux : on ne doit donc pas s’étonner si notre fellah commande à sa femme de fabriquer à la fois le pain et la bière avec le grain qu’il lui remet.

[351] Aujourd’hui encore on exporte de l’Ouady-Natroun deux espèces de joncs, le somâr et le birdi, qui servent à fabriquer des nattes. La meilleure qualité de ces joncs vient d’au delà de l’Ouady Natroun, de l’Ouady Maghara qu’on appelle aussi l’Ouady es-Soumâra.

[352] Le nom est incomplet : il me semble reconnaître les traces du nom de l’Oasis d’Ouîti, conservé dans celui du village de Baouîti, un des villages de l’Oasis du Nord.

[353] Le Pays des Bœufs est l’Oasis de Farafrah.

[354] Les peaux de chacal paraissent avoir été exportées en paquets de trois, comme on le voit par la forme du signe mos en hiéroglyphes.

[355] Les noms de ces minéraux et de ces graines sont encore mal identifiés à ceux des espèces modernes correspondantes : je les ai traduits sous toutes réserves.

[356] Hâkhininsouton ou Hâkhininsou est la ville que les Assyriens nommaient Khininsou, les Hébreux Khanès, les Coptes Hnès : c’est aujourd’hui Henassiéh ou Ahnas el-Medinéh.

[357] Les deux bourgs de Pafifi et de Madenît ne nous sont pas connus d’ailleurs ; il faut les chercher quelque part entre l’Ouady Natroun et Ahnas, mais beaucoup plus près de cette ville, probablement vers l’entrée du Fayoum.

[358] La suite du récit nous donne la raison de ces préparatifs. Thotnakhouîti, en barrant le sentier, compte obliger le paysan à se porter vers le haut de la route au voisinage du champ. En chemin, l’âne happera quelques tiges ; Thotnakhouîti constatera le délit et confisquera la bête. Aujourd’hui, le propriétaire d’un champ se contente de couper une oreille au baudet : on peut néanmoins citer tel cas où, comme le personnage de notre conte, il s’empare du voleur.

[359] Les mots que je traduis Fais-moi plaisir par à peu près, Iri harou, forment une phrase polie par laquelle les Égyptiens appelaient l’attention de leurs camarades ou des passants sur une opération qu’ils exécutaient ou sur un fait qui les intéressait également. C’est l’équivalent de l’âmel maarouf ou Amelni el-maârouf, des Égyptiens modernes.

[360] Comme nous l’avons dit, la Terre entière est un des noms que les Égyptiens donnaient couramment à l’Égypte (Le conte des deux frères).

[361] Le dicton cité se traduirait littéralement : « Est prononcé le nom du pauvre diable pour son maître. » Il semble signifier, d’après le contexte, que celui qui croit avoir à se plaindre d’un subalterne ne s’arrête pas à maudire celui-ci, mais qu’il cherche aussitôt à en appeler au chef.

[362] La réponse de Thotnakhoulti est une véritable menace de mort. Le seigneur du silence, c’est Osiris, le dieu de l’autre monde : sa ville est le tombeau. Osiris, dans ce rôle, avait pour équivalent à Thèbes une déesse qui porte le nom significatif de Marouitsakro, celle qui aime le silence.

[363] Autant que je puis voir, cette locution, trop concise pour nous, semble devoir se paraphraser, « de peur que je n’aille crier partout que tu es un homme à craindre ! »

[364] Le début du discours rappelle la formule par laquelle commencent les lettres qu’un homme de moindre condition adressait à son supérieur. (Griffith, Hieratic Papyri from Kahun, p. 68.)

[365] Les personnages de haut rang, fonctionnaires royaux ou administrateurs de nomes et de villages, avaient à côté d’eux un certain nombre de notables qui les assistaient dans l’accomplissement de leurs fonctions c’était, ce semble, l’équivalent de la cohors de jeunes gens qui accompagnaient les magistrats romains dans leurs provinces. Ces gens, qu’on appelait sârou, les meshéikh d’aujourd’hui, les prud’hommes, avaient parfois des suppléants uîti mâ sârou qu’on trouve mentionnés souvent sur les monuments de la XIIe dynastie. (Cf. Maspero, Mélanges de Mythologie, t. IV, p. 446-447.)

[366] La construction de ces membres de phrase est assez elliptique dans l’original, et le sens n’en ressort pas très clair. La traduction littérale en est : « Voire, c’est son fellah qui vient à un autre à coté de lui ; voici pour toi ce qu’ils font à leurs fellahs, qui viennent à d’autres à côté d’eux, voici pour toi ce qu’ils font » Les notables semblent supposer que le fellah était en rapports suivis avec Thotnakhoutti, qu’il était le fellah de celui-ci, et qu’il le fournissait de sel, de natron et d’autres produits. Le fellah, au lieu de venir tout droit à son patron attitré comme d’habitude, aurait voulu offrir sa marchandise à d’autres, d’où l’incident. Il ne se serait agi que d’une batterie vulgaire entre marchand et pratique.

[367] Litt. : Fois d’être poursuivi (repoussé) le Thotnakhouîti, pour un peu de natron, pour un peu de sel, soit ordonné à lui rendre cela, il rendra cela ! » Peut-être vaudrait-il mieux traduire avec l’autre sens du verbe touba : « Qu’on lui ordonne de le payer, et il le paiera ».

[368] Le Bassin de la Justice est le nom d’un des canaux de l’autre monde et du canal qui, dans ce monde-ci, passait à Khininsouton, Le fellah, jouant sur le double sens de l’expression, comme Griffith l’a remarqué (Fragments of Old Egyptian Stories, dans les Proceedings, t. XIV, p. 468, note 2), souhaite à Marouîtensi une navigation prospère à la fois sur les eaux terrestres et sur les eaux célestes. La suite de cette première plainte n’est que le développement raisonné de cette première équivoque et de la métaphore d’où elle résulte.

[369] Litt. : « Gouvernail ne va pas en arrière » Le gouvernail était une grande rame, manœuvrée d’avant en arrière : si le courant ou une faute du timonier le déplaçait, si bien qu’il se trouvât placé d’arrière en avant, il n’avait plus d’action sur la marche du bateau. D’où la métaphore de notre texte : affoler n’est qu’une traduction par à peu près.

[370] La veuve ou la répudiée, qui n’a plus d’homme pour la protéger.

[371] Ce développement, qui nous paraît un peu décousu, semble signifier que le maître a tort de dépouiller les êtres sans défense, car enfin, ses besoins sont si bornés et il dépense si peu à nourrir ses clients, qu’il ne lui est pas nécessaire d’accroître sa fortune aux dépens d’autrui. D’ailleurs, quand on meurt, emmène-t-on avec soin tous ces gens qu’il faut entretenir ? et le maître se croit-il éternel qu’il songe à toujours accroître sa fortune ?

[372] Le serviteur dont parle Marouîtensi est le Thotnakhouiti dont le fellah réclame le châtiment.

[373] Le cliquetis de mots par quoi cette phrase commence signifie simplement que, si on remet l’homme opulent dans le poste qu’il avait quitté, c’est pour l’encourager à continuer d’agir bien comme précédemment pendant son premier temps d’emploi : on espère en effet, qu’étant riche déjà il n’aura plus besoin de piller le pays pour s’enrichir et qu’il gérera honnêtement la fortune publique. Or il se trouve que Marouîtensi, honnête lui-même, ne sait pas imposer l’honnêteté à ses gens : il finira par être leur victime et par être ruiné, ainsi qu’il est dit dans la phrase qui suit.

[374] Le dieu crocodile est ou Sovkou ou Set-Typhon, et la dame de la peste est Sokhit-Sakhmît Il semble que le fellah remontrait à Marouîtensi, qu’il était fort et qu’il devrait sévir à la façon de ces deux divinités contre ceux qui commettaient des injustices sous sa protection.

[375] Au lieu d’observer le fleuve et son régime de courants et de vents.

[376] Marouîtensi, dans sa justice, a voulu que le pauvre eût un asile auprès de lui contre la violence, et la digue qu’il a construite, par métaphore, pour l’opposer au torrent de l’injustice, est en bon état, mais la ville d’asile elle-même se révolte contre l’intention du maître et se joint aux oppresseurs.

[377] Les membres d’un grand seigneur sont ses vassaux et ses serviteurs, comme les membres de Râ sont les dieux moindres : le grand seigneur périt par les fautes des siens plus que par ses propres fautes.

[378] Transcrite de la phraséologie égyptienne en expressions modernes, cette phrase signifie qu’être juste, c’est, pour qui l’est, s’assurer la vie devant le roi et les dieux, car rendre au malfaiteur la pareille de ce qu’il a fait, ce n’est pas inscrit comme crime au compte de celui qui agit de la sorte.

[379] Litt : « Tu es placé le second de ces trois. » En d’autres termes : tu deviens une bascule mal équilibrée, une balance fausse, un Thot indulgent où il ne faudrait pas l’être.

[380] Autant que je puis le comprendre, la parole, c’est-à-dire la sentence ou l’ordre équitable rendus par le chef, ont une efficacité proportionnée à la vigueur de celui qui lui répond, c’est-à-dire qui en assure l’exécution. Il est comme l’eau qui donne la vigueur aux vêtements de la parole juste, c’est-à-dire, qui les rend propres et intacts, pendant tout le temps qu’il agit de manière à obtenir ce résultat.

[381] L’image est empruntée aux incidents de la navigation sur le Nil Lorsque le vent est contraire, le pilote navigue au plus près en zigzags, courant d’un bord à l’autre et gagnant un peu à chaque fois. Il y a dans cette manœuvre un moment dangereux, celui ou la barque étant arrivée la proue en avant à l’une des rives, dqait nîti taou, « juste en face de la terre », comme dit le texte, il faut changer de direction : si le coup de barre n’est pas donné au moment voulu, la barque risque d’aller se briser à la berge.

[382] En d’autres mots : « Si tu t’arranges complaisamment pour ne pas voir ce que le puissant fait au faible ».

[383] Le fellah fait ici allusion à un incident de vie rurale qui est souvent représenté dans les tombeaux de l’âge memphite, le passage d’un gué par un troupeau de bœufs (cf. Fragment d’un conte fantastique antérieur à la XVIIIe dynastie du présent volume) que les crocodiles menacent : le mauvais berger, au lieu de veiller à ses bêtes, les laisse aller, et au sortir de l’eau, il ne s’inquiète pas de savoir si le nombre des têtes de bétail est encore exact, ou bien si les crocodiles l’ont diminué de quelques unités.

[384] Voir le même dicton un peu plus haut.

[385] Seuls les pêcheurs de profession et les paysans pêchaient eux-mêmes à la ligne, à la nasse ou au filet : ainsi qu’on le voit sur les tableaux des tombes memphites et thébaines, les nobles prenaient le poisson avec un harpon à pointe simple ou double. La pêche, ainsi entendue, était un exercice d’adresse et de force, comparable aux chasses à l’hippopotame.

[386] Le silencieux est ici, je crois, le dieu de la mort, Osiris ou une autre divinité.

[387] Litt. : « Ne te trouble pas selon ta force ». Celui qui doute de sa force et qui se trouble lorsqu’il ne se croit pas assez fort n’arrivera à rien.

[388] Ne pas oublier qu’en Égypte, comme dans tout l’Orient ancien, le prince et les notables rendaient la justice à la porte de leur maison ou à celle de la ville.

[389] Tous les noms de poissons cités ici ne sont que des équivalents incertains pour les noms égyptiens, dont nous ne connaissons pas la valeur exacte : le bayyâd et le châl sont deux poissons bons à manger, le premier surtout.

[390] On est ici Pharaon qui a Marouîtensi pour maire de son palais.

[391] Et dont les eaux, par conséquent, emportent la digue, ruinant le champ que la digue était censée protéger.

[392] Marouîtensi est appelé « maître de la ruine » parce qu’il ne fait pas restituer son dû au fellah, et « maître silencieux » parce qu’il ne répond pas à ses plaintes.

[393] Le scribe a passé ici un mot, par assonance : me harou harou-k. Le fellah prie Marouîtensi qui, voyant tout, peut remédier à tout, de ne pas détourner de lui sa face et de ne pas le laisser dans sa misère.

[394] Marouîtensi, étant équitable ; partage en deux moitiés exactes le bien de ses subordonnés et il ne prend que la moitié qui lui est due : le fellah le supplie ici de ne pas se montrer rapace et de ne pas garder le tout.

[395] L’opposition est ici entre le bien acquis par des moyens illégaux et les biens légitimes, ceux qui sont apportés – anou – au maître ou que le maître apporte lui-même. Le fellah conseille à Marouîtensi de donner « à son frère », c’est-à-dire à son prochain, ce qu’il apporte de ses domaines, une portion de ses revenus légitimes, car le fait de les garder pour lui seul, de les manger - ouagait - comme dit le texte, est « sans exactitude, » est un mal à propos, une maladresse. Le pauvre à qui rien n’est donné en devient rancunier - ahou - et il « conduit à séparer » il conduit à la discorde, et celui qui conte sa peine tout bas, « celui qui fait savoir » sarkhi, – il apporte les scissions mais sans qu’on soupçonne ses sentiments.

[396] La suite des idées n’est pas facile à saisir : voici comme je l’établis. Après avoir montré combien il est dangereux pour l’homme en place qu’est Marouîtensi de soulever des rancunes cachées, le fellah, revenant à son affaire, le supplie de réprimer l’injustice : s’il veut le faire, qui osera lui résister ouvertement ? Son action sera comme celle du courant qui se forme à la rupture d’une digue, quand la crue est dans son fort : les bateaux entraînés par lui font naufrage et leur cargaison s’éparpille le long des berges.

[397] Lit. : « Tu es le second de Thot », ou peut-être, « tu es le frère de Thot », le dieu qui joue le rôle de greffier au jugement des âmes.

[398] Littér. : « N’est pas à toi cela devenir le large de face un étroit de cœur ».

[399] Litt. : « Étant l’impartial il se fait large en amitié, il anéantit action qui se produit, n’a pas été su ce y qu’il a dans le cœur ».

[400] Les vertus qui pour nous sont des abstractions, la Vérité, la Justice, étaient pour les Égyptiens des déesses : ne nous étonnons point de voir qu’on leur appliquait des formes de langage en usage pour les êtres vivants. Nous dirions ici « la Vérité ne le connaît plus »

[401] Au lieu de venir, comme notre homme, chaque jour à la porte du palais.

[402] Lit. : « Il n’y a pas restreint de face, que tu n’aies fait être muni de face. »

[403] Cf. plus haut, dans Le roi Khoufoui et les magiciens, l’histoire du magicien Didi qui rattachait à leur place les têtes coupées. L’expression remetteurs en place de têtes coupées semble avoir été une locution toute faite pour désigner les plus savants d’entre les savants.

[404] Litt. : « il danse » avec le mot employé pour désigner les diverses sortes de danses qu’on voit figurer sur les murailles des mastabas memphites.

[405] Ici encore Marouîtensi est désigné par cette épithète, pour la raison indiquée plus haut.

[406] Le mot faqaou désigne les revenus que Marouîtensi tirait de ses propriétés urbaines, maisons, boutiques ou usines ; âqaou, lit. les pains, comprend en soi-même le traitement en nature qu’il touchait aux entrepôts royaux en tant qu’employé de l’État.

[407] Littérat. : « pour les moitiés de terres affermées. » Il semble que, dans la pratique de l’Égypte antique, l’État, les villes ou les riches propriétaires affermaient les terres qui leur appartenaient aux paysans contre partage des produits du sol par moitié.

[408] Le maître du vrai ou du juste est Thot : le vrai du maître du vrai c’est la vérité et la justice telles que Thot les pratique, et qui sont le vrai du vrai et le du juste juste, nous dirions la quintessence du vrai et du juste.

[409] Litt. : « compte du discours du dieu ». Thot, greffier du tribunal osirien (cf. plus haut), notait les indications de la balance à la pesée des actes, et il proclamait le résultat de cette pesée dans un discours : selon ce qu’il avait consigné dans ce rapport, le mort était admis au paradis osiriaque ou en était exclu, et son nom restait en bonne ou en mauvaise odeur sur la terre.

[410] Cf. pour le sens de ce mot, ce qui est dit plus haut dans les notes.

[411] Littér. : « Tu ne m’as pas donné les équivalents de cette parole ». Le paysan veut dire par là que Marouîtensi n’a pas agi envers lui comme il aurait dû le faire, s’il avait pris en considération l’aphorisme que la tradition mettait dans la bouche de Râ.

[412] C’est d’après la langue des gens qu’on apprécie ce qu’ils valent, et d’autre part, c’est en pesant les paroles qu’on vérifie si l’appréciation qu’on s’est formée d’eux est exacte.

[413] Lit. : « est égalisé le compte à toi ». En d’autres termes, lors du jugement des morts, le châtiment infligé par Marouîtensi à un criminel ne lui sera pas imputé à mal, ou mieux ne figurera pas au compte des mauvaises actions.

[414] Le début de la phrase se traduirait littéralement : « devient sa part se retourne la vérité en face de lui ». La fin en est de lecture difficile, et je me suis borné à indiquer en gros le sens que j’ai cru y reconnaître, sans essayer de la traduire exactement.

[415] Il y a ici, je crois, une allusion au bac qui transportait les doubles de ce monde au domaine d’Osiris : celui qui n’exerce pas la justice et la vérité ne sera pas admis, après sa mort, à vivre chez ce dieu.

[416] N’ayant pas de postérité, personne ne se souciera de célébrer pour lui le culte funéraire : son âme sera condamnée à l’oubli, puis au néant.

[417] Le terme employé ici pour la navigation, - saqdoudou – est celui qu’on appliquait à la course du Soleil autour du monde, pendant le jour et pendant la nuit : le mort ne sera pas admis à suivre le dieu, et sa barque périra avant d’atteindre le port céleste où il voulait aborder.

[418] Litt. :« Ne sois pas lourd, tu n’es pas léger ; ne marche pas pesamment, tu ne cours pas ». Si je comprends bien la phrase, elle signifie que le fellah recommande à Marouîtensi de ne pas traiter brutalement ses subordonnés : il n’a pas besoin de peser sur eux ni de les attaquer avec force, il est déjà assez pesant et son allure est déjà assez lourde pour qu’il n’aggrave pas le mal qu’il leur cause naturellement, sans y prendre garde, par le jeu de sa seule nature.

[419] Litt. : « N’écoute pas de ton cœur ». Écouter de cœur veut dire obéir dans le copte et dans la langue ancienne : ici je pense qu’il faut lui prêter un sens un peu différent, s’écouter soi-même, n’écouter que soi, être égoïste.

[420] Litt. : « Si tu tombes dans la négligence, est fait rapport de ton concept, de ta conduite ».

[421] Donné le contexte, cette phrase me parait signifier que le négligent, – il vaudrait peut-être mieux traduire l’indifférent, – ne peut pas compter sur la reconnaissance, puisqu’il n’a fait aucun bien à autrui dans le passé, hier, comme dit notre texte.

[422] Ainsi que Vogelsang l’a bien vu, le fellah désespéré songe ici à transporter sa plainte dans l’autre monde, auprès du dieu des morts (die Klagen des Bauern, p. 15, note 2). Est-ce en se tuant lui-même ? Le mot samamou employé plus haut s’applique plutôt à un assassinat ou à une exécution. Le fellah craint évidemment que Marouîtensi, fatigué et blessé de ses plaintes, ne se débarrasse de lui sans autre forme de procès.

[423] La réponse du fellah est trop souvent interrompue par des lacunes pour qu’il me soit possible d’en deviner le sens. Dans ce qui précède, je crois voir une allusion à la soif qui accompagne souvent les grandes émotions ou les grandes souffrances corporelles.

[424] Les amis occupaient les postes les plus élevés à la cour de Pharaon : au Papyrus Hood du British Museum, la hiérarchie les place au septième rang après le roi. Ils se divisaient en plusieurs catégories : les amis uniques, les amis du sérail, les amis dorés, les jeunes, dont il n'est guère possible d'établir la position exacte. Le titre continua d'exister à la cour des Ptolémées et il se répandit, dans le monde macédonien (Maspero, Études égyptiennes, t. II, p. 20-21).

[425] Le protocole de Sinouhît renferme, à côté des dignités égyptiennes ordinaires, un titre malheureusement mutilé et qu'on n'est pas accoutumé à rencontrer sur les monuments, mais qui le met en rapport avec les Bédouins de l'Asie. Sinouhît avait été en effet chef de tribu chez les Saatiou et il lui en restait quelque chose, même après être rentré en Égypte, à la cour de Pharaon. C'est un fait nouveau et qu'il n'est pas inutile de signaler à l'attention des Égyptologues.

[426] Le Sanouosrît et l'Amenemhaît dont la princesse est la femme et la fille sont désignés ici par le nom des pyramides dans lesquels ils étaient enterrés, Khnoumisouitou et Qanofir. Le Musée du Caire possède deux statues d'une princesse Nofrit, qui ont été découvertes par Mariette à Sân, l'antique Tanis (Maspero, Guide to the Cairo Museum, 5e éd., 1910, p. 93, 94, n° 200 et 201).

[427] L'un des textes, celui que l'Ostracon du Caire nous a conservé, porte ici la mention du deuxième mois d'Iakhouît.

[428] En d'autres termes, le roi Amenemhaît 1er mourut. On a déjà vu, p. 20 du présent volume, un autre exemple de cet euphémisme.

[429] Les Timihou sont les tribus berbères qui habitaient le désert libyen, à l'occident de l'Égypte.

[430] Le roi mort, les amis du sérail avaient dû prendre la régence en l'absence de l'héritier.

[431] Le faucon qui s'envole est, selon l'usage égyptien, le nouveau roi, identifié soit à Harouêri, Horus l'aîné, soit à Harsiésît, Horus fils d'Isis.

[432] Sinouhît évite de nous apprendre par quel accident il se trouvait en posture d'entendre, à l'insu de tous, la nouvelle que le messager apportait au nouveau roi. Nous ne savons pas si la loi égyptienne décrétait de mort le malheureux qui commettait en pareil cas une indiscrétion même involontaire : le certain est que Sinouhît craint pour sa vie et qu'il se décide à la fuite.

[433] Sinouhît se cache dans les buissons tandis que le cortège royal défile secrètement sous ses yeux, puis il se fraie un chemin à travers les fourrés, évitant la route suivie par le Pharaon.

[434] Ce passage ne peut guère faire allusion qu'à une guerre civile. En Égypte, comme dans tous les pays d'Orient, un changement de règne entraînait souvent une révolte : les princes qui n'avaient pas été choisis pour succéder au père prenaient les armes contre leur frère plus heureux.

[435] Pour ce nom géographique et pour les suivants, voir l'introduction de ce conte.

[436] L. Borchardt, zu Sinuhe 25 ff., dans la Zeitschrift, 1891, t. XXIX, p. 63.

[437] Le papyrus du Ramesséum donne ici en variante le Lotanou supérieur ; cf. l'introduction de ce conte.

[438] Probablement des transfuges échappés d'Égypte dans des conditions analogues à celles où l'évasion de Sinouhît s'était produite.

[439] La question du prince de Tonou, un peu obscure à dessein, est d'autant plus naturelle que nous savons par d'autres documents (Papyrus Sallier II, p. 1, lign. dern., p. 2, lign. 1-2) qu'Amenemhaît Ier avait failli succomber à une conspiration de palais. Ammouianashi demande à Sinouhît s'il n'a pas été impliqué dans quelque tentative de ce genre, et s'il n'a pas dû s'échapper à la suite de l'assassinat du roi.

[440] Sokhît, ou Sakhmît, qu'on a longtemps confondue avec Pakhouît, était une des principales déesses du Panthéon égyptien. Elle appartenait à la triade de Memphis et elle avait le titre de grande amie de Phtah. C'était une lionne ou une déesse à tête de lionne : avec une tête de chatte, elle se nommait Bastît et elle était adorée à Bubaste, dans le Delta.

[441] Sinouhît répond à la question par laquelle le chef de Tonou lui demandait si son exil n'avait point pour motif quelque complicité dans un attentat dirigé contre la vie du roi. Sa fuite est comme une volonté de Dieu, comme une fatalité ; et, en effet, nous l'avons vu plus haut, c'est par hasard et sans le vouloir qu'il a appris la mort d'Amenemhaît. Afin de mieux montrer qu'il n'a jamais trempé et ne trempera jamais dans aucun complot, il se lance dans un éloge emphatique du nouveau Pharaon Sanouosrît Ier : l'exagération du compliment devient ici une preuve de loyalisme et d'innocence.

[442] Un des titres qu'on donne à Sokhît et à ses formes belliqueuses.

[443] C'est la formule égyptienne pour indiquer que le pouvoir royal appartient au roi dès le moment qu'il est conçu dans le sein de sa mère.

[444] D'après Gardiner (Notes on the Story of Sinuhe, dans le Recueil, t. xxxii, p. 224), ce passage signifierait qu'il laisse l'Égypte plus populeuse qu'elle ne l'était au temps de sa naissance ; il rappelle à ce propos les noms d'Horus, celui qui renouvelle les naissances pour Amenemhaît Ier, et celui qui est la vie des naissances, pour Sanouosrît Ier.

[445] Les peuplades nomades qui habitent le désert à l'Orient de l'Égypte. Ils sont appelés ailleurs Harouiou-Shâîou, les maîtres des sables : la variante Nomiou-shâîou parait signifier ceux qui dominent les sables.

[446] Voir dans l'introduction de ce conte, l'identification proposée pour cette localité.

[447] Le mot a été laissé en blanc dans le manuscrit de Berlin. Très probablement il était illisible dans le papyrus original, d'après lequel la copie que nous possédons du conte de Sinouhît a été faite ; le scribe a préféré ne rien mettre plutôt que de combler la lacune de sa propre autorité.

[448] Litt. : les archers. C'est le nom générique que les Égyptiens donnaient aux peuplades nomades de la Syrie, par opposition à Monatiou, qui en désignait les peuplades agricoles.

[449] Ce sont les expressions dont on se servait dans les rapports officiels, pour décrire les ravages des guerres conduites par les Pharaons. Sanouosrît III dit de même : « J'ai pris leurs femmes, j'ai emmené leurs subordonnés, me manifestant vers leurs puits, chassant devant moi leurs bestiaux, gâtant leurs maisons et y mettant le feu » (Lepsius, Denkm., II, pl. 136, h, l. 14-16).

[450] Tout ce passage est d'interprétation difficile. J'ai adopté dans l'ensemble la dernière traduction de Gardiner (Notes on the Story of Sinuhe, dans le Recueil, t. XXXIII, p. 68-72). Sinouhît paraît penser que son origine étrangère est la cause de la provocation dont autrement il ne comprendrait pas les motifs : il l'accepte pourtant, et il s'en remet au jugement de Dieu.

[451] Le dieu de la guerre à Thèbes. Il était adoré à Hermonthis dans le voisinage immédiat de la grande ville, et les Grecs l'identifièrent avec Apollon : c'était en effet un dieu solaire, et les monuments le confondent souvent avec Râ, le soleil.

[452] La vocalisation, en i de ce nom est donnée ici par le manuscrit, quand plus haut l'i n'était pas écrit. Les Égyptiens, dans leur système imparfait d'écriture, étaient fort embarrassés de rendre le son des voyelles étrangères : de là, les différences qu'on observe dans l'orthographe d'un seul et même nom.

[453] Cf. le même souhait exprimé en faveur du Naufragé par le serpent qui l'a accueilli dans son île, dans Le naufragé du présent volume.

[454] Autant que je puis comprendre, Sinouhît prie le roi d'examiner et la disgrâce qu'il a encourue et l'Égypte d'où il a été banni, puis, considérant la disproportion entre cette disgrâce et la cause qui l'a produite, de le rappeler, lui Sinouhît, en Égypte.

[455] C'est un des titres de la reine. Comme on l'a vu un peu plus haut, p. 79, Sinouhît était l'administrateur du harem et par suite des biens de la reine : il demande à reprendre son ancienne fonction.

[456] Les villes éternelles ou la maison éternelle est le nom que les Égyptiens donnaient à la tombe.

[457] La Dame de tout est, comme le Maître de tout, une divinité des morts. Erman (Aus den Papyrus der Königlichen Museen, p. 22, note 2) et Gardiner (Notes on the Story of Sinuhe, dans le Recueil, t. xxxiii, p. 85-86) pensent qu'il s'agit plutôt de la reine : Sinouhît souhaiterait de la servir éternellement dans l'autre monde, comme il l'a servie dans celui-ci.

[458] On sait la crainte que les Égyptiens avaient de mourir et surtout de rester ensevelis à l'étranger : ils pensaient ne pouvoir jouir de la vie d'outre-tombe que si leur momie reposait dans la terre d'Égypte. C'est pour éviter l'opprobre et le malheur d'un tombeau en Syrie que Sinouhît, parvenu à la vieillesse, demande à rentrer au pays ; s'il insiste tant sur ces idées funèbres, c'est qu'elles étaient, plus que toute autre considération, de nature à lui valoir la pitié du Pharaon.

[459] C'est le prénom du roi Sanouosrît Ier, fils et successeur d'Amenemhaît Ier, avec une variante sur le mot ka.

[460] Les Égyptiens, comme tous les peuples orientaux, attachaient une grande importance non seulement aux paroles qui composaient leurs formules religieuses, mais encore à l'intonation qu'on donnait à chacune d'elles. Pour qu'une prière fût valable et qu'elle eût son plein effet auprès des dieux, il fallait qu'on la récitât avec la mélopée traditionnelle. Aussi le plus grand éloge qu'on pût faire d'un personnage obligé à réciter une oraison était-il de l'appeler mâ-khrôou, juste de voix, de dire qu'il avait la voix juste et qu'il savait le ton qu'il devait donner à chaque phrase. Le roi ou le prêtre qui faisait l'office de lecteur (khri-habi, voir Le roi Khoufoui et les magiciens) pendant le sacrifice était dit Mâ-khrôou. Les dieux triomphaient du mal par la justesse de leur voix, quand ils prononçaient les paroles destinées à rendre les mauvais esprits impuissants. Le mort, qui passait tout le temps de son existence funéraire à débiter des incantations, était le mâ-khrôou par excellence. La locution ainsi employée finit par devenir une véritable épithète laudative, qu'on joignait au nom de tous les morts et de tous les personnages du temps passé dont on parlait sans colère.

[461] L. Borchardt, der Ausdruck Bk im, dans la Zeitschrift, 1889, t. XXVII, p. 122-124.

[462] Les Infants sont, ou bien les enfants du roi régnant, ou les enfants d'un des rois précédents ; ils prennent rang dans la hiérarchie égyptienne immédiatement après le roi régnant, la reine et la reine-mère (Maspero, Études égyptiennes, t. II, p. 14, 16).

[463] Le nom de ce roi est formé du prénom Khopirkérîya de Sanouosrît Ier et du nom d'Amenemhaît II. Sur la valeur de cette combinaison, voir l'introduction générale de cet ouvrage (chapitre II).

[464] Ceci est la réponse à l'appel indirect que Sinouhît avait adressé plus haut à la reine dont nous savons qu'il était l'un des principaux officiers, ainsi qu'aux enfants que le Pharaon avait eus de cette princesse. Il semble résulter de ce passage que leur intercession avait été efficace et que Sinouhît devait le pardon de sa faute aux prières de Nofrît et des Infants.

[465] Gardiner a déterminé exactement la coupe générale de la phrase avec beaucoup de sagacité, mais il me semble que le sens du détail lui a échappé (Notes on the Story of Sinuhe, dans le Recueil, t. XXXIII, p. 87-89). Maudire, en d'autres termes, prononcer contre un individu ou contre un objet des imprécations qui obligeaient les dieux mis en cause à le détruire, était une faculté qui n'appartenait qu'aux personnes en possession de la plénitude de leurs droits civils, comme celle de siéger parmi les Notables : en s'exilant volontairement Sinouhît a renoncé à ses facultés, si bien que sa malédiction n'a plus aucune valeur, et qu'on n'en tient pas compte. Si, pour empêcher qu'on ne le vole, il prononce les imprécations usuelles en pareil cas, on ne les redoute plus et on peut le voler impunément. Ce n'est qu'un exemple pour indiquer le sens que j'attribue à ce passage : il serait trop long d'en citer d'autres.

[466] Rappelons une fois encore que Sinouhît avait été attaché au harem de la reine. Même pendant qu'il était en exil, celle-ci avait pris sa défense et avait entretenu les bonnes dispositions du Pharaon à son égard.

[467] Voir plus haut ce qui est dit des Amis royaux.

[468] Le nom de la déesse Taît signifie littéralement linge, bandelettes : c'est la déesse qui préside à l'emmaillotement du nouveau-né et du nouveau-mort. Les cérémonies auxquelles ce passage fait allusion sont décrites dans un livre spécial, que j'ai eu la chance de publier et de traduire sous le titre de Rituel de l'embaumement (Maspero, Mémoire sur quelques papyrus du Louvre).

[469] Les cercueils des momies de la XIe dynastie et des époques suivantes que nous avons au Louvre, par exemple, sont en effet dorés complètement, à l'exception de la face humaine qui est peinte en rouge et de la coiffure qui est peinte en bleu.

[470] On déposait la momie sur un lit funéraire que surmontait un baldaquin en bois, pendant les cérémonies de l'enterrement. M. Rhind en trouva un à Thèbes (Rhind, Thebes, its Tombs and their Tenants, p. 89-90), qui est aujourd'hui au musée royal d'Édimbourg. J'en ai découvert trois depuis lors : le premier à Thèbes, de la Xllle dynastie ; le second, à Thèbes également, de la XXe dynastie ; le troisième à Akhmim, d'époque ptolémaïque. Ils sont tous au musée du Caire (Maspero. Archéologie égyptienne, p. 279 et Guide to the Cairo Museum, 5e édit., 1910, p. 496, 511-512). Le musée du Caire possède également deux traîneaux à baldaquins, nous dirions deux corbillards, de la XXe dynastie (Maspero, Archéologie, p. 279, et Guide to the Cairo Museum, 5e édit., 1910, p. 487, 488), déterrés à Thèbes en 1886, dans le tombeau de Sannozmou. Ils appartiennent à la catégorie de ceux qu'on attelait de bœufs afin de traîner la momie à sa demeure dernière.

[471] Dans les tombeaux de l'âge thébain, surtout dans ceux de la XVIIIe Dynastie, on voit deux ou trois personnages, des hommes aux endroits que je connais, vêtus du pagne court, et la tête surmontée d'une haute coiffure, probablement une perruque à long poil ou leurs cheveux poussés long, qui sont relevés en pain de sucre et liés au-dessus de leur tête. Ce sont les baladins qui exécutaient les danses mortuaires pendant les funérailles et qui amusaient la foule dans les intervalles des lamentations et des pleurs par leurs contorsions ou par leurs tours de force.

[472] Lors des funérailles et à tous les offices célébrés par la suite en l'honneur des morts, l'homme au rouleau appelait, – nais – l'un après l'autre les objets nécessaires à la subsistance et au bien-être d'un être humain, puis il les posait sur la table d'offrandes, d'où, par la vertu des formules, ils passaient soudain sur le guéridon du mort.

[473] C'est la description exacte des funérailles égyptiennes, telles que les monuments nous en font connaître le détail (cf. Maspero, Études égyptiennes, t. I, p. 81-194).

[474] Nous savons par Hérodote (II, lxxx,) que les Égyptiens n'aimaient pas qu'on mît de la laine avec leurs morts : nous savons aussi que, malgré leur répugnance, on employait parfois la peau de mouton pour les enterrements, et l'une des momies de Déîr-el-Bahari (n° 5289) était enveloppée d'une peau blanche encore garnie de sa toison (Maspero, les Momies royales, dans les Mémoires présentés par les Membres de la Mission permanente, t. I, p. 548). Comme cette momie est celle d'un prince anonyme, qui parait avoir été empoisonné, on peut se demander si la peau de mouton n'était pas réservée aux gens d'une certaine catégorie, à des suppliciés ou à des prisonniers, que l'on condamnait à être impurs jusqu'au tombeau. S'il en était ainsi, on comprendrait la place qu'occupe la mention de la peau de mouton dans le rescrit royal : le Pharaon, en promettant à Sinouhît qu'on le mènera au tombeau avec l'appareil solennel des princes ou des riches, et qu'on n'enveloppera point sa momie dans la peau de mouton des condamnés, lui assurait par là le pardon plein et entier même dans l'autre vie.

[475] Le membre de phrase final parait être altéré dans le seul manuscrit que nous ayons pour ce passage. La longue description qu'il termine répond à la requête que Sinouhît avait adressée plus haut, d'être autorisé à venir reposer dans la terre natale, et elle montre que l'appel adressé par lui à la compassion du souverain avait été exaucé : il aura tous les rites nécessaires à la survivance de son double, et son avenir au tombeau est assuré par la clémence royale.

[476] Les Égyptiens appelaient cette cérémonie san-taou, flairer la terre c'était l'accompagnement obligé de toute audience royale ou de toute offrande divine ; cf. Le cycle de Pétoubastis, L’emprise du trône, du présent volume.

[477] Sovkou est le dieu crocodile qu'on adorait à Ombo, à Esnèh et dans tes villes du Fayoum.

[478] Toumou, Atoumou, est le dieu d'Héliopolis, le chef de l'Ennéade divine qui a créé et qui maintient le monde depuis le premier jour. Sur sa Neuvaine des dieux, et sur la Neuvaine en général, cf. le Conte des deux Frères.

[479] Soupdou, qui reçoit ces diverses épithètes, était le dieu adoré dans le nome arabique de l'Égypte ; il est figuré parfois sous forme d'un homme portant sur la tête le disque solaire, et il reçoit le titre du plus noble des esprits d'Héliopolis. Il ne faut pas le confondre avec la déesse Sopdît, en grec Sothis, qui représente la constellation la plus célèbre du ciel égyptien, celle qui correspond à notre Sirius.

[480] La royale Uræus est le serpent que le roi porte attaché à sa couronne et qui était censé le protéger contre ses ennemis.

[481] Minou, l'Horus des pays étrangers, est le dieu du désert arabique et, d'une manière générale, celui de tous les pays qui environnent immédiatement l'Égypte, à l'Orient comme à l'Occident.

[482] Ouarourît ne m'est guère connue que par ce passage. Son titre dame du Pouanît semble montrer en elle une forme secondaire d'Hâthor, que diverses traditions fort anciennes faisaient venir de ce pays. Ouarourît serait-elle l'Alilat des écrivains classiques ?

[483] Nouît est la déesse ciel. Elle forme avec Sibou-Gabou, le dieu terre, un couple divin, l'un des plus antiques parmi les couples divins de l'Égypte, l'un de ceux qui n'ont pas pu être ramenés au type solaire par les théologiens de la grande école thébaine du temps des Ramsès. Des tableaux représentent Nouît repliée sur son époux et figurant par la courbure de son corps le firmament étoilé.

[484] Horus l'aîné, Harouêri, dont les Grecs ont fait Aroéris, est un dieu solaire au même titre que Râ, ce qui explique qu'il soit réuni avec lui dans ce passage. Il ne doit pas être confondu avec Horus le jeune, fils d'Isis et d'Osiris.

[485] Les Égyptiens donnaient à la mer le nom de Très Verte, Ouâz-ouêrit. Ce nom s'applique parfois à la mer Rouge, mais plus souvent à la Méditerranée : c'est de cette dernière mer qu'il est question ici.

[486] La chose qu'il était grave d'énoncer, et que le Souverain a connue dans sa sagesse, est la prière que Sinouhît vient de prononcer à l'effet d'être admis à rentrer en Égypte.

[487] Les rois de l'Égypte primitive pensaient descendre directement d'Horus, le faucon divin, et par conséquent ils s'intitulaient l'Horus. Par la suite, ce premier sens s'affaiblit et l'on déclara que le roi vivant, étant l'incarnation de Dieu, s'identifiait à la troisième personne de la trinité égyptienne, au dieu fils : il était donc l’Horus, l'Horus vivant, la vie d'Horus, ainsi qu'il est dit dans les protocoles officiels.

[488] Khonti-Kaoushou signifie au propre celui qui est emprisonné dans Kaoushou, et semble par conséquent désigner un personnage originaire de l'Éthiopie. Toutefois, le voisinage de Kadimâ indique plutôt une localité syrienne, que je ne sais où placer exactement.

[489] Les mots que je rends par les pays soumis ont été rendus par H. Brugsch et par d'autres le pays des Phéniciens. Sans entrer dans la question de savoir si le nom ethnique Fonkhou se prête à une identification avec la Phénicie, il suffit de dire que l'orthographe du manuscrit ne nous permet pas de le reconnaître dans ce passage. Je ne sais pas d'ailleurs quelle région les Égyptiens désignaient sous le nom de pays soumis ou plus exactement de pays ravagés.

[490] Iabou est le nom égyptien d'Éléphantine, Athou celui d'un canton du Delta : ces deux localités, qui sont situées, la première à l'extrême sud, la seconde à l'extrême nord de l'Égypte, servaient proverbialement, comme Dan et Bershébâ chez les Hébreux, à désigner toute l'étendue du pays. Un homme d'Iabou qui se voit à Athou, c'est un égyptien du nord transporté au sud et complètement dépaysé ; la différence, non seulement des mœurs, mais encore des dialectes, était assez grande pour qu'on pût comparer le langage inintelligible, d'un mauvais écrivain au parler d'un homme d'Iabou qui se trouve à Athou.

[491] La traduction exacte serait dans le pays de Khonti. Ce pays de Khonti doit représenter, par opposition à la plaine cultivée de l'Égypte, Khato, la Nubie ou les pentes sèches et stériles qui bordent la vallée à l'est et à l'ouest (cf. Brugsch, Dictionnaire géographique, p. 1281-1284).

[492] M. Gardiner transporte ici, avec raison je crois, le membre de phrase qui, dans le seul manuscrit que nous ayons, se trouve deux lignes plus haut (die Erzählung des Sinuhe, p. 13). Il semble que le scribe, arrivé au bas de sa page, avait passé toute la péroraison de ce document à partir de je laisserai ; il s'est aperçu de son erreur avant d'avoir écrit autre chose que le membre de phrase déplacé, et il a mis tout ce qui manquait au-dessus et à la suite de celui-ci, sans songer à rétablir les mots qu'il avait insérés ainsi par erreur au haut de la page suivante, à l'endroit même où ils appartenaient.

[493] Voir l'introduction de ce conte.

[494] La bière était préparée au jour le jour, en même temps que le pain, qu'on employait en guise de levure pour faire fermenter le brassin.

[495] Le nom de cette localité est écrit Taîtou, litt. la dominatrice. Griffith y a reconnu très ingénieusement un équivalent de l'expression Taîtou-taoui, litt. la dominatrice des deux terres, qui sert à désigner la ville royale des premiers rois de la XIIe dynastie, au voisinage des pyramides de Licht.

[496] Il s'agit ici des colosses ou plutôt des sphinx qui, selon l'usage, étaient érigés de chaque côté des portes d'un temple ou d'un palais.

[497] Voir plus haut, dans le Conte de Khoufoui, une description d'audience royale, moins développée, mais analogue à celle-ci pour les termes employés.

[498] Les Égyptiens se servaient beaucoup de l'or et des métaux précieux dans l'ornementation de leurs temples et de leurs maisons : il est fait mention fréquente de portes, de colonnes, d'obélisques recouverts de feuilles d'or, d'argent ou d'électrum, c'est-à-dire d'un alliage d'or et d'argent dans lequel il entrait au moins vingt pour cent d'argent. L'Embrasure de Vermeil, la Porte dorée où les Pharaons siégeaient en audience, tirait son nom de la décoration qu'elle avait reçue. La grande salle des tombes royales thébaines, correspondant à la Salle du trône des palais, s'appelle la Salle d'Or, bien qu'elle ne fut pas dorée : sans doute elle avait été autrefois décorée de feuilles de métal, et le nom lui en était resté.

[499] Sinouhît proteste de son innocence une fois de plus. Nous avons vu dans quelles circonstances il s'était enfui, et cette fuite précipitée aurait pu donner lieu de croire qu'il avait été mêlé à un complot contre Amenemhaît, surtout contre Sanouosrît. De plus les clauses du traité entre Ramsès II et le prince de Khati, relatives à l'échange des transfuges, montrent avec quel soin Pharaon essayait de reprendre ceux de ses sujets qui s'enfuyaient à l'étranger. C'est à ces causes que Sinouhît revient avec tant d'insistance sur le motif de sa fuite et sur la fatalité dont il a été victime.

[500] D'après Loret (les Cymbales égyptiennes, dans Sphinx, t. V, p. 93-96) l'instrument que je désigne sous le nom de crotales serait les cymbales. Le cérémonial des audiences pharaoniques comportait, comme celui des audiences byzantines, des chants réglés à l'avance. Les Infants, après avoir salué le roi, commencent cet acte de la cérémonie : ils prennent leurs insignes, qu'ils avaient déposés avant le défilé et l'adoration devant le roi, puis, avec leurs insignes, le sistre qui doit rythmer leur mélopée.

[501] Sceptre ne répond pas exactement au terme employé en cet endroit, et qui se lit sakhmou. Le sakhmou était à l'origine une arme de guerre et de chasse, composée d'une sorte de lame plate en bois dur, coupante des deux côtés, taillée carrément par le haut et montée sur un manche arrondi : elle agissait à la façon d'un sabre et d'un casse-tête à la fois, assommant plus encore que tranchant. Elle était primitivement si bien liée à l'idée de l'homme fort, qu'elle lui servit d'emblème et qu'on la déposait dans le tombeau comme un soutien ou un corps de la survivance : le sakhmou, l'épée de bois animée par l'esprit de son ancien maître terrestre, est une forme de l'âme, comme le double et comme le lumineux. De même que chez nous l'épée avait fini par devenir chez les gens de cour une simple marque de rang, le sakhmou n'était plus chez les égyptiens de l'âge historique qu'un emblème honorifique : les gens de bonne famille ou les employés le portaient en cérémonie. Une de ses variétés, le Kharpou, ou parfois lui-même, jouait un rôle dans le sacrifice : tandis qu'autrefois on s'était servi de lui afin d'abattre réellement la victime, le personnage qui offrait se bornait à l'élever au-dessus de la tète de celle-ci pour donner au boucher le signal de l'égorgement.

[502] La locution poser les parures de la Dame du Ciel paraît exprimer, d'après le contexte, une idée de clémence. Plusieurs divinités portent le titre de Dame du Ciel ; la mention de Noubouît, la dame d'or, à la ligne suivante prouve que c'est d'Hathor qu'il est question ici.

[503] Ici de même que plus haut (cf. Les mémoires de Sinouhît), cette expression désigne soit une déesse, – Hathor dans son rôle funéraire, – soit, comme Gardiner le veut (Notes on the Story of Sinuhe dans le Recueil, t. XXXIII, p. 85-86), la reine Nofrît.

[504] Cette variante du nom de Sinouhît, signifie littéralement le Fils du Nord : Gardiner (die Erzählung des Sinuhe, p. 14, note 5) traduit le Fils du Vent du Nord. Sinouhît est appelé le Sîti, à cause de ce long séjour chez les Bédouins qui lui avait fait perdre le bel air de la cour ; le roi avait déjà dit plus haut qu'il venait comme un rustre avec la tournure d'un Sîti. – Le Tomouri, la terre des canaux, est un nom du Delta qu'on appliquait également à l'Égypte entière.

[505] Les personnages attachés à la cour de Pharaon reçoivent deux qualifications collectives, celle de Shanouatiou, les gens du cercle, ceux qui sont en cercle autour du souverain, et celle de Qanbouatiou, les gens de l'angle, peut-être ceux qui se tiennent aux angles de la salle d'audience.

[506] Le Rouîti, ou, avec l'article, le Prouîti, est, comme Parouî-âou, Pharaon, une dénomination topographique qui a servi d'abord à désigner le palais du souverain, puis le souverain lui-même. On l'a vu dans l'Introduction de cet ouvrage (chapitre II), c'est de ce titre que la légende grecque tira le Protée, roi d'Égypte, qui reçut Hélène, Pâris et Ménélas à sa cour (Hérodote, II, cxii-cxvi). Ici on doit prendre le terme dans son sens étymologique, et y reconnaître la double porte qui fournissait accès au palais, et sous laquelle les Pharaons donnaient audience ou rendaient la justice. Sinouhît est conduit par les Infants à la double grande porte afin d'y recevoir légalement la donation que le souverain lui fait (Spiegelberg, Ueber zwei Stellen der Sinuhe-Novelle, dans Sphinx, t. IV, p. 140-141).

[507] À chaque palais du roi et à chaque hôtel ou château de riche particulier étaient attachées ce qu'on appelait des maisons ou des chambresaît – où l'on fabriquait tout ce qui était nécessaire à la vie, et où logeaient tous les esclaves ou tous les artisans employés à la fabrication. Il y avait ainsi les maisons de la viande, de la bière, du pain, des étoffes, et ainsi de suite. Les scènes figurées en poupées de bois qu'on trouve dans les tombeaux du premier âge thébain ou de la fin de l'art memphite nous montrent quelques-unes de ces maisons en pleine activité (Maspero, Guide to the Cairo Museum, 1910, 5e éd. anglaise, p. 501-503).

[508] Ainsi est confirmé le passage de Diodore de Sicile (I, 18) où il est conté que les Égyptiens conservaient leur chevelure longue et embroussaillée aussi longtemps qu'ils demeuraient à l'étranger et qu'ils ne la coupaient qu’au retour (Spiegelberg, Ueber zwei Stellen der Sinuhe Novelle, dans Sphinx, t. IV, p. 140-141).

[509] Pour la valeur géographique et pour le sens de ce nom, voir la note dans Les mémoires de Sinouhît.

[510] L'huile d'arbre est l'huile d'olive qu'on fabriquait en Asie, par opposition à l'huile de kiki, à l'huile de ricin, qu'on employait en Égypte.

[511] C'est la mise en récit, d'une façon suivie, des faits que nous trouvons mentionnés isolément dans les inscriptions funéraires. Sinouhît reçoit de Sanouosrît la faveur suprême, un tombeau bâti et doté aux frais de Pharaon, Khir hosou nivi soutonou, « par la grâce du roi ». Le terrain lui est donné gratuitement, puis, la pyramide construite, les fêtes funéraires sont instituées, les revenus et les biens-fonds destinés à l'entretien des sacrifices sont pris sur le domaine royal, enfin la statue même qui doit servir de support au double de Sinouhît est en métal précieux.

[512] Voir en-tête du conte, la version de ce passage que nous a conservée l'Ostracon 5629 du British Museum. Les voyages de ces personnages à travers l'Égypte ont pour objet de fournir le sarcophage, les tables d'offrandes, les coffrets, les statues de pierre, qu'on déposait dans les tombeaux.

[513] Les Serviteurs ou prêtres du double étaient les personnages chargés de tenir le tombeau en ordre, et d'accomplir tous les actes et toutes les cérémonies nécessaires pour y assurer l'existence et le confort du double.

[514] On pourrait traduire à la rigueur « un lac ». Le lac, ou plutôt la pièce d'eau bordée d'une margelle de pierre, était en effet l'ornement indispensable de toute villa réputée confortable (cf. dans le Conte de Khoufoui, le lac du palais de Sanafroui, et, plus loin, celui du palais d'Amasis, dans l'Histoire du Matelot). Le tombeau idéal étant avant tout l'image de la maison terrestre, on avait soin d'y placer un lac semblable à celui des villas : le mort y venait se promener en barque, halé par ses esclaves, ou il s'asseyait sur les bords, à l'ombre des sycomores. Le kiosque était, comme le lac, un des ornements indispensables d'un jardin. Les bas-reliefs de Thèbes nous le montrent au milieu des arbres, parfois à côté de la pièce d'eau réglementaire. Le mort s'y rendait, comme le vivant, pour faire la sieste, pour causer avec sa femme, pour lire des histoires, pour jouer aux dames.

[515] Les champs du domaine funéraire étaient la propriété du mort et lui fournissaient tout ce dont il avait besoin. Chacun d'eux produisait un objet spécial, ou le revenu en était consacré à procurer au mort un objet spécial de nourriture ou d'habillement et il portait le nom de cet objet celui dont Ti, par exemple, tirait ses figues ou ses dattes, s'appelait les figues de Ti, les dattes de Ti. Ces biens étaient administrés par les prêtres du double ou de la statue funéraire, qui, eux-mêmes, étaient souvent les prêtres du temple principal de la localité où le tombeau était situé ; la famille passait avec eux un contrat aux termes duquel ils s'engageaient à célébrer les sacrifices nécessaires à la félicité du mort, en échange de certaines redevances prélevées sur les domaines légués.

[516] Cf. Maspero, Note sur le Conte du Naufragé, dans le Recueil de Travaux, t. XXIX p. 106-108.

[517] Le pays d'Ouaouaît est la partie de la Nubie située au delà de la seconde cataracte ; Sanmouît est le nom que les monuments attribuent à l’île de Bigéh, en face de Philæ, à l'entrée de la première cataracte. Il semble résulter de ce passage que le marin égyptien se vantait d'avoir atteint la frontière méridionale de l'Égypte, en passant de la Mer Rouge dans le Nil (cf. Introduction, V).

[518] C'est ici, je crois, une allusion à l'usage de couvrir la face des criminels qu'on emmène au supplice. L'ordre : « Qu'on lui couvre la face » équivaut à une condamnation.

[519] En d’autres termes, que son discours soit conçu de telle sorte qu'il apaise la colère du roi et qu'il entraîne l'acquittement du Naufragé.

[520] Si l'on admet qu'il s'agit ici de la coudée royale de 0 m. 52, le navire aurait mesuré environ 78 mètres de longueur sur 21 de largeur, ce qui, même en tenant compte de ce fait que les barques égyptiennes étaient fort larges, nous donne encore des dimensions exagérées. Les navires de la reine Hâtshopsouîtou, construits pour la course, ne dépassaient pas 22 mètres de longueur et ils devaient porter à peu près cinquante hommes d'équipage (Maspero, De quelques navigations des Égyptiens, p. 11, 16-17). Le navire de notre conte appartient donc par sa taille et par le nombre de ses matelots, à la classe des vaisseaux invraisemblables dont on trouve tant d'exemples dans les littératures populaires de tous les pays.

[521] Ungnad, der Feuerbohner, dans la Zeitschrift, 1906, t. XLIII, p. 161-162.

[522] L'apparition du maître de l’île se produit aussitôt après que le feu est allumé : les invocations ne fournissent leur effet que si on brûle un parfum ou une substance quelconque, préparée selon les règles. Peut-être faut-il comprendre en ce sens le passage où Golénicheff ne voit que la mention d'un sacrifice, et considérer la cérémonie indiquée dans le texte comme une véritable évocation ; peut-être faut-il nous borner à admettre que, dans la masse des plantes dont le naufragé se servit pour allumer le feu de son sacrifice, il s'en trouva quelques-unes qui exercèrent une action d'appel sur le génie de l'île, sans que lui-même il eût l'intention d'accomplir un rite magique.

[523] Sur cette arrivée tonitruante du roi de l'île, cf. le commentaire de Golénicheff (Le Papyrus n° 1115, dans le Recueil, t. XXVIII, p. 93-95.)

[524] Le Naufragé prend ici la parole brusquement, pour s'excuser de ne pas répondre à la sommation que le serpent vient de lui faire : l'effroi lui a enlevé l'usage de ses sens et il n'entend pas ce qu'on lui dit ; cf. un passage analogue dans les Mémoires de Sinouhît.

[525] Sethe (Bemerkungen zur Geschichte des Schiffbrüchigen, dans la Zeitschrift, 1908, t. XLIV, p. 83-84) propose de reconnaître dans une île flottante « cette île de la mer dont la moitié devient le flot ».

[526] C'est la posture dans laquelle les monuments nous représentent les suppliants ou les inférieurs devant le maître.

[527] Le double est l'âme égyptienne : l'île de Double est donc une île habitée par les âmes bienheureuses, une de ces îles fortunées dont j'ai parlé dans l'Introduction (chapitre V). Golénicheff se refuse à reconnaître dans le terme ka autre chose qu'un sens esprit, génie, et il traduit « cette île du génie, cette île enchantée » (Le Papyrus n° 1115, dans le Recueil, t. XXVIII, p. 98). Erman préfère y reconnaître le mot kaou, « vivres, provisions, » et traduire « cette île des vivres » (die Geschichte des Schiffbrüchigen, dans la Zeitschrift, 1906, t. XLIII, p. 1).

[528] Golénicheff pense pouvoir déduire de ce passage la conclusion qu'au temps où notre conte fut écrit, il y avait entre l'Égypte et le pays de Pouanît des communications régulières qui étaient entretenues par un navire égyptien amenant au pays de Pouanît trois fois par an des expéditions de commerce. C'est à ce navire sans doute bien connu de ses concitoyens que le narrateur égyptien fait allusion, et très probablement le retour périodique de ce navire que notre héros est censé « attendre » (Le Papyrus n° 1115, dans le Recueil, t. XXVIII, p. 96). Il est fort possible, mais je pense qu’étant donné la nature merveilleuse du récit, il vaut mieux admettre ici un de ces cas de prescience que j'ai signalés plus haut, dans Le conte des deux frères.

[529] Golénicheff a supposé avec grand raison, que l'épisode de la jeune fille est une rédaction très écourtée et devenue peu intelligible d'un conte différent où elle jouait le rôle principal (le Papyrus n° 1115,.dans le Recueil, t. XXVIII, p. 100). Cette hypothèse a été adoptée par Erman (die Geschichte des Schiffbrüchigen dans la Zeitschrift, 1906, t. XLIII, p. 106,107).

[530] C'est la seule mention d'une étoile filante qu'on ait rencontrée jusqu'à présent dans les textes ; elle montre quelle idée les Égyptiens se faisaient de ce phénomène. Ils considéraient la masse comme habitée de génies qui en sortaient au choc et qui se dévoraient de leurs propres flammes ; l’exemple de la jeune fille semble indiquer qu'on croyait que certains de ces génies pouvaient survivre et s'acclimater sur notre terre. Golénicheff rapproche de cet épisode la légende arabe de l’île brûlée, située dans la mer des Zendjes, et qui, tous les trente ans environ, est incendiée par une comète malfaisante (Le Papyrus n° 1115, dans le Recueil, t. XXVIII, p. 101, 102.)

[531] Le texte n'est pas clair dans sa concision et diverses interprétations en ont été proposées, surtout par Sethe (Bemerkungen, dans la Zeitschrift, t. XLIV, p. 84-85) et par Gardiner (Notes, dans la Zeitschrift, t. XLV, p. 65). Golénicheff pense que la jeune fille n'existait plus au moment où le serpent raconte sa naissance : elle aurait été réduite en cendres par la flamme de l'étoile filante (le Papyrus n° 1115, dans le Recueil, t. XXVIII, p. 101). Il me semble, au contraire, qu'elle vit encore, mais que le serpent s'excuse de ne pouvoir pas expliquer comment elle est née : il n'a pu approcher de l'endroit où l'étoile est tombée qu'après que l'incendie qu'elle avait allumé se fut éteint, et il a trouvé la fille seule parmi les cadavres, sans qu'il ait vu de ses propres yeux la manière de sa venue au monde.

[532] Le texte dit : « Tu flaireras ta femme ». Les bas-reliefs (Guide to the Cairo museum, 5e édit. anglaise, 1910, p. 88) nous montrent le geste qui remplaçait le baiser chez les Égyptiens : le roi et le dieu ou la déesse se mettent nez contre nez et aspirent l'haleine l'un de l'autre.

[533] Les dieux et les rois d'Égypte avaient plusieurs âmes, sept, disait-on : le Naufragé traite le serpent en divinité égyptienne et il lui parle de ses âmes pour le flatter. Chacune des âmes répondant à une qualité ou à un sens, décrire les âmes d'un personnage c'était tracer son portrait au physique et au moral.

[534] Le parfum d'acclamation, Hakanou, était l'une des sept huiles canoniques que l'on offrait aux dieux et aux morts pendant le sacrifice. La composition n'en est pas connue : le nom vient probablement des invocations qui en accompagnaient la fabrication ou la présentation.

[535] Pouanît est le nom des contrées situées au sud-est de l'Égypte, d'abord à la hauteur de Saouakin et de Massouah, puis, par la suite, sur les deux rives du Bab-el-Mandeb, au pays des Somalis et dans l'Yémen. C'est de là que les Égyptiens ont tiré de bonne heure les plus estimés des parfums qu'ils employaient au culte.

[536] C'est la fin de recevoir toute naturelle que le serpent oppose à la proposition du Naufragé : quand même les présents seraient à son goût il ne pourrait les accepter, car, l'île disparaissant, les messagers venant de l'Égypte ne la retrouveraient pas.

[537] Évidemment le conteur comprenait que les matelots étaient ceux-là même avec lesquels le conteur était parti d'Égypte et qui avaient péri au moment du naufrage. C'est un miracle de plus, dont il n'y a pas lieu de s'étonner dans un récit aussi merveilleux ; nous verrons d'ailleurs, plus loin, au premier conte de Satni (L’aventure de Satni-Khâmoîs avec les momies), que les enfants du héros égorgés et jetés en pâture aux chiens, reparaissent vivants à Memphis.

[538] L'énumération, pour étrange qu'elle nous paraisse, n'a rien que de parfaitement authentique. On la retrouve presque la même, à mille ans et plus d'intervalle, sur le monument où la reine Hâtshopsouîtou de la XVIIIe dynastie fit représenter le voyage de découverte, qu'une escadre, envoyée par elle, entreprit au pays de Pouanît. Par malheur, la plupart des substances ne nous sont pas connues, et nous ne pouvons que transcrire les noms anciens ou tout au moins émettre des conjectures sur la valeur qu'il convient de donner à chaque terme.

[539] Ici s'arrête le discours que le scribe prononçait pour donner du courage à son héros. Celui-ci, qui paraît ne pas avoir confiance dans le sort qui l'attend, lui répond par un proverbe applicable à sa position.

[540] Manakhpirîya est le prénom royal du Pharaon Thoutmôsis III de la XVIIIe dynastie. La prononciation que je lui attribue est justifiée par la transcription abrégée Manakhbiya qu'on en lit dans les lettres d'El-Amarna.

[541] C'est une formule constante sur les monuments égyptiens de l'époque : « celui qui suit son maître dans toutes ses expéditions », à laquelle les variantes ajoutent : « dans toutes ses expéditions au Midi et au Nord ».

[542] Les autobiographies d'Ahmasi-si-Abna et d'Amenemhabi nous font connaître les récompenses que les rois égyptiens accordaient à ceux de leurs généraux qui s'étaient distingués dans l'action. On leur donnait des esclaves mâles et femelles, des objets pris sur le butin, et de l'or en anneaux que l'on appelait l'or de la bravoure.

[543] Le pays de Kharou répond à notre Palestine, du moins à la partie de notre Palestine qui est située entre le Jourdain et la mer.

[544] Dans le langage officiel de la chancellerie égyptienne, tous les étrangers reçoivent le titre de Pa khiri, le tombant, le renversé : Pa khiri ni Khati ; le renversé de Khali ; Pa khiri ni Tounipou, le renversé de Tounipou ; Pa khiri ni Jôpou, le renversé de Joppé ou le vaincu de Joppé (cf. Introduction, II).

[545] C'est une des formules au moyen desquelles on marque l'impression produite sur le roi par un événement désastreux : cf. la stèle de Paênékhi, l. 21-27, etc., et plus haut, le Conte des Deux Frères.

[546] Les premiers mots qui formaient le nom de la canne sont détruits. Ce n'était pas seulement la canne du roi, mais la canne des simples particuliers qui avait son nom spécial : le fait est prouvé par les inscriptions que portent plusieurs des cannes trouvées dans les tombeaux et conservées dans nos musées. Il semble que les Égyptiens aient accordé une personnalité réelle et comme une sorte de double aux objets naturels et fabriqués qui les entouraient : du moins leur assignaient-ils à chacun un nom propre. Cette habitude était poussée si loin que les diverses parties d'un même ensemble recevaient parfois un nom distinct : le couvercle d'un sarcophage, par exemple, avait un surnom différent de celui du sarcophage même.

[547] Je me suis servi, pour rétablir cette partie du texte, de la situation analogue qu'offre le Conte de Sinouhît. On a vu la manière dont le prince de Kadimâ reçut le héros du conte, et, d'une manière générale, l'accueil que trouvaient les Égyptiens, exilés ou simplement émigrés, auprès des petits cheikhs asiatiques.

[548] Il est probable que la canne avait quelque vertu magique : cela expliquerait le désir que le prince éprouve de la posséder, sans doute dans l'espoir qu'elle le rendrait invincible.

[549] C'est ici que commence la partie conservée du récit.

[550] M. Chabas avait pensé reconnaître dans ce nom celui des Hébreux ; diverses circonstances ne me permettent pas d'admettre cette hypothèse et les conclusions qu'on s'est trop empressé d'en tirer.

[551] Le double du roi était représenté comme un emblème formé de deux bras levés, entre lesquels sont placés les titres qui composent le nom de double du roi, qu'on appelle improprement la bannière royale. Le tout est placé droit sur une hampe d'enseigne et figure, dans les bas-reliefs, derrière la personne même du Pharaon.

[552] Sokhît (voir note dans Les mémoires de Sinouhît) était représentée sous forme de lionne ou avec une tête de lionne, et cette particularité explique pourquoi le roi Thoutmésis III, considéré comme son fils, est appelé dans notre texte un lion redoutable.

[553] Il me semble que le stratagème consistait, après avoir tué le prince de Jôpou, à le faire passer pour Thoutîyi lui-même. Le corps était mis dans un sac en peau préparé à l'avance, de telle manière que personne ne pût voir les traits de la figure ou les membres et reconnaître la ruse, puis à charger de chaînes le cadavre ainsi déguisé, comme on ferait du cadavre d'un vaincu. C'est ce cadavre que l'écuyer du prince montre plus bas aux habitants de la ville en leur disant « Nous sommes maîtres de Thoutîyi ! »

[554] La femme du prince, qui n'était pas au camp avec son mari, mais qui était demeurée dans Joppé.

[555] Soutekhou, Soutekh, était le nom que les Égyptiens donnaient aux principaux dieux des races asiatiques et libyennes. Cette appellation remonte au temps des Hyksôs, et doit probablement son existence à des tentatives faites pour assimiler le dieu des Hyksôs aux dieux de l'Égypte : Baal fut identifié à Sît, Souti, et, sous cette forme mixte, il devint Soutekhou. Le mot Soutekhou parait n'être d'ailleurs qu'une forme grammaticale du radical sît, souti ; il serait donc d'origine égyptienne et non de provenance étrangère.

[556] Le nombre de deux cents parait être en contradiction avec celui de cinq cents qui est indiqué plus haut. Il faut croire que le scribe aura songé aux deux cents jarres qui renfermaient les hommes, et aura donné ce nombre partiel, sans plus se rappeler le nombre total de cinq cents.

[557] Je rappelle une fois de plus au lecteur que ce début est une restitution et que le texte original des deux premières pages est détruit. Ouasimarîya est le prénom de Ramsès II, que les Grecs ont transcrit Ousimarès, d'après la prononciation courante à l'époque des Ptolémées.

[558] Brugsch lisait le nom égyptien An-ha-hor-rau (1867) ou An-ha-horru (1878), ce qui n'est qu'une simple différence de transcription ; Griffith avait proposé Anoukh-harerôou (Stories of the High Priests of Memphis, p. 31, 118. Spiegelberg a démontré (Demotische Miscellen, dans le Recueil de Travaux, t. XXVIII, p. 198; cf. die Demotische Papyri, Text, p 114, note 6) que Éiérharerôou était le prototype du nom transcrit Inarôs par les Grecs.

[559] C'est-à-dire les livres magiques de la bibliothèque sacerdotale. Nous avons un témoignage direct de l'activité des savants et des sorciers égyptiens dans le texte qu'a publié Daressy, Note sur une inscription hiératique d'un mastaba d'Abousir, extrait du Bulletin de l'institut égyptien, 1894.

[560] L'auteur du roman n'a pas inventé le caractère de son héros Khâmuasît, Khâmoîs ; il l'a trouvé formé de toutes pièces. Un des papyrus du Louvre (n° 3248) renferme une série de formules magiques dont on attribuait l'invention à ce prince. La note qui nous fournit cette attribution prétend qu'il avait trouvé le manuscrit original sous la tête d'une momie, dans la nécropole de Memphis, probablement pendant une de ces tournées de déchiffrement dont parle notre conte.

[561] Brugsch lisait le nom du roi Mer-kheper-ptah, en dernier lieu ; sa première lecture. Mer-neb-phtah, ou Minebphtah, s'est trouvée être la vraie. Spiegelberg a signalé (Demotische Papyrus aus der Insel Elephantine, p. 9) les transcriptions grecques Bérénebthis, Bérénebtis, Pérénebthis, Pernebthis, où, par suite d'un phénomène assez fréquent en égyptien, le M initial est devenu un B-P.

[562] C'est ainsi que certains des livres hermétiques passaient pour avoir été retirés de la tombe du savant qui les avait écrits. Déjà aux temps gréco-romains, cette donnée avait passé en Occident. Le célèbre roman d'Antonius Diogène avait été recueilli de la sorte. Au témoignage de Pline (xxx, 2), le philosophe Démocrite d'Abdère avait emprunté ses connaissances en magie à Apollobéchis de Coptos et à Dardanus le Phénicien, voluminibus Dardani in sepulchrum ejus petitis ; il devait sa science chimique aux ouvrages d'Ostanès, qu'il avait découverts dans une des colonnes du temple de Memphis.

[563] C'est ainsi que j'interprète les fragments qu'on peut lire sur le feuillet que Spiegelberg a découvert (cf. l'introduction de ce conte).

[564] Cf. plus loin le passage où Satni enlève le livre, et où la nuit se fait dans le tombeau, puis celui où, le livre étant rapporté, la lumière reparaît.

[565] Brugsch a lu Merhu, puis Mer-ko-nefer, Maspero Mikhonsou, Hess et Griffith Mer-ab, le nom de l'enfant. Le déchiffrement de Hess est très bon, et sa lecture serait irréprochable s'il s'agissait d'un texte de la vieille époque ; pour les Égyptiens de l'âge ptolémaïque, la lecture devait être Mihêt, Maîhêt, ou Méîhét.

[566] Le ka ou double naissait avec l'enfant, grandissait avec l'homme, et, subsistant après la mort, habitait le tombeau. Il fallait le nourrir, l'habiller, le distraire ; aussi est-ce à lui qu'on donnait les offrandes funéraires. Comme le prouve notre conte, il pouvait quitter l'endroit où son corps était déposé pour aller résider dans le tombeau de tel ou tel autre membre de sa famille.

[567] On voit, par les tableaux du Pavillon de Médinêt-Habou, que, chaque jour, le roi se rendait au harem pour s'y divertir avec ses femmes c'est probablement ce moment de la journée que notre conte appelle le moment de se divertir avec le roi.

[568] L'usage universel en Égypte était que le frère épousât une de ses sœurs. Les dieux et les rois eux-mêmes donnaient l'exemple, et l'habitude de ces unions, qui nous paraissent monstrueuses, était si forte, que les Ptolémées finirent par s'y soumettre. La célèbre Cléopâtre avait eu successivement ses deux frères pour maris.

[569] Ici commence la partie conservée du texte. Dans la restitution qui précède, j'ai essayé de n'employer, autant que possible, que des expressions et des données empruntées aux feuillets restants. Bien entendu, les quelques pages de français qui précèdent ne représentent pas, à beaucoup près, la valeur des deux feuillets démotiques perdus : je me suis borné à reconstruire un début général, qui permît aux lecteurs de comprendre l'histoire, sans développer le détail des événements.

[570] La Double maison de vie était, comme E. de Rouge l'a montré (Stèle de la Bibliothèque impériale, p. 71-99), le collège des hiérogrammates versés dans la connaissance des livres sacrés ; chacun des grands temples de l'Égypte avait sa Double maison de vie. Le passage de notre conte pourrait faire croire que ces scribes tenaient une sorte d'état civil, mais il n'en est rien. Les scribes de la Double maison de vie étaient, comme tous les savants de l'Égypte, des scribes astrologues, devins et magiciens. On leur apportait les enfants des rois, des-princes, des nobles ; ils tiraient l'horoscope, ils prédisaient l'avenir du nouveau-né, ils indiquaient les noms les meilleurs, les amulettes spéciaux, les précautions à prendre selon les cas, pour reculer aussi loin que possible les mauvaises indications du sort. Tous les renseignements qu'ils donnaient étaient inscrits sur des registres qui servaient probablement à rédiger les calendriers des jours fastes et néfastes, analogues à celui dont le Papyrus Sallier n° IV nous a conservé un fragment (Chabas, Le Calendrier des jours fastes et néfastes de l'année égyptienne, 1868), et dont j'ai parlé dans l'Introduction de ce livre, chapitre IV.

[571] Il n'est pas facile de comprendre d'abord ce que sont les stèles des Scribes de la Double maison de vie, auxquelles Satni et Nénoferképhtah attachaient une si grande importance. Je crois qu'il faut y voir ces stèles-talismans dont le Pseudo-Callisthènes, les écrivains hermétiques, et, après eux, les auteurs arabes de l'Égypte nous ont conté tant de merveilles. Les seules qui soient parvenues jusqu'à nous, comme la Stèle de Meiternich, contiennent des charmes contre la morsure des bêtes venimeuses, serpents, scorpions, araignées, mille-pattes, ou contre la griffe des animaux féroces. On conçoit qu'un amateur de magie comme l'était Nénoferképhtah recherchât ce genre de monuments, dans l'espoir d'y découvrir quelque formule puissante oubliée des contemporains.

[572] Voir dans l'histoire de Khoufouî et des magiciens, ce qui est dit des livres de Thot. Les livres hermétiques, qui nous sont arrivés en rédaction grecque, sont un reste de cette bibliothèque sacrée qui passait pour être l'œuvre du dieu.

[573] Les facultés que le second feuillet du livre de Thot accorde à celui qui le possède sont les mêmes que celles qu'assurait la connaissance des prières du Rituel funéraire : chapitre xviii, pouvoir de passer sans danger à travers le feu, chapitre xxiii, posséder les charmes nécessaires à la sécurité personnelle de celui qui le savait par cœur, et ainsi de suite. Il s'agissait, pour le mort, de pouvoir ranimer son corps momifié et de s'en servir à son gré ; il s'agissait, pour le vivant, de voir, non plus l'astre soleil, mais le dieu même dont l'astre cachait la forme, et les dieux qui l'accompagnaient.

[574] Le texte porte cent tabonou. Le tabonou pesait de 89 à 91 grammes en moyenne ; cent tabonou représenteraient donc entre 8 kilogr. 9 et 9 kilogr. 1 d'argent, soit, en poids, plus de 1.800 francs de notre monnaie.

[575] Le mot égyptien n'est pas lisible. La demande du prêtre n'a d'ailleurs rien d'extraordinaire pour qui connaît un peu les mœurs du pays. Elle n'est que l'expression d'un souhait, celui de bonne sépulture, – qaise nofre – qu'on rencontre à toutes les époques sur les stèles funéraires : au temps même où l'on écrivait notre roman, l'importance en était si fort appréciée que la bonne momification, le bon tombeau, ταφή άγαθή, est mentionnée à plusieurs reprises dans les papyrus parmi les dons qui découlent de l'heureuse influence des astres sur l'humanité, la richesse, une postérité excellente, la fortune. Les rois et les grands seigneurs commençaient d'ordinaire à faire creuser leur tombe au moment où ils entraient en possession de leur héritage. Ouni avait reçu du pharaon Pioupi Ier, et le médecin Sokhitniânoukhou du pharaon Ousirkaf, les pièces principales de leur chambre funéraire. Il serait très possible qu'en Égypte, comme en Chine, le cadeau d'un cercueil ait été fort estimé. Les deux cercueils du prêtre étaient nécessaires à un enterrement riche : chaque momie de distinction avait, outre son cartonnage, deux cercueils en bois s'emboîtant l'un dans l'autre, comme on peut le voir au Musée du Louvre.

[576] Le mot employé ici est iaoumâ, la mer. Reitzenstein (Hellenistiche Wundererzählungen, p. 114-115) l'interprète par la mer près de Coptos, c'est-à-dire la Mer Rouge que l'on gagne en partant de Coptos. Ici, comme au Conte des deux frères, il s'agit du Nil. Le Nil, en traversant le nome, recevait un nom spécial : le fleuve de Coptos est la partie du Nil qui passe dans le nome de Coptos.

[577] En comparant cet endroit au passage où Nénoferképhtah trouve le livre, on verra que l'ordre des coffrets n'est pas le même. Le scribe s'est trompé ici dans la manière d'introduire l'énumération. Il aurait dû dire : « Le coffret de fer renferme un coffret de bronze ; le coffret de bronze renferme un coffret en bois de cannelier, etc., » au lieu de « Le coffret de fer est dans un coffret de bronze ; le coffret de bronze est dans un coffret de bois de cannelier, etc. »

[578] Loret a donné de bonnes raisons pour reconnaître dans le mot qad, qad, notre cannelier (Recueil de travaux, t. IV, p. 21, t. VII, p. 112).

[579] Le schœne mesure à l'époque ptolémaïque environ 12.000 coudées royales de 0 m. 52.

[580] Le serpent immortel est peut-être ce grand serpent qui est censé vivre encore aujourd'hui dans le Nil et de qui les fellahs racontent des histoires curieuses (Maspero, Mélanges de Mythologie, t. II).

[581] Le pays de Thébaïde et la ville de Thèbes sont représentés sous la forme d'une déesse. Il se pourrait donc que l'hostilité du pays de Thébaïde fût, non pas l'hostilité des habitants du pays, qui reçurent bien les visiteurs quand ceux-ci débarquèrent à Coptos, mais l'hostilité de la déesse en laquelle s'incarnait le pays de Thébaïde, et qui devait voir avec peine lui échapper le livre confié par Thot à sa garde.

[582] Le canal qui passe à l'ouest des ruines de Coptos n'est pas navigable en tous temps, et le Nil coule à une demi-heure environ de la ville : c'est ce qui explique les expressions de notre texte. Nénoferképhtah a pris terre au même endroit probablement où s'arrêtent encore aujourd'hui les gens qui veulent aller à Kouft, soit au hameau de Baroud ; les prêtres et prêtresses d'Isis, avertis de son arrivée, viennent à lui le long de la levée qui réunit Baroud à Kouft, et qui délimite de toute antiquité un des bassins d'irrigation les plus importants de la plaine thébaine.

[583] L'expression littérale pour se divertir est faire un jour heureux.

[584] Roms, Romes, c'est l'espèce de bateau dont le nom est transcrit en grec Rhômpsis et Rhôps dans certains papyrus des temps gréco-romains (voir note dans L’aventure du sculpteur Pétêsis et du roi Nectonabo du présent volume). On trouve dans le roman grec d'Alexandre la description d'une barque magique, construite par le roi-sorcier Nectanébo, et, dans les romans d'Alexandre dérivés du roman grec, l'indication d'une cloche de verre au moyen de laquelle le héros descend jusqu'au fond de la mer. Les ouvriers et leurs outils sont des figurines magiques, auxquelles la formule prononcée par Nénoferképhtah donne la vie et le souffle, comme faisait le chapitre vi aux figurines funéraires si nombreuses dans nos musées. Ces figurines étaient autant d'ouvriers chargés d'exécuter, pour le mort, les travaux des champs dans l'autre monde : elles piochaient pour lui, labouraient pour lui, récoltaient pour lui, de la même manière que les ouvriers magiques rament et creusent pour Nénoferképhtah.

[585] Cf. plus haut, dans Le roi Khoufoui et les magicien, dans le même ordre d'idées, le crocodile de cire qu'Oubaouanir fabrique et qui, jeté à l'eau, s'anime et s'agrandit au point de devenir un crocodile véritable.

[586] Ce membre de phrase est une restitution probable, mais non certaine.

[587] Litt. : « Il ne fit pas eux s'envoler ». C'est le même terme qui sert, dans le Conte du Prince prédestiné (p. 199, note 1), à marquer le procédé magique employé par les princes pour arriver à la fenêtre de la fille du chef de Naharinna. Un des papyrus de Leyde, un papyrus du Louvre, le Papyrus magique Harris, renferment des conjurations contre les scorpions et contre les reptiles, du genre de celles que le conteur met dans la bouche de Nénoferképhtah.

[588] Cette lutte contre des serpents, gardiens d'un livre ou d'un endroit, repose sur une donnée religieuse. À Dendérah, par exemple (Mariette. Dendérah, t. III, pl. 14, a, b), les gardiens des portes et des cryptes sont figurés sous forme de vipères, de même que les gardiens des portes des douze régions du monde inférieur. La déesse-serpent Maritsakro était la gardienne d'une partie de la montagne funéraire de Thèbes, entre el-Assassif et Qournah, et surtout du sommet en forme de pyramide qui domine toute la chaîne, et qu'on nommait Ta-tehnît, le Front. Dans le roman d'Alexandre, on trouve, au sujet de la fondation d'Alexandrie, l'histoire d'une lutte analogue à celle que soutient Nénoferképhtah (Pseudo-Callisthène, p. 34-35), mais l'ordre est renversé ; le menu fretin des serpents n'apparaît qu'après la mort du serpent éternel. Sur la perpétuité de cette superstition du serpent gardien, voir Lane. Modern Egyptians, London, 18/37, t. I, p. 310-311, où il est dit que chaque quartier du Caire « has its peculiar guardian genius…, which has the form of a serpent ».

[589] C'est un des euphémismes usités en Égypte pour désigner l'officine où travaillent les embaumeurs et aussi le tombeau.

[590] Le procédé de Nénoferképhtah a été employé de tout temps en Orient. On fabriquait à Babylone, et l'on fabrique encore à Bagdad et au Caire, des bols en terre cuite non vernissée, sur lesquels on traçait à l'encre des formules magiques contre telle ou telle maladie. On y versait de l'eau qui délavait l'encre en partie et que le malade avalait ; tant qu’il restait de l'écriture au fond du vase, la guérison était certaine (Lane, Modern Egyptians, 1837, t. I, p. 347-348). Mme de Sévigné ne souhaitait-elle pas pouvoir faire un bouillon des œuvres de M. Nicole pour s'en assimiler les vertus ?

[591] On était Pharaon au Conte des deux frères : c'est ici Râ, roi des dieux, et au début des temps, Pharaon en Égypte.

[592] Sur le sens de cette locution, E. Lefébure, Rites égyptiens, p. 87.

[593] Le terme hasi, le loueur, le chanteur du dieu, s'applique aux morts d'une façon presque constante à partir du second empire thébain : louer Râ est un euphémisme par lequel on désignait l'acte de mourir, surtout de mourir étouffé dans l'eau. À l'âge ptolémaïque hasi veut dire noyé, et on le dit, beaucoup d'Osiris dont Typhon avait jeté le corps au Nil (Griffith- Thompson, the Demotic Magical papyrus, p. 38; et Apotheosis by drowning, dans la Zeitschrift, 1910 ; t. XLVI, p. 132-134). Il loua Râ équivaut ici à il se noya.

[594] Un des livres magiques de la collection du Musée de Leyde passait pour être la copie d'un original « découvert au cou du roi Ousimarês, dans le tombeau. » (Pleyte, Chapitres supplémentaires du Livre des Morts, p. 50.). Aussi bien un autre exemplaire du même ouvrage, qui appartient au musée du Caire, fut trouvé dans le cercueil de la prêtresse d'Amon Tatoumaout, placé à la naissance du cou (Daressy, Inscriptions sur les objets accompagnant la momie de Tadumaut, dans les Annales du Service des Antiquités, t. III, p. 156-157).

[595] Qanbouatiou, les gens de l'angle, ceux qui se tiennent aux quatre côtés du roi et de la salle où il donne audience (voir la note sur le « cercle royal » dans Les mémoires de Sinouhît).

[596] Nénoferképhtah avait disparu dans le fleuve, et personne ne savait en quel lieu il était : à Memphis, on le trouve accroché aux rames-gouvernail de la cange royale, et le texte a soin d'ajouter que c'était en sa qualité de scribe excellent. Ce prodige était dû à la précaution qu'il avait prise de fixer le livre de Thot sur sa poitrine ; la vertu magique avait relevé le corps et l'avait attaché aux rames, à l'insu de tout le monde.

[597] L'exclamation des prêtres de Phtah, que rien ne paraît justifier de prime abord, est une réponse indirecte à l'ordre du roi. Le roi commande qu'on prenne le livre de Thot, qui a déjà causé la mort de trois personnes. Les prêtres n'osent point lui désobéir ouvertement, mais, en disant que Nénoferképhtah était un grand magicien, ils lui laissent entendre que toute la science du monde ne peut soustraire les hommes à la vengeance du Dieu. De quels malheurs serait menacé celui des assistants qui prendrait le livre et qui n'aurait pas les mêmes connaissances que Nénoferképhtah en sorcellerie ! L'événement prouve que cette interprétation un peu subtile de notre texte est exacte. Le roi a compris les craintes de ses courtisans et il a révoqué l'ordre imprudent qu'il avait donné, car le livre de Thot est encore sur la momie de Nénoferképhtah, au moment où Satni vient le lui disputer.

[598] Sur la Bonne Demeure, voir la note plus haut.

[599] En d'autres termes, par une lutte de science entre magiciens de pouvoir égal.

[600] Sur le sens de ce passage, Spiegelberg, der Sagenkreis des Konigs Petubastis, p. 56, note 9. Le jeu de dames était le divertissement favori des morts. On déposait souvent avec eux dans le tombeau un damier, les pions, et les osselets par lesquels on réglait la marche des pions. Certaines vignettes du Rituel funéraire nous montrent le maître occupé à jouer ainsi dans l'autre monde, sous un petit pavillon ou sous la voûte d'un hypogée (Naville, Todtenbuch, t. I, pl. xxvii). Les Égyptiens modernes ont deux jeux au moins, celui de mounkalah et celui de Tab, qui doivent présenter des analogies avec les parties de Satni contre Nénoferképhtah. On les trouvera expliqués tout au long dans Lane, An Account of the Manners and Customs of the Modern Égyptians, 1re édit., London, 1837, t. II, p. 51. ; le mounkalah se joue en soixante points. Ajoutons qu'il y a au musée de Turin les fragments, malheureusement mutilés, d'un papyrus où sont données les règles de plusieurs jeux de dames et qui ont été étudiés par Devéria, puis par Wiedmann, J'y ai cherché en vain l'explication de la partie liée entre les deux héros du conte : dans l'état actuel de nos connaissances, la marche est impossible à suivre et la traduction de notre passage reste conjecturale.

[601] Les pièces de jeu s'appelaient chiens : on a, en effet, dans les musées, quelques pions qui ont une tête de chien ou de chacal (Birch, Rhampsinitus and the Game of Draughts, p. 4, 14). C'est le même nom que les Grecs leur donnaient, et le même aussi, kelb, au pluriel kilâb, dont on désigne encore aujourd'hui en Égypte celles du jeu de tab. Je me sers du mot brette pour rendre le terme égyptien, faute de trouver une expression mieux appropriée à la circonstance. C'est la planchette divisée en compartiments sur laquelle on faisait marcher les chiens. Le Louvre en possède deux dont l'une porte le cartouche de la reine Hâtchopsouîtou (XVIIIe dynastie).

[602] Nénoferképhtah a gagné un coup. Cet avantage lui permet de réciter son grimoire, ce qui a pour résultat d'enlever à Satni .une partie de sa force magique. Nénoferképhtah met sur son adversaire la brette qui était devant lui : cette opération a la même vertu que celle du marteau magique et elle fait entrer en terre jusqu'aux pieds celui qui la subit. Les Actes apocryphes de saint Philippe racontaient une aventure pareille arrivée au saint : à chaque coup qu'il gagnait, son adversaire, un prêtre païen, s'enfonçait dans le sol jusqu'aux genoux d'abord, puis jusqu'au nombril, et enfin jusqu'au cou (Reitzenstein, Hellenistische Wundererzehlungen, p. 132-133).

[603] Ce titre de père est celui que le roi, descendant et même fils du Soleil, confère à tous les dieux ; ici, toutefois, il trouve sa raison d'être spéciale dans le fait que notre Khâmoîs était le grand prêtre de Phtat Menphite. Les talismans de Phtah ne nous sont pas connus par ailleurs : il est intéressant de constater par ce passage qu'on en tenait la vertu pour supérieure à celle des talismans de Thot, que Nénoferképhtah possédait.

[604] Le livre de Thot éclairait la tombe : Satni, en l'emportant, emporte la lumière et laisse l'obscurité.

[605] C'est ainsi qu'au Livre de l'Hadès, chaque fois que le soleil, ayant traversé une des heures de la nuit, en sort pour entrer chez l'heure suivante, les mânes et les dieux qu'il quitte, plongés dans les ténèbres pour vingt-trois heures jusqu'à son retour, poussent des acclamations en son honneur et gémissent de retomber dans l'obscurité.

[606] Dans tous les rites magiques, le feu et l'épée, ou, à défaut de l'épée, une arme pointue en métal, lance ou fourche, sont nécessaires pour l'évocation et pour l'expulsion des esprits. Sur les lames de plomb qu'on trouve dans les cimetières d'Afrique, Typhon et les mauvais génies égyptiens que le sorcier appelle sont figurés parfois une lance à la main et une flamme sur la tête. Krall a pensé qu'il s'agissait ici d'un courrier (Papyrus Erzherzog Rainer, Führer durch die Ausstellung, p. 53, n° 166).

[607] Cette sorte d'obsession inéluctable produite par un écrit magique est décrite fortement dans d'autres textes. C'est ainsi que le prince Didoufhorou, fils de Mykérinos, l'un des héros du Conte de Khoufouî et des Magiciens, ayant découvert le chapitre lxiv du Livre des Morts, « ne voyait plus, n'entendait plus, tant il récitait ce chapitre pur et saint ; il n'approchait plus des femmes, il ne mangeait plus ni chair ni poisson ». L'abstinence et la chasteté étaient en effet des conditions indispensables à l'exercice des pouvoirs surhumains que les grimoires conféraient à leurs possesseurs ; comme on le verra par la suite du roman, c'est sur l'incontinence de Satni que Nénoferképhtah compte pour recouvrer son talisman.

[608] Le rôle joué par Thoubouî dans cet épisode est conforme aux données de la démonologie universelle, et nous révèle la nature du personnage. Elle n'est autre qu'Ahouri, revenue sur la terre pour séduire Satni et pour le mettre dans l'impuissance de se servir de ses armes magiques : lorsqu'elle l'aura rendu impur, Nénoferképhtah reviendra à son tour et l'obligera à restituer le livre de Thot. Sur ce concept, voir ce qui est dit dans l'Introduction, chapitre IV.

[609] Ainsi que Wiedemann l'a remarqué fort ingénieusement (Altægyptische Sagen und Mœrchen, p. 136, note 1), les cinquante-deux pages qui accompagnent Thoubouî sont les cinquante-deux pions de l'échiquier magique, animés et incarnés pour servir d'escorte à la princesse Ahouri dans son excursion au monde des vivants ; cf. Introduction, chapitre IV.

[610] Le mot de page est un équivalent plus ou moins exact que j'emploie faute de mieux. Le terme égyptien sôtm âshou signifie littéralement celui qui entend l'appel : on le trouve abrégé sous la forme sôtmou dans le Conte du Prince prédestiné. On connaît par les monuments une série nombreuse de sôtm âshou m isit mdit, ou pages dans la place vraie, c'est-à-dire de domestiques attachés aux parties de la nécropole thébaine qui avoisinent Drah abou'l Neggah, Déîr-el-Bahari, el-Assassif, Chéikh Abd el Gournah, Déîr et Médinéh, surtout cette dernière localité.

[611] Sur le quartier Ankhoutaoui, voir la note dans Le roi Khoufoui et les magiciens.

[612] Dix tabonou d'or font entre 0 kilogr. 890 et 0 kilogr. 910 d'or, soit en poids 3.000 francs environ de notre monnaie, mais beaucoup plus en valeur réelle.

[613] Aujourd'hui Tell Basta, près de Zagazig. Brugsch a séparé les deux parties qui forment le mot, et il a traduit au temple de Bastît. L'orthographe du texte égyptien ne permet pas cette interprétation ; il s'agit non pas d'un temple de Bastît, situé dans un des quartiers de Memphis, ni d'une partie de Memphis, nommée Poubastît, mais de la maison de Bastît, de Bubaste. Le voyage est de ceux qui n'exigeaient pas de longs préparatifs ; il pouvait s'accomplir en quelques heures, au rebours du voyage de Coptos que font successivement Nénoferképhtah et Satni lui-même.

[614] Cette description répond très exactement à divers plans de maisons égyptiennes qui sont figurés sur les tableaux des tombeaux thébains. Qu'on prenne surtout celui dont j'ai donné le fac-similé et la restitution dans l'Archéologie Égyptienne (2e édit. p. 16-17, fig. 11 et 12) : on y trouvera le mur élevé, la porte avec perron, le grand jardin, le corps de logis situé dans le jardin et bâti à deux étages.

[615] Le mâfkait est un nom commun à tous les minéraux verts, ou bien tirant sur le vert, sulfate de cuivre, émeraude, turquoise, etc., que les Égyptiens connaissaient.

[616] Sur le sens de ce mot, Maspero, Écrits de Mythologie et d'Archéologie égyptiennes, t. IV, p. 431-432, et V. Doc. p. 536.

[617] Thouboui se conforme ainsi à la jurisprudence de l'âge ptolémaïque d'après laquelle l'existence de deux actes, l'un « de nourriture » et l'autre « d'argent », était nécessaire pour assurer une base légale à l'union de l'homme et de la femme et pour lui enlever jusqu'aux apparences du concubinage ; cf. Spiegelberg, Demotische Miscellen, § 32, dans le Recueil de Travaux, t. XXVIII, p. 190-195.

[618] C'est la grande robe de linon transparent, tantôt souple et tombant en plis mous, tantôt amidonnée et raide, dont les femmes sont revêtues dans les tableaux d'intérieur de l'époque thébaine : le corps tout entier était visible sous ce voile nuageux, et les artistes égyptiens ne se sont pas fait faute d'indiquer des détails qui montrent à quel point le vêtement cachait peu les formes qu'il recouvrait. Plusieurs momies de la trouvaille de Déîr-el-Bahari, entre autres celle de Thoutmôsis III et de Ramsès II portaient, appliquées contre la peau, des bandes de ce linon, dont-on peut voir des spécimens au musée du Caire : il est jauni par le temps et par les parfums dont il fut trempé au moment de l'embaumement, mais les peintres anciens n'ont rien exagéré en représentant comme à peu près nues les femmes qui s'en habillaient. On comprendra, en l'examinant, ce qu'étaient ces gazes de Cos que les auteurs classiques appelaient de l'air tissé.

[619] De même, selon la tradition égyptienne, l'eunuque Bagoas, ayant assassiné le roi de Perse Okhos, aurait jeté son corps aux chats (Diodore de Sicile, xvii, v, § 3, et Élien, Histoires Variées, VI, 8). Dans le Conte des deux Frères, Anoupou tue sa femme et la jette aux chiens pour la punir d'avoir tenté et calomnié Baîti.

[620] Les exemples de ces transformations en pleine lutte amoureuse ne sont pas rares dans la littérature populaire. Le plus souvent elles sont produites par l'intervention d'un bon génie, d'un thaumaturge ou d'un saint qui vient sauver le héros des étreintes du succube. Ailleurs, c'est le succube lui-même qui s'accorde le malin plaisir d'effrayer son amant par une métamorphose subite ; cette dernière donnée a été souvent mise en œuvre par les conteurs européens, et en dernier lieu par Cazotte, dans son Diable amoureux. Un détail obscène, qui se rencontre quelques lignes plus bas et que je n'ai point traduit, prouve qu'ici, comme partout dans les contes de ce genre Thoubouî a dû se donner entière pour avoir son ennemi en son pouvoir (cf. note suivante). À peine maîtresse, elle ouvre une bouche énorme d'où sort un vent d'orage ; Satni perd connaissance et il est emporté loin de la maison pendant son évanouissement.

[621] Le texte porte ici un membre de phrase Aou qounef hi-khen n ouât shakhi, que je passe, et dont le sens sera clair pour toutes les personnes qui voudront bien recourir à l'original.

[622] Une taille plus qu'humaine est, à cette époque, le trait auquel on reconnaît les dieux ou les génies, lorsqu'ils se manifestent à l'homme ainsi Hermès-Thot, dans le Pœmandrès, § 1.

[623] On voit par le discours du roi, qui n'est autre que Nénoferképhtah, que toute la scène de coquetterie et de meurtre précédente n'avait pas été qu'une opération magique : Satni, devenu impur et criminel, perdait sa puissance surnaturelle. Comme je l'ai déjà marqué plus haut, le commerce avec les femmes a toujours pour effet de suspendre le pouvoir du sorcier, jusqu'au moment où il a pu accomplir les ablutions prescrites et redevenir pur. Aussi la séduction amoureuse est-elle un grand ressort d'action partout où le surnaturel est en jeu. Pour n'en citer qu'un exemple entre cent, dans les Mille et une Nuits (14e nuit), l'enchanteur Shahabeddin, après s'être uni à une femme, ne pouvait plus user avec succès de ses formules, jusqu'au moment où il avait accompli les purifications prescrites par le Coran en pareille circonstance, et s'était lavé de sa souillure.

[624] Cf. plus haut, dans Le naufragé, un cas de résurrection analogue pour les compagnons du Naufragé.

[625] Satni était grand prêtre de Phtah ; la protection de son dieu l'a sauvé des magiciens, et c'est ce qu'Ahouri lui avoue, non sans quelque dépit probablement.

[626] En rapportant le livre magique, Satni avait fait rentrer dans la tombe la lumière, qui en était sortie lorsqu'il avait emporté le talisman.

[627] Où le corps est enterré, le double doit vivre. Nénoferképhtah a soustrait le double d'Ahouri et celui de Maîhêt à cette loi, par art de scribe habile, c'est-à-dire par magie, et il leur a donné l'hospitalité dans sa propre tombe ; mais c'est là une condition précaire et qui peut changer à chaque instant. Satni, vaincu dans la lutte pour la possession du livre de Thot, doit une indemnité au vainqueur : celui-ci lui impose l'obligation d'aller chercher à Coptos Ahouri et Maîhêt et de les ramener à Memphis. La réunion des trois momies assurera la réunion des trois doubles, à tout jamais.

[628] C'est la seconde transformation au moins que Nénoferképhtah opère dans la partie du conte qui nous a été conservée. Les mânes ordinaires avaient le droit de prendre toutes les formes qu'ils voulaient, mais ils ne pouvaient se rendre visibles aux vivants que dans des cas fort rares. Nénoferképhtah doit à sa qualité de magicien le privilège de faire aisément ce qui leur était défendu, et d'apparaître une fois en costume de roi, une autre fois sous la figure d'un vieillard (cf. Introduction, chapitre IV).

[629] Le texte est trop mutilé en cet endroit pour que la restitution puisse être considérée comme certaine.

[630] En détruisant la maison, c'est-à-dire le tombeau d'un individu, on rendait impossible son culte funéraire, on affamait son double et on risquait de le faire périr, d'où colère du double qui se manifestait par des apparitions, des attaques, des possessions, des maladies dont souffraient les vivants. La loi était donc très sévère pour ceux qui, démolissant une tombe, risquaient de déchaîner ces maux : néanmoins il arrivait parfois que des gens convaincus de haine contre certains morts risquaient l'aventure. Satni craint que son informateur ne veuille profiter de la recherche qu'il entreprend pour assouvir sa haine, et ne le rende complice involontaire de son crime.

[631] Les restaurations de tombeaux et les transports de momies qui en étaient la conséquence n'étaient pas chose rare dans l'antiquité égyptienne : l'exemple le plus frappant nous en a été donné à Thèbes par la trouvaille de Déîr-el-Bahari. On a trouvé là, en 1881, une quarantaine de cadavres royaux, comprenant les Pharaons les plus célèbres de la XVIIIe, de la XIXe et de la XXe dynasties, Ahmôsis Ier, Arnénôthès Ier, Thoutmôsis II et Thoutmôsis III, Ramsès Ier, Sêtoui Ier, Ramsès II, Ramsès III. Leurs momies, inspectées et réparées à plusieurs reprises, avaient fini par être déposées, sous Sheshonq Ier, dans un même puits où il était facile de les soustraire aux atteintes des voleurs. Le héros de notre conte agit comme Sheshonq mais avec une intention différente : il obéit à un ordre des morts eux-mêmes, et il cherche à leur être agréable plutôt qu'à leur donner une protection dont leur puissance magique leur permet de se passer fort bien.

[632] Le texte de ce conte donne au nom de Satni une variante Satmi qui pourrait faire douter qu'il y fût question du même personnage : l'addition du surnom de Khâmoîs en plusieurs endroits prouve que Satmi est réellement identique à Satni. Satni est d'ailleurs le titre du prêtre de Phtah, ce qui convient parfaitement à notre héros, qui était grand-prêtre de Phtah à Memphis.

[633] Le thème de ce début m'a été suggéré par le passage qu'on lira plus loin : j'ai parlé dans l'Introduction, chapitre II, de la donnée du défi entre rois comme d'une donnée courante en Égypte.

[634] Je rétablis ce passage d'après la scène que nous avons plus bas, lorsque le sorcier Horus l'Égyptien passe la nuit au temple de Thot pour obtenir un songe prophétique (cf. Maspero, Le début du second Conte de Satni-Khâmoîs, dans les Mélanges Nicole, p. 349-355). Une stèle de l'époque d'Auguste, antérieure d'assez peu à la rédaction de notre papyrus, nous fournit un bon exemple de songe, suivi d'une naissance d'enfant (Prisse d'Avenne, Monuments, pl. xxvi bis).

[635] Ici commencent les portions conservées du texte.

[636] Griffith pense, non sans quelques doutes, qu'il est question ici des cabinets d'aisances de la maison de Satmi. Je crois plutôt qu'il s'agit d'une fontaine ou d'un château d'eau, tel que celui que nous avons découvert en avant du temple de Dendérah, pendant l'hiver de 1904-1905.

[637] Sur la Double Maison de Vie et sur ses scribes, voir la note dans L’aventure de Satni-Khâmoîs avec les momies.

[638] Les sept grandes salles de l'enfer qui est décrit ici sont celles dont il est question aux chapitres cxliv et cxlvii du Livre des Morts. Le même nombre est passé, d'une descente aux enfers aujourd'hui perdue, dans les livres hermétiques (Zosyme, § V. dans Berthelot, les Alchimistes Grecs, t. I, p. 115-118 et t. II, p. 125-127; cf. Reitzenstein, Poimandrès, p. 8-11).

[639] Depuis l'endroit où il est dit que Satmi s'affligea des paroles de son fils jusqu'à celui où le récit nous le montre pénétrant dans la quatrième salle, il ne reste plus que quelques mots à chaque ligne, et encore la place en est-elle incertaine. Il est probable que la description des trois premières salles ne renfermait rien d'intéressant ; en tout cas, elle était très courte, et elle s'étendait sur quatre ou cinq lignes au plus.

[640] Comme on le verra plus loin, les ânes qui mangent par derrière sont les femmes qui grugeaient ces individus pendant leur vie. Cf. la légende grecque d'Ocnos et de l'âne qui dévorait derrière lui tout son travail (Pausanias, Hellenica, x, 24).

[641] L'idée de ce châtiment est fort vieille en Égypte. Déjà à l'époque thinite, on voit sculptées à Hiéracônpolis, sur le seuil d'une des portes du temple, l'image de personnages étendus à plat-ventre et sur lesquels le battant passait en s'ouvrant et en se fermant (Quibell, Hiéracônpolis, t. I, pl. 1) : c'étaient les ennemis du dieu que les fidèles foulaient aux pieds, chaque fois qu'ils venaient lui rendre hommage.

[642] Ce diadème, que les Égyptiens appelaient iatef, iôtef, se composait du bonnet blanc de la Haute-Égypte et des deux plumes d'autruche plantées à droite et à gauche.

[643] C'est une description exacte de la scène du Jugement de l'âme, telle qu'on la voit représentée parfois sur les cercueils en bois ou sur les sarcophages en pierre de l'époque ptolémaïque, et telle qu'elle est figurée au Livre des Morts en tête du chapitre cxxv.

[644] Amaît est représentée le plus souvent sous la forme d'un hippopotame femelle qui, accroupi en avant d'Osiris, auprès de la balance, et la gueule ouverte, attend qu'on lui livre les morts reconnus coupables.

[645] Le jury infernal, devant lequel les morts comparaissent, se composait d'autant de membres qu'il y avait de noms dans la Haute et la Basse-Égypte : chacun d'eux était compétent pour un péché spécial et jugeait le mort sur ce péché.

[646] En d'autres termes, Sénosiris, lorsqu'il mourra, sera enregistré au nombre des élus, et le père sera admis au paradis pour les vertus du fils, comme par-dessus le marché.

[647] Le sobriquet átou, iátou, litt. : le fléau, la peste, que notre auteur donne ici aux Éthiopiens et plus spécialement au magicien Horus, fils de Tnahsît, est le même que le conte du Papyrus Sallier n° 1 inflige aux Hyksôs d'origine asiatique (voir la note au début de La querelle d’Apopi et de Saqnounrîya) ; c'est celui que Manéthon et ses contemporains rendaient en grec par l'épithète que nous traduisons Impurs.

[648] C'est une injure à l'adresse des Nègres, que la pauvreté de leurs terres obligeait à se nourrir des gommes de diverse nature qu'ils recueillaient sur les arbres de leurs forêts. On en trouvera des exemples dans un autre écrit du même temps, l'Emprise du trône.

[649] Les saletés à la mode d'Éthiopie ne sont que les mets en usage chez les Éthiopiens : la haine que les Égyptiens de la Basse-Égypte professaient contre les gens du royaume de Napata se portait non seulement sur les hommes, mais sur tout ce qui leur servait, y compris la nourriture (cf. note précédente).

[650] La femme de Satmi, après l'avoir tâté et examiné à la façon des médecins, résume le résultat de ses observations en une formule de diagnostic brève, imitée des diagnostics médicaux : ce n'est point le corps qui est malade chez lui mais l'esprit, et le chagrin est le seul mal qui le dévore.

[651] Les livres étaient enfermés dans des vases en terre ou en pierre, et nous avons, par exemple, dans un catalogue de pièces judiciaires, l'indication de rouleaux de papyrus ainsi conservés (Brugsch, Hieratischer Papyrus Zu Wien, dans la Zeitschrift, 1876, p. 2-3).

[652] Ce n'est pas sans raison que l'auteur du conte attribue Amon comme divinité protectrice à la peste d'Éthiopien. Le royaume de Napata, auquel avait succédé le royaume de Méroé, celui qui est qualifié ici de pays des Nègres, avait été fondé par un membre de la famille des grands-prêtres d'Amon Thébain, et il avait Amon pour dieu principal. Il semble que les gens du Delta et de la Moyenne-Égypte n'aient point pardonné aux Éthiopiens la scission de l'ancien empire thébain en deux États indépendants : le peu qu'on connaît de leurs écrits témoigne d'une hostilité réelle contre les Éthiopiens et contre leur dieu Amon.

[653] Shai est le nom du grand serpent qui représentait l'Agathodémon, le dieu protecteur de l'Égypte, surtout Knouphis à partir de l'époque romaine.

[654] Sur ce Pharaon, dont le prénom rappelle celui de Thoutmôsis III et est presque identique avec celui d'un Thoutmôsis et d'un Psammétique fictifs, découverts à Karnak et à Asfoun en 1905 (Maspero, Ruines et Paysages d'Égypte, pp. 225-233), ce qui est dit dans l'Introduction (chapitre II), de ce volume.

[655] Le discours du troisième sorcier a été omis par le scribe, mais on le retrouve plus bas, et c'est d'après ce passage que j'ai pu le rétablir.

[656] Trîrît, Trêrét, signifie la truie ou l'hippopotame femelle.

[657] Tnahsît, Tnehsét, signifie la négresse.

[658] Triphît signifie la jeune fille, la jeune femme, et c'est un des surnoms d'Isis, transcrit en grec Triphis.

[659] La nuit était peuplée d'êtres, les uns mauvais, les autres bons, ces derniers qui défendaient les hommes endormis. Les personnages magiques envoyés par Horus l'Éthiopien, en se rendant maîtres de la nuit, empêchent les bons génies de s'opposer à l'exécution de leurs desseins pervers.

[660] La ville ou le château de l'Horus n'est autre que le palais royal dans la phraséologie officielle de l'Égypte, et la chapelle de cette ville est la chambre à coucher de l'Horus, c'est-à-dire du roi.

[661] Les courtisans, qui ignorent encore les événements de la nuit, sont déconcertés par la question de Pharaon, et ils s'imaginent qu'il s'est enivré au point d'en perdre la raison ou qu'il a été frappé de folie subite ; toutefois ils ont honte de leur pensée, et, avant de l'exprimer à haute voix, ils demandent au souverain l'explication des paroles qu'il vient de prononcer devant eux.

[662] Khmounou est l'Achmounéin des Arabes, l'Hermopolis des Grecs, la ville de Thot, l'Hermès trismégiste, le dieu qui est le maître des grimoires et des incantations. Il est naturel que le magicien Horus s'y rende pour consulter son patron.

[663] Thot s'appelait le deux fois grand, ce qui lui était comme un comparatif de sa personne, et le trois fois grand, ce qui en est le superlatif, megistos : l'épithète de Trismégiste qu'on lui donne, surtout à l'époque gréco-romaine, est donc le superlatif d'un superlatif et elle signifie à proprement parler le trois fois trois fois plus grand, ce qui équivaut à l'expression neuf fois grand de notre texte.

[664] Voir au début de notre conte, un autre exemple d'incubation avec rêve prophétique.

[665] Tout ce passage était à peu près détruit : je l'ai rétabli d'après le développement parallèle qu'on a lu plus haut.

[666] Le scribe a omis tout le discours du sorcier et le début de la réponse de la mère, par suite d'un bourdon, comme l'a remarqué Griffith (Stories of the High Priests of Memphis, p. 193, note). J'ai comblé cette lacune au moyen de phrases empruntées aux passages précédents.

[667] Voir plus haut, les intersignes convenus entre Anoupou et Baîti.

[668] Horus, le fils de Tnahsît, mange sa magie, comme au premier conte de Satni-Khâmoîs Satni avait bu le livre de Thot ; ici toutefois ce n'est pas pour se l'assimiler, c'est pour la cacher à tous les yeux et pour empêcher qu'elle ne lui soit volée en chemin.

[669] L'Éthiopie qui, ainsi que nous l'avons vu, est considérée dans ce roman comme la création et comme le domaine d'Amon, par opposition à Memphis et à l'Égypte du Nord, qui appartiennent à Phtah

[670] Le mot à mot dit : flairant. Il découvrait à l'odorat, par le fumet spécial aux sorciers, tous ceux d'entre eux qu'il rencontrait sur sa route, et qui auraient pu ou l'arrêter, ou signaler sa présence avant le temps.

[671]Il y a là une allusion à un autre roman dont les deux Horus étaient les héros, et qui devait être suffisamment connu à l'époque pour que les lecteurs de notre Conte sussent immédiatement de quoi il s'agissait. L'eau dont il s'agit ici est évidemment le Nil du Nord, le ruisseau qui naît dans le Gebel-Ahmar, à l'Aîn-Mousa, et qui passait pour être la source des bras du Nil qui arrosaient les cantons situés à l'est du Delta.

[672] Y a-t-il ici un souvenir des propos du chacal mentionné dans l'un des papyrus démotiques de Leyde ?

[673] C'est du midi, plus exactement du sud-ouest, que viennent d'ordinaire les pluies torrentielles qui s'abattent parfois sur le Caire : la locution pluie du midi serait donc ici l'équivalent d'orage ou de trombe. D'autre part, le terme méridional est employé assez souvent avec une nuance aggravative, par exemple dans l'expression guépard du midi, que nous avons déjà rencontrée plusieurs fois (cf. note dans Le conte des deux frères).

[674] Le Bassin-Immense, She-oêri, est l'un des noms que porte le lac Mœris ; le bateau qui emporte la voûte de pierre est probablement celui-là même qu'on voit sur le papyrus du Fayoum, conduisant le dieu Soleil sur les eaux du lac Mœris.

[675] Voir plus haut, l'énumération de ces signes.

[676] Voir plus haut, dans L’histoire véridique de Satni Khâmoîs et de son fils Sénosiris, les exemples d'incubation et de rêves prophétiques.

[677] Le fils de Nouît est le dieu Set-Typhon.

[678] C'est une orthographe différente du nom écrit Naharinna dans le Conte du Prince Prédestin. Le Naharinna est le pays placé à cheval sur l'Euphrate, entre l'Oronte et le Balikh.

[679] Ainsi qu'il a été dit plus haut, dans Le naufragé, le Pharaon, fils du Soleil et Soleil lui-même, avait aussi plusieurs âmes, Bâou : les peuples vaincus cherchaient à les gagner par leurs cadeaux.

[680] Le mâfkait est un nom commun à tous les minéraux verts, ou bien tirant sur le vert, sulfate de cuivre, émeraude, turquoise, etc., que les Égyptiens connaissaient.

[681] La fille du prince de Khati, Khattousîl, reçut de même, à son arrivée en Égypte, le titre de grande épouse royale et un nom égyptien Maournafrourîya, dont celui de notre princesse n'est probablement qu'une abréviation d'un usage familier.

[682] La Thèbes méridionale est aujourd'hui Louxor : c'est donc la fête patronale du temple de Louxor que le roi était occupé à célébrer quand on vint lui annoncer l'arrivée du messager syrien, celle pendant laquelle la statue d'Amon et sa barque étaient transportées de Karnak à Louxor puis revenaient de Louxor à Karnak, trois semaines plus tard.

[683] Le nom de cette princesse parait être formé du mot sémitique bint, la fille, et du mot égyptien rashit, la joie : il signifie Fille de la joie.

[684] Voir dans L’aventure de Satni-Khâmoîs avec les momies, ce qui est dit de ces Scribles de la Double maison de Vie et de leurs attributions.

[685] E. de Rougé et la plupart des savants qui ont étudié cette stèle ont pensé qu'il s'agissait d'un démon : Krall a montré que l'esprit possesseur était un mort (Tacitus und der Orient, I, p. 41-42).

[686] Pour bien comprendre ce passage, il faut se rappeler que, selon les croyances égyptiennes, chaque statue divine contenait un double détaché de la personne même du dieu qu'elle représentait et qu'elle était une véritable incarnation de ce dieu différente des autres incarnations du même genre. Or Khonsou possédait dans son temple, à Karnak, deux statues au moins, dont chacune était animée par un double indépendant que les rites de la consécration avaient enlevé au dieu. L'une d'elles représentait Khonsou, immuable dans sa perfection, tranquille dans sa grandeur et ne se mêlant pas directement aux affaires des hommes : c'est Khonsou Nafhatpou, dont j'ai traduit le nom en le paraphrasant, dieu de bon conseil. L'autre statue représentait un Khonsou plus actif, qui règle les affaires des hommes et chasse les étrangers, c'est-à-dire les ennemis, loin de l'Égypte, Khonsou p. iri sokhrou m ouâsit noutir âou, saharou shemâou. Le premier Khonsou, considéré comme étant le plus puissant, nous ne savons pour quelle raison, ne daigne point aller lui-même en Syrie : il y envoie le second Khonsou, après lui avoir transmis ses pouvoirs (E. de Rouge, Étude sur une stèle, p. 15-19). Nous rencontrerons plus loin, dans le Voyage d'Ounamounou du présent volume, un Amon du chemin qui émane de l'Amon de Karnak de la même manière qu'ici le second Khonsou procède du premier, et qui accompagne le héros dans son expédition en Syrie.

[687] Les statues, étant animées d'un double, manifestaient leur volonté soit par la voix, soit par des mouvements cadencés. Nous savons que la reine Hatchopsouîtou avait entendu le dieu Amon lui commander d'envoyer une escadre aux Échelles de l'Encens, pour en rapporter les parfums nécessaires au culte. Les rois de la XXe et de la XXIe dynastie, moins heureux, n'obtenaient d'ordinaire que des gestes toujours les mêmes ; lorsqu'ils adressaient une question à un dieu, la statue demeurait immobile si la réponse était négative, secouait fortement la tête à deux reprises si la réponse était favorable, comme c'est ici le cas. Ces consultations se faisaient selon un cérémonial strictement réglé, dont les textes contemporains nous ont conservé les opérations principales (Maspero, Notes sur différents points, dans le Recueil de Travaux, t. I, p. 158-159).

[688] La vertu innée des dieux, le sa, parait avoir été regardée par les Égyptiens comme une sorte de fluide, analogue à ce qu'on appelle chez nous de différents noms, fluide magnétique, aura, etc. Elle se transmettait par l'imposition des mains et par de véritables passes, exercées sur la nuque ou sur l'épine dorsale du patient : c'était ce qu'on appelle Satpou-sa et qu'on pourrait traduire par à peu près pratiquer des passes. La cérémonie par laquelle le premier Khonsou transmet sa vertu au second est assez souvent représentée sur les monuments, dans des scènes où l'on voit une statue d'un Dieu faire les passes à un roi. La statue, d'ordinaire en bois, avait les membres mobiles : elle embrassait le roi et elle lui passait la main par quatre fois sur la nuque, tandis qu'il se tenait agenouillé devant elle, lui tournant le dos. Chaque statue avait reçu au moment de la consécration, non seulement un double, mais une portion de la vertu magique du dieu qu'elle représentait : le sa de sa vie était derrière elle qui l'animait et qui pénétrait en elle, au fur et à mesure qu'elle usait une partie de celui qu'elle possédait en le transmettant. Le dieu lui-même, que cet écoulement de sa perpétuel aurait fini par épuiser, s'approvisionnait de sa à un réservoir mystérieux que renfermait l'autre monde : on ne disait pas à quelle pratique le réservoir devait de ne pas s'épuiser (Maspero, Mélanges de Mythologie et d'Archéologie Égyptiennes, t. I, p. 308).

[689] Hérodote, II, cii-ciii.

[690] Hérodote, II, ciii.

[691] Hérodote, II, cvii-cix.

[692] Hérodote, II, cx.

[693] Le conteur ne dit pas explicitement de quel pays il s'agit, mais il emploie, pour désigner le père de son héros, le mot soutonou, qui est le titre officiel des rois d'Égypte : c'est donc en Égypte que se passent tous les événements racontés au début du conte.

[694] Sur les Hathors, voir Le conte des deux frères, et l'Introduction, chapitre III.

[695] Le toit des maisons égyptiennes était plat et il formait, comme celui des temples, des terrasses sur lesquelles on venait prendre le frais. On y élevait des kiosques légers, et quelquefois, comme au temple de Dendérah, de véritables édicules en pierre de taille qui servaient de chapelle et d'observatoire.

[696] La côte orientale, c'est la Syrie, par rapport à l'Égypte : nous verrons en effet que le prince arrive au pays de Naharinna. Le Naharinna est connu aussi sous le nom de Naharaîna. Les mariages de princes égyptiens avec des princesses syriennes sont fréquents dans l'histoire réelle.

[697] Le mot poui, employé à plusieurs reprises, dans notre texte, pour désigner l'action des princes, signifie bien voler, s'envoler, et c'est par abus seulement qu'on l'a traduit grimper. Le prince de Naharinna impose t-il aux prétendants une épreuve magique ? Je suis tenté de le croire, en voyant que, plus loin, le fils du roi d'Égypte conjure ses jambes avant d'entrer en lice à son tour. Nous avons rencontré d'ailleurs, dans le premier Conte de Satni Khâmoîs, un personnage qui sort de terre, littéralement, qui s'envole en haut, au moyen des talismans du dieu Phtah.

[698] On pourra trouver bizarre que le prince, ignorant l'histoire de la princesse de Naharinna, arrivât dans le pays où elle se trouvait avec l'intention de s'envoler pour la conquérir. Aussi bien, l'auteur égyptien n'a-t-il songé qu'à mettre le lecteur par avance dans la confidence de ce qui allait se passer. C'est ainsi que, dans le Conte des deux Frères, les magiciens de pharaon, tout en ignorant l'endroit, précis où est la femme que Pharaon convoite, envoient des messagers vers toutes les contrées, et recommandent spécialement qu'on donne une escorte au messager qui se rendrait dans le Val de l'Acacia, comme s'ils savaient déjà que la fille des dieux y résidait.

[699] Voir dans Comment Thoutîyi prit la ville de Joppé, ce que les Égyptiens entendaient sous le nom de pays de Kharou.

[700] Le char de guerre égyptien était monté par deux hommes, dont l'un, le kazana, conduisait les chevaux, et l'autre, le sinni, combattait : c'est un sinni que le prince de notre conte se donne pour père. Les textes nous montrent que ces deux personnages étaient égaux en grade et qu'ils avaient rang d'officier (Maspero, Études égyptiennes, t. II, p. 41).

[701] On s'attendrait à voir une princesse syrienne jurer par un Baal ou par une Astarté : l'auteur, qui n'y regardait pas de si près, lui met deux fois dans la bouche la formule égyptienne du serment par Phrâ-Harmakhis et par Phrâ.

[702] Cf. dans Les mémoires de Sinouhît, l'énumération du domaine que le prince de Tonou constitua à Sinouhît, quand il lui eut donné sa fille en mariage.

[703] Peut-être : pour chasser dans ce pays, ainsi qu’au début du Conte.

[704] Pas plus que dans le Conte des deux Frères, l'auteur égyptien ne nomme le fleuve dont il s'agit : il emploie le mot iaoumâ, iôm, la mer, le fleuve, et cela lui suffit. L'Égypte n'a pas en effet d'autre fleuve que le Nil. Le lecteur comprenait sur le-champ que iaoumâ désignait le Nil, comme le fellah d'aujourd'hui quand on se sert devant lui du mot bahr, sans y joindre l'épithète malkhah, salé : bahr et malkhah signifie alors la mer.

[705] Le géant et le crocodile sont deux personnages astronomiques, l'emblème de deux constellations importantes qu'on voit figurées, entre autres, au plafond du Ramesséum. Il semble que le dieu, les ait envoyés sur terre pour accomplir la destinée prédite par les sept Hathors.

[706] sur la façon dont les Égyptiens attiraient les serpents, le passage de Phylarque, Fragment 26, dans Müller-Didot, Fragmenta Historicorum Græcorum, t. I, p. 340.

[707] Il y a ici l'indication d’un intersigne analogue à ceux que j'ai signalés plus haut au Conte des deux frères et au deuxième conte de Satni-Rhâmoîs. Une lacune nous empêche malheureusement de reconnaître quelle en était la nature.

[708] Ebers, Das alte Ægyptische Märchen vom verwunschenen Prinzen, dans le n° d'octobre 1881 des Westernann's Monatshefte, p. 99-102.

[709] Ce nom n'est que Ramsès augmenté d'une syllabe nitos pour le différencier, ainsi qu'il est dit dans l'Introduction, chapitre II.

[710] Voir, dans l'Introduction, chapitre III, le commentaire de ce sage. Il y a peut-être au conte de Khoufouî un autre exemple de bloc mobile.

[711] Cette exposition du cadavre sur la muraille de la ville a été citée comme une preuve de l'origine non égyptienne du conte. Les Égyptiens, a-t-on dit, avaient trop de scrupules religieux pour que leur loi civile permît pareille exhibition ; après exécution de la sentence, le corps était rendu à la famille pour être momifié. Je ne citerai contre cette objection qu'un passage d'une stèle d'Aménôthès II, où ce roi raconte qu’ayant pris plusieurs chefs syriens, il fit exposer leurs corps sur les murs de Thèbes et de Napata, afin d'effrayer les rebelles par un si terrible exemple. Ce qu'un Pharaon réel avait fait, un Pharaon de conte pouvait bien le faire, quand même ce n'aurait été que par exception.

[712] Les Égyptiens n'employaient pas d'ordinaire les outres à contenir le vin, mais presque toujours des jarres pointues de petite taille : les esclaves les emportaient avec eux à l'atelier ou dans les champs, et il n'est pas rare de voir, dans les peintures qui représentent la récolte, quelque moissonneur qui, la faucille sous le bras, boit à même le pot. L'usage de la peau de chèvre n'était pas inconnu cependant, et je puis citer, entre autres exemples, un tableau de jardinage trouvé dans un tombeau thébain et reproduit par Wilkinson (A popular Account of the Ancient Egyptians, t. I, p. 35, fig. 29) ; on y voit trois chèvres d'eau déposées au bord d'un bassin pour y rafraîchir. Le détail recueilli par Hérodote est donc conforme de tout point aux mœurs de l'Égypte antique.

[713] Pour l'appréciation de ce trait je renvoie à ce qui a été dit dans l'Introduction chapitre III, de la barbe des soldats égyptiens.

[714] Si bizarre que le moyen nous paraisse, il faut croire que les Égyptiens le trouvaient naturel, puisque la fille de Chéops recevait de son père l'ordre d'ouvrir sa maison à tout venant, moyennant argent (Hérodote, II, cxxvi), et que Thoubouî invitait Satni à venir chez elle afin de le contraindre à rendre le livre de Thot (L’aventure de Satni-Khâmoîs avec les momies du présent volume).

[715] Le titre Samsou hai nous est connu surtout par les représentations des tombeaux de l'empire memphite et du premier empire thébain, mais il se perpétua, au moins dans les temples, jusqu'à la fin de la civilisation païenne de l'Égypte. On voit les personnages qui le portent surveiller parfois les travaux de menuiserie, et c'est peut-être pour cela qu’Ounamounou avait été choisi comme ambassadeur du dieu dans une expédition qui avait trait à des acquisitions de bois. La traduction que je donne répond mot pour mot aux termes égyptiens, mais elle n'en rend pas le sens : je la garde, faute de mieux.

[716] C'est le nom officiel de la grande barque d'Amon de Karnak (Brugsch, Dict. géographique, p. 165).

[717] Amonrâ était censé régner sur Thèbes et le grand-prêtre n'était que l'exécuteur terrestre de ses ordres. Les actes officiels prenaient donc souvent la forme de décrets rendus par le dieu, et c'était le cas ici.

[718] Le tabonou pesait de 89 à 91 grammes en moyenne (voir note dans L’aventure de Satni-Khâmoîs avec les momies).

[719] Le sens de cette longue énumération parait être tel : l'argent, qui a été volé, est la propriété à la fois de ceux qui l'ont confié à Ounamounou, Hrihorou et Amon dont Hrihorou est le grand-prêtre, Smendès, Tantamânou, les autres princes égyptiens, puis des étrangers auxquels il est destiné, soit comme présent, soit comme prix des bois demandés. Un de ceux-ci, Zikarbal, est le prince de Byblos que nous rencontrerons plus loin ; nous ne savons qui sont les deux autres, Ouaradi et Makamarou. Zikarbal est la forme réelle du nom Acerbas, Sychas, Sichée, que portait le mari de la fameuse Didon.

[720] C'est une formule de politesse syrienne ou égyptienne : « Je me soumets par avance à ta colère ou à ta bienveillance, selon que ma conduite ou mes explications te plairont ou ne te plairont pas ».

[721] C'est l'idole que Hrihorou avait donnée à Ounamounou pour le protéger dans son expédition. Golénicheff a fait remarquer dès le début (Recueil de Travaux, t. XXI, p. 94, note 1) qu'elle était à l'Amon de Karnak, ce que, dans la Stèle de Bakhtan (voir la note sur le « dieu de bon conseil » dans La fille du prince de Bakhtan et l’esprit possesseur du présent volume), le Khonsou envoyé en Asie est au Khonsou demeuré à Thèbes, un véritable ambassadeur d'Amon auprès des princes et des dieux étrangers.

[722] Les restitutions que j'ai insérées dans ce paragraphe sont imprimées en italiques ; elles ne donnent qu'un canevas très court des événements accomplis entre Dora et Byblos. Le texte original devait renfermer deux ou trois épisodes dont je n'ai tenu aucun compte, mais auxquels il est fait allusion par la suite : le départ du navire qui avait amené d'Égypte Ounamounou, l'introduction de l'idole Amon-du-Chemin, les raisons pour lesquelles le prince de Byblos refusait de recevoir Ounamounou.

[723] C'est une scène de fureur prophétique du genre de celles qui se passaient en Israël. Le page, saisi par le dieu, tombe dans une sorte d'extase épileptique pendant laquelle il sent la présence de l'idole Amon-du-Chemin ; il donne au prince l'ordre d'en haut qui l'oblige à recevoir Ounamounou et à faire ce que celui-ci désire. Frazer (Adonis, Attis, Osiris, p. 67) se refuse à croire comme Wiedeman (Altægyptische Sagen und Märchen, p. 99) que le dieu possesseur soit Amon : il croit que c'est plutôt Adonis, parce qu'Adonis était le dieu de la cité, et que le droit de possession sur un des fonctionnaires du pays lui appartenait plutôt qu'à un dieu étranger. L'exemple de Balaam prouve que le dieu d'un peuple pouvait saisir même le prophète d'un dieu étranger, et justifie notre interprétation.

[724] Le prince de Byblos, apprenant qu'Ounamounou n'a point avec lui les lettres de créance qu'il devrait avoir, lui dit ouvertement qu'il le soupçonne d'être un aventurier : Hrihorou et Smendès l'auraient embarqué avec ordre au capitaine de le jeter en pleine mer. En ce cas, on peut le traiter sans miséricorde ; car, s'il leur arrivait quelque mésaventure à lui et à sa statue d'Amon-du-Chemin, qui s'inquiéterait de leur destinée ? On verra que, plus loin, Ounamounou insiste sur ce fait que s'il venait à disparaître, on le chercherait jusqu'à la consommation des temps pour venger sa mort. C'est à quelque discours de ce genre, mais qui se trouvait dans les parties perdues du texte, que le prince de Byblos répond présentement.

[725] Ouarakatîlou est une forme dialectale du nom qui serait en hébreu Birkatel ou Berekôtel.

[726] Ounamounou, pour répondre au soupçon de Zikarbal, rappelle qu'il est bien venu sur un navire égyptien monté par un équipage égyptien et non par un équipage syrien : ce n'est pas, sous-entend-il, à des Égyptiens que des princes égyptiens auraient confié la besogne de supprimer un Égyptien. Zikarbal n'a pas de peine à le faire taire, en lui remontrant que la plupart des navires qui font le cabotage pour le compte de l'Égypte sont des navires syriens, qui, par conséquent, n'auraient pas de scrupule à exécuter sur un Égyptien les ordres que les princes, d'Égypte leur auraient donnés du départ.

[727] La valeur ancienne transcrite en valeur moderne représente 92 kilogrammes d'argent.

[728] Il semble bien qu'on doive considérer ce membre de phrase comme l'expression emphatique de la confiance que le prince de Byblos a en son propre pouvoir. Il n'est pas le serviteur de l'Égypte, et, par suite, il n'est pas le serviteur d'Amon, et Amon n'a aucun pouvoir sur le territoire qu'il occupe. S'il crie aux cèdres du Liban de descendre à la mer, le ciel s'ouvre, et les arbres, renversés par les dieux du pays, tombent d'eux-mêmes au bord de la mer.

[729] Les navires de mer égyptiens avaient, à l'avant et à l'arrière, deux pointes recourbées qui s'élevaient au-dessus de l'eau et qui étaient décorées ordinairement de têtes de divinités, hommes ou bêtes. Ces deux extrémités étaient maintenues par des cordages qui, frappés à la proue, passaient sur des matereaux plantés le long de l'axe du pont et allaient s'attacher à la poupe vers la hauteur du gouvernail. La force de la vague et du vent fatiguait beaucoup ces avancées et elle menaçait sans cesse de les enlever : lorsqu'elles venaient à se séparer de la coque, le navire sombrait sans rémission.

[730] Les lacunes qui interrompent les lignes 16 et 17 du texte rendent le sens incertain ; voici pourtant comment je le conçois. Après avoir dit à Ounamounou qu'il est indépendant de lui et d'Amon, Zikarbal veut montrer qu'il peut plus pour Ounamounou qu'Ounamounou ne peut pour lui. Il demande à Ounamounou de lui montrer les voiles et les câbles des vaisseaux qui emporteront les bois, et il les trouve insuffisants : si lui, Zikarbal, n'en donne pas de plus résistants, les navires d'Ounamounou ne résisteront pas à l'orage et ils sombreront en pleine mer.

[731] Voir ce qui est dit de Soutekhou, dans Comment Thoutîyi prit la ville de Joppé, du présent volume.

[732] Le lien qui unit la fin de ce discours au commencement n'est pas évident au premier abord. La transition s'établit après le passage où Zikarbal montre les dangers de mort qui menacent Ounamounou pendant le retour : « Ton navire, mal gréé, sombrera et tu périras dans la mer, car après tout il ne fait pas toujours beau temps, mais, à des intervalles fréquents, Amon fait gronder le tonnerre, et il donne pleine carrière à Soutekhou, le dieu de l'orage. Or, Amon, s'il veille sur tous les pays, veille principalement sur l'Égypte et il lui a donné la sagesse plus qu'aux autres nations. Comment se fait-il que le souverain d'un pays si sage ait commandé à Ounamounou une course aussi folle que celle qui l'a amené à Byblos ? »

[733] C'est-à-dire : remets à Ounamounou une statue d'Amon, où sera enfermée un peu de la force d'Amon et qui sera l'ambassadeur-dieu à côté de l'ambassadeur-homme. C'est la statue de l'Amon-du-Chemin dont il est question immédiatement après quand Ounamounou dit : « Hrihorou m'a envoyé avec ce dieu grand ! » Voir plus haut, dans la note sur Khonsou, les deux Khonsou et l'envoi que l'un d'eux fait au Bakhtan de la statue animée de l'autre.

[734] En d'autres termes : « Donne gratuitement le bois à Amon et ne demande pas qu'il te le paie ; car Amon est un lion et le lion n'aime pas qu'on lui veuille prendre sa proie ! » La phrase est probablement un proverbe populaire.

[735] La barque d'Amon avait deux tètes de bélier à l'avant et à l'arrière ce sont les billes de bois destinées à ces deux têtes que Zikarbal envoie comme cadeau préliminaire, pour provoquer la libéralité de Hrihorou et de Smendès.

[736] C'est une ombrelle analogue à celle que l'on voit figurée dans les bas-reliefs assyriens et qui est tenue au-dessus de la tête des rois par un eunuque ou par un officier debout derrière eux.

[737] Le sens de ce discours qui était clair pour un Égyptien ne l'est plus pour nous. Je crois y distinguer au fond l'idée courante en Orient que toute personne sur laquelle tombe l'ombre d'un être puissant, dieu, génie, roi, est sous la protection et par suite sous l'autorité de cet être. Penamânou, voyant l'ombre de l'ombrelle du prince de Byblos tomber sur Ounamounou, dit à celui-ci en se moquant que l'ombre de son Pharaon tombe sur lui, c'est-à-dire, en d'autres termes, que désormais il n'a plus pour Pharaon et pour maître que le prince dont l'ombre tombe sur lui, le prince de Byblos.

[738] Je crois qu'il faut comprendre ce passage comme il suit. Après avoir remis les bois à Ounamounou, le prince de Byblos, qui n'a pas encore pardonné l'insuffisance des cadeaux reçus, ajoute : « Et maintenant, va-t'en vite, quand même le temps serait mauvais, et si tu te laissais entraîner à prendre en considération la colère de la mer lorsque tu seras au moment de ton départ, songe que ma colère pourrait être pire encore que celle de la mer, et que tu risquerais de t'attirer le sort des envoyés de Khâmoîs, que j'ai retenus ici prisonniers jusqu'à leur mort ».

[739] Ce Khâmoîs est le Pharaon Ramsès IX, ainsi qu'il a été dit plus haut.

[740] Ounamounou développe ici le thème déjà indiqué plus haut, que son ambassade n'est pas une ambassade ordinaire, mais qu'elle renferme un dieu, l'Amon-du-Chemin. Il se plaint donc que le prince de Byblos veuille l'assimiler aux envoyés purement humains de Khâmoîs, et les représenter comme étant ses pairs.

[741] En récompense du service rendu par le prince, son double aura les libations d'eau fraîche que les bienheureux ont dans l'Hadès ; voir la note à ce sujet dans Le conte des deux frères.

[742] Pour le site du pays d'Alasia, voir ce qui est dit dans l’introduction de ce conte.

[743] C'est le même argument qu'Ounamounou a déjà employé plus haut vis-à-vis du prince de Byblos.

[744] Ce nom n'est pas de lecture certaine, bien qu'il revienne souvent dans le texte. Il se traduirait la ville des deux jumeaux du Soleil, Shou et Tafnit, et il désigne une place située au nome mendésien, dans une île.

[745] Sakhmi est le nom de l'ancienne ville de Latopolis aujourd'hui Oussîm, à quelque distance au Nord-Ouest du Caire.

[746] Pour la lecture Inarôs du nom égyptien, voir ce qui est dit dans L’aventure de Satni-Khâmoîs avec les momies.

[747] Cette expression, la leçon du soldat, qui se rencontre plusieurs fois dans le texte, parait désigner l'habileté au métier militaire, soit au maniement des armes, à l'escrime, soit à la conduite des troupes, à la stratégie. Ailleurs, faire la leçon du soldat, signifie se battre dans les règles ou simplement se battre, pousser une botte.

[748] Cette phrase correspond à quinze lignes de texte, trop mutilées pour que j'en puisse tenter la restitution.

[749] Pémou, comprenant que Pharaon a des intentions pacifiques, s'en indigne et il demande que la querelle soit vidée par les armes.

[750] Le nom Souânou est celui que portait Assouan dans l'antiquité, mais il s'applique ici à une ville du Delta, et Spiegelberg, l'identifiant avec le nom biblique Sin (Ézéchiel, xxx, 15), conjecture qu'il désigne Péluse. Les Égyptiens de l'âge pharaonique disaient, pour exprimer la même idée, d'Éléphantine à Nathô : peut-être Souânou, qui remplace Nathô, doit-elle être cherchée plutôt dans les mêmes parages que celle-ci.

[751] Sur les lecteurs, voir ce qui est dit dans la note sur le « premier lecteur », dans Le roi Khoufoui et les magiciens.

[752] Ce passage semble montrer qu'à Busiris-Mendès les princes étaient enterrés en pleine ville, dans le temple d'Osiris ; de même, à Sais (Hérodote, II, clxix), on les ensevelissait dans le temple de Néith. Il devait en être ainsi dans tout le Delta, l'éloignement des deux chaînes de montagne ne permettant pas qu’on établît les cimetières sur la lisière du désert, comme c'était le cas dans la vallée.

[753] Soupdîti, nommé ailleurs Soupdou (voir note dans Les mémoires de Sinouhît), le dieu de l'Est, est le dieu de Pakrour. Il est représenté d'ordinaire sous la forme d'un épervier accroupi et coiffé de deux plumes.

[754] Voir la note dans L’histoire véridique de Satni Khâmoîs et de son fils Sénosiri ; c'est la haine contre Thèbes qui vaut au grand seigneur d'Amon cette insulte.

[755] Le roi avait défendu plus haut que l'on songeât à se battre de son temps.

[756] Comme l'a vu Krall (der Demotische Roman, p. 14), la couleur mauvaise, c’est la couleur de la mort, la teinte livide qui se répand sur le corps lorsque la vie s'est éteinte.

[757] Pakrour, entrant dans les bonnes intentions de Pharaon et voulant, pourtant donner satisfaction à Pémou, propose un duel entre les « deux écussons », c'est-à-dire entre les deux factions rivales représentées chacune par les armoiries du nome d'où leur chef était originaire : de la sorte on évitera que la guerre civile se répande sur l'Égypte entière. La suite du récit prouve que cette proposition n'est pas acceptée : un combat en champ clos est décidé, qui mettra aux prises les forces de tout le pays.

[758] Ce membre de phrase représente deux lignes de texte qui sont trop mutilées pour qu'on puisse les traduire. Les dix lignes suivantes sont un peu mieux conservées ; toutefois Spiegelberg n'en a qu'imparfaitement restitué le contexte (der Sagenkreis des Königs Petubastis, p. 52-53), et je ne suis pas sûr d'en avoir rétabli le sens correctement.

[759] Le texte emploie pour désigner cette localité une expression un peu longue, « le lac de la Gazelle, qui est le birkéh de la ville de la déesse Ouotît, la dame de la ville d'Amît », peut-être Tell-Mokdam de nos jours, « qui est le Didou de l'Hathor de Mafkît » une petite ville située dans le XIXe nome du Delta (cf. Spiegelberg, der Sagenkreis des Königs Petubastis, p. 52, note 2). Pour éviter les longueurs, je traduirai partout « le lac de la Gazelle », en supprimant les épithètes.

[760] Il semble qu'ici le scribe ait passé une ligne. Je rétablis la formule dans son intégrité d'après ce qu'on a lu plus haut.

[761] Peut-être cette ville est-elle identique à celle de même nom qui est mentionnée sur une stèle des carrières de Masara (Spiegelberg, der Sagenkreis des Königs Petubastis, p. 54, note 10).

[762] Le texte décrivait ici, en vingt-sept lignes, la forme, l'étoffe, le métal, le décor de chaque pièce de l'armure ; par malheur il est fort mutilé et le détail n'en peut pas être rétabli. J'ai dû me contenter d'en indiquer le sens général.

[763] Ici encore le texte est trop mutilé pour qu'on puisse le rendre en entier ; j'ai dû resserrer en quelques mots le contenu probable d'environ dix-huit lignes.

[764] Litt. : « Zinoufi trouva ses jambes »

[765] C'est le nom qu'Hérodote (II, clxiv-clxvi) donnait à l'une des classes parmi lesquelles l'armée se recrutait.

[766] Une fois de plus je suis obligé de condenser en quelques mots le sens de plusieurs lignes, douze environ, qui sont à moitié détruites.

[767] J'ai résumé dans cette seule phrase tout un long passage mutilé de quarante-sept lignes qui contenait le défi de Pétékhonsou, la réponse d'Ankhhorou, les préparatifs du combat, et le début du discours de Pharaon ; j'ai essayé de rendre le sens général du morceau plutôt que d'en donner la teneur exacte.

[768] Il semble qu'au moment d’engager le combat, deux troupes ou deux individus plantaient en terre, à chaque extrémité de la lice ou du champ de bataille, un fanion à côté duquel ils se retiraient après chaque reprise : vers la fin de la journée, si aucun des étendards n'avait été enlevé de vive force, ce qui assurait la défaite, on les abattait pour marquer la suspension des hostilités. L'expression supprimer le fanion, correspond dans nos textes à proclamer une trêve, un armistice.

[769] En d'autres termes, les troupes de Pharaon, sa garde royale.

[770] C'était afin de célébrer à tout jamais l'acte d'obéissance de Pétékhonsou envers son suzerain.

[771] C'est le geste de l'adoration, par lequel on saluait les dieux, Pharaon et les gens de bonne famille.

[772] C’est le Kharou des textes plus anciens (voir la note dans Comment Thoutîyi prit la ville de Joppé). La vocalisation Khoîri nous est donnée pour l'époque saite et grecque par la transcription grecque Pkhoîris du nom de Pkhairi, le Syrien.

[773] Ainsi que Spiegelberg l'a remarqué, le mot que j'avais traduit ici par chanteur est au féminin (der Sagenkreis des Königs Petubastis, p. 67, note 10). Comme ce sont d'ordinaire des divinités qui se montrent ainsi aux héros endormis, je crois que la chanteuse est une déesse, probablement une Ishtar ou une Astarté. Montoubaal, ayant vécu en Syrie, devait voir une déesse sémitique en songe, aussi naturellement qu'il jurait par le dieu sémitique Baal.

[774] Ces quelques lignes représentent en gros le sens probable de deux pages entières, qui sont trop mutilées pour que je me risque à les restituer de façon suivie.

[775] La harpé est l'épée à lame recourbée en forme de faucille qui fut, à partir des temps les plus anciens, l'arme caractéristique des troupes égyptiennes. Elle s'est conservée jusqu'à nos jours chez les Massaï, chez les Chillouks, et chez plusieurs autres tribus de l'Afrique équatoriale.

[776] Le texte dit, à l’égyptienne, sa respiration, son souffle.

[777] Le discours du roi est trop criblé de lacunes pour qu'on puisse, le traduire exactement. J'ai résumé en quelques mots le sens qui m'a paru ressortir des lambeaux de phrases conservés.

[778] On peut se demander si ce sont des chiens de guerre, tels que ceux que les Grecs d'Asie emmenaient avec eux à la bataille dans leurs guerres contre les Cimmériens ; cf. Maspero, les Empires, p. 429, note 1.

[779] J'ai indiqué déjà le rôle de Khnoumou (voir notes dans Le conte des deux frères et Le roi Khoufoui et les magiciens) ; comme il était le dieu d'Éléphantine, c'est par lui que jure Mînnemêî, qui est prince d'Éléphantine. Il est bon de noter du reste que, tout le long de ce conte, l'auteur a pris soin de mettre dans la bouche de chacun de ses héros le juron local qui convient au fief qu'il gouverne : Pémou, prince d'Héliopolis, jure par le dieu d'Héliopolis, Atoumou ; Pétoubastis, qui règne à Tanis, jure par Amonrâ le grand Dieu de Tanis ; Montoubaal, qui vient de Syrie, jure par Baal ; le grand seigneur d'Amon par les dieux du nome mendésien.

[780] Les trois dernières phrases comprennent la substance d'environ vingt-sept lignes du texte qui sont trop endommagées pour qu’on puisse les rétablir entièrement.

[781] Cette description, qui occupe la première page conservée du Papyrus Spiegelberg, est trop endommagée pour comporter une traduction suivie. Elle est composée, ainsi que Spiegelberg l'a constaté (der Sagenkreis des Königs Petubastis, p. 13), sur le modèle des descriptions mystiques des barques du monde des morts : chaque partie de la coque ou du gréement y est comparée à un dieu ou à une déesse qui la protège.

[782] Ici commence la portion du texte que j'ai cru pouvoir traduire.

[783] Pai, Pi, Pou est le nom de l'une des cités jumelles dont se composait la ville de Boutô, aujourd'hui Tell Abtou. La seconde s'appelait Doupou.

[784] Bien que la place que les mots répétés occupent à la fin de la ligne quatrième et au début de la suivante puisse faire croire à une dittographie inconsciente du scribe, je crois qu'ici le redoublement est volontaire. Le prêtre insiste pour donner plus de force à sa réclamation.

[785] Il ne faut pas s'imaginer ici une théophanie réelle, le dieu apparaissant lui-même au conseil du souverain, mais, selon l'usage égyptien, l'arrivée, aux épaules des prêtres, de l'arche qui renfermait la statue d'Amon : cf. Maspero, Causeries d'Égypte, pp. 167, 173, 293, 298, et Au temps de Ramsès et d'Assourbanipal, pp. 66-69.

[786] Sur le sens de ce titre et sur la fonction du prêtre qui le porte, voir la note sur le « premier lecteur », dans Le roi Khoufoui et les magiciens.

[787] Naturellement, ce sont les prêtres qui s'avancent à pas rapides portant l'arche du dieu.

[788] Le texte est endommagé et la suite des idées n'est pas claire. Le prêtre donne ici la raison pour laquelle il ne s'est pas présenté la veille, et avant il n'a pas réclamé le trône que Pharaon Pétoubastis avait adjugé en la forme légale à Ankhhorou. La raison qu'il invoque, et qu'il juge assez forte pour justifier son action, est tirée, autant que je puis voir, du mythe de son dieu. Il semble qu'Horus, avant d'entrer en campagne pour rafraîchir, - gabhou, - la colère de son père Osiris, en d'autres termes pour l'apaiser en le vengeant, et plus brièvement pour le venger, avait été envoyé par sa mère Isis à Thèbes, chez Amon, pour que celui-ci lui fournit les charmes nécessaires à triompher de Typhon : le plus puissant de ces charmes était fourni par la couronne du dieu, c'est-à-dire par l'uræus qui orne la couronne dont la flamme détruit les ennemis. Le prêtre, partant pour le Saîd afin de reconquérir son bien, agit comme l'avait fait son dieu, et il va avant tout demander à Amon le charme de la couronne, qui avait assuré la victoire à Horus. C'est tandis qu'il faisait rapport – sami, semme – à Amon de ses intentions que le trône a été donné à Ankhhorou.

[789] Les paroles de Takhôs renferment évidemment une menace qui n'est exprimée qu'à moitié. Elles signifient, si j'ai bien compris, qu'Ankhhorou, lui aussi s'est muni du charme qui réside dans la couronne d'Amon. On l'a calmé – talko, – à grand peine, mais si le prêtre insiste, il donnera carrière à sa colère.

[790] Litt. : « je donne qu'il le prenne par jugement… je donne qu'il le prenne par bataille. » Le jeune prêtre s'adresse ici au roi et à l'auditoire en général, et il désigne son adversaire par le pronom il : lui-même, il se déclare prêt à accepter soit l'action en justice, soit le duel, pour régler la question de propriété.

[791] Litt. : « son cœur enfanta pour lui la poussière comme la montagne d'Orient. » L'effet de la colère est comparé ici à l'effet du vent d'orage, du Khamsîn.

[792] Le mot touôt, employé ici, me parait être la forme dernière du mot zadou, zatou, de l'âge Ramesside, qui désigne l'estrade surmontée d'un dais sur laquelle Pharaon donnait audience. L'un après l'autre les deux champions se tournent vers le souverain pour le saluer avant de s'armer.

[793] C'étaient les talismans que les soldats prenaient avec eux pour les protéger pendant le combat. Il en sera question plus loin.

[794] Probablement ceux dont les contingents étaient les plus nombreux et pesaient le plus fort dans la bataille.

[795] Litt : « Le district du Papyrus », les Boucolies de l'époque romaine ; voir l’introduction de ce conte.

[796] Le casque à face de taureau est probablement le casque à cornes de taureau que l'on voit chez les Pharaons par exemple au temps de Ramsès III ; cf. Champollion, Monuments de l'Égypte, pl. xxviii, cxxi, cccxxvii, et Rosellini Monumenti Storici, pl. 101, 106, 129, 131.

[797] Gattani ou Gatatani est un pays inconnu jusqu'à présent : si on doit lire vraiment Gattani ou Kattani, on pourrait songer à la Cataonie.

[798] Pétoubastis fait sans doute allusion ici aux mêmes incidents que lui-même, Pesnoufi et Pémou rappellent plus loin et qui étaient racontés soit dans la partie manquante de notre conte, soit dans un conte aujourd'hui perdu : devant ce deuil nouveau qui le frappe du fait des bouviers, il ne veut plus songer au chagrin que l'affaire de Pesnoufi et de Pémou lui avait causé.

[799] Voir note plus haut, pour le sens de cette expression.

[800] Spiegelberg a remarqué qu'il y avait ici une lacune dans le récit, et il a supposé que le scribe avait omis par mégarde le discours de Pakrour au prêtre d'Horus, ainsi que le commencement de la réponse du prêtre (der Sagenkreis des Königs Petubastis, p. 21, note 15). L'analogie des lignes 19-21 de la même page me porte à croire que l'auteur n'avait pas mis de discours direct dans la bouche de Pakrour, et que seul le début des paroles du prêtre manque. J'en ai donné le sens probable en quelques mots.

[801] Selon l'usage égyptien, il y a deux pilotes à bord de tout navire, celui d'arrière qui manœuvre les rames-gouvernails, et celui d'avant qui, la gaffe à la main, sonde le chenal et donne la direction à son camarade d'arrière ; ici, le prêtre d'Horus s'engage à jouer le rôle de pilote d'avant pour mener la barque d'Amon à Thèbes en toute sûreté.

[802] En d'autres termes, « pour qu'il célèbre sa victoire sur nous en chantant des actions de grâces, à Thèbes même. »

[803] Ces quelques mots résument ce que je crois être le sens de trois lignes trop endommagées pour qu'il soit possible d'en rétablir le texte complètement.

[804] Ceci doit être pris ironiquement, comme moquerie à l'égard du chef.

[805] Voir sur le sens de cette expression, la note plus haut.

[806] L'épisode auquel Pétoubastis fait allusion ici était raconté probablement dans les premières pages aujourd'hui perdues de notre papyrus.

[807] Il semble que ces bandes thébaines avaient la réputation d'être turbulentes et querelleuses : Takhôs avait conseillé au Pharaon de les laisser chez elles, alléguant pour raison qu'elles seraient un élément de discorde, dans son armée.

[808] Litt. : « Ne fais pas un mot contre son compagnon ».

[809] Pisapdi est aujourd'hui Saft-el-Hinéh.

[810] Sur ce mot, qui désigne certaines troupes de l'armée égyptienne, voir Hérodote, II, clxiv, clxvi, clxviii ; et note plus haut.

[811] La barque royale s'appelait dès les temps les plus anciens, l'Étoile ou, tout au long, l'Étoile des dieux.

[812] Tahouris est probablement la mère de Pétoubastis.

[813] Le messager, venant de la part de Pétoubastis et d'Amon, peut être appelé en effet le serviteur du trône.

[814] Litt. « Mon pieu d'attache avec toi et ton équipage est à Pinebôthès, le port d'aborder d'Héliopolis. » Le pieu dont parle Pesnouli est celui que les matelots égyptiens plongeaient dans la berge pour y attacher leur bateau (cf. plus haut, « le pieu de fer de la dame de Tasonout »). La phrase égyptienne, obscure pour nous, me paraît pouvoir se paraphraser ainsi que je l'ai fait dans le texte.

[815] Pshaî, l'Agathodémon, représenté souvent sous la forme d'un serpent joufflu couronné du pschent. C'est l'antique Shaî, le destin, dont la religion, secondaire aux temps pharaoniques, se développa considérablement sous les Ptolémées et sous les Césars.

[816] Le bouvier n'est pas ici l'un des treize bouviers qui accompagnaient le prêtre de Boutô, c'est le prêtre de Boutô lui-même.

[817] Cf., pour cette expression, ce qui est dit dans les notes de L’histoire véridique de Satni Khâmoîs et dans L’emprise de la cuirasse.

[818] Litt. : « Le pied de ce combat est stable sur la lice, mais après, je ne le sais pas cela que notre chance fera pour eux » ; j'ai dû paraphraser fortement ce passage pour le rendre intelligible aux lecteurs modernes.

[819] Cf., sur cette expression, ce qui est dit plus haut sur les étendards, dans L’emprise de la cuirasse.

[820] Ici, pour la première fois, nous trouvons énumérés tous les moments du proscynème égyptien : 1° le héros se prosterne, les genoux et les mains à terre, l'échine arrondie mais la tête légèrement redressée encore ; 2° il récite la formule ordinaire du salut, puis 3° il baisse la tête et il baise le sol entre ses deux mains. Sinouhît salue de façon à peu près semblable, mais en se jetant de la poussière sur le corps (voir note dans Les mémoires de Sinouhît). C'est sans doute parce qu'il veut marquer son humilité : le proscynème ordinaire ne comportait pas ce complément. D'autre part l'étiquette commandait à Pharaon de ne point paraître s'apercevoir de la présence du personnage ; il ne le reconnaissait qu'après un certain temps, probablement sur l'indication d'un de ses officiers, et c'est alors seulement qu'il lui adressait la parole ou, dans les grandes occasions, qu'il faisait quelques pas au-devant de lui pour le relever, pour l'embrasser et pour l'entretenir.

[821] Litt. : « Il le baisa beaucoup d'heures », avec une de ces formules exagérées dont j'ai signalé un exemple (dans Le conte des deux frères). Le baiser sur la bouche avait remplacé l'ancien mode de salut, le rapprochement des nez (« tu embrasseras ta femme » dans Le naufragé), peut-être sous l'influence grecque, au moins dans les cérémonies officielles.

[822] C'est-à-dire, si je comprends bien, sorti sain et sauf de la bataille engagée contre le bouvier. Le mot que j'ai traduit par force est le même que celui qui, dans le Voyage d'Ounamounou, sert à désigner l'état d'extase épileptique dans lequel tombe le page du roi de Byblos. Il marque ici la force mystérieuse qui anime Mînnebmêî par l'inspiration d'Amon, et qui lui donne la faculté de résister jusqu'à ce moment au bouvier.

[823] Spiegelberg, der Sagenkreis des Königs Petubastis, p. 7, 35.

[824] Erman, après en avoir donné une courte analyse dans son Ægypten, p. 393-394, l'a publié, transcrit et traduit dans un mémoire spécial, intitulé Gesprach eines Lebenmüdens mit seiner Seele et qui fut inséré dans les Abhandlungen der Berliner Akademie, 1896 ; il en a redonné une nouvelle analyse et de longs fragments dans le volume intitulé Aus den Papyrus der Königlichen Museen, 1889, p. 54-59, et dans son Ægyptische Chrestomathie, 1904, p. 33-55 et 16*-17*.

[825] Maspero, Études Égyptiennes, t. II, p. 106-110.

[826] Chabas, Le Papyrus magique Harris, Châlons-sur-Saône, 1860, p. 20., 92.

[827] L'égypte de murtadi fils du gaphiphe, où il est traité des Pyramides, du débordement du Nil, et des autres merveilles de cette Province, selon les opinions et traditions des Arabes. De la traduction de M. Pierre Valtier, Docteur en Médecine, Lecteur et professeur du Roy en Langue Arabique. Sur un manuscrit Arabe tiré de la Bibliothèque de feu Monseigneur le Cardinal Mazarin. À Paris, chez Louys Billaine, au second pilier de la grande Salle du Palais, à la Palme et au grand César m.d.c.lxvi. Avec Privilège du Roy. In-12, p. 65.

[828] Virey, la Religion de l'Ancienne Égypte, 1910, p. 60.

[829] L'Égypte de Murtadi, fils du Gaphiphe, p. 143.

[830] Select Papyri, t. I, pl. I

[831] Athénæum Français, 1854, p. 532; cf. Œuvres diverses, t. II, pp. 412-413.

[832] Brugsch, Ægyptische Studien, II. Ein Ægyptisches Datum über die Hyksoszeit, p. 8-21, in-8°, Leipzig, 1854, Extrait de la Zeitschrift der Deutschen Morgenländischen Gesellschaft, t. IX.

[833] Goodwin, Hieratic Papyri, dans les Cambridge Essays, 1858, p. 243-245.

[834] Chabas, les Pasteurs en Égypte, Amsterdam, 1868, in-4, p. 16-18.

[835] Lushington, Fragment of the First Sallier Papyrus, dans les Transactions of the Society of Biblical Archæology t. IV, p. 263-266, reproduit dans les Records of the Past. 1re série, t. VIII, p. 1-4.

[836] Brugsch, Histoire d'Égypte, in-4°, 1859, p. 78., et Geschichte Ægyptens, in-8°, 1878, p. 222-226 ; Tanis und Avaris dans la Zeitschrift für allgemeinen Erdkunde, nouvelle série, t. XIV, p. 81.

[837] Ebers, Ægypten und die Bücher Moses, 1868, p. 204.

[838] Bunsen, Egypt's Place, t. IV. p. 671.

[839] Maspero, Études Égyptiennes, t. I, p. 195-216.

[840] C'est l'une des épithètes injurieuses que le ressentiment des scribes prodiguait aux Pasteurs et aux autres peuples étrangers qui avaient occupé l'Égypte ; voir note sur « une peste d’Éthiopien » dans L’histoire véridique de Satni Khâmoîs.

[841] C'est la prononciation la plus probable du prénom que l'on transcrit ordinairement Râskenen. Trois rois d'Égypte ont porté ce prénom, deux du nom de Tiouâou, un du nom de Tiouâqen, qui régnait quelques années avant Ahmôsis.

[842] Hâouârou, l'Avaris de Manéthon, était la forteresse des Pasteurs en Égypte. E. de Rougé a prouvé que Hâouârou était un des noms de Tanis, le plus commun aux époques anciennes.

[843] La Basse-Égypte, le Pays des canaux, le pays du Nord ; voir note sur la « Terre-Entière » dans Le conte des deux frères.

[844] La ville du Midi est Thèbes.

[845] Cette ligne devait renfermer un compliment à l'adresse du roi.

[846] La partie conservée du texte commence en cet endroit.

[847] Maspero, Les Momies royales d'Égypte récemment mises au jour, p. 14-15.

[848] Le nom de Râhotpou a été porté par un roi obscur de la XVIe ou de la XVIIe dynastie, dont le tombeau paraît avoir été situé à Thèbes, dans le même quartier de la Nécropole où s'élevaient les pyramides des souverains de la XIe, de la XIIIe, de la XIVe dynastie et des dynasties suivantes, vers Drah-Abou'l-Neggah. C'est probablement, de ce Râhotpou qu'il est en question dans notre texte (cf. H. Gauthier, le Livre des Rois d'Égypte, t. II, pp. 88, 89).

[849] Passer en avant des hommes et à la suite des dieux, c'est mourir. Le mort précède dans l'autre monde ceux qui restent sur terre et il va se ranger parmi ceux qui suivent Râ, Osiris, Sokaris ou quelqu'un des dieux funéraires.

[850] L'année égyptienne était divisée en trois saisons de quatre mois chacune : celle de Shomou était la saison des moissons.

[851] Pour ce roi qui est plus obscur encore que Râhotpou, voir H. Gauthier, le livre des Rois d'Égypte, t. II, p. 95.

[852] Ce nom signifie la demeure ne l'enferme point : peut-être, au lieu d'être le nom du mort, est-ce un terme générique servant à désigner les revenants.

[853] Voir ce qui est dit à ce sujet, l’introduction de Le roi Khoufoui et les magiciens.

[854] Litt. « Est-ce que cela a mauvaise odeur, ce que je vous dis ? »

[855] Litt : « Est-ce chose qui peut arriver celle-là s'il arrive que le roi fasse ivresse d'homme tout du monde, que ne fasse pas homme tout du monde entrée pour affaire vers le roi ? »

[856] La lecture est douteuse. Le titre de Frère Royal, assez rare en Égypte, marquait un degré élevé de la hiérarchie nobiliaire.

[857] La lecture du nom est incertaine : Révillout le lit Pentsate, Pétésêtis. J'ai pris, parmi les signes connus, celui dont la figure se rapproche le plus de la formule qu'il donne sur son fac-similé.

[858] Le nom remplit la fin d'une ligne et est fort mutilé : j'ai cru reconnaître un P dans le premier signe, tel qu'il est sur le fac-similé, et cette lecture m'a suggéré le nom de Psamitikou. Révillout transcrit Oudja-Hor.

[859] Litt. : « Prit amour d'elle-même on lui disait Taônkh (?) ou Sônkh son nom, un autre pilote était à lui nom… » Révillout lit plus simplement, Ankh le nom de la femme.

[860] Revue égyptologique, t. I, p. 65, note 1 ; dans son article du t. X, p. 2, il se décide pour le vin du Fayoum.

[861] Dioscoride, De la matière médicale, t. II, ch. 109 et 110.

[862] Pline, H N, xiv, 18.

[863] M. Groff a émis l'opinion que le kolobi était un vin cuit de qualité supérieure (Note sur le mot kaloui du Papyrus Égypto-Araméen du Louvre dans le Journal asiatique, VIIIe s., t. XI, p. 305-306).

[864] Révillout, Premier extrait de la Chronique dans la Revue Égyptologique, t. I, p. 65, note 2.

[865] sur le lac, ce qui est dit dans Le roi Khoufoui et les magiciens et dans Les mémoires de Sinouhît.

[866] Voir plus haut, dans Le roi Khoufoui et les magiciens.

[867] Wilkinson, A popular Account of the Ancient Egyptians, t. I, p. 25, 38, 42.

[868] Plutarque, de Iside et Osiride, § 6.

[869] Papyrus Anastasi n° IV, pl. xi, l. 8., et Papyrus de Boulaq, t. I, pl. xvii, l. 6-11 ; Chabas, L'Égyptologie, t. I, p. 101.

[870] C'est le même début que dans le conte utilisé par les Égyptiens pour expliquer l'Exode des Juifs et que Manéthon avait consigné dans son ouvrage : Aménophis aurait désiré voir les dieux, comme Horus l'avait fait avant lui (Josèphe, Contra Apionem, I, 26), et les dieux offensés de son désir, lui auraient prédit la ruine.

[871] J'avais conjecturé, dans la précédente édition de cet ouvrage (p. 255, note 2) que l'original égyptien de ce mot était romes, rames, qui désigne une sorte de barque (cf. note dans L’aventure de Satni-Khâmoîs avec les momies) : Wilcken a retrouvé depuis lors, dans un papyrus de Paris, une forme Rhômpsis, qui est plus proche du terme égyptien que Rhôps (der Traum des Königs Nectonabos, p. 587), et ce qui n'était qu'une conjecture est devenu une réalité. Le mot égyptien s'est conservé dans le terme ramous usité en Nubie et en Haute-Égypte (Burckhardt, Travels in Nubia, p. 247) pour désigner un canot de joncs (Maspero, Notes d'inspection, § 11, dans les Annales du Service des Antiquités, 1909, t. X, p. 138-141).

[872] C'est la description exacte de certaines scènes assez fréquentes dans les temples d'époque ptolémaïque et romaine.

[873] La transcription adoptée aujourd'hui pour ce nom est Anhour, Anhouri, Onhouri, Anhouri est une des nombreuses variantes du dieu soleil ; il était adoré, entre autres, dans le nome Thinite et à Sébennytos. On le représente de forme humaine, la tête surmontée d'une couronne de hautes plumes et perçant de la pique un ennemi terrassé. La XXXe dynastie étant Sébennytique d'origine, Anhouri en était le protecteur en titre : le premier Nectanébo s'intitulait dans son cartouche Méionhouri, l'aimé d'Onouris.

[874] L'équivalent hiéroglyphique de ce nom n'a pas encore été retrouvé dans les textes. Wilcken «der Traum des Königs Nectonabos, pp. 5S6-589), croit y reconnaître une transcription du nom de bannière de Nectanébo Tamdou, et, par suite, la personne du souverain lui-même. Mais le nom de bannière n'est pas Tamdou seul, il est Hor-tamâou, et il me parait difficile de croire que l'écrivain eût passé dans sa transcription un élément aussi important que le nom d'Horus. Witkowski de son côté (In Sommium Nectanebi, p. 14-15) préfère voir dans Samaous, comme Leemans l'avait fait avant lui, le nom du gouverneur de la ville.

[875] Wilcken (der Traum des Königs Nektonabos, p. 589-590) a rétabli ici ce membre de phrase qui manque dans l'original. D'après des inscriptions recueillies dans les ruines de Sébennytos, le nom d'un des principaux sanctuaires de cette ville était Per-Shôou « la maison du dieu Shôou-Shou » (Ahmed bey Kémal, Sébennytos et son temple, dans les Annales du Service des Antiquités, 1906, t. VII, p. 90); peut-être correspond-il à notre Phersô.

[876] Sébennytos est dite ici de l'intérieur pour la distinguer de l'autre ville du même nom, qui était située près de la mer (Wilcken, der Traum des Königs Nektonabo, p. 590.)

[877] La reine Hatshopsouitou se vante d'avoir fait extraire de la carrière, près d'Assouan, transporter à Thèbes, sculpter, polir, ériger, le tout en sept mois, les deux grands obélisques de granit rose dont l’un est encore debout à l'entrée du sanctuaire du temple de Karnak. La rapidité avec laquelle on exécutait des travaux de ce genre était une marque d'habileté ou de pouvoir dont on aimait à se vanter. L'auteur de notre conte est donc dans la tradition purement égyptienne, lorsqu'il-nous représente son architecte fixant un délai très bref à l'accomplissement des travaux.

[878] J'ai suivi ici la lecture et la correction de Wilcken : Witkowski (in Somnium Nectonabi, p. 17) préférerait reconnaître dans le mot grec le nom de la jeune fille.

[879] Voir L’aventure de Satni-Khâmoîs avec les momies.

[880] Dans le Pseudo-Callisthènes (II, 14), il s'était déguisé en Hermès pour se rendre à la cour de Darius.

[881] C'est, du moins, la conjecture très vraisemblable que la suite du texte a suggérée à Lemm (der Alexanderroman, p. 20).

[882] Selon une hypothèse fort ingénieuse de Lemm (der Alexanderroman, p. 22-23), le mot vieillard du copte n'est que la traduction littérale du mot qui se trouvait dans l'original grec, πρεσβύς : Éléazar était en réalité l'ambassadeur des Perses auprès du roi des Lamites.

[883] Si nous n'avons pas ici un mot inventé de toutes pièces, il faut du moins admettre que le copiste copte a singulièrement défiguré le nom du peuple qu'il trouvait dans cet endroit de l'original grec. Lektouménos, prononcé Lekdouménos, renferme tous les éléments du grec Lakedœmonios. Je pense qu'il s'agit ici d'un envoyé Lacédémonien.

[884] Des Lamites sont mentionnés dans le martyre de saint Jean de Phanizoîit (Amélineau, Un document copte du XIIIe siècle, Martyre de Jean de Phanidjoît, p. 20, 52, 65) où le mot est une abréviation pour Islamitès, Musulman (Lemm, der Alexanderroman, p. 41). Ici on doit y reconnaître une abréviation d'Élamitès, comme Bouriant l'avait vu et comme Lemm l'a démontré après lui (der Alexanderroman, p. 38-42.) La résidence des rois de Perse, Suse, étant en Élam, on ne saurait s'étonner si le nom des Élamites a joué un rôle important dans les traditions qui couraient dans le peuple au sujet d'Alexandre.

[885] Le nom Iôdaê n'est pas certain. Si on doit réellement le lire en cet endroit, le voisinage d'Éléazar nous permettrait d'y reconnaître un nom Iadoué, identique à celui du grand-prêtre de Jérusalem que la légende met en rapport direct avec Alexandre.

[886] Le texte porte ici le mot apa, avec la prononciation amba, qui est appliquée en copte aux religieux. C'est une preuve à joindre à celles que nous avons déjà de l'origine égyptienne et chrétienne de cet épisode.

[887] Le texte porte tantôt Chaos, tantôt Chaosm. C'est une mauvaise lecture du traducteur copte : l'original grec portait évidemment Khasma. « un gouffre », qui est devenu nom propre sous la plume d'un scribe ignorant.

[888] C'est ainsi que j'ai restitué le texte, par analogie avec les titres byzantins, protospathaire, protostrator, protovestarque, protonosocome, protonotaire, M. de Lemm préfère rétablir le titre prôtophilos, le premier ami (der Alexanderroman, p. 68-69, 132-133), ce qui n'est pas moins vraisemblable.

[889] Un mot mutilé ou je crois reconnaître le terme de khiliarque, qui désigne un commandant de mille hommes.

[890] Il ne faut pas oublier que, dans la donnée du roman, Alexandre est le fils de Nectanébo, c'est-à-dire d'un roi d'Égypte : lui obéir, c'est donc obéir à l'Égypte comme à la Macédoine.

[891] C'est bien du centaure Chiron qu'il s'agit ici, car Alexandre dira plus loin : « Chiron, raconte-leur ce qui m'est arrivé » ; cette phrase ne peut s'adresser qu'à un personnage doué de voix humaine, comme l'était le centaure. La substitution de Chiron à Bucéphale est à elle seule un indice de mauvaise époque : une telle confusion n'a pu se produire qu'en un temps et dans un pays où la tradition antique était déjà fort effacée.

[892] J'avais pris le mot Alarichos employé dans le texte pour un nom d'homme. Lemm (der Alexanderroman, p. 86) y a reconnu le titre ilarque des commandants de la cavalerie macédonienne.

[893] O. de Lemm, der Alexanderroman, p. 129-131.

[894] Jésus, fils de Sirach, xi, 29.